J’errais sur la Lande des Sans-Terre depuis quelques jours, ou semaines…je ne savais plus. J’avais perdu toute notion du temps depuis que la petite Tahora, la lionne Pridelander, m’avait amené vivre ici. Et que comme je n’avais rien de mieux à faire que de la suivre et y rester, et bien j’étais encore là, sans nouvelles aucune d’aucun de mes « proches », quasiment seul. Je dis quasiment car régulièrement, je me promenais et allait à la rencontre de visages inconnus, ou bien de temps à autre, la Tahora susmentionnée venait me rendre visite, pour jouer, bien entendu, mais cela avait au moins le mérite de m’occuper l’esprit, plutôt que de sombrer à nouveau dans une parodie égoïste de dépression.

En ce jour, cependant, j’avais prévenu Tahora de ne pas venir me voir, en lui expliquant que j’avais envie de faire une petite balade. La petite avait bien entendu cru que j’allais en profiter pour m’enfuir et ainsi ne pas avoir à revoir ma famille, mais j’ai fini par lui promettre que j’allais revenir – ce qui était tout de même mon intention.

Je me retrouvai donc à marcher, vers « l’inconnu ». En vérité, j’avais un but simple, cette fois : retrouver les Mositus. Je savais que ça pouvait mal finir, et que l’amalgame pelage beige égal Jangowa était très aisé, mais je tenais à y aller tout de même, voir si je ne pouvais pas tomber sur un quelconque visage connu par le grand des hasards, et peut-être, par chance, tomber sur Baradi ? Moui, bon, je n’y croyais pas vraiment, mais pourquoi pas, après tout ? On dit que l’espoir fait vivre, alors vivons d’espoirs plutôt que de chagrin.

Je finis par les trouver. Il semblait que c’était l’effervescence en ce moment, mais je n’osais trop demander. Leurs regards suspicieux voire haineux ne m’encourageaient pas vraiment à leur poser la question, vous voyez ? Je continuai donc à marcher, le regard dans le vide…jusqu’à ce que je pousse accidentellement quelque chose d’assez gros. Je tournai la tête vers le sol et je vis une petite boule de poil brune, en train de mordre la poussière. Je lui offris ma patte avant pour l’aider à se relever, avant de lui dire, tout souriant, riant un peu :

- Oh ! Excuse-moi petite, je regardais pas où je marchais ! Ca va, tu t’es pas fait mal ?

Je la relevai. Elle n’était pas bien vieille, semblait-il. Je commençais à beaucoup trop tomber sur des lionceaux en ce moment, ils se sont tous passés le mot ou quoi ?!

Directement, elle me foudroya du regard. Je ne comprenais pas bien sur le coup, quoi que pourtant c'était assez évident...j'venais de lui faire mordre la poussière, quand même...Puis elle "m'agressa", soutenant mordicus qu'il ne suffisait pas d'être grand pour la qualifier de petite. Certes, ce n'était pas tout à fait faut...

Ma réaction ? Un simple rire, parce que c'était tout de même rigolo de voir une lionne aussi jeune oser répondre de cette façon. C'en était mignon. Cela dit, elle s'apaisa relativement vite, pour je ne sais quelle raison, après avoir croisé mon regard, puis elle me répondit d'un ton plus calme qu'elle allait bien, sinon une petite douleur au flanc.

- Bon, ça va alors, encore désolé, jeune lionne.

J'avais insisté sur ce "jeune lionne" pour ne pas la froisser de nouveau...mais aussi pour la taquiner un tantinet. Je la voyais qui me tournait autour, comme pour être sûre que je venais bien du Désert, comme les Jangowas, être sûre que j'en étais bien un. Depuis le temps, je ne devais plus réellement en porter l'odeur, cela dit. Puis elle s'assit devant moi, en labourant le sol de ses petites pattes, comme en signe d'hyperactivité, et me demanda ce qu'un Jangowa faisait ici. Je lui souris, avant de répondre :

- J'ai pas besoin d'être baraqué pour te chercher la bagarre, tu sais ? dis-je en riant doucement, avant d'ajouter : Et sache que je ne suis pas plus Jangowa que toi.

Elle continua, disant qu'elle allait vers la frontière. Quelle frontière, celle avec le Désert ? Mais elle était inconsciente de la distance ou quoi ?! Ou même encore du danger ! Mais ce qui me fit répondre n'était pas ce fait, mais plutôt son affirmation sur le fait que les Mositus alentours nous observais d'un mauvais oeil. Enfin...nous. Moi plutôt...Je n'étais pas à ma place ici, c'était évident. Et quand bien même j'en venais à prouver aux yeux de certains Mositus que je n'étais pas comme mes pairs, cela ne servirait rien : je resterai l'émigré du Désert, celui qui n'a sa place ni chez les Jangowas, ni chez les Mositus, car la haine de certains envers mon clan natal était trop forte, et je le savais mieux que quiconque, pour avoir manquer de peu la mort...

