Au Rocher, on m'avait indiqué que Safi se trouvait quelque part dans la Savane. J'avais une question à lui poser au sujet de la prochaine chasse et j'aurais aimé m'entretenir avec ma supérieure. J'avais donc remercié la personne qui m'avait indiqué le chemin avant de le suivre.

La piste de Safi, bien que fraiche, n'était pas facile à suivre. La route qu'elle avait prise ne formait pas une ligne droite et je me demandais bien pour quelle raison elle avait pu faire autant de détours. Ce n'est qu'alors qu'une suggestion me traversa l'esprit : peut être qu'elle ne souhaitait pas qu'on la trouve ? Je m'arrêtais alors, me disant qu'il était inutile de poursuivre si ma cheffe ne voulait pas être suivie. Tant pis, je pourrais toujours la voir plus tard lorsqu'elle reviendrait au Rocher. J'allais m'apprêter à faire demi-tour lorsqu'une voix m'interpella.

Il s'agissait d'une voix que je reconnu avant même que son pelage ne rentre dans mon champs de vision. Kupendwa. Il me salua et me demandait comment j'allais. Pour être honnête, je ne savais pas comment réagir face à lui. Il m'avait qualifiée de "bonne amie" lors de notre dernière discussion mais vu comme il était parti, je me demandais si je n'avais pas fait quelque chose de mal. Et, si ce n'était pas le cas, comment devais-je l'appeler ? Est-ce que je pouvais me permettre d'utiliser uniquement son prénom ou est-ce que je devais continuer de l'appeler "Majesté" ? En plus, il m'avait permis de le tutoyer alors cela devrait m'aiguiller, non ? Et si je me trompais, qu'allait il penser ? Rhaaa, c'était vraiment beaucoup trop de question ! Pourquoi est-ce que je ne pouvais pas tout simplement agir normalement ? Comment faisait on déjà ?

Bonjour ! lançais-je avec un sourire en inclinant respectueusement la tête. J'étais plutôt contente de la petite combine que je venais de trouver. Si je ne savais pas comment je devais l'aborder, le plus simple était encore d'aller à l'essentiel et de ne rien tenter qui ne conviendrait pas. Je vais bien, et toi ? lui demandais-je à mon tour en fixant mes prunelles dans les siennes. Puisqu'il avait employé le tutoiement aujourd'hui, j'estimais que je pouvais continuer à faire de même, non ? La fatigue t'est tombée dessus sans prévenir la dernière fois, est-ce que tu as pu te reposer ? Je ne voulais pas vraiment aborder le sujet de son départ précipité mais si j'avais réfléchi à ce que j'avais pu faire ou dire qui ne lui avait pas plu, je n'avais rien trouvé. Peut être pourrait il m'éclairer mais en attendant, je m'inquiétais réellement de son état.

Il avait l'air plus en forme que lorsque nous nous étions quittés et effectivement, il me le confirma. Il sembla toutefois assez mal à l'aise après ma seconde question. Est-ce que j'avais dit quelque chose de mal ? Me repassant rapidement ma demande, je ne voyais pas ce qui n'allait pas. Ou alors, il venait de remarquer que j'avais quelque chose sur la figure et il ne savait pas comment me le faire remarquer galamment. J'étais en train de réfléchir à un moyen subtil de vérifier mon visage lorsqu'il reprit la parole.

Oh. Ce n'était donc que ça : un sujet compliqué. Je préférais largement cela à n'importe quoi sur mon visage. Qu'est ce que Kupendwa aurait pensé de sa nouvelle amie sinon ? Je riais brièvement suite à son coup d'épaule. J'aimais qu'il agisse de façon spontanée. Cette facette de sa personnalité semblait beaucoup plus accessible et beaucoup moins sévère que ne l'exigeait son rôle.

Brisant le silence qui s'était installé, il me demanda s'il ne m'avait pas dérangée. Absolument pas ! Je cherchais Safi pour lui poser une question mais je peux toujours la voir plus tard... assurais-je avec franchise. Et puis, je lui avais bien dit que je serai disponible pour lui s'il avait besoin de moi alors il m'était clairement impossible de manquer à ma parole. Quel image est-ce que je renverrais sinon ?

