La journée s'annonçait plutôt calme. Il n'y avait aucun nuage à l'horizon, que ce soit de façon figuré ou non. Le programme n'était pas forcément très chargé mais allait être cependant légèrement fatigant. Accompagné d'un jeune adulte qu'il avait choisi, Shan, Wahidan partait à la recherche des jeunes exilés.

Sa mission était plutôt simple. Surveiller les adolescents en vérifiant les progressions et repérer toutes formes de tricherie. Il connaissait à quel point il était parfois simple de contourner les règles, ayant lui-même fait alliance avec son frère pendant un assez long moment … Son cher frère qui à son inverse, n'était pas revenu. Son cœur s'était serré, mais il chassa rapidement le visage de Dhaifu de ses pensées. Ce n'était pas le moment de s'émouvoir. Il avait des choses plus importantes à faire. D'ailleurs cette patrouille permettait également de faire le compte des exilés restants et peut-être annoncer les nouvelles aux parents lorsque les deux félins reconnaîtront les corps sans vie.

Marchant d'un pas presque militaire, le lion à crinière brune se dirigeait vers une dune qui surplombait une grande partie du désert. Une fois, les deux lions arriver sur le haut de l'immense tas de sables, Wahidan s'assit et balaya les environs du regard. Face au vent, son flair lui indiquait la présence de deux adolescents. Il ne restait plus qu'à les trouver pour connaître la nature de leur relation. Alliés, adversaires ou simplement deux jeunes qui se croisent. Au fond de lui, il aurait bien aimé voir une petite confrontation. Juste pour le spectacle.

Il repéra un jeune couleur sable, qui s'attaquait un cactus, sûrement pour en récupérer de l'eau. Bonne idée. Le lion beige s'allongea pour ne pas se faire repérer et demanda à Shan, en fixant le jeune.
« Tu vois où se trouve l'autre ? »

Il donnait le soin à son partenaire du jour de débusquer l'autre mâle.

Ses yeux couleurs sang se déplacèrent dans la direction que lui indiquait Shan, allongé près de lui. En effet, un autre adolescent attendait, accroupi en position de chasse, fixant son camarade. Wahidan laissa couler un sourire au coin à son compagnon du jour. La scène qui était sous leurs yeux, s'annonçait bien intéressante.

Celui du cactus, bien qu'auparavant concentré sur son dur labeur, semblait tout à coup sur le qui-vive. Il s'était arrêté et ne bougeait plus, les oreilles plaquées en arrière et la queue fouettant le sable. Il sentait le danger et l'avait probablement repéré.

Wahidan eut un petit rire satisfait. C'était sûr à présent. Il allait avoir une bonne baston. Tout en fixant les deux jeunes, le lion à crinière foncée se pencha légèrement vers le barbu.

« Celui du cactus semble prometteur. »

A première vue, il semblait au fils de Jangwu que le "Cactus" soit le potentiel vainqueur de cette possible querelle. Il ne savait pas comment décrire ce sentiment, mais il avait confiance en son instinct. Le Cactus était bon et plutôt en forme.

D'ailleurs, tout doucement, ce dernier se tournait vers son futur adversaire, qui s'était dangereusement rapproché. Les deux jeunes semblaient avoir un âge similaire. Tout dépendait alors des savoirs qu'ils avaient acquis et des capacités innés qu'ils possédaient.

Leur opinion sur la situation divergeait et ce qui agrandit le sourire de Wahidan. Cela lui plaisait parce que comme l'avait dit Shan, cette divergence signifiait pari. Le lion à crinière foncé hocha la tête avant de demander, la voix amusée.

« J'ai confiance en mon mouflet. Que voudrais-tu parier ? »

Il était plutôt intrigué de savoir ce que désirait Shan. Pour sa part, il était plus attiré par la petite pression caractéristique des paris que par le gain obtenu.

Il eut du mouvement dans l'arène. Le Cactus avait fait un pas en avant, maintenant totalement tourné vers son adversaire. Gonflant le poil, tendu sur ses pattes, il dominait l'autre, accroupi, par sa hauteur. Il le fixait, les babines retroussées, les griffes sorties.

L'autre ne semblait pourtant pas impressionné. Il l'observait toujours d'un air mauvais, lui aussi prêt à en découdre.

