♪ An End Once and For All ♪

Un vent frais venait délicatement embrasser le pelage dorée de la lionne somnolente, la brise offrant une valse séduisante à ses poils d'or. Le vent semblait danser avec elle, soulevant sa mèche dorée au gré de ses ondulations. Contre son flanc, son fils dormait profondément et les yeux mis-clos, elle l'observait dans un silence songeur. Avoir eu connaissance de ses gênes obscurs avait plus atteint le lionceau qu'il ne voulait le laissait paraître et au grand désarroi de sa mère, Sadaka devenait de plus en plus indépendant. Leur lien n'était en rien brisé, bien au contraire, mais elle voyait son fils changer, elle le voyait grandir. Kuzali n'avait rien d'une liseuse d'avenir ou même d'une prophétesse mais en cet instant, elle aurait aimé connaître le destin de son fils pour apaiser ses craintes et savoir qu'il serait heureux. N'était-ce pas là une hantise pour toutes les mères que de savoir ses enfants malheureux ? Les Nyeusis vaincus, s'ils l'étaient, la mère et le fils partiraient vivre sur Prideland, auprès du nouveau compagnon de la lionne et Kuzali deviendrait reine. Cette vie qu'ils menaient actuellement leur semblerait bien loin... Avait-elle fait le bon choix, pour elle comme pour son fils ? Elle soupira. Le poids de ses songes l'avait définitivement tiré de son pseudo sommeil et il n'était plus question pour elle de clore les paupières pour attendre un nouveau jour. Délaissant son fils, la lionne s'extirpa de leur nid chaleureux pour s'éloigner la démarche souple malgré ses pensées croulantes.

Son chemin ne tarda guère à croiser celui de son mentor mais avant de le rejoindre, la lionne resta en retrait, observant le vieux mâle d'un regard dont elle seule avait le secret. Il ne venait plus se coucher avec sa famille, il ne dormait plus... Il restait simplement là, son regard porté vers l'horizon et l'esprit ailleurs, sûrement porté vers des songes dont Kuzali ne pouvait suspecter la teneur. Mais en était-il vraiment ainsi ? Dans le plus grand des silences, tous deux se préparaient à ce qui allait suivre. Le temps avait passé et Kuzali avait grandi, pris en maturité et en expérience, elle ne pouvait plus se permettre de poser ses espoirs dans des rêves utopiques. Quoi qu'elle souhaite, quoi qu'elle fasse, la mort viendrait et Samekh attendait son heure. Elle ne dit mot pendant un long moment ni même ne fit acte de présence. Elle resta simplement là, observant son mentor tandis que lui-même observait l'horizon. Si près et pourtant si loin... Peut être qu’inconsciemment, la lionne cherchait à graver une dernière fois l'image de celui auquel elle aimait penser comme son Créateur. Il n'avait pas l'aura des grands rois mais sa prestance était tout aussi grande. Il l'avait tant inspiré, tant appris... Plus qu'un mentor, il avait su devenir cette famille qu'elle avait perdu mais ce rêve qu'il lui avait offert jour après jour allait bientôt prendre fin. Elle le savait désormais, elle n'était plus cette lionne naïve d'autrefois. Un nouveau soupir.

Le vent nocturne vint lui offrir une autre danse, poussant la lionne à sortir de son retranchement et à rejoindre le mâle. Silencieusement, elle parcourut les hautes herbes qui pliait sous son passage comme s'inclinant à sa venue puis, délicate, elle se coucha aux côtés de Samekh, son flanc frôlant le sien d'où leurs poils s'entremêlaient. Être à ses côtés, c'était comme être transportée ailleurs, dans un endroit sûr où elle n'avait plus rien à craindre si ce n'était d'être heureuse et en paix. Une famille ne se limitait pas aux liens du sang, Kuzali l'avait appris en rencontrant le lion de feu. Il n'était pas parfait mais c'était ce qui le rendait si réel et si beau. La lionne dorée ne disait mot, elle savourait simplement l'instant présent comme si c'était le dernier, ignorant la véracité et l'importance de ce moment. Ils avaient tous deux tant marché depuis leur rencontre et malgré ses croyances, Kuzali était loin d'être prête pour voir la fin de ce si beau voyage qu'elle espérait éternel.

♪ An End Once and For All ♪

La voix du vieux mâle brisa le silence. Kuzali dressait son regard ambré vers son mentor, acquiesçant ses paroles. Les deux lionceaux étaient encore jeunes, Tadji imitait le comportement de son père et quand à Sadaka, il voyait en ce prince le digne fils de celui qui ne lui avait jamais porté d'amour. La situation semblait délicate mais ils n'étaient encore que des enfants. Sans doute cela s'arrangerait-il avec le temps et si ce n'était pas le cas, tant pis. On ne forçait pas les autres à s'aimer, chacun dictait son cœur vers la voie qui lui semblait juste et Kuzali ne blâmerait jamais son fils de ne pas partager ses marques d'affections.

