Si j'en jugeais par la légère sensation de picotements que je ressentais au niveau de mes coussinets, cela devait faire plusieurs heures que je marchais. La discussion avec Kupendwa était terminée depuis trois heures ou quatre peut être, je n'avais pas vraiment fait attention au temps qui s'était écoulé. Tout ce que je savais, c'était que ses mots résonnaient toujours dans ma tête et que je ne savais pas ce qu'il avait voulu dire.

Rhaaaa, toutes ces questions ! Tout cela serait bien plus simple et je ne me questionnerais pas autant si je ne ressentais pas quelque chose pour le souverain de Prideland ! Pourquoi fallait il que cela soit si compliqué ? J'avais déjà pensé à tout ça à de nombreuses reprises au cours de mes déambulations et j'avais envisagé beaucoup trop de scénarii.

Dans l'un d'eux, tout allait pour le mieux et Kupendwa venait m'avouer que c'était moi qui avait conquis son coeur. Il me demandait alors d'être sa Reine et j'acceptais, liant mon avenir au sien pour fonder une famille et donner un héritier à Prideland. C'est alors que je sentais mes joues s'empourprer et la logique revenait, implacable. Mon illusion laissait la place à un autre scénario, beaucoup plus probable selon moi où Kupendwa choisissait une autre femelle tandis que je me réjouissais de son bonheur qui ne serait jamais mien.

N'ayant toujours pas arrêté de marcher, je secouais la tête de gauche à droite pour chasser toutes ces pensées qui m'assaillaient. C'est à ce moment précis qu'une odeur inconnue me parvint et me stoppa. Il s'agissait indéniablement d'un lion, plutôt jeune d'après mon odorat. Et pourtant, je ne reconnaissais pas certaines effluves. Contrariée, je fronçais les sourcils et regardais autour de moi.

Devant moi s'étendait du sable à perte de vue. Je me trouvais non loin de la frontière du Désert. Inconsciente de mon environnement tant j'étais occupée par mes pensées, je n'avais pas vu que je me rapprochais de l'endroit de Prideland qui me faisais le plus peur. Cela remontait certes à plusieurs années mais l'attaque qu'avait subie Kuvira était encore dans les esprits et si elle avait été attaquée, pourquoi cela ne se reproduirait il pas ?

M'obligeant à me calmer car je sentais la panique me gagner, mon regard tomba sur le propriétaire de l'odeur que j'avais senti plus tôt. Il s'agissait d'un lionceau voire d'un pré-adolescent si j'en jugeais d'après son début de crinière. Il me fixait et je me demandais rapidement si je n'avais pas franchi la frontière par mégarde. Je fus rassurée en constatant que non et c'est un peu plus calme que j'abordais la suite.

Bonjour ! Je n'étais pas aussi sereine que ce que j'essayais de faire croire mais il s'agissait d'un jeune alors je ne risquais rien, non ? Tu patrouilles tout seul ? Je n'étais pas étonnée de voir un lionceau de cet âge seul car cela arrivait aussi sur Prideland. Mais un lionceau de cet âge, seul, qui fait parti du peuple jangowa et se trouvant si proche de la frontière ? Voilà qui était étrange...

Le lionceau continua de me dévisager pendant encore de longues secondes. Que lui arrivait il ? Etait-ce la première fois qu'il voyait quelqu'un qui n'était pas de son clan ? Cela pouvait être l'une des nombreuses raisons qui faisaient qu'il me détaillait de la sorte... Si cela n'avait commencé à me mettre mal à l'aise, je lui aurais bien demandé si j'étais si différente des lionnes de son clan.

Toutefois, le jeune secoua la tête et sembla reprendre ses esprits puisqu'il fit enfin entendre sa voix. Il me rendit mon bonjour avant de se lancer dans une explication qui m'amusa quelque peu de par le ton employé. Il termina en s'excusant, arguant qu'il n'avait pas l'habitude de rencontrer des gens extérieurs.

C'était bel et bien ce que j'avais supposé mais la formulation me donna un sentiment étrange. Non pas que je ne la comprenais pas mais il était bizarre de s'entendre appeler "de l'extérieur". De mon point de vue, c'était plutôt lui qui était extérieur à Prideland mais bon. Tout ceci était lié au territoire sur lequel nous vivions et nous avions tous les deux raison.

