D'un naturel habituellement enthousiaste et d'une joie de vivre à toute épreuve, cette description ne collait pas à ce que je ressentais aujourd'hui. En effet, le côté ensoleillé de ma personnalité était sans doute resté au Rocher, juste à côté des larmes que j'avais versées à la découverte du corps sans vie de mon père.

Lorsque j'étais allée saluer mes parents ce matin, j'avais tout de suite vu sur le visage de ma mère que quelque chose n'allait pas. Et en m'approchant, j'avais immédiatement su ce qui se passait. Le corps de mon père était froid et en un instant, je comprenais que le réveil dans lequel Kijani s'était plongé la veille au soir était un sommeil éternel. La douleur de cette perte avait été fulgurante et après un moment - je n'aurais su dire combien de temps exactement - à verser mes larmes, j'avais ressenti le besoin d'être seule.

J'avais remercié mon compagnon pour son soutien et j'avais partagé un câlin avec ma mère avant de filer en vitesse. Je n'avais pas réfléchi à ma destination, mon esprit étant embrumé par tous les souvenirs des moments passés avec mon père. Ce n'est que lorsque mes pattes s'enfoncèrent dans de l'eau que je remarquais où j'étais arrivée.

Je n'avais pas fait attention à mon environnement jusqu'à maintenant et il se trouvait que j'étais apparemment arrivée jusqu'à l'Etang. Balayant l'endroit du regard sans vraiment trop voir ce qu'il y avait devant moi, je remarquais toutefois un endroit désert où je pouvais m'installer.

Grimpant facilement sur le rocher où j'avais décidé de me poser, je me laissais tomber dans une position qui n'avait rien de gracieuse et qui était loin de celle que l'on pouvait attendre d'une Reine. C'était pourtant à des kilomètres de mes pensées à l'heure actuelle et je me fichais bien de ce que l'on pouvait penser de moi en me voyant dans cette posture. Tout ce qui occupait mon esprit, c'était que je ne pourrais plus jamais discuter ni rire avec mon père...

Embrumée par mes pensées qui tournaient toutes autour de mon père et des moments que nous avions passés ensemble, je ne remarquais pas qu'un autre être avait approché de l'Etang. Aucun bruit d'animal en fuite ne me parvint pour me prévenir de cette arrivée. Si ce n'avait été la voix du nouveau venu qui s'était élevée, je n'aurais sans doute pas remarqué sa présence.

Une voix que je n'avais jamais entendue s'éleva mais je ne saisissais pas ce qu'elle avait pu dire. Aucune réponse ne se faisait entendre et deux possibilités se détachaient. Soit l'inconnu parlait tout seul et n'attendait donc pas de réponse soit... Soit c'était à moi qu'il parlait et dans ce cas, il allait falloir que je lui réponde...

Soupirant, je me demandais qui pouvait bien avoir eu le courage de me déranger alors que je n'en avait clairement pas envie. En cette journée de deuil, et plus particulièrement à cet instant, je n'avais qu'une seule envie et ce lion était en train de me l'ôter. Redressant ma tête à grand peine, je me forçais à arrêter d'avoir le regard dans le vague pour que mon environnement - et celui qui me parlait vraisemblablement - deviennent plus nets.

Les contours du lion étaient de moins en moins flous et plus ma vision se faisait nette, plus je remarquais l'état dans lequel lui-même se trouvait. Par les Esprits, depuis quand est-ce que vous n'avez pas mangé ?! Son état m'avait fait l'effet d'une gifle et je réagissais au quart de tour. Ayant une raison de penser à autre chose qu'à ma douleur, je me relevais avant de rugir. En agissant de la sorte, j'avais effrayé certains animaux présents autour de l'Etang mais je m'en fichais. Ce lion avait besoin qu'on l'aide et si je devais faire peur à quelques uns, ce n'était pas cher payé.

Répondant à mon appel, deux lionnes arrivèrent rapidement. Vous avez besoin de quelque chose, Majesté ? avait demandé la lionne fauve. Oui, Malya. J'aurais besoin que l'on amène une proie à ce lion. Jahia et toi pourriez vous en charger ? Les deux lionnes s'inclinèrent avant que la brune, Jahia, ne me réponde. Nous allons faire au plus vite, Ma Dame. Sur ces paroles, les deux félines partirent en courant, me laissant de nouveau seule en compagnie du lion.

