Lionceaux devenus lions

Deux pelages clairs traversaient les dunes du désert à pas de course.

Wahidan était accompagné aujourd'hui, mais pas de la meilleure des partenaires. Kashfa, une lionne splendide, mais qui avait le gros défaut d'être assez agressive envers ses semblables. En particulier envers le jeune lion à crête, qui n'était autre que son potentiel prétendant.

Pourquoi étaient-ils donc ensemble et fuyaient ? Parce que oui, ils fuyaient leurs chers parents, qui ne cessaient de les harceler à propos de mariage arrangé. Rien n'allait. Wahidan ne sentait pas prêt à tout cela et d'après ce qu'il avait compris, Kashfa, elle, voulait garder sa liberté. Le fils des sables s'étaient demandé de quelle liberté pouvait-elle bien parlé, puisque la jeune lionne était et sera toujours sous la tutelle de son père tant qu'elle ne sera pas mariée. Mais bon, il avait décidé de ne pas trop poser de questions et de se mêler de cette affaire-ci.

Arrivés à plusieurs mètres de la frontière, Kashfa donna les directives.
« Bien. On se retrouve ici au coucher du soleil, lorsque j'aurais fini de trouver un plan pour enlever cette idée grotesque de la tête de nos parents. »

Tandis qu'elle commençait à s'en aller, il la rattrapa.
« On peut chercher la solution ensemble. Ça ira plus vite. »

Elle se moqua ouvertement de lui dans un rire sonore.
« Khalili, je doute que tu me sois d'une grande aide. J'ai le corps et l'esprit. Toi … » Elle posa une patte sur son épaule avec un regard remplie de fausses compassions. « … Tu as les muscles. Tu n'as qu'à t'occuper de truc que vous faites, vous les mâles. Entraînement et tout ça. »
Elle tourna les talons. « N'oublie pas. Au coucher du soleil. »

Wahidan leva les yeux au ciel et l'observa s'éloigner. Il était très mitigé à son sujet. Elle avait ce quelque chose de spécial et d'agaçant à la fois. Il tourna les talons lui aussi, la queue bougeant d'agacement, pour s'approcher de la frontière. Autant en profiter pour vérifier les marquages. Il huma l'air et ne trouva rien de particulier.

Alors qu'il s'apprêtait à continuer son chemin le long de la frontière, le vent se leva et son flair détecta une odeur étrangère. Son regard se posa sur Prideland, où il voyait les hautes herbes bougeaient.

Un lion de Prideland. Noir en plus… Quand est-ce que ces foutous mositues disparaîtront pour de bon ?

L'individu souhaita le bonjour à Wahidan. Son air n'avait rien de bien amical, mais ce n'était pas grave. Même dans son propre clan, on ne lui adressait pas forcément des airs sympathiques. Non pas qu'il n'était pas apprécié, juste que c'était dans la nature de certains d'être de mauvais poil. Et Wahidan le sentait, ce mositue n'était pas ravi de sa journée.

Par politesse, le fils des sables observa un instant le gros mâle, avant de dire tout souriant.
« Bonjour, voisin. »

A force de faire semblant, cela devenait presque naturel d'être 'amical' avec les lions fiers. Alors que le gros félin vérifiait les marquages, qu'il avait déjà fait par ailleurs, le lion à crête l'observa attentivement. Il lui disait vaguement quelque chose, mais il n'arrivait pas vraiment à mettre la patte sur son nom ou même où il l'avait rencontré.

Puis le jangowas croisa son regard mauve. Cela le revenait ! Ce n'était pas Ndogo ? Le lionceau qu'il avait croisé au Mochanga quand il était plus jeune. Il avait bien grandi. Si Wahidan n'était pas aussi fier et sûr de lui, il aurait pu être impressionné, mais non. Pour lui, Ndogo était juste un peu enrobé. Ce ne pouvait être du muscles.

Il y avait un silence entre eux. Wahidan décida d'engager la conversation, en évitant cependant de parler du passé. Dans ses souvenirs, leur rencontre n'avait pas été spécialement douce. Le lion s'était blessé en tombant comme une petite crotte, lui pour sa part avait essayé de l'aider et la mère du lion sombre avait gueulé pour rien. En gros, il s'était montré avenant et eux, ils l'avaient mal pris. De toute façon, ces pridelanders …

Gardant un sourire faussement amical, il lui parla comme s'il ne l'avait pas reconnu.
« C'est une journée sympathique n'est-ce pas ? » Il n'attendait pas réellement de réponse, et enchaîna. « Je m'appelle Wahidan. Et vous ? »

Qui sait peut-être avec un peu de chance, le lion sombre ne l'avait reconnu ? Mais bon, personne ne l'oubliait. Personne n'oubliait un guerrier jangowas.

Son ton n'était ni agressif, ni froid, mais n'était pas non plus sympathique. Et dire qu'on traitait les jangowas de lions snobs et dénoués de civilité. En attendant, Wahidan prouvait bien le contraire en faisant l'effort de se montrer ouvert à la discussion. Pour de bonnes, voir mauvaises intentions, mais peu importe. C'était l'action qui comptait.