Le petit s'était approché de la frontière et s'était assis non loin de cette dernière. Il m'avait bien dit qu'il était plus ou moins seul car les adultes jangowas ne reviendraient pas avant un moment mais je préférais ne pas prendre de risques en me rapprochant encore. J'étais parfaitement bien là où j'étais et la discussion pouvait se faire sans problème. Je ne voulais donc pas que mon odeur soit plus proche encore et que l'on pense que j'avais franchi la frontière. Nos deux clans avaient beau être alliés, j'imaginais mal qu'il n'y ait aucune représailles. Et il n'était pas question que cela arrive par ma faute !

Tu as raison d'imiter les adultes. C'est en les observant et en reproduisant leurs gestes que tu pourras à ton tour patrouiller comme eux lorsque tu auras leur âge. Enfin, il y aurait l'épreuve terrible de l'Exil qu'il devrait affronter avant mais s'il réussissait, il pourrait effectivement patrouiller à son tour comme je venais de le souligner. Et ne t'en fais pas, je ne viens pas souvent par ici. A vrai dire, tu es le premier jangowa que je rencontre alors je peux comprendre ce que tu veux dire, avouais-je dans un sourire. Et si je ne le lui dirais pas, j'étais plutôt soulagée que ma première rencontre avec le peuple des sables se fasse avec un jeune. Je pouvais ainsi contrôler ma peur, chose que je n'aurais sans doute pas réussi avec un adulte. Et à l'idée qu'il n'y aurait pas d'adulte de sitôt, je me sentais plus confiante. Assez en tout cas pour continuer la discussion et me présenter. Au fait, je m'appelle Alaya. Et toi ?

Il ne fallu pas beaucoup de temps après que je me sois tu pour que le lionceau se présente à son tour. Il était enchanté de notre rencontre et m'informa qu'il se nommait Wahidan. Je suis ravie également, Wahidan. Et pour le coup, c'était on ne peut plus vrai. Pour le moment, rien ne s'était passé et, puisqu'il s'agissait d'un lionceau et qu'il semblait plutôt affable, je commençais à me détendre quelque peu.

Le jeune Wahidan se mit à regarder autour de lui et je l'imitais, m'attendant presque à découvrir un ou plusieurs adultes jangowas débarquer d'un instant à l'autre. Pourtant, je ne voyais rien et mon odorat ne m'amenait pas non plus d'odeur d'un nouvel arrivant. Je reportais alors mon regard interrogateur sur Wahidan qui me demanda ce que je venais faire près du Désert.

Comment avouer à un lionceau qui n'y connaissait sans doute rien que j'avais laissé mes pas me conduire alors que mes pensées étaient occupées par le lion qui faisait battre mon cœur ? Non, je ne pouvais décidemment pas lui dire ça. Je ne souhaitais pas non plus mentir, consciente que je ne trouverais sans doute pas de mensonge suffisamment crédible. J'optais donc pour une demie vérité. Et bien, je me baladais sans trop vraiment réfléchir où j'allais et voilà où je suis arrivée, expliquais je avec un sourire.

Et finalement, bien que j'avais peur des individus qui peuplaient le Désert, j'étais soulagée de tomber sur un lionceau. Il ne semblait pas hostile à mon encontre et ça me rassurait. Et toi ? A part pour patrouiller comme tes ainés, qu'est-ce qui t'amènes près de la frontière ? Je ne m'étais jamais posé la question de la superficie du Désert mais j'imaginais sans mal que ce dernier devait être plutôt grand alors lorsque l'on y réfléchissait, la probabilité de rencontrer quelqu'un en ces lieux était faible. A moins que cette personne n'ait une bonne raison de venir ici.

Le lionceau, ou si j'en jugeais par sa crinière naissante, le pré-adolescent - je ne savais toujours pas comment je pouvais le désigner - ne tarda pas à réagir à ma question. Après un haussement d'épaule, il m'indiqua qu'il avait pris l'habitude de venir à la frontière depuis que son clan s'était installé non loin.

Je notais donc que les Jangowas n'étaient pas très loin. Tous les Jangowas. Ce qui impliquait donc pas mal d'adultes. Si je tentais de rester de marbre, cette nouvelle me déstabilisait. Je ne comptais pas en faire, mais au moindre faux pas, Wahidan pourrait très vite avoir le soutien des siens. Je déglutis tandis que mon interlocuteur me disait qu'il espérait croiser une personne particulière. Tiens ? Cette information me permit de revenir à la conversation et, curieuse, j'interrogeais le jeune félin. Ah oui ? Qui espères tu croiser ? Je connais pas mal de monde sur Prideland donc je pourrais peut-être te donner des nouvelles ?

