A la recherche de la liarde dorée

De l'eau ! Après plusieurs heures de marche, où il avait pensé à s'allonger et laisser le Désert le prendre, Wahidan avait fini par trouver une petite flanque d'eau. La saison sèche battait son plein et l'adolescent comprenait bien qu'elle ne faisait pas de cadeaux à qui que ce soit. Les proies se faisaient très rares et le Désert n'offrait que des cadavres secs à ses enfants félins. La veille, il avait trouvé une gerbille frêle, proche de la mort. Il n'eut aucun mal à l'attraper, et par chance, il avait été le seul exilé des environs. Il n'aurait pas été doux avec un potentiel adversaire.

Wahidan n'avait plus peur de tuer. Il ne lui restait plus que quelques semaines et il allait bientôt rejoindre son clan. Il était hors de question qu'un autre se mette en travers de sa route après tant d'efforts. Deux étaient déjà passés sous sa griffe, un troisième ne changerait rien. Le seul décès qui le chamboulait était celui de son frère. Trop faible, ce dernier avait succombé. Un adieu très dur pour le félin à crête qui pendant plusieurs nuits avait été touché par d'affreux cauchemars. Des mauvais rêves qui l'angoissaient et lui soufflaient qu'il y avait un coupable derrière la mort, pour lui, inimaginable de Dhaifu. Il cherchait ardemment ce coupable que probablement seule sa folie pourra trouver.

Pour le moment, il profita de son eau. Le corps relâché, il s'autorisa une pause. Il s'allongea prêt de sa flaque et apprécia pour la première fois depuis quelques mois, la lumière du soleil. Il continua à boire à intervalle régulier. Il lui semblait inutile de conserver son eau précieuse, car la chaleur la faisait disparaître à vue de truffe. A présent hydraté, son ventre commençait à exiger sa ration. Au moment même, où Wahidan se leva pour se diriger vers le Désert, un vent traversant les gorges, lui apporta une odeur particulière. L'odeur d'un Pridelander. Le sang du futur adulte ne fit qu'un tour. Évaluant mal l'intensité de cette odeur, il avait l'impression qu'il y avait un intrus. Trottinant et soufflant bruyamment comme l'aurait fait un buffle en colère, il suivit la gorge en direction de Prideland.

Ses pas le portèrent jusqu'à la frontière et il réalisa rapidement qu'il n'avait croisé personne. Il secoua la tête et se parla à lui-même.

" Tu deviens mon vieux, mon cher. "

La chaleur semblait avoir tromper sa truffe. Il s'apprêta à s'en aller de nouveau, lorsque du coin de l’œil, il vit du mouvement dans les broussailles de Prideland. Une nouvelle fois, il sentit l'odeur de l'allié. Il recula de quelques pas et se plaqua au sol, comme prêt à bondir. Depuis que les prédateurs du Grand Désert se battent pour une queue de lézard, Wahidan avait pris l'habitude de se méfier de toutes les créatures à proximité.

Collé au sable brûlant, il ne pouvait qu'être détecté par sa crinière foncée et son grognement inquiétant. Ses yeux fixaient les hautes herbes. Un félin s'approchait.

Les oreilles de Wahidan se plaquèrent quand il vit Kuvira sortir des hautes herbes. Elle s'avança calmement vers lui, restant de son côté de la frontière. L'adolescent était méfiant, se demandant ce qu'elle faisait ici. Ce n'est que lorsqu'elle le salua, qu'il se remit debout. Il se lécha le poitrail, pour se détendre avant de s'asseoir et de la saluer en retour, d'une voix profonde.

" Bien le bonjour, Kuvira. "

Les traces de méfiance effacé, il la regarda avec un air neutre, sans aucune émotion. Vraiment sans aucune émotion ? En tout cas, si d'apparence, il semblait totalement indifférent à la présence de la cheffe des guerriers, au fond de lui plusieurs questions fourmillaient. La dernière fois qu'il l'avait vu, il y avait eu un problème avec Aya, la liarde. C'est d'ailleurs en revoyant la brune qu'il se rappela de l'existence de la dorée et qu'il eut instinctivement un sentiment de manque. Voilà bientôt un an qu'il n'avait pas croisé son chemin, comme tant d'autres. Il se demanda comment se portaient ses parents et le clan.

Il focalisa ses pensées de nouveau sur la lionne en face de lui. Elle était forte, elle avait de la masse. La nourriture était certainement plus abondante sur Prideland, même en période de sécheresse. Il l'observa sans retenue, se demandant qu'est-ce qu'elle avait mangé à son dernier repas. Antilope ? Zèbre ? Oryx ?... Sa bouche salivait à la pensée de tant de nourriture. Il se lécha les babines avant de retrouver les yeux de la Pridelander.

Il y avait un silence, mais le jeune lion ne semblait pas vouloir le briser. Il fit un signe de tête à Kuvira, lui demandant par ce geste ce qu'elle voulait. Il redoutait qu'elle ne prononce le nom d'Aya.

Le lion observa son interlocutrice avec intérêt. Elle voulait discuter. Se souvenant des seuls moments où ils avaient conversé, il plissa les yeux. Il était presque évident que cela concernait la liarde et redoutait ce qu'elle allait lui demander. Que s'était-il encore passé ?

