La journée avait commencée depuis quelques heures, bien que la matinée ne soit pas encore entièrement écoulée. Dans le cadre d'une leçon, Kupendwa avait emmené nos enfants avec lui dès l'aube. Natak ne participait pas à toutes les leçons qui étaient données à Takris mais celle du jour portait sur les évènements qui avaient conduits à la destitution de la Reine Awena. Cet évènement avait fait en sorte que la couronne passe à son frère plutôt qu'à son fils et qu'aujourd'hui, elle se trouve sur la tête de Kupendwa.

Mon compagnon et moi avions discuté de l'importance d'apprendre tout cela à nos deux enfants et pas uniquement à la future Reine de Prideland. Nous ne doutions pas que Takris saurait remplir son rôle mais dans l'éventualité d'une défaillance de sa part, il était primordial que Natak puisse intervenir. Soit pour remettre sa sœur sur la bonne voie ; soit, si cela n'était pas possible, pour être assez lucide pour prendre sa place sur le trône. L'avenir nous dirait ce qu'il adviendrait mais mieux valait se préparer à toutes les situations.

Quoi qu'il en soit, je n'avais donc pas les enfants avec moi aujourd'hui et je pouvais en profiter pour souffler un peu. Kupendwa avait toujours fait en sorte de s'impliquer, je ne le contestais pas, et il avait toujours été prévenant au point de me ménager des journées pendants lesquelles je pouvais me retrouver seule et m'occuper de moi. Maintenant que les enfants grandissaient, ces journées étaient plus fréquentes et je pouvais de nouveau me balader en compagnie de Jahia et Malya ou m'occuper de mes diverses tâches en tant que Reine.

Aujourd'hui était l'un de ces jours et j'avais fait passer le message de ma disponibilité pour accorder une entrevue à tous ceux qui en auraient le besoin. Qu'il s'agisse de donner des conseils ou de résoudre des problèmes, j'étais prête à tout entendre pour aider mes sujets.

J'avais déjà eu deux entrevues. La première avait simplement consisté à donner des conseils à une jeune mère de trois lionceaux qui pensait ne pas s'en sortir avec ses petits. Ces derniers étaient toutefois en bonne forme et j'avais reconnu la fatigue dans son regard. En plus de conseils, je l'avais rassurée quant à son rôle qu'elle remplissait bien et elle avait déjà une meilleure mine lorsqu'elle était repartie.

L'entrevue suivante s'était enchainée et celle-ci s'était avérée un peu plus troublante car un lion était inquiet. Il n'avait plus de nouvelles de son fils depuis la veille au soir, lorsqu'il était parti se balader. J'avais immédiatement demandé à ce qu'un petit groupe de lions parte à sa recherche. Cela ne faisait qu'une demi-journée qu'il n'avait pas donné de nouvelles et si beaucoup de scénarii étaient possibles, il ne fallait rien écarter. Le lion m'avait remercié avant de s'en aller.

J'indiquais à Malya que la prochaine personne pouvait approcher mais elle me répondit que, pour le moment, personne n'attendait. Je la remerciais et, alors que mon regard parcourait les alentours, j'apercevais Vilayan. Il avait bien gagné en musculature depuis qu'il s'entrainait avec Kuvira et il prendrait sa suite avec brio. N'étant pas occupée pour l'instant, je décidais d'aller le saluer. Je quittais donc l'endroit où je m'étais installée pour m'approcher du jeune guerrier. Lorsque je ne fus plus très loin, je l'abordais. Bonjour Vilayan, commençais-je avec bienveillance. Je vois que vos nièces ne vous tournent pas autour aujourd'hui, cela doit vous changer un peu ! Etant devenue mère voilà un an déjà, je savais ce que cela faisait d'avoir des enfants dans les pattes à longueur de temps. J'avais félicité Kendwa et son compagnon lorsque leurs petites étaient nées et, bien qu'elles aient grandie depuis, il fallait dire qu'elle passaient énormément de temps autour de leur oncle. Cela ne semblait pas le déranger plus que ça mais je savais la sensation que pouvait procurer le calme d'une journée où l'on était tranquille.

L'apprenti de Kuvira s'inclina devant moi avant de me saluer et de me répondre que, effectivement, ses nièces le laissaient tranquille pour une fois. Si ses propos auraient pu être interprétés dans le sens où ses nièces l'agaçaient à être très souvent avec lui, le sourire avec lequel il les évoquait prouvait à quel point il tenait à elles.