Je n'avais même pas demandé son autorisation au lion pour agir comme je venais de le faire mais après tout, j'imaginais mal comment il pouvait refuser cette aide. Puis-je vous demander la raison pour laquelle vous êtes dans cet état, si ce n'est pas trop indiscret ? J'étais restée forte devant mes sujets mais les larmes commençaient à revenir et j'espérais que ce lion, peu importe qui il était, voudrait bien répondre à ma question en attendant que Jahia et Malya ne reviennent.

Déjà mal en point, le lion se laissa littéralement tomber par terre. Il se mit ensuite à s'excuser mais je ne voyais pas pour quelle raison il faisait cela. Je l'entendais me dire qu'il était désolé et qu'il ne voulait pas me déranger. Que j'avais l'air triste et qu'il voulait sans doute faire quelque chose mais la suite se perdit. Je compris à demi-mots qu'il n'avait aucune idée de mon statut lorsqu'il m'avait abordée.

Je ne savais pas trop comment je devais prendre cette dernière information. Est-ce que, s'il avait su, il m'aurait laissée tranquille ? Décidant que cela n'avait pas d'importance, je me posais non loin du lion brun, écoutant ce qu'il avait à me dire suite à ma question.

Le lion qui se trouvait dorénavant à mes pattes me disait qu'il ne fallait pas que je me préoccupe de lui. Cette phrase me fit sourire légèrement et ce devait être le premier sourire que j'esquissais depuis la mort de mon père. Comme si j'allais le laissais comme ça, sans rien faire. Même si je n'étais pas Reine, je n'aurais pu passer mon chemin, sans lui apporter d'aide.

Il me semblait que sur ce point, il était un peu comme moi puisque lui-même avait souhaité m'aidé tellement je semblais triste. Il ajouta que quelqu'un de bien lui avait dit que parler pouvait soulager la douleur. Il y avait du vrai là-dedans mais cela me semblait tellement difficile...

Le lion brun repris, disant que tout ce qui lui arrivait était de sa faute. J'aurais voulu lui affirmer le contraire mais, ne connaissant pas son histoire, cela me semblait un peu mal venu. Il fallait pourtant que je fasse quelque chose car il ne pouvait rester comme ça à moins de vouloir passer de vie à trépas. Et honnêtement, il était hors de question que quelqu'un que j'avais croisé ne meure parce que je ne lui avais pas prêté une oreille attentive pour pouvoir ensuite l'aider à surmonter son mal-être.

Ma propre douleur était toujours présente et des larmes brillaient encore dans mon regard. Toutefois, après avoir longuement inspiré et expiré, ma voix était posée. Si vous voulez mon avis, cette personne qui vous a dit que parler peut soulager la douleur était de bon conseil. Je marquais une pose avant de reprendre, ma décision prise. Ecoutez, je vous propose un marché : je vous révèle ce pour quoi je suis triste et vous me dites pourquoi vous vous trouvez dans cette situation, d'accord ?

J'ignorais à quel moment Malya et Jahia reviendraient mais qu'elles aient choisi d'aller chercher ce qu'il fallait au Rocher ou qu'elle soit partie chasser pour aller plus vite, je pensais que j'avais un petit moment devant nous. Je respirais un bon coup. Ce lion serait le premier à qui j'allais devoir dire ce qui était arrivé et le fait de le dire de vive voix le rendrait réel, définitif. Prenant encore une respiration, je me jetais à l'eau. Je... j'ai appris ce matin que mon père... Les larmes coulèrent de nouveau, silencieuses. Il... il a rejoint les Esprits. J'avais dit cette dernière phrase dans un souffle. Bien que j'avais veillé sur son corps, la vérité avait franchi mes lèvres et cela me faisait l'effet d'un coup de griffe en plein cœur.

Quittant ma position assise, je m'allongeais à mon tour. Je posais ma tête sur mes pattes, de sorte à ce que mon regard puisse croiser facilement celui de mon interlocuteur lorsqu'il me regarderait à nouveau. Au fait, vous pouvez m'appeler Alaya. Une sorte de lien créé par notre douleur semblait s'être tissé entre nous et je ne voyais pas pourquoi il m'appellerait autrement que par mon prénom, même si j'étais la Reine.

Le mâle brun m'écouta sans m'interrompre, ce pour quoi je le remerciais silencieusement. Il se présenta à son tour sous le nom de Junun puis m'adressa ses condoléances. Je hochais doucement la tête pour accueillir cette marque de compassion.