Sans rien dire, je la suivis lorsqu'elle parla de nous éloigner. Son humeur changea du tout au tout, malgré mon silence, et le sien. Elle dansait presque alors qu'elle marchait, c'était...touchant. Touchant de voir tant d'innocence de la part d'une Mositu, qui visiblement se contrefichait comme de sa première tétée du fait que je sois un Jangowa dans le sang. C'était rare, les Mositus qui n'en disaient rien, depuis cette bataille.

Deux années, presque...déjà. Le temps s'était écoulé bien vite, et j'avais bien grandi...et appris, sur ce monde. La petite qui me servait actuellement plus ou moins de guide n'était même probablement pas née...et heureusement pour elle. Tant d'innocence ne méritait pas de connaître aussi jeune un tel drame...

Elle me demanda mon nom, me sortant de mes pensées, d'un ton presque enjoué. Tout changeait si vite lorsqu'on était lionceau, tout paraissait si simple...si seulement cela pouvait perdurer à l'âge adulte. Mais ce que je vivais depuis quelques temps semblait me prouver le contraire, comme le combat de Chombo avec son père, on la bataille à l'Oasis et celle sur Prideland...

Je lui souris.

- Je m'appelle Jango, et toi ?

Elle recommença à me tourner autour, débordante d'entrain. Je sentais presque la curiosité de son regard entièrement pesant sur mes frêles épaules - oui, j'suis pas épais, j'rappelle. C'en devenait presque amusant de voir à quel point une si jeune lionne pouvait déborder d'énergie. A tel point que je me sentis obligé d'ajouter, riant :

- S'il te plaît...tu ne pourrais pas arrêter de me tourner comme ça autour ? Tu me donnes le tournis là...

Bien entendu, je ne m'attendais pas véritablement à une réponse positive de sa part. Après tout, elle m'avait déjà prouvée être une forte tête. Je n'en attendais pas moins. Si elle voulait jouer, ça tombait bien, cela faisait comme des lustres que je ne m'étais plus montré joueur, il fallait rattraper ce temps perdu. Mais avant tout, je voulais tout de même connaître son nom, que je n'ai plus à la vexer en l'appelant "petite"...sinon pour la taquiner de plus belle !

Visiblement, je ne choisissais pas bien mes paroles pour la calmer, car elle remuait une oreille, elle feula...Bon, rien d'effrayant de la part d'un lionceau, vu ma stature par rapport à la sienne, mais il fallait admettre que je n'aimais juste pas vexer les gens, aussi petits fussent-ils par rapport à moi. Cela dit, je devais bien constater qu'au fur et à mesure de notre éloignement du clan, elle devenait un peu moins menaçante, moins...sauvage. Comme pour me prouver cette vive évolution, elle se présenta sous le nom de Taali. Je lui répondis avec un large sourire :

- Tout le plaisir est pour moi Taali.

Elle me dévisagea ensuite assez longuement, examen qui aurait pu se révéler gênant, mais avec sa petite bouille adorable, il en était tout autre. Ça aurait presque pu être comique, si elle n'affichait pas sur son faciès cet air si sérieux. Cela dit, à part un léger sourire amusé, je m'imposai comme règle de conduite que de ne montrer aucune réaction, ni même l'attente quasi impatiente que sa question suivante arrive, ce qui ne tarda pas, peu après sa mine satisfaite. Elle s'assit et me demanda ce que je faisais ici. Son terme "JangowamaisplusJangowa" me fit sourire. Je n'eus cependant pas le temps d'y répondre qu'elle embraya sur la suivante.

Bon, je ne pouvais lui en vouloir, elle était petite, jeune, curieuse, et ne pouvais pas savoir dans quoi elle mettais les pattes. Mais là, c'était la question de trop pour moi. Depuis quelques temps, je m'efforçai de lutter contre ces vérités, de les accepter et de les assumer, mais j'avais encore beaucoup de mal. Et ce ressentiment se voyait à coup sûr sur mon visage. Je murmurai alors un simple :

- C'est...délicat d'en parler...

Mais elle me raconta alors son histoire à elle, celle de sa mère, Jangowa amoureuse d'un Mositu, qui a combattu son ancien clan, son ancienne famille, et avait du tuer sa propre soeur lors de la guerre qui m'avait à moi coûté mon clan et mon amie Baradi. J'étais sincèrement triste pour elle, c'était cruel. Et le pire, c'est que les Mositus semblaient ne toujours pas leur accorder leur confiance, alors qu'elle avait tout fait pour se faire admettre, elle et sa famille.