Tiens, c'était la deuxième fois en très peu de temps que je me demandais ce que Kupendwa penserait de moi. Je n'avais pas l'habitude de me préoccuper de l'avis des autres alors pourquoi celui de mon nouvel ami m'intéressait à ce point ? Je ne comprenais pas mais ce n'était pas le moment d'y réfléchir. Je ferais plutôt ça ce soir, lorsque j'aurais tout mon temps pour penser et sonder mon esprit. Pour l'heure, il fallait reprendre cette conversation afin qu'elle puisse avancer. J'imagine que tu ne souhaitais pas uniquement prendre de mes nouvelles. Tu souhaites me parler de quelque chose en particulier ? J'avais prononcé ma première phrase sur le ton humoristique afin de le taquiner un peu mais bien que j'arborais toujours un sourire chaleureux, mon expression s'était faite plus sérieuse, signe que j'étais prête à l'écouter avec toute l'attention dont j'étais capable.

Sans que je n'en comprenne immédiatement l'origine, l'expression de Kupendwa changea et ce dernier sembla soudain... mal ? Était-ce ce que j'avais dit ? Décidemment, nombre de mes paroles avaient l'air de le perturber. Ce n'était évidemment pas mon intention et il allait falloir que je rectifie ça rapidement.

Sauf que cette fois-ci, c'est moi qui me retrouvais troublée par les propos de Kupendwa. Je ne doutais pas de sa sincérité, au contraire, ses prunelles reflétaient son honnêteté mais je n'arrivais pas à savoir comment je devais interpréter ses paroles. Lorsque j'étais allée le remercier pour avoir fait en sorte d'éliminer la menace Rebelle, cela avait été la première vraie conversation qui avait dépassée les politesses d'usage. Une autre conversation à la lumière des étoiles avait ensuite eu lieu mais cela suffisait il pour décréter qu'une compagnie était plaisante ? Que j'étais idiote. Bien sûr que oui ! Et puis, il l'avait bien dit lui-même, non ? Nous étions amis désormais alors rien de plus normal que de s'inquiéter pour eux et de vouloir de leurs nouvelles ? Que m'arrivait il ? Mon esprit ne tournait vraiment pas comme d'habitude aujourd'hui...

Ce n'est que lorsqu'il parla à nouveau que je me rendis compte que je n'avais pas été si attentive que ce que j'aurais dû. Il s'était assis et je ne l'avais même pas remarqué, toute absorbée que j'étais par mes pensées. Posant sur mon ami un regard interrogateur par rapport à l'expression qu'il affichait, il se reprit bien vite et le flot de ses paroles était plus rapide que d'ordinaire. Et il semblait également un tant soit peu contrarié. Que pouvait il bien s'être passé pour que le Roi ne puisse afficher un réel entrain au réveil de sa Conseillère ?

Je n'eu pas à attendre longtemps pour le découvrir. Un simple "Oh" sortit de ma bouche et le choc de cette annonce me fit m'assoir, bien que de façon un peu brusque et qui n'avait rien d'élégant. Une seconde... le choc ? En quoi cela était il choquant ? Non, ce n'était pas le bon mot... Surprise peut être ? Tu parles d'une surprise... murmurais-je tout bas. Quelle femelle ne développerait pas de sentiments pour Kupendwa à force de le côtoyer ? Il était bon, juste, honnête et s'inquiétait pour ceux à qui il tenait en plus de prendre soin de ses sujets. Vraiment, je ne voyais pas qui... M'interrompant soudain, j'étais stupéfaite par le cheminement de mes pensées. Etait-ce cela ? Non. Impossible. Nous n'étions après tout amis que depuis peu...

Plus que troublée, je toussais légèrement afin de reprendre un peu de contenance. Kupendwa m'avait demandé mon avis, non ? Il fallait bien que je lui réponde. Et bien, j'avoue que je ne m'attendais pas à cela. Parce que, mettons les mots sur ce qu'il se passait : Kupendwa était bel et bien en train de me demander mon avis sur l'amour ? Et sur ce qu'il devait faire ensuite ? Je ne savais pas ce qu'Itawuma ressentait pour toi. Est-ce que j'étais en train d'essayer de gagner du temps ? Peut être. Sans doute en vérité mais je ne savais quoi lui dire.