Le vent souffla alors et, venant du Désert, je remarquais qu'il était bien plus chaud et sec que celui qui soufflait dans les plaines pridelanders. Pendant quelques secondes, j'imaginais la chaleur qu'il devait faire au cœur du Désert et j'étais admirative du fait que les lions des dunes puissent passer leur vie à supporter un tel climat.

Wahidan continua la conversation et rit légèrement lorsqu'il avoua qu'il était curieux. Je ris avec lui, tout en l'écoutant me demander comment ça se passait sur Prideland et si je m'étais déjà rendue ailleurs que sur mon territoire. Toujours souriante, je répondais sans détours aux questions posées par le petit lion. Il n'y a rien de bien palpitant, les journées se suivent et se ressemblent... A l'échelle du clan, cela était vrai si l'on excluait l'affaire qui concernait Aya et Itawuma. Ce qui ne devait probablement pas intéresser un jeune lion d'un autre clan, ce pourquoi je me taisais. Plus personnellement, ma vie amoureuse commençait à exister mais cela ne captiverait sans doute pas Wahidan. Voilà pourquoi je passais à sa seconde question sans m'étaler plus sur la première. Il n'y a qu'une seule fois où j'ai franchi les frontières de Prideland mais on ne peut pas dire que c'était pour me rendre dans un royaume. En fait, cela est arrivé au cours d'une chasse au nord du territoire et je suis arrivée aux pieds des montagnes où vivaient avant les Nordiques. Sauf que comme ils n'y habitent plus, je ne crois pas que ça compte vraiment... Tu veux que je te raconte comment c'était ? Je partais du principe que, au vu de son âge, lui-même n'avait pas dû se rendre dans cette zone et peut être que mon mini récit aurait piqué sa curiosité.

L'enthousiasme que montra Wahidan lorsqu'il m'avoua que la personne qu'il espérait voir était Aya me fit chaud au cœur. Il était si sincère que pas une seconde je ne trouvais étrange qu'un jeune Jangowa veuille avoir des nouvelles d'une Pridelander. Je mettais simplement cela sur le compte de l'amitié et j'étais très touchée qu'une telle chose puisse exister.

Mais ma bonne humeur laissa la place à un voile d'ombres. Je lui avais dit que je connaissais pas mal de monde mais je ne pouvais malheureusement pas le renseigner. Aya avait disparue depuis cette drôle d'histoire avec Itawuma et on ne savait pas où se trouvait la liarde. Je suis désolée, je ne sais pas comment elle va. Elle ne se trouve pas sur Prideland actuellement. J'étais peinée de ne pouvoir le renseigner mais je ne voulais pas trop l'inquiéter, c'est pourquoi je repris rapidement.Mais je suis certaine que lorsqu'elle reviendra, elle se rendra par ici pour te donner de ses nouvelles. Et si je la croise avant, je lui dirais de venir te voir, d'accord ? Aya était vraiment exceptionnelle. Elle touchait tous les cœurs qu'elle croisait et je n'avais pas rencontré une seule de ses connaissances qui n'avait pas une bonne opinion d'elle.

La conversation s'était orientée ailleurs et suite à mon aveu d'avoir une fois franchi la frontière au nord de Prideland pour arriver sur le territoire des Nordiques, le jeune Jangowa sembla intrigué et me demanda ce qu'était un Nordique. Il s'agit simplement d'un lion ou d'une lionne qui vivaient autrefois au sein des montagnes du Nord. Tout comme toi tu es un Jangowa et moi une Pridelander, là c'est pareil pour eux. Ceux qui vivaient là-bas étaient appelés Nordiques et c'est toujours le cas aujourd'hui, même s'ils ont dû quitter leur territoire à cause de la chaleur. Ca me plaisait de transmettre mon savoir à Wahidan et c'est pourquoi je repris après quelques secondes, le temps de me remémorer une image précise de ce jour où j'étais arrivée au pied des montagnes. Au début, je n'avais pas remarqué que j'avais franchi la frontière car j'étais trop concentrée sur ma proie. Sauf qu'au bout d'un moment, j'ai commencé à remarquer que l'herbe sous mes pattes se raréfiait et qu'il n'y avait presque plus que de la terre. J'ai alors observé plus attentivement autour de moi et tu ne devineras jamais ce qu'il y avait devant moi ! Je me taisais quelques secondes, laissant place à un suspens que je voulais insoutenable mais je ne le fis pas attendre très longtemps. L'horizon avait disparu ! A la place, il y avait juste les montagnes. Comme un immense caillou qui bloque la vue et qui grimpe jusqu'au dessus des nuages !