Incapable de prononcer une parole, je la laissais continuer sa petite histoire. Elle était comme je le pensais bien trop jeune pour avoir connu l'Oasis, et grand bien lui en a pris. Ainsi, elle n'a pas connu les récurrentes humiliations que les Jangowas faisaient subir aux Mositus. Enfin, elle lâcha d'un ton très amer la raison pour laquelle les Mositus que j'ai pu croisé auparavant semblaient si mauvais en nous observant.

- Je vois...les plaies ne sont pas encore cicatrisées...comment cela se pourrait-il...mon clan a tué tant des vôtres, avant de vous expulser...m'enfin...

Seulement, elle recommença a remuer joyeusement la queue, et m'affubla d'un "grand dadais", sans doute en vengeance à mon "petite" de notre rencontre, puis m'encouragea à raconter mon histoire à moi. A vrai dire, à ce moment, je n'avais plus vraiment le choix, vu ce qu'elle venait de me raconter, la moindre des choses était de lui retourner la politesse et d'en raconter tout autant sur mon passé. Mais peut-être pas tout...Pour détendre un peu l'atmosphère, alors qu'il s'agissait pour moi de tirer du courage de l'innocence de cette petite, je passais ma patte sur le sommet de son petit crâne, comme pour l'ébouriffer, puis je me lançai :

- Eh bien moi, comme ta mère, je suis né dans le Désert. Oh, j'étais heureux là-bas, j'avais quelques amis Mositus aussi, et ma famille était aimante, et loin, très loin d'être de ceux qui voulaient une guerre contre leur voisin de l'Oasis. Mais elle éclata, et mes parents durent aller au front. Seulement, ma mère se mutina et refusa de se battre contre les lions bruns, et ainsi ma famille fut bannie du territoire de sable. Aujourd'hui, elle réside près d'Outland, un peu plus au sud-est d'ici. Mais je ne pouvais pas vivre là-bas la conscience tranquille, car une amie qui m'est très chère était Mositu, et je ne sais pas ce qui lui est arrivé. J'espère qu'elle va bien, mais je ne me fais pas d'illusion...

Je ne dis rien au sujet d'oncle Chombi et encore moins au sujet de mon grand-père...ni de la séparation de mère et Chombo dès leur naissance, et strictement rien ne fut sous-entendu quant à ma grand-mère, Kuondolewa, kidnappée au Mositu pour assouvir les désirs d'un monstre tel que Shujaa, et donc rien ne fut dit au sujet de la bâtardise de ma mère et son jumeau. En somme, je n'avais pas dit grand chose...mais elle était bien trop jeune pour cela. Bien trop jeune, et déjà trop préoccupée par ses propres soucis, inutile de souhaiter lui ajouter d'autres sombres histoires sous le museau alors qu'elle avait la vie devant elle pour s'émerveiller du monde, et non penser que celui-ci était sombre, cruel, et bien plus cynique encore.

- Du coup, maintenant, je voyage, un peu partout, dans l'espoir de retrouver un jour mon amie...mais j'en doute. Et il y a peu, une petite lionceau Pridelander m'a proposé de venir vivre près de sa famille, puis elle m'a fait promettre de me laisser raccompagner auprès de ma mère lorsqu'elle sera en âge de faire un tel voyage.

Ça en revanche, je pouvais le dire. Après tout, c'était plus comique qu'autre chose...encore une petite qui espérait me dicter ma conduite, je ne pouvais qu'en sourire, et ce fut le cas. Je souriais. Tristement, mais je souriais...

Pendant que je racontais mon histoire, la petite brune vint se serrer à un moment contre mes pattes, comme pour me réconforter, me montrer que je n'étais pas seul. Je ne savais pas trop comment réagir à cela, mais il fallait que je réagisse, pour ne pas la décevoir, pour lui faire comprendre que je n'y était pas indifférent, que ça me faisait du bien...la seule chose que je trouvai fut de lui entourer son petit corps avec l'aide de ma seconde patte, libre. Mais cette courte étreinte ne dura pas, car elle reprit un peu de recul puis me posa des questions, dont la réponse serait délicate.

Pour ma famille, je pouvais trouver une réponse, mais pour Baradi...je n'avais tout simplement pas envie de parler d'elle plus longtemps, ça m'était assez douloureux. D'accord, si elle était vivante, elle pourrait me le dire tout de suite...mais si elle était morte ? Je risquais de me mettre dans un état qu'elle regrettera d'avoir provoqué, et je ne voulais pas qu'elle ait ça sur la conscience, elle qui semblait prendre autant à coeur mes réactions. Je décidai donc d'ignorer - délibérément, désolé petite Taali - la question sur mon amie de toujours.