Ils avaient commencé toute cette aventure à deux et le temps avait considérablement agrandi leur famille. Samba, Ishana, Vita, Sadaka, Tahani, Tadji et Waasi... Il semblait loin le temps où les deux compères n'étaient livrés qu'à eux-mêmes. Par moment, Kuzali était nostalgique de ce temps. De nouveau, la voix suave du mâle s'éleva dans l'air frais de la nuit. Était-ce sa bénédiction ? Elle souriait. En plus d'avoir été témoin, la lionne connaissait l'aversion qu'éprouvaient les deux mâles. Les paroles du rouge lui étaient précieuses. Sans doute aurait-elle du réagir de cette manière lorsque Samekh lui avait avoué sa liaison avec Tahani. Une reine, c'était ce qu'elle deviendrait. Étrangement, la lionne dorée commençait à se faire à cette idée.

« Seul le temps nous le dira mais j'espère honorer mes ancêtres. » répondit-elle simplement d'un ton vague.

Elle n'était pas aveugle aux agissements du vieux lion. Quelque chose agitait son esprit mais il semblait vouloir garder ce mystère pour lui-même. Était-ce à cela que ressemblait le poids de la mort ? Ces paroles qu'ils échangeaient ne sembler être qu'une façade, un moyen futile de dissimuler les choses graves et ces mots qu'ils ne savaient se dire.

Kuzali soupirait, indécise. Cela était pourtant simple, des deux elle avait toujours été celle qui avait le plus facilement ouvert son cœur à l'autre mais aujourd'hui, en cette nuit, les choses étaient différentes. Elle hésitait, ne sachant comment se livrer pourtant, peut-être était-ce l'un de leurs derniers moments. Mais elle refusait cette réalité et se voiler la face, espérant se réveiller d'un mauvais rêve. C'était naïf et stupide mais qu'est-ce qu'on ne ferait pas pour avoir éternellement à nos côtés ceux qu'on aimait ? Finalement, elle lui confia cette terrible vérité qui pesait sur son cœur :

« J'ai peur, Samekh. Je crains ce moment où tu ne seras plus là. J'ai beau voir grandi et ne plus être cet enfant que tu as pris sous ton aile, j'aurais toujours besoin de toi. »

La vérité était qu'elle terrifiait à l'idée de le perdre. Ce lien qu'il avait noué, cette place qu'il occupait dans son cœur... Rien ni personne ne serait en mesure de combler le vide que causerait son départ. Quittant l'horizon du regard, la lionne dorée planta ses iris dans celles du mâle, exprimant toute l'étendue de ces mots qu'elle ne savait dire.

♪ An End Once and For All ♪

Le vent soufflait contre son pelage dorée et malgré la saison sèche, il lui semblait glacé. Semblable à un présage de malheur, il venait faire frisonner la lionne piégée et impuissante face à ses bourrasques. Mais était-ce véritablement le vent qui lui offrait cette sensation de glace ou bien était-ce la peur de plus pouvoir ressentir la chaleur du vieux mâle ? La réponse semblait évidente. La brise emporta avec elle un soupir de la lionne.

Sa voix rauque lui paraissait étrangement lointaine. Allaient-ils donc repartir sur ces débats incessants de qui avait besoin de qui ? Kuzali sourit doucement. Ne réalisait-il donc pas l'impact que sa présence avait eu dans sa vie ? Sans lui, rien de tout cela n'aurait pu être possible. Peut-être surestimait-elle l'influence de son mentor mais à ses yeux, il avait été un pilier fondamental dans sa reconstruction. Pensive, la lionne dorée laissait le silence les entourer. Il était angoissant et calme à la fois. Angoissant car circulaient dans l'air le poids de la mort mais calme car la présence de Samekh le rendait ainsi.

Elle l'écoutait, attentive, mais n'osait trop croiser son regard de peur de flancher. Ses mots étaient aussi doux que douloureux.Ils s'étaient sauvés mutuellement de la solitude à laquelle ils s'étaient voués. L'un sans l'autre, auraient-ils parcouru tout ce chemin ? Elle l'ignorait mais ce qu'elle savait c'était qu'une vie sans lui, elle n'en voulait pas. Il disait perdurer à travers elle, par son regard mais ce n'était pas ce qu'elle souhaitait. Ce que Kuzali désirait était très simple : qu'il reste éternellement à ses côtés mais cela ne pouvait que rester un souhait merveilleux. La mort était une étape incontournable dans le Cycle de la vie et personne n'y échappait, pas même ceux que l'on souhaitait immortel. Un jour ou l'autre, Samekh partirai et la lionne devrait apprendre à vivre sans lui. Le voulait-elle ? Non. Pourtant, ce n'était pas une question de choix. Qu'elle soit prête ou non, ce moment viendra.