Le silence du désert et le léger vent permettait presque aux deux spectateurs, d'entendre les faibles grognements. Wahidan eut un frisson qui traversa son dos. Il en était sûr, le combat allait commencer. Ses griffes se plantèrent dans les sables, le retenant plus ou moins à se lever. Sa queue, retenue par ses pattes arrière, continuait à gesticuler. Temps de pause, tout le monde retenait son souffle.

Le Cactus avança son corps, ce qui fut le signal pour son adversaire. L'ado accroupi se propulsa contre le Cactus et l’agrippa. Ce dernier quant à lui accueillait presque son rival dans ses pattes et en fonça ses griffes dans son dos. Le combat commençait pour le plus grand plaisir de leurs parieurs.

Wahidan émit un simple grognement en réponse à la question de Shan. Lui non plus ne savait quoi parier. A vrai dire, il avait ce qu'il voulait dans le Grand Désert. Son cher maître lui offrait tout ce qu'il désirait. Bien plus même. Les seules autres desseins qu'il avait se situaient à l'extérieur et Shan aurait été incapable de les accomplir. Il voulait la fin du Royaume fier. La fin du souverain et du peuple. C'était impossible de l'accomplir actuellement. A l'allure que les choses allaient, ils auraient déjà eu le temps d’abdiquer tous les deux. Mais il le proposa tout de même.

« Un gros lot qui nous sera tous profitable. Mettre fin à la dynastie de Prideland, au royaume tout entier. Peu importe la manière dont on s'y prend. »

Il lança un regard rempli de sous-entendu à Shan, mais en même temps, son air malicieux signifiait qu'il ne parierait pas réellement là-dessus. C'était impossible dans la mesure où les choses n'avançaient pas avec Prideland. La queue ondulant de contentement, il rigola avant de reporter son attention sur le combat totalement caché par le nuage de poussière qui s'était formé autour de deux adolescents. Tout en observant, il proposa autre chose.

« Parions sur le principe d'une dette. Si mon champion perd par exemple, ce qui n'arrivera évidemment pas, je te dois un service. A tout moment, à tout lieu, tu pourras me le demander et je ne pourrais pas le refuser. Cela te va ? »

C'était un pari risqué, mais en même temps, il avait confiance de un en son jeune exilé et de deux en Shan. Il savait que son camarade ne lui demanderait pas d'actions horribles et lui non plus ne comptait pas lui demandait de telles choses. Mais il savait que ça serait profitable pour l’ego de l'un ou de l'autre de savoir que quelqu'un avait une dette. Ils pourraient à l'avenir en jouer dessus.

Le regard de Wahidan se fit perçant. Il se leva d'un coup, l’œil aux aguets. Les rugissements s'étaient tus suite à un dernier cri. Le combat était fini et l'un des deux jeunes n'étaient plus. Le nuage se dissipa pour révéler le champion.

La déception traversa le visage du fils de Jangwu. Son champion était au sol, toisé par le vainqueur. Le lion à crête brune lâcha un soupir d'exaspération et sa queue fouetta le sable. Finalement, son jugement avait été bien mauvais et cela le contrariait beaucoup. Il se tourna vers Shan, arquant un sourcil, un sourire dégoûté sur le visage. Ce jeune lui avait fait perdre le minimum de respect qu'il pouvait avoir de leur génération. Il en oubliait presque la victoire de l'autre ado.

Mais heureuesment, une certaine bonne humeur réapparaît sur ses traits. Il eut un petit rire ironique et malicieux. Ce combat avait été fort distrayant et il était attentif aux réactions de Shan, dont l'instinct avait été le bon.

Shan semblait satisfait de la victoire de son champion et plaisanta sur l'instinct mauvais de Wahidan, qui, de bon cœur, émit un rire franc. Puis profitant des dires de son aîné, le lion barbu mit à plat ce qu'il avait entendu depuis un moment sur les ressentis et les avis du clan. Le plan contre Prideland était en effet un sujet de grande frustration pour la majorité de leur génération. Wahidan le ressentait, le comprenait et trouvait des raisons évidentes à cela. Dès leurs plus jeunes âges, ils avaient été élevés dans l'optique d'une future guerre contre Prideland. La pression avait été sûrement plus importante sur eux que ce qu'avait vécu leurs aînés. Et en plus, ils avaient grandis avec l'idée que les choses allaient rapidement changées. Cid avait conçu et commencé ce plan si grandiose, mais avait échoué lamentablement, en mettant en plus un foutu sang-mêlé, indigne de son sang, sur le trône du royaume fier. Zafi, quant à lui, avait ramené l'espoir, mais c'était en particulier sa compagne, ancienne générale qui avait fait bouger les choses. Maintenant qu'elle n'était plus, tout était en suspens. Wahidan sentait la menace du temps et du remplacement sur les épaules de son cher Empereur. Les jeunes s'agitaient. Alors qui allait succéder au vieux Zafi ? Qui aurait l'audace de prétendre pouvoir ramener la gloire à ces chères dunes ? Shan avait raison : l'avenir des enfants du Grand Désert était plus qu'incertain.