Il était vrai que lorsque j'avais discuté avec la lionne orangée, je lui avais suggéré qu'il n'était pas impossible de concilier son rôle de Conseillère avec son envie de fonder une famille. Il était vrai également qu'elle avait rougi suite à mes paroles. Avait elle pensé à Kupendwa à ce moment-là ? Cette seule pensée me fit grincer des dents et j'eu du mal à garder un ton calme et posé. En effet, une légère irritation était discernable dans ma voix lorsque je posais une question cruciale à mon ami. La choix de ta compagne influencera tout le royaume puisqu'elle en deviendra la Reine. Toutefois, bien que j'imagine sans mal Itawuma endosser les responsabilités que cela implique puisqu'elle en a déjà de par son rôle de Conseillère Royale, je ne pense pas que c'est cela qui devrait compter le plus. Tu as le droit de prendre pour compagne une lionne avec qui tu seras heureux et que tu aimeras. Itawuma pourrait elle être cette lionne ? Que te dit ton cœur ?

Posant sur Kupendwa un regard que je voulais bienveillant, j'étais suspendue à ses lèvres. J'attendais sa réponse avec une fébrilité qui ne me ressemblait pas et pourtant, je retenais mon souffle, incapable de savoir comment je pourrais me retenir d'exploser s'il me disait que oui, Itawuma serait sa Reine.

La sentence tomba enfin. Il ne voulait pas d'Itawuma comme Reine. Ce n'est qu'en entendant ses mots que je m'autorisait à respirer, inconsciente du temps pendant lequel j'avais retenu mon souffle. Un élan de soulagement m'envahit. Avant d'être vite balayé par une inquiétude grandissante. Certes il ne voulait pas d'Itawuma mais qui pourrait il choisir ? A cette question, je ne voulais pas de réponse. Peu importait à vrai dire. Lorsque j'imaginais une femelle aux côtés de Kupendwa, cela m'énervait. Et ce n'est qu'à cet instant précis que je parvenais à mettre un mot sur ce que je ressentais : de la jalousie.

J'étais sidérée par cette découverte sur moi-même et mon cerveau fonctionnait à vive allure. Pourquoi est-ce que j'étais jalouse rien qu'à l'idée que Kupendwa allait devoir choisir sa Reine ? Il est mon ami alors je devrais me réjouir pour lui et pour son bonheur. Pas être jalouse de celle qu'il choisirait comme compagne.

Tu n'as pas besoin de me remercier, commençais-je d'un ton un peu détaché tant j'étais encore en train de penser. Cela sera sans doute difficile pour Itawuma mais il vaut mieux qu'elle sache la vérité. Le mensonge n'est jamais bénéfique... et surtout pas dans ce domaine. J'étais désormais plus ancrée dans l'instant présent que dans mes pensées et il m'était plus facile d'enchainer. Elle aura besoin de temps pour accepter l'idée et je ne dis pas que tout sera comme avant sa déclaration mais je suis certaine que vous saurez de nouveau travailler ensemble pour le bien du Royaume. Je ne l'avais pas côtoyée longtemps mais j'imaginais que leur amitié était précieuse aux yeux de la lionne orangée et elle saurait mettre cette histoire de côté. Sauf peut-être, si Kupendwa venait à trouver sa Reine. Sujet sur lequel je ne pu m'empêcher de tenter de plaisanter tant il m'avait tendu quelques instants plus tôt. En tout cas, je ne m'attendais pas à ce que tu viennes me parler de ce sujet. Il faut dire que je ne suis pas vraiment une experte en la matière, concluais-je avec un petit rire qui me semblait sonner faux.

J'avais beau être une adulte depuis plus de deux ans, je n'avais jamais vécu de relation amoureuse. Pas même un petit flirt. Et pour être honnête, je n'en avais pas particulièrement l'envie. Sauf peut être avec une personne. Car il ne fallait pas que je me leurre plus longtemps. Si j'étais jalouse des potentielles prétendantes de Kupendwa, ce n'était pas pour rien...

Lorsque Kupendwa plaisanta à son tour, mon rire retrouva plus de franchise. Je l'écoutais ensuite expliquer qu'avec le modèle parental qu'il avait eu, il ne savais pas trop comment s'y prendre. J'acquiesçais mais ne pu empêcher d'ajouter une remarque sur ma propre expérience. J'imagine, oui. Toutefois, si je sais que mes parents s'aiment, je peux t'assurer que cela n'aide pas vraiment à savoir comment l'on doit s'y prendre.

Il m'était désormais évident que je ressentais quelque chose pour Kupendwa mais qu'est-ce que cela pouvait être ? Nous étions amis, oui, cela était indéniable. Mais ce que je ressentais, était ce une amitié plus poussée ? Ou s'agissait il de tout autre chose ? J'étais bien incapable de le dire et il me faudrait du temps pour analyser mes sentiments et mettre un mot sur ce dont il s'agissait.