A mon tour, je l'écoutais. Cependant, il ne me raconta pas tout de suite ce pour quoi il n'était vraiment pas bien. Il m'offrit des paroles qui eurent l'effet d'un baume sur mon cœur meurtri. Ce qu'il me disait n'était pas vide de sens. Mon père n'était peut être plus physiquement parmi nous mais il resterait à jamais vivant dans mes souvenirs. Et selon Junun, je ne pouvais pas faire autrement que de ressentir du désespoir. Il fallait juste que je l'accepte afin que tous les bons moments passés avec mon père puisse à nouveau atteindre mon esprit.

Suite à toutes ces bonnes paroles, le lion brun s'excusa pour m'avoir forcé la patte et accéléré cette phase de deuil dans laquelle j'étais. Il n'y a aucun besoin de vous excuser, Junun, au contraire. Cela m'a fait du bien alors, merci. J'accompagnais mes mots d'un petit sourire puis je me taisais, tout le temps qu'il fallu au lion brun pour me raconter son histoire et ses malheurs.

Son mal être était bien plus profond que tout ce que j'aurais pu imaginer. Comment tant de choses avaient elles pu arriver à une seule personne ? Il avait supporté tout ça et je supposais que d'avoir vu sa mère ainsi que l'autre lionne avait été la chose de trop. Je ne sais que dire... Vous... Vous n'êtes certainement pas personne. Avec ce que vous m'avez expliqué, je comprend que vous êtes quelqu'un de très dévoué à votre clan et qui va à la fois protéger et subvenir aux besoins des autres. Ce n'est pas donné à tout le monde de faire ce que vous faites. A mes yeux, un membre tel que vous est inestimable pour le clan.

J'espérais que ces quelques mots pourraient lui faire le même bien que celui qu'il m'avait fait avec ses propos de tout à l'heure. Votre cheffe, Koliya, a l'air de tenir beaucoup à vous pour agir comme elle l'a fait. Je ne pense pas que vous laisser dépérir serait la meilleure manière de la remercier... Je ne voulais pas remuer la griffe dans la plaie mais simplement lui faire comprendre qu'il ne pouvait s'allonger dans un trou et attendre la mort. J'imagine que vous allez avoir besoin de temps alors faites comme chez vous sur Prideland. Et si vous avez besoin de parler, je peux être celle qui vous écoutera. Vous avez été là pour moi alors j'aimerai pouvoir être là pour vous.

A nouveau, je laissais un petit sourire étirer mes babines tandis que mon regard bleuté fixait les prunelles dorées du freelander.

Il semblait que j'avais trouvé les bonnes paroles puisqu'un changement d'attitude s'opéra chez Junun. Le félin brun quitta sa posture avachie pour s'assoir plus convenablement et le sourire qui éclaira son visage était le plus sincère que j'aie vu chez lui jusqu'à maintenant.

Cela me faisait plaisir de le voir comme ça. Bien que nous étions tous les deux dans une certaine détresse, partager cela avec l'autre nous avait permis de panser nos blessures. Pour cette raison, je lui en étais reconnaissante. Et d'après les paroles prononcées par mon interlocuteur, il semblait qu'il en soit de même pour lui.

J'étais contente qu'il se soit décidé à se battre pour se remettre en forme. Un lion dans son genre était inestimable et il aurait été dommage que les aléas de sa vie ne prennent le dessus et l'abatte. Il m'avouait qu'il ne savait pas quelle voie emprunter mais que, le temps qu'il serait sur Prideland, il serait à ma disposition et que si besoin, il se servirait de ses griffes et de ses crocs au nom du Glorieux Royaume.

C'est très gentil à vous de vous proposer pour défendre nos terres si besoin, je vous en remercie. Prideland est dans une période de paix mais un combattant de plus n'est jamais négligeable. Cependant, vous devriez avant tout vous reposer et reprendre des forces. Je vous conseille donc d'aller voir Isha, notre guérisseuse. Les derniers mots de Junun résonnèrent à cet instant dans mon esprit et une idée y germa. Je m'empressais donc d'en informer le lion freelander. Vous m'avez dit que vous vous cherchiez et que vous préfériez préserver plutôt que de blesser. Il y a plusieurs vocations qui pourraient vous plaire. Pourquoi ne pas profiter du temps que vous passerez sur Prideland pour en apprendre plus ? Vous pourriez d'ailleurs commencer avec Isha, qu'en dites vous ?

Fière de mon idée, je regardais Junun avec un sourire encourageant. Quoi qu'il en soit, n'hésitez pas à venir me voir. Je serais toujours ravie de discuter avec vous. De nombreuses voies s'offraient à lui et je ne doutais pas qu'il serait aussi très bon en tant que Conseiller, vu comme il avait réussi à m'aider avec quelques paroles.