Le fils de Jangwu observa avec un sourire au coin, son camarade qui était lancé dans sa réflexion. A l'entendre parler, ils devaient agir immédiatement ou du moins commencer à réellement se bouger. Et il était parfaitement d'accord avec lui. Il était temps pour les aînés de les laisser briller. Ils avaient été entraînés pour un jour les succéder, les surpasser. Et ce jour était peut-être arrivé.

Son regard fut capté par celui de Shan. Voilà une conversation qu'il attendait depuis longtemps.

Ses yeux s'ouvrirent plus grands quand il comprit ce que voulait son camarade et ce qu'il lui demandait comme service. Il se leva, sa queue se balançant de contentement. Hochant de la tête, il accepta sans plus de réflexion.
« Je te suivrais Shan. » Il se revoyait jeune, lorsqu'il était prêt à suivre aveuglément sa mentore Kynaïa. Le lion barbu lui rappelait sa combativité et son charisme écrasant. «Je pense même déjà savoir qui sera le nouvel Empereur. »

Il fixa son cadet avec un sourire complice. Shan avait un on ne sait quoi qui forçait le respect. Et puis, son discours avait convaincu Wahidan. Il persuaderait certainement les autres. Mais surtout, il croyait réellement en ce qu'il disait.

Wahidan pensa ensuite à ce qu'il avait dit sur les valeurs fondamentales que certains de leurs aînés avaient bafouées pour leur liberté. Il se rappelait de sa conversation avec Kadi à ce sujet. Il se souvenait que le lion âgé avait qualifié son choix d'erreur, mais qu'il était trop tard à présent pour qu'il change quoique ce soit. En tout cas, c'est ce qu'avait compris le lion à crête et il avait donc revenu ses priorités. Il avait à présent une compagne et envisageait un futur en tant que père.

« Je suis d'accord avec toi. Nous devons revenir à nos valeurs d'origine, celles qui ont fait notre renommée. Pour rendre fier le Grand Désert. »

Son regard arpenta sur les dunes et s'arrêta sur l'adolescent vainqueur qui léchait ses blessures. Celui-là était en bonne passe de devenir un bon guerrier. Il repensa ensuite à Prideland, et à ses habitants. De leur regard parfois démuni de peur ou de respect. Il se replongea dans les yeux de son partenaire.

« A l'extérieur, nous ne sommes plus craints, mais pourtant aucune confiance ne nous ai permis de leur part. Il faut que cela change. »

L'image de Kuvira s'imposa à son esprit. Jamais, il ne réussirait à oublier cette foutue mositue.
« On doit de nouveau nous respecter. Le simple fait qu'il y a des intrusions dans le désert, que les étrangers viennent jusqu'au pied de l'Empereur sans aucune peur est un mauvais signe. »

Son regard était totalement sérieux. De nombreuses idées lui venaient à l'esprit. Des plans fous qui risquaient fortement de ne les emmener nulle part, mais qui auraient eu le don de soulager ses pulsions. Il détestait tellement le royaume fier ! Heureusement, il était quelque peu apaisé sur le fait qu'un d'entre eux avait disparu. La pire probablement. Kuvira. Mais ils étaient encore tellement nombreux, encore tant à anéantir.

Cependant, ils devaient encore résoudre un détail. Avant de mettre ou de remettre en place certaines lois, ils devaient trouvés un moyen de se faire entendre, d'avoir l'autorité sur le clan. Et à vrai dire, il n'y avait pas milles solutions à cela.
« Que comptes-tu faire ? »

Wahidan écouta attentivement les paroles de Shan. Ce dernier allait se conformer comme tout bon jangowas à la tradition en prenant une lionne qu'il avait déjà dans le viseur. Le lion à crête hocha la tête face à l'information. Oui, il fallait tout d'abord montrer l'exemple aux autres membres du clan.

