Quelques jours après la discussion avec Aya à la Colline du Peponi, je m'accordais une journée de détente et de repos au Rocher de la Fierté. La veille, j'avais participé à une chasse qui avait été fructueuse et personne ne pourrait se plaindre de ne pas manger à sa faim - même si je n'avais jamais entendu ce genre de plainte soit dit en passant.

Ayant donc décidé de ne rien faire de ma journée, je m'étais simplement contenté de faire ma toilette afin d'être un minimum présentable avant de me poser sur un petit amas de rochers qui permettaient d'être surélevé. De ce fait, je pouvais laisser mon regard vagabonder sur la Savane et observer les félins qui, eux, avaient décidés de faire quelque chose.

Bien qu'ayant décidé de ne rien faire, je ne pouvais pas vraiment ne rien faire. J'entendais par là que je ne pouvais m'empêcher de penser et par conséquent, je m'amusais à essayer de deviner ce que les autres faisaient.

Ainsi, s'il était plutôt facile de comprendre que des lionceaux jouaient, qu'un couple de lions profitait d'une simple ballade, certaines activités étaient plus difficiles à deviner que d'autres. Concentrée sur mon observation, je ne percevais plus vraiment ce qui se passait autour de moi.

Toutefois, un sentiment d'être observée me prit et je détournais alors le regard de la savane pour balayer les environs proches de ma position. Plusieurs personnes étaient présentes mais aucune ne semblait me regarder avec insistance. Je haussais alors les épaules, chassant par la même occasion le sentiment qui m'avait traversé.

Mais alors que j'allais reprendre mes analyses et mes suppositions, je croisais le regard de la Conseillère Royale. Décidant de reporter mon "activité" à plus tard, je descendais de mon perchoir et me dirigeais lentement vers ma camarade de clan avant d'entamer la conversation avec la féline au pelage roux.

Bonjour Itawuma ! Comment ça va aujourd'hui ?

Il n'y avait rien de plus banal comme début de conversation mais j'avais remarqué que la lionne semblait vraiment débordée ces derniers temps avec tout ce qu'elle devait faire. Cependant, ma question était bien plus motivée par une réelle envie de connaître la réponse et une sollicitude sincère plutôt que par une simple courtoisie.

La Conseillère de Kupendwa me regarda approcher et me rendit rapidement ma salutation. Elle m'expliqua, comme je l'avais supposé, qu'elle était encore fatiguée et qu'elle se reposait donc sur ordre formel de notre guérisseuse.

Je ne l'interrompais guère durant ses explications mais j'appuyais ses paroles d'un hochement de tête. Si Isha avait jugé préférable qu'Itawuma prenne du repos, il fallait lui obéir !

La lionne orangée, toujours lancée dans ses explications, me confia qu'elle s'épuisait à la tâche tout comme sa mère avant elle. Toutefois, elle semblait regretter que sa génitrice ne puisse être là pour l'aider, bien qu'elle soit certaine que cette dernière était heureuse d'avoir rejoint son compagnon parmi les étoiles. Encore une fois, je la laissais parler, me rendant bien compte qu'elle n'avait pas terminé. Cependant, j'avais noté la partie où elle disait qu'elle "s'épuisait à la tâche" et cela ne me plaisait pas. Non pas que je n'appréciais pas le travail qu'elle fournissait mais il n'était pas bon de s'impliquer autant qu'elle le faisait en dénigrant sa propre santé.

Toute à cette réflexion, je faillis raté la dernière partie de sa prise de parole où elle me retournait la question de savoir comment je me portais. Retrouvant mon sourire qui avait laissé la place quelques instants plus tôt à une mine inquiète suite à la découverte de l'état de santé de ma camarade, je n'eu même pas besoin de réfléchir pour formuler ma réponse et celle-ci jaillit presque instantanément de mes lèvres.

Je vais parfaitement bien, merci. Bien qu'elle ne me soit pas imposée, je m'accorde une journée de détente suite à la chasse à laquelle j'ai participé hier. Puisqu'elle a été fructueuse, je me suis dit que l'on aurait pas besoin de mes compétences aujourd'hui alors... c'est une journée libre qui m'attend ! dis-je avec enthousiasme.

J'aimais me sentir utile au clan en effectuant mon travail ou toute sorte d'autres choses. Mais aujourd'hui, je voulais du temps pour moi car je savais qu'il fallait aussi penser à soi de temps à autres. Ce que je m'empressais de dire à mon interlocutrice.