Elle soupira, clôturant ses paupières pour garder la maîtrise de soi. Il était fier d'elle. Ces quelques mots enveloppèrent Kuzali d'une douce sensation. La joie, le bonheur, la récompense... Un élève ne pouvait qu'aspirer à rendre son maître fier et c'était chose faite. Elle l'avait toujours tant admiré, espérant un jour attendre son ombre qu'elle observait avec émerveillement. Y était-elle parvenu ? Cela n'avait plus grande importance car aujourd'hui, ce n'était pas derrière lui mais à ses côtés qu'elle marchait.

« J'ai beau être adulte, j'aurais toujours besoin de toi comme un enfant a besoin de son père. Tu m'as offert un refuge, une famille, une identité.... Ce que tu m'as offert, c'est une vie. Il n'y a rien de plus glorieux et de beau. Si tu m'es à jamais redevable, il en va de même pour moi. » murmurait-elle en retour, dressant son regard vers celui du vieux lion. « … et ne t'excuse pas de ne pas m'avoir donné assez car tu as tort. Tu m'as tout donné. »

Son regard était fatigué mais brûlait encore en lui le feu de ses terres natales. Quelles étaient ces dernières braises et pour quoi flambaient-elles ? Quelque chose se tramait dans son regard mais Kuzali ne savait y répondre. Le vieux rouge avait toujours garder une part de mystère.

« Dis moi Samekh, pourquoi tout cela sonne comme des au revoirs ? »

Son souffle était las et inquiet. Elle se refusait à croire que cela sonnait comme leur dernier moment passé ensemble et pourtant, les confessions du mâle lui laissaient penser dans ce sens. Le souffle du vent lui paraissait plus effrayant que jamais.

♪ An End Once and For All ♪

Le pelage de la lionne dorée frissonnait sous l'impact du vent. Il était frais et mordant, comme annonciateur de malheur. Demain sonnerait l'heure de la vengeance et bien des lions périront. Kuzali n'était pas du genre à douter mais son cœur était inquiet. Rentreraient-ils tous sains et saufs ? Doucereux et chaleureux bien que teinté d'une sonorité alarmante, le rouge lui confia quelques mots qui vinrent marquer le cœur de Kuzali. Famille. Devoir. Honneur. Cela avait toujours été son credo. Elle souriait tendrement à son mentor. Un brin trop rêveuse, Kuzali aurait aimé que ce moment ne cesse jamais. Rien n'était plus important que d'être à ses côtés.

Il était bon et il était mauvais et il était tout ce qu'elle avait. Il ne l'aurait jamais laissé, pas après tout ce qu'ils avaient traversé dans leur voyage sculpté dans la peine et l'amour. Mais nous tous le savons, la mort ne donne pas rendez-vous, elle frappe. Si elle le pouvait, Kuzali irait l'affronter en personne pour que jamais ce moment ne vienne. Vaincre la mort pour que la vie triomphe. Ce jour où Samekh l'avait recueillie avait été comme une Renaissance. Il lui avait tout appris. Tout sauf à vivre sans lui.

« Je les comprends. »

C'était une réponse simple mais amplement suffisante. Nul besoin de s'attarder, il savait que Kuzali honorerait ces mots. Elle l'aimait comme on aimait le soleil ou la lune, des essentiels sans qui ses repères s'évanouiraient. Kuzali n'avait pas besoin de mots pour exprimer cet amour et Samekh n'avait pas besoin de l'entendre pour le savoir. Il avait toujours su les mots sous ses silences.

Possesseur d'un savoir qu'elle ignorait encore, le rouge se redressa poussé par un vent venu du Nord. Silencieuse, la lionne l'observait. Bien des lions avaient leur avis sur l'exilé, certains disaient de lui que c'était un assassin, d'autre un menteur ou encore un mal venu sévir la terre des lions mais pour Kuzali, il avait toujours été et resterait son héros, cette figure qui l'avait hissé vers les sommets. Elle souriait tristement face à la flamme rouge qui animait de Samekh. Dans son regard, il se préparait au long voyage.

Il avait toujours marché devant et longtemps elle n'avait vu de lui que son dos, espérant un jour pouvoir l'atteindre et plutôt que de marcher dans ses pas pouvoir marcher à ses côtés. Y était-elle arrivée ? Elle le pensait. Côte à côté les deux lions marchaient vers leur foyer, accomplissant ensemble ce qui allait être leur dernier voyage.