Suite à cela, Vilayan indiqua à deux lions qui se tenaient un peu plus loin qu'ils pouvaient s'en aller. Oh.. Peut être attendaient ils le frère de Kendwa pour aller patrouiller ? Reposant son regard bleuté sur moi, le futur Chef des Guerriers me demanda s'il pouvait m'être utile. Je devais avouer que je n'avais pas de raison particulière lorsque je m'étais approchée de lui. J'avais juste un peu de temps libre et je m'étais dit qu'une simple conversation avec un membre du clan serait agréable. Je n'ai pas de requête spéciale, j'ai juste pensé que l'on pourrait discuter.

Peu importait le sujet de conversation cela dit. S'il y avait la moindre chose que Vilayan souhaitait aborder, j'étais prête à l'écouter et à en parler avec lui. Toutefois, je ne lui imposais rien et avant de continuer, je préférais m'assurer d'une chose. Mais peut-être que je dérange ton programme ? Avais-tu prévu de patrouiller avec tes camarades ? Si tel est le cas, je ne te retiens bien évidemment pas et tu peux y aller.

A l'annonce que je souhaitais simplement discuter, mon jeune camarade lâcha un "oh" de surprise. Cela m'étonnait quelque peu mais je n'en disais rien et je tentais de ne rien laisser paraître.

De son côté, Vilayan profita du léger temps de silence pour répondre à ma question. Il me rassura sur le fait qu'il ne s'apprêtait pas à partir en patrouille avec les deux lions qui nous avaient laissés quelques instants auparavant. Au contraire, ladite patrouille venait tout juste de se terminer. Rassérénée, j'attendais la suite et je laissais le soin au futur Chef des guerriers d'initier la conversation. Il pouvait évoquer tout ce qu'il voulait, je ne jugerai rien et, surtout, je ferai mon possible pour lui venir en aide s'il en avait besoin.

Parmi tous les sujets qu'il pouvait choisir, il pris la décision de commencer par quelque chose de commun et me demanda comment j'allais ainsi que mes enfants, ceci après s'être excusé de ne pas être plus spontané. Ne t'en fais pas, ce n'est pas grave, commençais je avec un sourire avenant. Et mes enfants et moi allons très bien, je te remercie.

Bien que j'aurais très certainement pu enchainer avec un "Et toi ?", ce n'était pas ce que j'allais faire même si m'enquérir de la santé de Vilayan et de ses ressentis était l'un des objectifs de cette conversation. J'ai eu le déplaisir d'apprendre que Foh avait délaissé ta sœur et leurs filles... Souhaites tu que nous en discutions ? Ou peut être que je peux faire quelque chose qui pourrait aider Kendwa, les petites ou même toi ?

Je ne comprenais pas comment un père pouvait laisser tomber sa compagne et ses filles. Même si j'étais une femelle et non un mâle, je n'imaginais pas un seul instant ne plus m'occuper de Takris et Natak, c'était tout bonnement impensable. Je savais qu'il en était de même pour Kupendwa et, admettons un instant qu'il se comporte comme Foh l'avait fait, jamais je ne pourrais lui pardonner. J'éprouvais donc la plus grande empathie pour la sœur de Vilayan et si je pouvais faire quoi que ce soit, je le ferai.

Si ma réponse quant à ma santé et celles de mes enfants sembla rassurer Vilayan, je ne fus pas sans remarquer la tension apparue dans son corps lorsque j'évoquais Foh et ce qu'il avait fait. J'étais réellement navrée de lui causer cet inconfort que je comptais bien éliminer au plus vite.

Mon jeune camarade aurait pu me répondre qu'il préférait ne pas évoquer cette situation déplaisante mais il n'en fit rien. Au contraire, il m'expliqua un peu plus les faits, non sans masquer son ressentiment envers celui qui fut autrefois son ami. Il avouait même qu'il aurait souhaité un duel contre celui qui s'était servi de sa sœur mais puisque le responsable n'était plus là, cela n'était pas possible. Ce que tu fais pour ta sœur est tout à ton honneur. Exiger réparation auprès de Foh n'est peut être pas possible mais je pense que ton dévouement envers Kendwa et ses filles est bien plus apprécié. Encore une fois, elle peut venir me voir si elle en ressent le besoin. Et si elle a besoin de souffler et que personne n'est disponible, je peux être celle qui veillera sur les petites. Comme à l'accoutumée, ma voix était posée. Cette fois-ci, elle était en plus inflexible et mon regard, tout comme mes propos, étaient sincères.