Vous savez, vous faites de l'excellent travail pour Prideland mais... Eh bien, je pense que vous n'avez pas besoin d'en faire autant. Ne me rendant pas compte que ce que je disais pouvais être mal perçu, je continuais sur ma lancée, tâchant néanmoins de m'exprimer un peu plus clairement. Ce que je veux dire, c'est que je suppose que vous adorez ce que vous faites et que c'est en partie l'une des raisons qui vous pousse à vous impliquer comme vous le faites. Toutefois, puisque la tâche vous éreinte tellement que vous êtes obligée de prendre du repos forcé, vous ne pouvez pas vraiment exercer votre fonction comme vous l'entendez pendant cette période de repos. Je pense que rien ne vous interdit, une fois de temps en temps, de prendre une journée pour vous afin de souffler un peu.

Je m'arrêtais enfin de parler pendant quelques instants. Instants pendant lesquels mon cerveau assimila ce que je venais de dire à Itawuma... Ce qui était honteusement déplacé de ma part à vrai dire. Nous n'étions pas ce que nous pouvions appeler des amies puisque nos discussions n'avaient que rarement dépassé le stade des simples cordialités. Je pensais donc n'avoir aucun droit de parler comme ça à un membre important du royaume et je me dépêchais de me justifier, une expression penaude affiché sur le visage.

Désolée si je semble trop directe ou impertinente, je suis juste inquiète pour vous...

Et c'était la stricte vérité. Si j'étais heureuse de ma propre vie, je m'inquiétais du bonheur des autres et lorsque je le pouvais, j'essayais d'arranger ce qui n'allait pas. D'où les propos que j'avais tenus quelques secondes auparavant...

Loin de m'en tenir rigueur pour les propos que j'avais tenu, la féline de plusieurs mois ma cadette sembla même approuver ce que j'avais dit. A en juger par sa réponse, elle semblait consciente de sa situation mais il semblait également qu'elle ne savait pas s'arrêter. Ce n'était pas une chose facile car lorsque l'on tenait à ce qu'on faisait, on souhaitait toujours donner le meilleur de nous même, quitte à en faire trop pour sa santé.

Itawuma me confiait que ce n'était pas simple pour elle car sa mère et l'ancienne Reine Moha l'avait formée pour qu'elle occupe ce poste. Je comprenais alors qu'elle n'avait toujours eu que ça et qu'il n'était pas évident pour elle de se dire qu'elle pouvait se laisser ne serait-ce que quelques heures rien que pour elle une fois de temps en temps, même si elle m'avouait que ce n'était pas l'envie qui lui manquait.

Compatissante, je me disais qu'il était bien dommage qu'elle ne parvienne pas à s'accorder des moments rien que pour elle et non pour le Royaume. Certes elle endossait son rôle à la perfection mais j'étais certaine que Prideland pourrait se passer quelques heures de sa Conseillère Royale.

C'est alors que cette dernière évoqua son approche de la frontière avec les Jangowas. Elle me disait qu'il fallait se méfier des lions des sables et qu'elle-même n'était pas rassurée malgré l'alliance... Si une personne avec un rang tel que celui d'Itawuma n'était pas sereine à l'égard des lions vivants dans le Désert, cela n'augurait rien de bon...
Et tandis que je me faisais cette réflexion, je failli passer à côté des dernières phrases de ma camarade de clan. Chassant vite mes pensées d'un mouvement de tête, je revenais à la conversation et je ne laissais pas le temps au silence de s'installer.

Eh bien, je ne pense pas qu'une discussion soit incompatible avec du repos. J'imagine donc que Isha ne verrait pas cela d'un mauvais œil et le déconseillerait. De ce fait, je suis partante pour passer la journée avec vous !

Je pensais vraiment que la guérisseuse de Prideland ne verrait pas d'inconvénient à ce que je discute avec Itawuma. Et si jamais je voyais que la lionne orangée commençais à se sentir mal, j'irais rapidement chercher Isha qui ne devait sans doute pas être très loin.

Ne souhaitant pas laisser le silence nous entourer trop longtemps, je trouvais vite un sujet de conversation en m'appuyant sur l'une des choses qu'avait mentionné mon interlocutrice et qui me hantait l'esprit.

J'avoue être curieuse : vous dites que vous êtes allée du côté de la frontière avec le Désert et qu'il faut se méfier de ses occupants mais... Vous n'avez pas peur des Jangowas ?