La brune scrutait les parages, ce que Wahidan fit également. La frontière du Canyon, tout comme les autres frontières, avait quelque chose de vraiment étrange. Le mélange du sable du désert et de la végétation de la savane représentait un endroit peu rassurant. Un endroit où la confiance entre les deux clans était encore plus fragile. Avec les reliefs inhabituels et les hautes herbes de la savane, ce lieu était presque parfait pour un guet-apens des deux côtés.

Cette idée de se faire prendre par surprise traversa son esprit. Il enfonça ses griffes dans le sol, le corps un peu tendu, prêt à bondir s'il le fallait. Il n'y avait rien de menaçant à l'horizon, pourtant le félin avait comme un besoin de protection. L'Exil l'avait rendu solitaire, distant de tout ce qui se passait et surtout, l'avait séparé pendant longtemps des nouvelles de son clan et Prideland. Et si pendant son absence, le royaume de la fierté et le royaume du sable avaient eu un problème et l'alliance n'était plus ?

La cheffe des guerrière le sortit de ses pensées en lui soufflant discrètement la raison de sa venue. Une connaissance commune … Aya … Les oreilles de Wahidan se redressèrent avec attention et effaça un peu cette posture de méfiance grandissante. Il renifla et sentit que rien n'avait changé dans le Désert, à part l'odeur de Kuvira qui commençait à infester le doux sable.

Le fils du désert donna son feu vert à Kuvira, dans un hochement de tête, sans prononcer cependant aucune parole. Il n'avait pas encore une totale confiance et ne regardait pas Kuvira dans les yeux, mais bien derrière elle. Il ne se demandait plus d'où lui venait cette crainte constante. Il l'avait reçu de l'Exil et c'était ce qui l'avait permis de survivre jusqu'ici.

La cheffe parla. Aya avait disparu. Encore. La nouvelle brisa quelque peu le cœur de l'adolescent bien qu'il s'était déjà fait à cette idée. Il avait déjà prévu de ne plus revoir la liarde après son Exil. Pendant un an, il cherchait à se purifier. Parlé avec un étranger du Grand Désert aurait réduit à néant tout son beau travail. Des mois auparavant, il avait eu du chagrin, mais à présent plus rien. En particulier parce que la perte d'un être encore plus cher, son frère, effaçait toutes les autres pertes. Il ne montra rien de son infime douleur et hocha simplement la tête, le regard fixé dans les yeux de Kuvira. Aucune émotion.

Alors, il se remercia intérieurement de ne pas avoir réagi à la nouvelle. Il avait là devant lui, une scène des plus drôles. La cheffe des guerriers de Prideland, presque en pleur parce qu'elle a perdu la trace d'une amie ! Et dire qu'elle avait été choisi pour représenter et guider les autres guerriers. Quel mauvais choix ! Enfin, Prideland avait bien accepté Kupendwa et des mositus, donc le choix de Kuvira n'était guère étonnant. Cela devait être la raison pour laquelle les rebelles avaient longtemps été hors de contrôle. Tous des incompétents … Wahidan oubliait que lui aussi ressentait des émotions.

La brune était vraiment en détresse. Aya devait compté énormément pour elle. Une idée traversa la petite tête du fils des sables. Elle ne savait pas où était la liarde, mais peut-être que lui si ? Enfin, il ne savait pas vraiment où le félin doré passait ses nuits, mais la brune ne le savait pas elle… Et en plus, elle parlait du fait qu'Aya l'appréciait beaucoup ! Pouvait-il essayé de faire sortir une infime jalousie de la brune ? La faire croire qu'ELLE était le problème ?

Il arbora un air compatissant sur le visage. Auparavant, il mentait mal, mais pendant l'Exil, il avait appris à avoir plusieurs visages pour amadouer, attendrir ses victimes. Il en avait eu besoin pour se nourrir et survivre. Il se rapprocha doucement, gardant un espace pour ne pas entrer trop dans l'intimité de la guerrière et respecter la frontière et s'accroupit pour mettre la lionne en supériorité et surtout en confiance . Sa voix grave, avec une légère pointe de tristesse dont il maîtrisait, rassura la lionne.

" Elle va bien, Kuvira. Elle a juste besoin de temps pour réfléchir sur certaines choses … "
Il regarda un endroit fixe dans les gorges puis, revint en regardant droit les yeux. " … sur certaines personnes. " Il l'observa, puis eut un sourire encourageant à son encontre et se releva pour reculer de quelques pas.

" Mais ne t'inquiètes pas. Ce n'est juste qu'une question de temps avant qu'elle parte… qu'elle revienne je veux dire. " Il fit mine de se tromper et haussa les épaules en gardant son sourire encourageant avant de l'effacer pour observer ce même endroit fixe. Il faisait ainsi croire qu'il y avait peut-être quelqu'un.

Il regarda de nouveau Kuvira avec toujours son visage encourageant, avant de se racler la gorge. Il secoua sa crinière et retrouva son masque d'impassibilité. Trop de compassion serait bizarre de la part d'un jangowas. Il observa le ciel, attendant une réponse de la brune, tout en pensant à la liarde. A quel point cette ange l'aimait-elle, lui l'enfant cruel du Grand Désert ?

