Après plusieurs mois et années de patience à attendre le moment opportun pour un avancement du plan original de Zafi, les lions du désert avaient enfin une piste. Une piste pour laquelle tout dépendait du timing fixé. Même si le vieux lion à crinière courte était encore incapable de dire comment les choses allaient évoluer à ce state, il restait confiant.

Le calme dont les pridelanders avaient su faire preuve jusque là, restait la preuve la plus évidente de leur incapacité à comprendre de quoi les lions du désert étaient capable. Malgré l'existence d'une certaine forme de méfiance élémentaire liée aux rumeurs et clichés sur les jangowas, lire dans la tête de l'empereur et ses subordonnés était bien évidemment impossible.

Maintenant, Kadi n'attendait qu'une chose : Le feu vert pour aller beaucoup plus loin. Si d'aventure Zafi s'arrangeait à rencontrer son homologue dans les jours ou les semaines à venir, peut-être que les enfants du désert auraient enfin la chance de poser leurs pattes sur le territoire voisin en toute légalité. Pour cela, il suffisait juste de changer les clauses de l'accord établi plusieurs années auparavant. Kupendwa devait accepter l'idée de rapports plus étroits entre les deux clans, bien au-delà d'un simple contexte de patrouilles communes aux frontières.

Pensif, Kadi posa son regard sur le sable du désert. Même si la perspective d'une visite officielle sur Prideland restait inimaginable pour les plus conservateurs, le guerrier couleur sable voyait cette étape comme nécessaire à l'atteinte des divers objectifs visés en amont.

Soudain, un cri d'exaspération se fit entendre. Surpris, le vieux mâle leva les yeux, avant porter son attention sur ce qui semblait être l'origine de cette voix dont le timbre ne lui était pas inconnu.

Kadi n'eut pas besoin d'attendre très longtemps avant de reconnaitre le camarade de clan concerné. Un jeune lion qui venait à peine de faire son entrée dans l'âge adulte après sa période d'exil. Un camarade de clan pour lequel le vieux félin à crinière courte avait un profond respect. Son nom : Wahidan. Un enfant du désert dont l'avenir était très prometteur.

Après l'avoir salué, Wahidan l'interrogea en lui demandant s'il avait vu une petite femelle dans les parages.

- Bonjour Wahidan ! Hélas, je n'ai pas vu cette petite "diablesse" dont tu parles. Compte tenu de son jeune âge, j'imagine qu'elle n'a pas pu aller bien loin de toute façon. Tu l'as retrouvera facilement. Après tout...On parle quand même d'un jeune revenu d'exil en un seul morceau ! Félicitation !

Avec les derniers évènements autour de la stratégie à adopter vis-à-vis des pridelanders, Kadi n'avait pas pris le temps de féliciter les jeunes revenus d'exil comme il avait l'habitude de le faire.

Sourire aux babines, Wahidan s'inclina en guise de respect avant de remercier son ainé. D'après lui, Kadi avait fait partie de ceux qui l'avait forgé en tant que bon citoyen du Grand Désert. Un point sur lequel le vieux félin à crinière courte ne pouvait qu'acquiéser.

Il se souvenait encore de ce moment où malgré son gabarit de lionceau, Wahidan avait eu le courage de le défier. Une attitude qui en disait déjà long sur le caractère déterminé et téméraire du jeune mâle. Deux qualités essentielles pour survivre à cette période particulière d'exil loin de tous.

Même si Kadi faisait partie de ces quelques mâles sans compagnes à l'issue de l'exil, il était très content de voir les petits des guerriers de sa génération bien éduqués dans les principes de vie de tout bon jangowas.

La question qui se posait maintenant était de savoir si Wahidan avait trouvé une compagne. Ce dernier semblait bien trop sérieux pour faire partie des quelques exceptions de "solitaires" après l'exil.

Cependant, avant que le vieux guerrier couleur sable puisse avoir le temps de poser la question ouvertement, son jeune interlocuteur repris la parole en l'interrogeant sur les nouvelles qu'il aurait pu manqué. C'était une très bonne question. À partir du moment où Wahidan avait fait son entrée dans le monde des adultes, il était en droit d'être informé sur les derniers évènements.