C'est alors que Kupendwa me posa une question qui eu pour effet de me déstabiliser complètement. Pourquoi n'étais je pas une experte en amour ? Il commença un début de phrase qu'il ne finit pas car il se reprit et demanda si beaucoup de mâles avaient attirés mon attention.

Je sentais que mes joues me brûlaient et je me doutais que je devais être écarlate. Pourquoi ? Pourquoi cette question ? Que j'étais idiote d'avoir dit ne pas être une experte, il était tout à fait logique d'orienter la conversation là-dessus mais cela me mettais terriblement mal à l'aise. Ce qui était assez étonnant puisque nous avions évoquer à peu près le même sujet de conversation une fois avec Aya et je ne me souvenais pas que cela m'avait mise dans un tel état. Et bien, je... Non.

Incapable de soutenir son regard, j'avais baissé les yeux et c'est tout en observant mes pattes que je reprenais mon explication. J'ai certes, plusieurs amis chez la gent masculine mais aucun d'entre eux n'a jamais tenté de me séduire... Ce simple constat était dur à admettre, surtout devant un autre mâle. Et même si je ne recherchais pas activement celui qui partagerait ma vie, je m'étais parfois demandé pourquoi je n'avais jamais été courtisée. Je pense qu'à leurs yeux, je suis juste une bonne camarade et amie. Je crois qu'ils ne me voient pas comme une potentielle compagne.

Trouvant enfin le courage de le regarder de nouveau, ses yeux me happèrent et mon cœur rata un battement. Mais je ne perds pas espoir sur le fait que cela change un jour. Je n'avais pas réfléchi et les mots étaient sortis seuls sur un ton que je n'aurais su définir.

Plus aucun son ne parvint à franchir mes lèvres. Je ne pouvais qu'écouter et... regarder. Ainsi, je remarquais le sourire qui éclaira son visage et l'air doux, presque tendre qu'il arbora lorsqu'il me rassura. J'avais certes le temps de trouver le lion idéal mais... n'était il pas sous mes yeux à cet instant précis ?

Lorsque j'y pensais, je trouvais ça complétement ridicule. L'amour ne pouvait pas s'épanouir en l'espace de quelques discussions, si ? La logique répondrait que non. Toutefois, le fait que j'ai ressenti de la jalousie envers Itawuma qui lui avait avoué ses sentiments prouvait que le lion aux teintes caramel ne me laissait pas indifférente. Pourtant...

Pourtant je n'osais pas répondre et lui dire que mes recherches étaient désormais inutiles car il était là. Je ne pouvais pas lui dire. Déjà, parce qu'Itawuma l'avait déjà fait il y avait de ça quelques heures seulement. Ensuite parce qu'il était venu me demander conseil suite aux aveux de la Conseillère alors comment réagirait il si je lui disais à mon tour ce que je ressentais ? Et enfin, si ce que je ressentais était bel et bien de l'amour, est-ce que ce sentiment était partagé ?

Lorsque je le lui avais demandé, il m'avait répondu que son cœur lui dictait qu'Itawuma ne serait pas sa Reine mais il n'avait pas laissé entendre qu'une autre lionne pourrait l'être... Je ne savais pas si c'était le cas mais si son cœur était pris, il le cachait plutôt bien. Dans tous les cas, il n'était pas question que je m'immisce dans la relation de Kupendwa avec celle qu'il choisirait. Et lorsque son choix sera fait, j'imaginais sans mal que l'une de nos discussion aborderait ce sujet.

Un sourire étira mes lèvres lorsqu'il me remercia pour ce moment. Je fermais un instant les yeux tout en baissant légèrement la tête de façon à lui dire qu'il était inutile de me remercier et que c'était tout à fait naturel de lui avoir apporté ces quelques conseils. J'aurais voulu lui répondre que, moi aussi, j'aimerai pouvoir de nouveau profiter de sa compagnie mais ma phrase resta bloquée et aucune parole ne se fit entendre.

Ainsi, c'est silencieuse que je le regardais s'éloigner en direction du Rocher de la Fierté tandis que ses derniers mots tournaient en boucle dans ma tête. "Je serais toujours disponible pour toi, à n'importe quel moment." S'agissait il simplement de ça ou est-ce qu'il y avait quelque chose de plus dans cette phrase ? J'étais incapable de réfléchir à autre chose et c'est en pensant à ça que je me mis à marcher machinalement, sans réfléchir à l'endroit où mes pattes me conduiraient.