Un souffle, porteur de la fraîcheur de la nuit, vint caresser mon visage. Mes frères et soeurs se tenaient à côté de moi, droits et fiers, gris sous un ciel emplis de joyaux. Les odeurs, tant d'odeurs ! qui nous entourent nous signalent la vie qui grouille autour de nous. Je me retourne, et je vois mes deux fils, Kumpa et Damu. Qu'ils ont bien grandis ! Ce sont des adultes, à présent, et ils sont tous les deux heureux ! Mon époux n'est pas là. Je ne m'en soucis pas. D'un coup, mon corps se tends. Je suis légère, et véloce, et habile ! Mais c'est normal, pour un corps d'adolescent. Nous courrons, toujours plus vite, toujours plus loin, et je sens mes muscles frémir sous ma robe fauve, et la terre sous mes pattes, et l'air qui siffle à mes oreilles, et soudainement je suis seule à galoper dans la savane. Je m'arrête et rejète ma tête en arrière en un formidable rugissement. Ma famille me réponds de loin. Il n'y a plus d'ennemis, plus de cycle de la vie, je suis jeune et libre, et cette seconde d'éternité est si délicieuse...

Et puis je me réveille, doucement. Au début, mon coeur bat vite, et je me crois encore dans la savane... mais non, je suis dans ma grotte, avec mes lionceaux de fils et mon roi de mari. Le soleil commence légèrement à balayer la nuit. Il doit faire bon et frais, dehors. Mais je reste allongée là encore un peu. Ce rêve me laisse un goût puissant et délicat à la fois en bouche, le goût de l'aventure... et je veux le savourer.

Lorsque ce goût est partis, je me lève en douceur pour ne pas réveiller ma petite famille. Le soleil, encore timide, m'accueille dehors. J'ai une soudaine envie de voir la savane depuis le haut du rocher de la fierté. Peut-être pour me rappeler pourquoi je suis ici et à quoi j'ai dédiée ma vie, pour me dire encore une fois que je suis heureuse dans cette vie, que je n'ai pas toujours contrôlé ou choisit mais que je m'en sors bien... lorsque j'y arrive, un autre lion est déjà là. Il est grand, et gris, et fier, si fier ! et tranquille. C'est rare, un lion regardant juste le paysage, tranquille. En m'approchant, je le reconnaît ; c'est Rono. A vrai dire, je ne lui ai jamais vraiment beaucoup parlé. Il me salue. Je devrais probablement le laisser tranquille, seulement voilà : j'ai besoin de compagnie. Une compagnie non-hostile, mais qui ne me connaisse pas intimement non plus. La compagnie de Rono. Je m'approche et m'assied à ses côtés, le saluant d'un signe de tête. Un silence passe, où je ferme les yeux et respire l'air frais, le savourant. Puis mes yeux se rouvrent sur la beauté infinie de la savane, et, d'une voix douce, je demande :

< Dis, Rono... tu n'as jamais de regrets sur ta vie ? >

Pas un seul regret... que ce doit être bon, de ne pas avoir de regrets. Moi, j'en ai des regrets, et tellement ! Regrets de n'avoir pas passé plus de temps avec mon père, regrets de ne lui avoir jamais rien demandé sur ma mère, regrets d'avoir été trop faible à mon adolescence pour m'enfuir lorsque le roi a planifié ma vie. Mais, par-dessus tout, ce qui me pèse le plus lourd, c'est ce regret de devoir planifier celle d'un de mes fils, parce qu'il sera roi, et que c'est un métier où on ne choisit pas sa vie. Oui, un regret immense de léger ce fardeau à un de mes chers petits et de laisser l'autre libre. Que ce doit être bon, d'être libre ! De déposer toutes ses responsabilités et de partir sans se retourner, en sachant qu'à présent, tout le monde est assez grand pour se débrouiller sans vous.

< Rono... je crois que je sais pourquoi mon père m'a abandonnée, maintenant. >

Pourquoi fallait-il que la vie soit si injuste ? Pour préserver tout un territoire et un écosystème, il fallait que quelques être sacrifient une vie de bonheur et de liberté ; et on ne leur donnait même pas ce droit fondamental : choisir. Des erreurs, j'en ai fait, et j'essaye d'en tirer des leçons, mais c'est impossible ! Ces leçons ne sont pas applicables ! Selon elles, je devrais partir et abandonner ma famille, je devrais arrêter de me sacrifier ; mais à ce moment-là, le cercle de la vie serait brisé. Je ne peut qu'essayer d'améliorer la vie de mon prochain, et tenter de ne marier mes fils que par amour ; cependant, si la situation politique devient vraiment intenable, il faudra des alliés, des alliances, et donc, des mariages...

< Si demain on te disait : 'vas-y, tu est libre, à présent ! va vivre ta vie !'... pourquoi est-ce que tu est parti des montagnes ? >

Au moment où je prononçais ces mots, la façon dont il étaient égoïstes me revint en pleine figure. Comment osais-je demander des choses aussi privées ? Je n'en ai aucun droit ! Alors, vite, je bafouillais après :

< non... non, ne réponds pas... enfin, ne réponds pas si tu n'en a pas envie ! C'était maladroit de ma part, je te demande pardon ! >

Comment le cacher ? comment le dire ? "Rono, je suis désolée, ta reine est une meurtrière ?". Non, impossible ! Mais c'est tellement lourd à porter... la reine en moi me défends de parler de mes problèmes à quiconque, la lionne me supplie de le faire. Je suis sur le point de craquer, je n'en peut plus ; je n'ai pas à droit à l'échec, mais ma vie entière respire d'un échec cuisant ! Je regardais Rono, droit dans les yeux. Lui avait fait un choix cornélien ; pourtant, il n'avait pas de regrets. Peut-on tirer des leçons de la vie des autres ? Et voilà ; le point de rupture avait été atteint. Je me déversais en un flot de paroles incongrues et incohérentes.

< Je n'ai jamais voulu... voulu être reine. Jamais voulu être mariée à Farao. Jamais voulu porter ses héritiers... alors, quand il m'a trompée... oh, Rono ! j'ai été un monstre ! J'ai condamnée un mère et son petit à l'exil, mais p-pour moi, cela voulait dire la m-mort ! >

A ce point-là, je sentis la boule dans ma gorge céder, et des larmes inondèrent mon visage. Comment avais-je pu survivre en tenant cela enfouit si longtemps ?

< Mais quand... q-quand Damu et Ku-Kumpa sont nés... j'ai pu imaginer ce que c'est, que de perdre un enfant... et j'ai pensé à elle, jour et nuit ! Je la déteste, Uzazi, et pourtant je me déteste encore plus ! S-son fils... il est mort... par ma faute ! et tu sais quoi ? J'ai été soulagée ! soulagée ! je suis un monstre ! je ne peut pas arrêter d'y penser ! Je ne me souviens même plus de son nom ! j'ai tué un lionceau et je suis incapable de me souvenir de son nom ! Et quand je vois Kumpa, Damu, Farao, c'est lui que je vois ! et quand je vois Mina... elle représente tout, Rono, tout ! Le monstre, la cruauté que j'ai été ! Elle est ce que j'ai rêvé d'être, forte et déterminé ! prête à se battre pour sa liberté ! >

Je n'arrivais pas à m'arrêter. Mes pattes ont flagolées, et je me suis à moitié écroulée sur le sol, tentant de cacher mon visage entre mes pattes sans pouvoir cacher ma honte. Cela fait donc si mal, de grandir ? De tirer des leçons de ses erreurs ? de changer ?

< Tous ces mois, je me suis a-accrochée dans l'espoir... que le père de Farao... il m'a nommée reine, et j-j'ai cru... pour tenir, j'ai cru... j'ai cru qu'il avait eu un éclair de lucidité dans sa folie ! mais non... je suis un monstre, comme lui ! tout ce qu'il a vu, c'est son semblable ! >

[HS : désolée du break-down de ma lionne... mais, dans l'intérêt scénaristique du personnage, il faut qu'elle touche le fond pour vraiment changer (parce qu'elle doit changer, elle a trop de passé derrière elle !). Mais bon, du coup, c'est pas très fun comme rp...]