Si je posais cette question, c'était parce que depuis l'attaque qui avait eu lieu sur Kuvira il y avait de ça plusieurs années maintenant, je me tenais éloignée de cette frontière. Si une personne avait été attaquée, pourquoi cela ne se reproduirait il pas ? J'avais peur de la possibilité de cette situation malgré l'alliance et je n'allais donc que rarement sur cette partie du territoire. Ou si j'y allais, je faisais bien attention de me tenir le plus éloignée possible du sable. Alors savoir que la Conseillère s'y été rendu me taraudait. Son devoir l'avait forcé à y aller mais que ressentait elle à ce propos ? Avait elle peur de ces rencontres ? Ou la peur ne faisait pas partie de son vocabulaire puisqu'elle en était ressortie indemne ?

La réponse à ma question ne se fit pas attendre. La féline orangée me confia qu'elle avait effectivement peur mais cette peur était uniquement pour le clan et son avenir. Pour sa part, elle n'avait absolument pas peur. Je ne m'attendais pas à une réponse aussi franche, surtout en ce qui concernait le clan. Si la Conseillère du Roi n'était pas sereine en ce qui concernait les Jangowas, il y avait de quoi être troublé. Bien qu'Itawuma n'avait pas peur des lions des sables, ce que j'admirais, son aveu n'avait rien de rassurant...

Toutefois, elle me fis comprendre qu'elle ne souhaitais pas s'étendre plus sur le sujet et qu'il fallait trouver un autre sujet de conversation. Très bien, dis-je, plus pour moi-même que pour mon interlocutrice.

Je ne m'étais pas attendue à devoir clore ce sujet aussi vite et j'étais littéralement prise au dépourvu. Imitant ma congénère, je laissais dévier mon regard sur les alentours le temps de trouver une idée pour relancer la discussion. La pluie et le beau temps hm ? Je trouvais qu'il n'y avait rien de plus banal et informel comme discussion et ce n'était pas vraiment ce que je souhaitais.

Je cherchais donc ce que je pouvais bien aborder mais les idées ne fusaient pas. Etant la Conseillère Royale, il n'y avait pas grand chose qu'elle devait ignorer au sein du royaume, voire même dans les autres territoires. Je laissais donc de côté les histoires que j'avais pu entendre. De plus, je n'étais pas du genre à colporter les rumeurs et les ragots. Me repassant alors le début de notre échange, je me rappelais que la lionne orangée avait dit qu'elle aimerai "courir un peu la savane" selon ses propres mots. Une question me vint alors tout naturellement et elle franchi mes lèvres tandis que je reportais mon attention sur ma camarde.

Vous avez dit que vous aimeriez voir du pays... Si vous n'étiez pas la Conseillère Royale de Prideland et que vous pouviez voyager à votre guise, quel est le lieu que vous aimeriez visiter en premier ?

J'étais amusé par cette question car cela me faisait penser à celle que j'avais posé à Aya quelques jours plus tôt. La liarde avait été surprise alors peut être en serait il de même avec Itawuma, bien que la question était beaucoup moins étrange.

La lionne orangée sembla réfléchir un instant avant de me répondre. Ces premiers mots étaient on ne peut plus pragmatiques. Etant donné la sécheresse qui frappait le territoire depuis de nombreuses années, la Conseillère chercherait en premier lieu un endroit frais et avec de l'eau. La suite fut beaucoup plus personnelle et je ne pu me retenir de réagir lorsqu'elle se tut.

Vos responsabilités en tant que Conseillère ne devraient pas vous empêcher d'avoir des lionceaux et de les élever. Vous êtes jeune, vous avez tout le temps de trouver celui avec qui vous construirez votre famille. Et puis, je suis certaine que le Roi serait heureux pour vous si vous deviez devenir mère. Jamais il ne pourrait en vouloir à Itawuma parce que cela lui donnerait moins de temps pour le conseiller. Cela n'avait jamais empêcher les générations précédentes de continuer à faire fonctionner le royaume alors pourquoi cela serait différent ? Et même maintenant : sur Freeland, la Reine savait concilier son rôle de souveraine et celui de mère alors pourquoi la Conseillère Royale de Prideland ne pourrait pas en faire autant avec son statut ?