- Et bien écoute, je crois que la patience de notre empereur a enfin payée. En discutant avec un pridelander dans le cadre d'une patrouille commune, j'ai suggéré l'idée d'une potentielle rencontre entre Zafi et son homologue pridelander. Une idée pour laquelle il ne semblait pas opposé. Nous sommes parties du principe que chacun devait informer son dirigeant respectif. Si Kupendwa accepte, peut-être que notre empereur pourra en profiter pour négocier des clauses plus favorables...Nous pourrons ainsi fouler le sol des terres de Prideland en douce...

Les jangowas n'avait pas besoin de se lancer dans une opération couteuse pour prouver leur supériorité naturelle. Etendre la sphère d'influence du groupe était amplement suffisant. Pour briller, il était impératif pour les lions du désert de mettre fin à toute forme d'isolationisme.

Peu de temps après avoir terminé sa phrase, Kadi s'attendait à une réaction positive de la part de son jeune camarade. Cependant, il n'eut pas besoin d'attendre très longtemps avant de constater la déception dans le regard de Wahidan. D'après lui, le jeune Kashe n'avait rien d'un lion particulièrement courageux. Sur cette base, il était difficile de l'imaginer en mesure de s'entretenir avec son roi.

Même si le vieux guerrier couleur sable avait pu constater la simplicité naturelle du personnage, l'idée d'une rencontre potentielle restait sur la table. Après tout, les lions du désert ne disposaient d'aucune marge de manœuvre suffisante pour agir autrement. La perspective d'une agression directe était à bannir pour une raison évidente.

Au-delà de la lenteur du processus de rapprochement, le jeune adulte rappela le fait que Kupendwa n'avait jamais cherché rencontrer son homologue. D'une certaine manière, l'histoire avait montré que les jangowas avaient tenté de faire le premier pas sans gains significatifs derrière. Un constat particulièrement frustrant.

- Il s'agit bien de Kashe effectivement. Compte tenu de sa simplicité, j'aurai espéré qu'il soit assez naïf pour faire mention de l'idée à son roi. Mais s'il n'est pas si bien intégré...Je suppose qu'il s'agit d'un de ces fameux anciens rebelles ?

Jouer sur la frustration d'un rebelle aurait pu être une piste intéressante. Cependant, Kashe était bien trop peureux pour devenir le pion ultime contre le roi Kupendwa et ses sujets.

- Je partage ton sentiment. Jusque là, les pridelanders n'ont pas manifesté le désir de faire évoluer les relations entre nos deux clans...Peut-être que maintenir une sorte de statu quo est dans leur intérêt...Comme une sorte de garant d'une certaine stabilité. Chose qui n'arrange pas nos affaires.

En réalité, Kadi ne voyait aucun plan B susceptible de marcher. Seule la méthode douce d'un rapprochement sur le plan diplomatique semblait être plausible à ce stade.

Wahidan et Kadi étaient d'accord sur un point. À partir du moment où les pridelanders se contentaient de cette "paix" sur le fondement de l'accord unissant les deux groupes, les jangowas se retrouvaient une fois de plus contraint d'agir par eux-mêmes. Si Kupendwa était très satisfait au point de ne voir aucun intérêt à faire évoluer la relation entre les deux clans, Zafi serait contraint de jouer le rôle du bon diplomate.

Ce scénario était profondément humiliant pour des lions connus pour leur maitrises des griffes et des crocs. Même si le dirigeant jangowas devait faire preuve d'une certaine intelligence dans un bon nombre de cas de figure, le lion du désert standard n'avait absolument rien d'un diplomate. Il n'avait guère besoin de se lancer dans des explications complexes pour atteindre ses objectifs.

Le jeune guerrier revenu d'exil ne souhaitait qu'une chose : Voir l'empereur s'entretenir avec son homologue sang-mêlé. Un point sur lequel le vieux félin à crinière courte ne pouvait être que d'accord. À défaut de pouvoir se servir de Kashe comme un pion, les lions du désert devaient s'arranger à négocier une évolution des clauses de l'accord.

Le regard tourné vers Prideland, Wahidan marmonna, en révélant son désir de voir le royaume des lions de la savane couler avant que sa sœur soit grande. Un objectif pour lequel le vieux guerrier des sables n'était plus aussi optimiste qu'avant. Pourtant, rien n'était possible.

- Si Zafi parvient à s'entretenir avec le roi de Prideland, tout est possible. Je ne vois pas comment les choses pourraient marcher autrement. C'est notre dernière carte...