Sans trop savoir pourquoi, le contact de sa patte me fit du bien. Je sais que les autres lionnes vont arriver bientôt, et il ne faut pas que quelqu'un me voit dans cette état. Et Rono, pauvre Rono ! si une lionne s'en aperçoit, les rumeurs iront bon train sur lui, et ce serait vraiment injuste. De cette idée, je faisais une urgence : bouge, bouge, arrête de pleurer, les autres arrivent ! Je m'accrochais aussi à cette patte. Depuis combien de temps un adulte n'avait-il pas posé une patte sur moi ? Bien longtemps, sans doutes. Je sentais jusqu'au coussinets, et c'était un lien entre moi et la réalité. Petit à petit, ses paroles s'imprègnèrent en moi, se fondirent dans ma chaire, et les pleurs doucement se tarirent. Il ne restait plus rien, qu'un grand vide, un grand noir ; je ne sentais plus rien, et aucune sensation ne faisait bouger ce néant insupportable.

Et puis j'ai levé les yeux. Du haut de notre rocher, on voit toute la savane ; et à cette hauteur, le vent est frais. J'ai vu le soleil baigner les terres de rouge ; j'ai vu la vie fourmiller dans chaque parcelle, chaque brin d'herbe ; j'ai vu une terre de merveille, une terre de mystères, la terre chérie et protégée par des générations de lions. J'ai vu mon foyer. Et j'ai souri.

Je me suis tournée vers Rono, m'accrochant à ce sourire.

< Merci. >

Et désolée de t'avoir imposée tout cela ; mais ça, c'était impossible à dire. Rien d'autre ne me venait à l'esprit, rien d'autre ne pouvait franchir mes lèvres qu'un merci, un merci universel, puissant et profond. Je n'avais juste rien d'autre à dire, et pourtant ce mot me donnait l'impression de n'être plus jamais capable de dire autre chose. Je me sentais si bien, d'un coup... personne n'était là, que lui, moi, et la plénitude. Le calme après la tempête. Oui, Rono, il est temps de pardonner, temps de renaître, temps de grandir, temps enfin d'être une adulte. L'enfant est mort.

Et puis, d'un coup, un éclat de rire me secoua, mais il fut vite passé. Je pris une grande bouffée d'air.

< Que l'avenir est beau... que compte-tu faire, aujourd'hui ?>

Partir, hein ? eh bien, il allait me manquer, ce lion si sage, aussi blanc de robe que de coeur. Partir... ce matin, cela me semblait être le summum de la liberté, un beau rêve. A présent, ce ne ressemblait plus en rien à ce que j'ai en tête de faire. Lui aussi souriait. Sourire lui allait bien. Chez certains lions, un sourire ressemble à une affreuse grimace, peut-être à cause du manque d'entraînement. Chez lui, ça illumine assez son visage, et ça fait ressortir ses yeux. J'eu soudain faim de vivre et d'aimer. Son sourire me rappelait celui, trop rare, qu'abordait parfois Farao.

< J'espère que tu verras milles et unes merveilles dans tes voyages. Tu seras toujours le bienvenu, chez les Pridelanders. >

Et puis il posa une petite question. Et moi ? Moi, j'ai du pain sur la planche : un clan à consolider, un royaume à défendre, un cycle à préserver, un époux à aimer. Des tas de possibilités défilèrent devant mes yeux. On pouvait rallier les royaumes, faire de certains voisins des alliés... oui, c'était très certainement probable. Pas avec tous, mais au moins quelque uns. Peut-être ?

< Kumpa, Duma, Mina, Uzazi, Masaada, Farao... j'ai pas mal de choses à régler. Et j'ai l'impression que c'est ça, ma liberté. >

Je posais ma patte sur son épaule. Dans mes yeux, j'espérais qu'on pouvait lire toute ma reconnaissance et mon estime envers lui, ce drôle de lion blanc qui avait aidé à changer ma vie. Et j'espère plus que tout le recroiser à nouveau. Mais avant tout, en avant ! Kumpa et Duma vont apprendre à chasser, aujourd'hui ; je dois commencer à rafistoler ce clan, et je vais commencer par Mina. Parce que les mots étaient devenus inutiles, je saluait Rono de la tête, puis partait à la recherche de cette petite.

[dernier message pour moi, merci pour ce rp
ce fut une préquelle des 'blablablas de la Reine']