Pathétique. Tandis qu'il observait toujours le ciel, Wahidan entendait la cheffe des guerrières ronronner. Sérieusement ? Il se retenait de souffler d'exaspération devant cet élan d'amitié pour la liarde. Il y avait aussi de jalousie. Le lion du désert avait du mal à se dire que son était proche, même plus proche de d'autres personnes que lui.

Ce n'est que quand Kuvira prit la parole qu'il reposa son regard sur elle. Elle posait des questions, puis rapidement, devint menaçante, ce qui fit grincer les crocs du fils des sables. Pourquoi prenait-elle la mouche comme ça ? Cette fois, il leva les yeux au ciel, avant de déclarer en râlant.

" Pourquoi faut-il toujours que vous vous fâchez pour un rien, vous les Pridelanders ? "

Bon, il était vrai que les Jangowas faisaient de même. Se disputer, se battre c'était un peu leur quotidien. Mais il y avait toujours une raison utile. S'entraîner, ne pas perdre la patte, se nourrir, survivre. Seulement, là, il n'y avait rien de tout ça. En autres, Wahidan trouvait la réaction de Kuvira disproportionnée. Pour une fois qu'il avait un air plus ou moins sympathique, elle trouvait encore le moyen de les voir, lui et son clan, comme une menace. Elle n'avait pas tord, mais quand même ! D'un air blasé, il continua. Enfin, sa langue se déliait.

" Non, mais vraiment. On pourrait pas avoir une conversation calme et détendu comme deux lions normaux ? "

Il regarda Kuvira en plissant des yeux. Remettait-il toute la faute sur elle ? Mais tout à fait. A cet instant, râler et trouver un bouc émissaire, lui faisait plutôt du bien. Il était certes un futur jeune adulte, mais il ne fallait pas oublié qu'il était avant tout un adolescent, embêté par ses devoirs envers le Grand Désert et ses hormones. Il gardait cependant son rôle et continua dans son mensonge, avec toujours une pointe de contrariété dans la voix.

" Enfin bref. Quand elle sera prête, elle reviendra. Et ne dis rien. A personne. "

Il la regarda avec insistance et son ton était catégorique. Il ne faudrait que ce mensonge fasse le tour de la Terre des Lions. Il souffla de nouveau et observa les alentours. Même si ce n'étaient que de fausses paroles, il y avait toute de même de l'espoir derrière ses phrases. L'espoir que le félin doré allait en effet bien et qu'elle ne tarderai pas à revenir sur le Royaume de la fierté.

Bon … Kuvira ne semblait pas être plus calmée que ça, bien au contraire. Wahidan l'avait fortement agacé. Encore plus que d'habitude. Était-ce une impression ou elle avait une crinière ? Trop bizarre …

Dans son fond intérieur, le félin à crête aimait ça. Énerver les autres. Mais, cela ne facilitait guère ses échanges. Si pendant son enfance, les Jangowas acceptaient facilement, après quelques corrections, ses comportements d'énergumène, l'adolescent était forcé de constater qu'il devait changer impérativement de manière d'agir. Mais pour Kuvira, cela ne servait à rien. Elle savait déjà qui il était. Elle savait qui étaient les lions du désert.

Des créatures sournoises, malhonnêtes, et bien plus encore. Le jeune fils des sables restait sur son idée d'avant. Kuvira serait une entrave à un avenir avec ou contre Prideland, elle n'accordait aucune confiance en eux. Il suffisait de l'entendre. Cependant, même si elle disait vrai et que cette réputation plaisait à Wahidan, il ne pouvait qu'admettre qu'il avait un certain pincement au cœur. Le reste de la Terre des lions les prenaient pour des purs monstres. Pourtant il était persuadé, le monde extérieur était plus dangereux que le Désert, où il était protégé par son Esprit.

La cheffe des guerriers s'offusqua presque lorsqu'il la menaçait. Un si grand mot, pour une phrase si simple ! Un sourire au coin passa sur le visage de l'adolescent. Croyait-elle vraiment que son Empereur lui ferait confiance ? A elle, plutôt qu'à lui ? Elle ne créerait qu'un problème sans origine puisque Wahidan n'avait rien fait de mal … Il garda sa phrase en mémoire.

Il l'observait attentivement. Elle s'agaçait réellement vite en sa présence. Lui qui pensait que c'était la jalousie vis-à-vis de Aya qui les rendaient ennemis, il se pourrait qu'il y avait plus que ça. Probablement la fameuse aversion entre les Jangowas et les satanés Mositus.

Elle tourna finalement les talons en n'oubliant pas de l'avertir. Elle veillerait sur ses moindres faits et gestes. Il rigola doucement, avant de lui lancer d'une voix mauvaise et malicieuse.

" Bonne journée, cheffe ! "

Il s'en alla d'un pas trottinant. Cette conversation lui avait donnée soif. Son esprit, occupé à l'Exil, effacera cette rencontre jusqu'à son retour au clan.