Zafi ne pouvait se permettre de jouer les diplomates indéfiniment. À son âge, faire trainer les choses n'avaient rien de positif sur le long terme. L'humiliation d'un nouvel échec pouvait lui coûter sa légitimité.

Au fil de la conversation, Kadi avait l'impression désagréable d'être envahi pour un sentiment mêlant regret et frustration. Un sentiment partagé par Wahidan et un bon nombre de camarades dans la même tranche d'âge. Une chose que le vieux félin à crinière courte pouvait comprendre. Les lions et lionnes de la génération de Wahidan avaient grandis au cours d'une période marquée par une forme de renouveau chez les jangowas.

Après plusieurs années et décennies d'isolation, les lions du désert avaient pour projet de marcher sur la savane avec pour seul et unique objectif de prouver leur supériorité naturelle. Cependant, depuis l'union entre Cid et Moha, rien de concret n'avait vu le jour.

Par la prise de pouvoir de Zafi, beaucoup de jangowas s'attendaient à un changement radical. Malheureusement, tout comme pour son prédécesseur, les lions du désert s'étaient retrouvé dans une situation de statu quo intenable. Kadi en était même arrivé à se demander si l'empereur avait conscience des conséquences potentielles sur sa légitimité.

Pensif, le vieux lion couleur sable leva les yeux au ciel, avant de reporter toute son attention sur le jeune guerrier revenu d'exil. Ce dernier était très curieux de savoir comment son ainé avait réussi à convaincre ses parents de vivre sans partenaires.

C'était une très bonne question. En revenant d'exil, Kadi espérait tomber sur la compagne parfaite. Une lionne élégante, intelligente et dotée d'une certaine force sur le plan physique. Cependant, tomber sur la perle rare n'était bien évidemment pas une mince affaire.

- C'est une très bonne question. Disons que mes parents ont été contraint de s'y faire. Je ne te cache pas que j'étais très exigeant sur ce genre de question...Aucunes lionnes du groupe ne correspondaient à mes critères si tu vois ce que je veux dire. Mais...Pourquoi cette question ? Dois-je comprendre que tu as un certain nombre d'exigences aussi ?

Kadi était très curieux de savoir ce que Wahidan pensait. Peut être que le jeune mâle était justement entrain de s'interroger sur son avenir en tant que futur compagnon et père d'un futur guerrier au service du Grand Désert.

En écoutant la réponse du jeune guerrier, Kadi se rendit compte que sa situation était bien différente de ce qu'il imaginait au départ. De toute évidence, le problème de Wahidan n'était pas due à une simple question d'exigences subjectives. Son incapacité à se décider découlait tout simplement du fait qu'il ne cherchait rien en particulier. Choisir une compagne dans l'objectif de maintenir sa lignée était le cadet de ses soucis.

Ce sentiment semblait tellement fort qu'il était incapable de dire s'il hésitait à chercher ou pas. Dans un tel cas de figure, il était préférable de partir du principe qu'il ne pouvait se considérer comme "hésitant", compte tenu de son manque d'intérêt à fonder une famille. Un choix que Kadi pouvait comprendre à titre personnel. Cependant, son opinion n'avait aucune valeur. Même si Wahidan partageait le même sentiment, une telle position restait assez atypique pour un jangowas.

Pour les plus conservateurs, l'absence d'une descendance par pur désintérêt pouvait s'apparenter à un acte de trahison. Une raison pour laquelle Wahidan fit remarquer qu'il aurait forcément un choix à faire dans le futur. Ou plutôt, que son père ferait un choix pour lui d'une manière ou d'une autre.

- Je vois ce que tu veux dire. Cela dit, peut-être que ce n'est pas une si mauvaise chose. Tu ne feras pas la même erreur que moi.

Même si Kadi était beaucoup trop vieux pour regretter son choix, il ne pouvait nier le regard de certains de ses camarades très conservateurs.

- Je pense que les lionceaux ont besoin de jeunes modèles dont les vies sont pleinement alignées sur les traditions ancestrales. Un groupe de lions dont tu fais naturellement partie. Tâche de faire les bons choix.

Sourire aux babines, la vieux félin à crinière courte s'inclina en guise de dernière salutation, avant de prendre congé du jeune guerrier. Kadi ne souhaitait qu'une chose : Que Wahidan fasse les bons choix afin d'être pleinement bénis par le Grand Désert.

Hrp: