C’est avec un sourire radieux plaqué sur mon visage que je revenais vers le Repère des Lions. Je venais de passer un agréable moment en compagnie d’Ekhi et bien qu’il me coûtait de me séparer de lui, repenser aux instants passés ensembles suffisait à me faire rayonner.

Ces moments en sa compagnie étaient d’ailleurs beaucoup plus nombreux depuis que les Chafayas avaient quittés les Montagnes Humides. En effet, même si le sous-clan auquel il appartenait soutenait le Roi Tangawi, il ne vivait pas près du Repère. Cela m’obligeait donc à voyager pour le retrouver mais la distance était néanmoins plus courte que lorsque nous étions au Versant Brumeux.

Je pouvais donc le voir plus souvent et cela m’emplissait de joie. Ekhi avait attiré mon attention dès la première fois que nous nous étions croisés lors de l’Ukoo muunganol organisé par les Chafayas. J’avais aussi bien accroché avec sa sœur et nous nous étions donc revus de nombreuses fois depuis lors.

Et au fil de nos rencontres, nos sentiments s’étaient développés. Notre amitié était devenu de plus en plus forte, tissant une connexion indestructible entre nous. Cependant, pour ma part, je pensais qu’il s’agissait de quelque chose de plus grand que de l’amitié. J’avais avoué une fois à ma jumelle que j’avais le béguin pour lui. Toutefois, je n’osais pas faire le premier pas. Je pensais que ce n’était pas à moi de le faire et je me contentais donc de flirter avec lui, de lui envoyer des signes et de minauder en espérant qu’il comprenne et se montre entreprenant.

Cependant, même si je me montrais de moins en moins subtile – sans me douter que c’était exactement ce qu’il s’était passé entre mes parents des années plus tôt – Ekhi ne faisait toujours rien. Ce n’était pas pour autant que je désespérais car j’étais d’une nature optimiste mais j’avais envie de plus avec lui. De pouvoir me comporter comme si j’étais sa compagne et pas simplement comme une amie…

Sur cette pensée, un pelage particulier et bien connu entra dans mon champ de vision. Grâce à notre lien, je savais qu’elle n’était plus très loin de moi mais je me surprenais en me rendant compte que j’avais inconsciemment marché dans sa direction.

Cela m’arracha un sourire amusé. Bien que nous grandissions, j’avais toujours besoin de lui raconter mes « aventures » alors quoi de plus normal de la retrouver après de longues heures loin d’elle ?

Bonsoir belle demoiselle, dis-je d’une humeur taquine lorsque je fus non loin d’elle. Alors, que s’est il passé de trépidant dans ta vie aujourd’hui ?

Sachant qu’elle allait bien, je ne lui posais même pas la question et passait directement à l’essentiel. Même si nous avions désormais quatre ans, elle avait gardé ce côté aventurier et, lorsque je n’étais pas auprès d’elle pour la raisonner, j’avais toujours peur qu’elle aille au devant du danger. C’était d’ailleurs cette peur qui avait motivé ma question et, en attendant qu’elle me fournisse une réponse, je ne pouvais m’empêcher d’imaginer toutes sortes de scenarii, tous plus dangereux les uns que les autres.

Désormais à quelques pas de Lenora, cette dernière vint frotter sa tête contre la mienne. Je profitais de cet instant de tendresse avant qu’elle ne se recule pour s’asseoir face à moi. J’en fis de même tandis qu’elle m’expliquait ce qu’elle avait fait de sa journée.

Eh bien, j'ai passé la journée avec papa. On est allé se promener un peu, mais le vieux n'a plus la même forme qu'avant, il a fallut qu'on s'arrête plusieurs fois pour qu'il se repose. La prochaine fois, je prend un zèbre avec nous pour qu'il monte sur son dos !

Une ombre voila mon regard et pesa sur mon cœur. Il était indéniable que nos parents vieillissaient mais depuis que l’on avait quitté le Versant Brumeux pour rejoindre le Repère des Lions, cela semblait beaucoup plus flagrant. Le voyage avait laissé des traces mais, naïvement, j’avais cru qu’un peu de repos suffirait à les remettre d’aplomb. Force était de constater que ce n’était pas le cas et qu’il fallait profiter d’eux un maximum avant que… Non, je refusais de penser à cela. Ils avaient encore du temps devant eux et c’est donc en me forçant un peu que j’essayais de répondre à ma sœur sur le ton de la plaisanterie.

Vu comme il est, il serait encore capable d’inverser les rôles et de demander au zèbre de monter sur son dos. Ne le choisi pas trop vieux, surtout !

Je me fendis alors d’un petit rire mais on voyait bien que mes yeux, eux, ne riaient pas. Cela me désolait mais je me forçais de penser à autre chose et l’intervention de Lenora m’y aida à la perfection.

Et toi sœurette, pourquoi es-tu si enjouée ? J'ai senti ton excitation de l'autre bout de Freeland !

Si mon pelage n’avait pas été d’un brun rouge, il était certain que ma jumelle m’aurait vu rougir jusqu’aux oreilles. Enfin, même si cette réaction était cachée par mon pelage, elle percevrait sûrement ma réaction grâce au lien qui nous unissait elle et moi.

J’ai simplement passé un moment très agréable avec Ekhi.

Ce lion était un bon ami et il comptait beaucoup pour moi. Peut-être même plus qu’il ne le pensait. Il était certain qu’il me plaisait, je l’avais déjà avoué à ma jumelle. Cependant, j’avais l’impression que je passais à côté de quelque chose et je m’en ouvrait à ma sœur.

Je suis toujours heureuse de passer du temps avec lui mais… Je ne sais pas. Depuis quelques semaines, j’ai l’impression que… que ça ne suffit plus. Je veux pouvoir passer mes journées avec lui et pas seulement quelques heures par-ci, par-là...

J’avais d’ailleurs commencé à lui envoyer des messages subliminaux et ceux-ci se faisaient de moins en moins subtils. Néanmoins, Ekhi ne semblait pas vouloir passer à un stade supérieur dans notre relation. Cela ne me plaisait pas mais je ne pouvais le forcer. C’est pourquoi je me contentais d’apprécier le temps que je passait en sa compagnie et ce, bien que cela me frustrait et me causait de la peine.