Il n'était sans doute pas commun qu'une Reine se propose pour jouer les nourrices mais la situation de Kendwa me touchait. Etant mère moi-même, je savais combien il était fatiguant de s'occuper d'une portée. Et en tant que seul parent de ses filles - et quand bien même Vilayan lui apportait son aide - le travail de Kendwa était multiplié par deux. Aussi, je trouvais important qu'elle sache qu'elle avait du soutien.

Tu n'as pas à t'excuser pour cela, c'est moi qui ai initié ce sujet qui te contrarie et j'en suis navrée. Souhaites tu que l'on parle d'autre chose ? Des sujets plus légers pourraient te changer les idées. Un sourire encourageant étira mes babines. Je ne voulais pas qu'il soit maussade une partie de la journée à cause de moi. Aussi, je lui laissais le choix de me parler de ce dont il voulait. J'étais ainsi certaine de ne pas choisir quelque chose qui le mettrait de mauvaise humeur car ce n'était absolument pas mon but.

Le futur Chef des Guerriers m'adressa sa reconnaissance en parlant à la fois pour lui et pour les siens. Nul besoin de mots après cela. C'est pour cette raison que je me contentais d'un simple hochement de tête.

Ce sujet étant clos, ma proposition pour évoquer autre chose sembla appréciée par mon interlocuteur si je devais en juger par le sourire qu'il arborait. Je n'avais aucune idée de ce que serait la suite mais j'avais néanmoins une certitude : discuter avec Vilayan était agréable alors en soi, peu importait.

Le jeune lion ne put toutefois s'empêcher de me rassurer, arguant que même si son moral n'était pas au top, il restait des plus efficace. Je n'en doute pas ! lui répondis je en étant amusée mais sincère.

L'instant était plaisant et sans doute devait il l'être aussi pour mon jeune ami car il ne tarda pas à trouver un nouveau sujet de conversation. Il expliquait avoir besoin de mes conseils sur un sujet en particulier et tandis qu'il me demandait mon accord pour continuer - ce que je lui répondis par l'affirmative - je devinais qu'il devait s'agir d'un sujet personnel.

La suite des propos de Vilayant me donnèrent raison et je ne pus m'empêcher de lui sourire. L'amour était le plus beau des sentiments et je me réjouissais pour le lion brun s'il avait trouvé la personne qui partagerait sa vie. Réfléchissant à ce que je pourrais répondre, je mis quelques secondes avant de briser le silence qui s'était installé. Je ne peux parler que de ma propre situation alors ce que je vais te dire n'est sans doute pas une vérité universelle. J'espère toutefois que cela te sera utile. commençais je, la voix posée. Ramenant ma queue autour de mes pattes avant, je fermais les yeux pour me ramener quelques années en arrière. A l'époque, avant que je ne mette des mots sur mes sentiments et que je comprenne que j'étais amoureuse, voilà ce que je peux te dire. J'appréciais beaucoup la compagnie de Kupendwa et passer du temps avec lui me donnait toujours le sourire. Nous pouvions parler de tout et de rien pendant des heures sans nous rendre compte que le temps passait. Lorsque nous nous quittions, je n'avais qu'une hâte : le retrouver. Je pensais beaucoup à lui et lorsque je rêvassais en pensant à lui, un sourire venait toujours illuminer mon visage. Enfin, il y avait cette sorte de connexion entre nous, une connivence que je ne peux expliquer. J'ai passé pas mal de temps avec d'autres lions avant Kupendwa mais je n'avais jamais ressenti ça avec un autre. J'étais attirée par lui au-delà de tout et c'est cet ensemble qui m'a fait comprendre que je l'aimais.

Je rouvrais les yeux et nos deux regards bleus se rencontrèrent à nouveau. Je n'avais jamais mis de mots sur tout ça et j'étais étonnée de la facilité avec laquelle j'avais réussi à l'exprimer. Je pouvais demander à Vilayant si cela lui était utile mais pour que lui-même la sache, il fallait d'abord qu'il assimile ce que je lui avais dit et pourquoi pas, qu'il compare mon récit avec ses propres ressentis. Je lui en laissais donc le temps et gardais le silence.