FIREBLOOD

On dit que certaines vies sont liées à travers le temps, unies par un ancien appel qui résonne au cours des siècles : le destin

♫ Being the last makes us stronger ♪

La Lande. Tadji avait le sentiment d’être revenu à son point de départ et ce sentiment n’était pas infondé. Il avait, cependant, amassé au cours de son bref voyage des connaissances nouvelles, qui brûlaient en lui ; le temps passait, mais il ne passait pas en vain. Le vieux mâle était de retour au Refuge qui l’avait vu grandir. Plus vide que jamais, Tadji percevait le bruit de sa respiration y raisonner … du moins en avait-il l’impression, car en réalité il ne faisait pas de bruit en respirant, pas autant qu’il le croyait. Arasé, le vieux mâle se laissa tomber sur la roche que la saison des pluies avait rendu humide. Pour la première fois depuis qu’il était de retour sur la Terre des Lions, Tadji était fatigué. Ce n’était pas tant les jours de marche qui l’avait rendu fourbu, mais bien le poids de toute ces choses qui l’attendait, celles pour lesquelles il se préparait depuis presque un an maintenant. Doucement, les pièces du puzzle se mettaient en place, mais bien des choses restaient encore à faire, parmi elle : retrouver Waasi. Waasi était le centre de toute son entreprise, car c’était vers elle que tout le monde allait, vers elle que tout le monde souhaitait aller, ennemis comme alliés. Elle était leur symbole, leur espoir, elle était la flamme qui brûlait dans l’obscurité ; son nom lui-même en était un. Rebelle. Samekh et Tahani avaient été avisés et, parfois, Tadji s’étonnait de les savoir si clairvoyants. Le nom faisait-il la destinée, ou la destinée le nom ? Si Waasi avait embrassé son destin, Tadji se demandait quel était le sien … que devenait la Couronne sans royaume ? Ses parents avaient-ils vu juste pour lui aussi, où s’étaient-ils trompés ? Le cœur de Tadji chavirait à cette idée, tandis que le jour tirait vers sa fin.

La grotte n’avait pas changé d’un poil malgré les années qui l’avait traversé et, Tadji en aurait mis sa patte à couper, elle demeurerait encore la même dans 100 ans, immuable dans son existence. Sans nul doute continuerait-elle d’abriter des lions sans foyer, des voyageurs, et même des hors-la-loi jusqu’à ce que le monde s’éteigne … cette grotte était éternelle, et Tadji aurait voulu ne jamais la quitter. Il aurait pu le faire bien sûr, mais l’éternité risquait d’être fort courte sans eau ni nourriture. Le mâle au pelage rouge soupira … il ne s’était jamais sentit aussi seul qu’aujourd’hui.

La haine avait cette faculté : lorsqu’elle s’apaisait – même pour un temps – le vide qu’elle laissait derrière-elle était démesuré. Elle était comme le feu brûlant la terre : elle ne laissait rien derrière elle, rien d’autre que le néant ; et en cet instant précis Tadji avait la sensation d’y plonger comme une pierre dans un cours d’eau. Qu’avait-il, mis à part sa vengeance ? Rien du tout. Malgré les enseignements, Tadji s’était éloigné du dogme familial. Famille, Devoir, Honneur, le lion rouge n’avait rien de tout ça et s’il se rassurait en rejetant la faute sur Ahva et Soto, il savait au fond de lui que ce vide n’avait rien à voir avec la tragédie qui s’était abattue sur Outland. Tadji n’avait personne, parce qu’il n’avait jamais pris le temps d’avoir quelqu’un. Il avait été un enfant qui ne jurait et ne voyait que par son père, puis il avait été un jeune lion beaucoup trop affairé par la politique pour regarder ailleurs … et maintenant, il s’apprêtait à être un vieux loup trop rancunier pour laisser le passer derrière-lui. Tadji aurait voulu changer de voie, mais il s’en trouvait incapable … il avait le sentiment d’être un train poussé à toute allure ; il était parti et maintenant il ne pouvait plus s’arrêter. Ruminant, le corps étendu au seuil de cette grotte, Tadji attendait. Il attendait que le jour tombe et que le sommeil le prenne pour repartir dès l'aube, sans savoir que ce jour n'avait pas encore finit de le surprendre.