Il l'écoutait. Le Ndogo se nommait donc Vilayan. * Mouais … Pas ouf. * Il gardait un air sympathique, bien qu'il se moquait intérieurement du lion, en se répétant que Ndogo lui allait beaucoup mieux. Pendant plusieurs mois, il avait pensé, certes peu à lui, mais quand il le faisait, c'était toujours avec ce surnom. Il aurait sûrement du mal à s'y faire à ce nouveau-vrai nom. Il inclina légèrement la tête, et dit.
« Enchanté, Vilayan. »

Wahidan se gratta ensuite le menton, pendant que le lion sombre l'observait intensément. Etait-il ébloui par la perfection ? Il eut un sourire malicieux et moqueur, mais laissa Vilayan reprendre la parole. Et ce ne fut pas un vrai plaisir pour ses oreilles arrogantes.

Sa queue, qui ondula sur le sable avant qu'il ne la bloque, pouvait trahir un certain agacement. Comment ça premier jangowas ? L'avait-il oublié, jeune ? Ou peut-être se foutait-il de lui et l'avait parfaitement reconnu ? Le fils des sables se calma rapidement et d'une voix amusé, déclara.

« Oh c'est ça alors ! » Il fit mine de paraître gêné. « Pendant un instant, j'ai cru avoir quelque chose sur le visage. »
Il passa sa patte sur sa figure, en gardant son air sympathique, qui au fond, le dégoûtait énormément. Il aurait largement préféré parler de nouveau avec Kashe, que se tapait le Ndogo. Mais qui sait ! Peut-être que la conversation aurait quelque chose d'intéressant. Cependant, le seul problème était qu'il ne semblait pas vouloir parler. Peu importe, Wahidan arrivera bien à lui faire dire quelque chose !

Il lui demanda, poliment.
« Étant donné que je suis le premier lion du désert que vous rencontrez, je suppose que vous ne mettez pas souvent les pattes ici. Qu'est-ce qui vous amène ? »

C'était une certaine façon de recevoir des informations sans paraître trop intrusif. Il était intéressé de savoir ce que désirait faire le lion sombre ici, proche du désert. Il avait déduit que peut-être Vilayan n'était pas vraiment à l'aise de venir en ces lieux. Ce qui pouvait se comprendre quand on repensait à l'époque au déroulement de leur rencontre, qui devait probablement être aussi la découverte du désert pour le jeune lionceau qu'était le gros matou. Ouais …Faire peur dès les premières visites, ça n'apportait pas trop de touristes. Wahidan l'avait bien compris. Se montrer désagréable, voir se montrer dans sa nature de jangowas faisait rarement revenir les pridelanders. Ces gros lions étaient trop habitués qu'on leur parle mielleusement, sympathiquement en étant toujours de bonne humeur.

Le lion brun répondit du tac au tac. Enfin, Wahidan avait son attention et également l'information que le Ndogo était un guerrier, tout comme lui. De patrouille, ses pas l'avaient conduit jusqu'ici. Le fils des sables jeta un coup d’œil à la végétation de Prideland et renifla discrètement. Vilayan était seul ? C'était certes possible, mais plutôt imprudent de son point de vue. S'il avait besoin d'aide, personne ne serrait là pour la lui donner ou même prévenir quelqu'un. Mais bon, il n'avait pas son mot à dire et surtout qu'il savait que le matou en face de lui s'en ficherait royalement. C'était un Pridelander. Du coup, il se contenta de lui répondre.

« Je suis en effet guerrier. » Il appréciait beaucoup que son rôle au sein du clan soit ainsi reconnaissable. « Mais je suis en repos jusqu'à ce soir. »

En effet, le jeune adulte en compagnie de ses deux habituels camarades dont les relations étaient assez étrange, commencerait une longue patrouille de deux, trois jours au nord du désert, lorsque la lune se montrera. Il était donc en repos, mais bon, jamais il ne pouvait se reposer avec sa famille et ses camarades de clan. Il avait toujours quelque chose à faire. Hormis aujourd'hui, à ce moment précis, où il avait tout fuit. Bon, au moins, il pouvait dire qu'il contribuait au plan en parlant avec ce Vilayan.

Alors, il eut comme un flash de rappel qui traversa son esprit. Si son interlocuteur était guerrier, cela voulait dire qu'il avait été sous les ordres de la défunte Kuvira. Intéressant …

Wahidan ne voulait pas lui en parler directement, pour savoir ce qui se passait de l'autre côté de la frontière. Non. Ce serait beaucoup trop suspect. Mais, il devait trouver un moyen d'arriver à ce sujet sans pour autant faire comprendre au lion où il voulait en venir. Une idée éclaira son esprit. Une question assez banale, qui pourrait déboucher sur plusieurs questionnements logiques et attirants.