- Parce qu'un danger menace ma famille...un lion Jangowa qui ne nous a jamais aimé nous pourchasse depuis notre exil, et je serai un poids pour mes parents s'ils avaient à l'affronter, alors autant qu'il ne me trouve pas.

En y réfléchissant, cette raison n'était pas très éloignée de la vérité, mais je ne dis rien du lien de parenté qui nous unissait à ce lion, et encore moins sa véritable cible : le bonheur de mon oncle.

Je baissai le regard vers mes pattes, n'osant plus regarder la petite dans les yeux, après toutes les petites modifications et ces petits mensonges sur mon histoire. J'espérais qu'elle n'allait pas trop insister, je n'en pouvais plus de ce passé, modifié pour ne pas traumatiser des lionceaux, ou le vrai, la réalité, que je fuyais depuis trop longtemps. Mais je n'avais pas envie de l'affronter, je n'avais pas envie de prendre ce risque : la mort m'attendait peut-être si je retournai sur Outland.

Elle parla ensuite de son rêve de voyage, ce qui me fit relever la tête et sourire. En réalité, elle me rappelait beaucoup Baradi, ce qui m'arracha un petit sourire au coin des lèvres. Elle rêvait d'exactement la même chose que la lionceau que j'avais connue, et cela me mit un peu de baume au coeur. Je n'eus pas le temps de réfléchir à une réponse qu'elle me désarçonna en me demandant si elle pouvait m'accompagner pour retourner sur Outland, ce qui lui offrait au passage un excellent début de voyage.

- Euh...oui, pourquoi pas ? balbutiai-je, encore sous le choc de sa demande surprise, Oui, je risque d'attendre longtemps, mais j'vais bien trouver de quoi m'occuper sur la Lande...

Je savais pas trop quoi lui répondre, tant sa demande m'avait surpris. Peut-être qu'à défaut d'être parti en voyage avec Baradi, je pourrai partir avec elle, puis en profiter pour rentrer chez moi, à la fin. Enfin, chez moi...chez Oncle Chombo quoi.

- Mais... C'est idiot ! Même si tu ne sais pas te battre, tu serais plus utile à leurs côtés qu'isolés non ? Et s'il te trouve toi, alors que t'es tout seul ? Ta famille risque de se sentir très coupable...

Moui, elle n'avait pas tort, pas vraiment...mais j'étais plus en sécurité loin de ma famille, pour l'instant, car j'étais à un endroit ou Shaara ne penserait jamais chercher, bien trop éloigné de son désert natal, et même ma famille ignorait ma position, ce qui me donnait un net avantage de discrétion.

- Oui...mais selon moi, il ne me trouvera pas, car il est loin de se douter que je suis ici, et comme c'est trop éloigné de son Désert, il ne pensera même pas à venir ici.

Bien entendu, la petite avait remarqué que j'esquivai délibérément la question sur la Mositu que je connaissais. Elle la reposa, mais je continuai d'ignorer cette question. Je ne voulais pas en parler plus, alors il était nécessaire qu'elle me fiche la paix avec cela. Et pourtant, malgré cette nécessité, je n'osai pas lui dire clairement que je ne voulais pas en parler. De peur de la vexer davantage ? Aucune idée. En tout cas, jamais je n'ai abordé explicitement la question.

Alors, bien entendu, une petite boule de nerfs aussi fière qu'elle n'accepta pas mon obstination, et elle s'en alla rageusement. Je la regardai s'éloigner, sans la rappeler, le regard triste. Je n'étais donc bon qu'à m'attirer la colère des gens que je rencontrais ? Qu'est-ce que je faisais de mal ? J'avais mes raison de ne pas aborder la question, alors pourquoi refusait-elle de comprendre ça ? Peut-être que je souhaitais trop laisser les gens deviner, plutôt que leur expliquer...c'était possible, mais tout ne pouvait pas être explicite. Rien ne m'obligeait à devenir livre ouvert, explicite, clair. Nous avons tous besoin d'une part de mystère, non ?

Après cela, je m'en retournai...où ? Je n'avais pas véritablement de chez moi, malgré la proximité que j'avais établi avec la famille de Tahora - ou Tahora seule plutôt, donc j'avais parfois l'impression qu'elle tentait de me cacher aux yeux de tous. En tout cas, il fallait que je me repose et que je réfléchisse. Fallait-il vraiment que je rentre le plus tôt possible ? Peut-être, car cela faisait si longtemps maintenant...mais j'avais peur de ce que je pouvais trouver une fois sur place.

Je m'endormis alors que je me faisais ces réflexions, avec en plus le sentiment coupable d'avoir vexé une boule de poils innocente...