Ce jour-là, j'avais été soufflée par le spectacle. Jamais je n'aurais pu croire qu'une roche puisse être aussi grande et lorsqu'on les voyait de loin, on était à des lieues de se rendre compte de l'immensité de la chose. Je m'arrêtais donc là pour l'instant, pour que Wahidan puisse tenter de se représenter ce que je lui avais raconté. S'il avait d'autres questions, je me ferai un plaisir d'y répondre après.

Ma petite histoire fit son effet car le jeune Wahidan bondit littéralement sur ses pattes. Il se tourna également vers l'intérieur du Désert, essayant sans doute de s'imaginer ce que je venais de lui raconter. Le jeune lion des dunes trouvait cela incroyable et me demanda même si j'avais d'autres histoires à raconter.

Je fis mine de réfléchir un instant à ce que je pourrais lui dire avant de reprendre la parole. Je n'ai pas tellement bougé en dehors de Prideland depuis que je suis née mais j'ai entendu dire qu'il existait un arbre beaucoup plus grand que le plus grand des arbres quelque part au Nord-Est de Prideland. Il paraitrait que cet arbre est encore plus grand qu'une girafe !

Je ne m'étais jamais aventurée dans cette zone alors j'ignorais si ce qu'on en disait été vrai mais au vu de tous les témoignages qui allaient en ce sens, il était fort probable que cet arbre existait bel et bien. Tout comme un autre lieu dont je voulais parler à Wahidan. J'ai également entendu parler d'une jungle sur Freeland dans laquelle habiterait des gorilles. Je n'en ai jamais vu de mes yeux mais il parait que ce sont de très grands singes ou en tout cas, ils sont plus grands que les lions et ils ne les aiment pas tellement à ce que j'ai entendu...

Si ça me disait bien d'aller voir le Grand Baobab, j'étais beaucoup plus réticente d'aller à la rencontre de ces singes... Tu sais quoi ? Je peux peut-être aller voir cet arbre et revenir te voir pour te dire à quel point il est grand. Qu'est-ce que tu en dis ? Je laissais sous silence la Jungle des Gorilles car ce n'était pas un lieu sur lequel je me rendrais. Ou du moins, pas pour y voir ces grands singes.

A en croire son expression, le jeune lion des sables n'en revenait pas quant à l'existence d'un arbre bien plus grande qu'une girafe. Il me demanda même si cet arbre avait un nom. Je hochais la tête pour lui répondre que oui avant de le nommer de vive voix. Oui, il s'agit du Grand Baobab, révélais-je, tout sourire.

Je vis à son regard que Wahidan m'avait entendue par rapport à la Jungle des Gorilles de Freeland. Mais peut être parce que je ne m'étais pas trop étendue là-dessus et qu'il ne voulait pas me mettre plus mal à l'aise, mon interlocuteur ne posa pas plus de questions sur ce sujet. J'en étais reconnaissante et c'est avec un amusement non dissimulé que j'accueillis la demande de Wahidan. Oui, avec plaisir !

J'aimais bien cet enfant et la discussion était tellement plaisante que j'en avais presque oublié ses origines Jangowas. J'aurais pu rester là à discuter avec lui pendant encore plusieurs heures mais je remarquais que le soleil se rapprochait de l'horizon et j'avais une longue marche qui m'attendait pour pouvoir rentrer au Rocher. Et bien Wahidan, cela a été un plaisir de te rencontrer et de discuter avec toi mais je vais cependant devoir te laisser. Je n'oublierai pas ma promesse et je reviendrais te voir après m'être rendue au Baobab pour te donner ton souvenir. A bientôt !

Sur un dernier sourire avenant pour le premier Jangowa que je rencontrais, je fis demi-tour pour commencer la longue marche qui me ramènerait au Rocher.