« Vous aussi, vous êtes guerrier n'est-ce pas, vu que vous patrouillez ? Cela fait longtemps ? »

Toujours muni de son air sympathique, il avait arrêté cependant de sourire. Il n'allait pas montrer ses crocs tout au long de la conversation tout de même ! Ce serait vraiment trop étrange.

Kuvira était sa mentore … Wahidan avait donc le nouveau chef des guerriers face à lui. Prideland se remettait vite. Bon, à part, si Vilayan coulait aussi … Ou mieux encore Kupendwa lui-même. Sa fille n'était pas en âge et … Concentrons-nous. Pas de prochaines victimes tout de suite.

Le fils des sables hocha simplement la tête, avec de nouveau un sourire. Peut-être qu'il devrait lui faire croire qu'il n'était pas au courant de la mort de la mositue ? Ce serait une merveilleuse tactique pour le forcer un peu à parler de cette heureuse tragédie. De toute façon, il lui semblait que les lions de la savane n'aient pas mis au courant les guerriers du désert sur cette disparition étrange. A moins, qu'on ne lui ait rien dit...

Vilayan continua la conversation. Eh bien voilà, quand on y mettait un peu du sien ! Wahidan répondit avant de lancer son idée.
« Chez nous, à part être guerrier, général ou empereur, les mâles n'ont pas autre chose à faire. Et n'en parlons pas de mes dames ! » Il pensait un instant à celle qu'il allait devoir rejoindre au coucher du soleil. Il en eut des frissons. « Mais cela nous plaît. Servir le Grand Désert est un véritable honneur. »

Il laissa une courte pause, puis reprit, avec un petit peu d'enthousiasme.
« Et donc vous avez été l'apprenti de Kuvira ? Je l'ai rencontré il y a un peu plus d'un an. Bien que nos rapports n'ont pas toujours été très amicaux, cela se voit qu'elle est une lionne très compétente et sérieuse dans son travail. C'est plutôt impressionnant, je dois dire. »

Wahidan parlait avec respect de la défunte dont il faisait croire qu'il ne savait pas la disparition. « Comment se porte-elle ? Toujours à l'entraînement je suppose ! »

Il eut un petit rire amusé, comme si l'idée que la mositue était entrain de s'entraîner lui faisait plaisir. En réalité, c'était plus le fait qu'elle ne pourrait plus jamais le faire qui l'aidait à paraître si heureux de parler de cette saleté.

Vilayan avait réagi. La disparition de Kuvira le touchait. C'était évident. Cependant, sa réponse déçut et frustra grandement Wahidan.

Le lion des sables s'attendait à ce que son interlocuteur le reprenne en lui annonçant la tragique nouvelle, mais ce fut le contraire. Il ne lui apprit rien et le mentait ouvertement. Et on se demandait pourquoi on ne pouvait pas faire confiance aux Pridelanders ! Ce n'était que des menteurs, des profiteurs. Savoir ce que ces gros lions pensaient de la mort de leur ancienne cheffe des guerriers aurait pu être profitable pour la suite. La queue de Wahidan ondula légèrement tandis qu'il gardait son sourire en hochant la tête. Il devait garder sa posture amical. Ce qu'il fit avec brio.

Un silence s'abattit ensuite. Un silence bien pesant et comme lourd de sens. Les deux lions se faisaient face avec certes l'air courtois, mais quelque chose dans le vent sentait la menace. Wahidan voulait percer le lion sombre, voir dans son âme. Mais, il ne savait trop comment faire. Peut-être devrait-il le laisser en paix ? Lui laisser le temps de réfléchir à cette rencontre, de changer son avis sur eux ? Peut-être qu'il reviendra de son plein gré comme Kashe ?

Du mouvement sur sa droite attira son attention. Un mouvement lointain, imperceptible pour celui qui ne vit pas dans le désert et ne sait pas sentir le dégoût d'un semblable. Wahidan vit des yeux d'un bleu froid, tranchant, dont on y lisait une immense aversion. Une lionne se tenait bien loin d'eux, debout et immobile. On aurait pu croire à un mirage si le vent ne s'était pas levé et avait porté sa douce odeur jusqu'à eux. Wahidan redoutait légèrement l'approche de Kashfa. Il savait à quel point elle détestait les Pridelanders et les pelages sombres. Encore plus que lui.

Elle commença à s'approcher d'eux avec grâce, la tête haute, fixant non pas son compagnon, mais le chef des guerriers. Trahissant sa nervosité et son agacement, la queue du fils du Grand Désert fouetta violemment le sable, tandis qu'il se levait avec l'intention de s'en aller. Kashfa allait tout gâcher, il en était sûr. Il devait l'éloigner. Il se tourna vers le lion sombre, avec un air neutre, l'amical ayant totalement disparu.
« Je pense qu'il est temps de se dire au revoir. Ce fut un plaisir, Vilayan. »

Il tourna le dos au lion sombre, pour se diriger vers la lionne. Il espérait que le Ndogo ne le retienne pas. Kashfa n'apprécierait certainement pas de devoir attendre qu'ils finissent.