Puis, le lion barbu lui fit par de son idée de prendre la place de l'Empereur, qui doit-on se le dire, lui irait parfaitement bien. Il demanda ensuite des conseils à Wahidan, qui réfléchit sur la façon de procédés, sans trop bouleverser tout le système et les esprits.

Sa pensée fut cependant stoppée lorsqu'il comprit que Shan voulait l'avoir en tant que général. L’ego du lion à crinière foncée se gonfla tout comme son poitrail. Se redressant, il se para d'un sourire fier, mais ne répondit qu'à un simple signe de tête.

Puis, observant le désert, il essaya de trouver des solutions à donner à son compagnon.
« Le clan ne s'opposera pas à ta montée au pouvoir, si c'est un duel loyal. L'Empereur Zafi est vieillissant, sûrement déséquilibré depuis cette nuit avec la mositue, et probablement très préoccupé. » Le fils de Jangwu avait eu vent que cela ne se passait pas spécialement bien entre le gros lion et ses enfants. Il se plongea dans les yeux de son interlocuteur.
« Le battre ne te sera pas très difficile en réalité. Le plus dur à mon avis est que tout le monde te veut en tant qu'Empereur, que tout le monde pense que tu es bien le plus fort du désert. Il ne faudrait pas qu'un autre lion soit tenté à te confronter juste après que tu te sois débarrassé de Zafi. Ou pire, qu'une lionne ose candidater. »

En réalité, Wahidan ne voyait pas de mal à avoir une impératrice, mais il savait que cela serait un trop gros changement, une très grande évolution. Le clan n'avait pas besoin et n'était pas prêt à cela. Sachant qu'à ce qu'on disait, les anciennes impératrices n'avaient jamais fait l’unanimité à l'époque.

« Il faudrait avoir des lions de confiance à tes côtés. Des compagnons qui pourront veiller sur l'opinion générale et parer d'éventuelles ferventes oppositions … »

Il réfléchissait à de tels lions. Certains camarades lui vinrent à l'esprit. Ils étaient brutes, loyaux et défenseurs des valeurs fondamentales du clan. Wahidan savait qu'ils pourraient compter sur eux. Jamais ils ne reculeraient si c'était pour une cause honorable et digne du Grand Désert.

« Il faut des lions capables de faire le ménage, si tu vois ce que je veux dire … »
Il n'avait pas besoin d'en rajouter plus. La prise de pouvoir serait facile. Seule la converser et l'utiliser à leur fin serait assez problématique. Mais bien entouré, un avenir où Prideland serait poussière, semblait à présent plus plausible.

Shan approuvait les paroles de Wahidan concernant un cercle de loyaux guerriers qu'auraient à trouver les deux lions. Ainsi qu'il fallait peaufiner un peu le plan d'avenir du clan avant toute tentative.

Le lion à crinière foncée inclina la tête lorsque son interlocuteur l'invita à le suivre. Les choses importantes avait été mises à plat, les deux lions savaient à présent où ils allaient et à qui ils pouvaient faire confiance. Ils avaient le même objectif et de ce fait, savaient qu'ils pourraient compter sur l'appui de l'un ou de l'autre.

Wahidan lança un regard où corps sans vie, situé en bas de la dune. Des ombres planaient au-dessus de la masse inerte, alors ses yeux se relevèrent vers le ciel. Les vautours … Ils étaient vraiment très rapides pour repérer leurs repas. Auparavant, le fils de Jangwu pensait qu'ils étaient des oiseaux de mauvaise augure, mais avec le temps, il constatait qu'ils leur apportaient plus de chance. Enfin, c'est ce qu'il pensait. Satisfait, sa queue se balança doucement.

Le champion du combat avait déjà déserté les lieu et son odeur aussi forte que légère montrait que cela faisait plusieurs minutes. Wahidan espérait pour lui bien du courage et du talent pour la suite. Qui sait peut-être deviendrait-il un atout considérable pour le futur ?

D'un pas assuré, ils rentrèrent. Les prochaines semaines s'annonçaient chargées. Munis d'une mission commune, ils ne leur restaient plus qu'à fidéliser les meilleurs et jeunes, ainsi qu'à amadouer les plus récalcitrants. Peut-être même à conduire certains vers une retraite méritée …