Revenant finalement sur la fin des paroles d'Itawuma, je lui expliquais ce que j'avais déjà pu voir lors de mes chasses. J'avoue ne jamais être allée au-delà du Grand Baobab mais selon les dires des familles descendant des Mositus, il y aurait une jungle luxuriante. Je n'arrive pas à me représenter ce à quoi cela pourrait ressembler mais j'imagine que cela doit avoir son charme. J'étais curieuse mais je ne savais pas où se situait l'entrée de cet endroit et même si je le savais, l'endroit serait surement peu sûr à cause du tremblement de terre qui y avait eu lieu et qui avait causé de trop nombreuses victimes.

Chassant mes pensées sombres d'un mouvement de tête, j'enchainais rapidement. Quant à ce qui se trouve plus au nord de la Colline du Peponi et bien... comment dire ? Je cherchais un instant mes mots avant de reprendre. Cela n'a rien à voir avec tout ce que l'on peut trouver partout ailleurs sur Prideland, expliquais-je. J'ai été amenée à m'y aventurer lors d'une chasse et l'on y trouve les premiers contreforts des montagnes qui étaient le lieu de vie des Nordiques avant. Ma proie m'a échappée et j'ai donc exploré un peu l'endroit mais il n'y avait pas vraiment de chemin praticable. Oh, et les arbres que j'y ai vus sont complètement différents de ceux qu'il y a dans la savane ! Ils n'ont pas l'air de porter de feuilles mais des épines et celles-ci apparaissent sur des branches bien plus basses.

Je ne savais pas si Itawuma saurait se représenter ce que j'avais tenté d'expliquer et je ne lui conseillais que trop d'aller voir par elle-même. Toutefois, puisqu'elle devait se reposer, je gardais cette remarque pour moi. Lorsqu'elle irait mieux, peut être que nous pourrions y aller ensemble mais pour le moment, Isha me tuerait si je donnais cette idée à sa patiente !

Je ne pouvais savoir quelles étaient les pensées d'Itawuma mais ce que je lui avais dit devait la travailler car elle ne tarda pas à rougir, ce que je trouvais charmant. Elle secoua la tête pour, je le supposais, chasser ses pensées et pouvoir se reconcentrer sur la conversation. Elle avoua ne pas avoir encore trouvé l'élu de son cœur, ce qui ne m'inquiéta pas plus que ça. Après tout, il me semblait qu'elle n'avait pas encore cinq ans alors tout était encore possible.

Ne vous en faites pas, vous avez encore de très longues années devant vous. Je suis certaine que vous trouverez la personne idéale pour fonder une famille. Je n'avais pu m'empêcher de la rassurer lorsqu'elle se fut tu. J'étais sincère et j'espérais pour elle qu'elle trouve un jour son âme sœur.

N'étant jamais allée du côté de la Jungle des Gorilles sur Freeland, je ne pouvais que me fier aux dires d'Itawuma. Cette dernière sembla d'ailleurs beaucoup plus à l'aise car elle se permis une petite blague au sujet de Kupendwa et du fait qu'il ne pourrait se passer trop longtemps des conseils de son amie d'enfance. Imaginant un instant le souverain dans cette situation délicate, je joignais mon rire à celui d'Itawuma.

La suite fut des plus touchante car la Conseillère passa volontairement au tutoiement et me demanda si je voulais bien rester avec elle pour le repas. Accueillant l'arrivée de ma cheffe et de mes collègues d'un sourire, l'une des lionnes avec qui j'étais très souvent dans le même groupe nous apporta une cuisse de zèbre. Je la remerciais chaleureusement avant que celle-ci ne s'éloigne puis reportais mon attention sur la lionne orangée avec qui je discutais.

J'en dis que j'en serai ravie, Itawuma. Et si cela te convient, je resterai non loin pendant que tu te reposes. Comme ça, tu pourras m'appeler si tu as besoin de quoi que ce soit, concluais-je avec un sourire doux et sincère. J'avais également employé le tutoiement et j'espérais qu'elle ne s'en offusquerait pas. Après tout, puisqu'elle avait jugé bon de le faire, peut être que je le pouvais aussi ? Quoi qu'il en soit, si cela ne lui plaisait pas, elle pourrait toujours me le dire et j'arrêterais, tout simplement.

Cela ne me dérangerait pas de veiller sur elle. Elle donnait tellement pour Prideland au quotidien que je pouvais au moins faire ça si ça pouvait lui être utile. Et puis, je n'avais rien d'autre à faire de toute façon et veiller sur la Conseillère était autrement plus important et intéressant que d'essayer de deviner ce que les autres membres du clan étaient en train de faire.