Il n'y avait vraiment pas à dire : le climat était beaucoup plus supportable ici qu'aux Montagnes Humides. Je ne regrettais donc pas ma décision d'avoir fait bouger l'entièreté des Chafayas jusqu'au Repère des lions. J'avais un instant craint de ne pas être accueillis mais mes doutes avaient bien vite été balayés. En effet, le Roi Tangawi - le successeur de l'ancien Roi et mon ami Kama - était aussi bon que son prédécesseur.

Je l'avais déjà remercié pour sa gentillesse mais je sentais que j'avais une dette envers lui. Je me demandais donc comment je pourrais éponger la dette que je pensais avoir envers lui. J'envisageais différentes possibilités mais je finissais par arriver à un simple constat. Le mieux était encore de lui demander directement ce que je pouvais faire pour lui et ce dont il pouvait éventuellement avoir besoin.

Installé confortablement sur une roche chauffée par le soleil, je quittais à regret mon emplacement afin de me mettre en marche pour le Repère. Je comptais trouver son Majordome ou son Bras-droit afin de solliciter une audience auprès du Roi.

Quelle ne fut donc pas ma surprise en découvrant la silhouette souveraine se diriger dans ma direction. Il n'y avait rien d'étonnant en soi puisque l'on était relativement proches du Repère mais la coïncidence m'amusait. Je ne me contentais pas d'attendre qu'il arrive à ma hauteur et m'avançais également vers lui. Après tout, il était Roi et je pensais qu'il serait malvenu de me mettre en position de "supériorité" en le laissant seul faire le trajet qui nous séparait.

Bonjour, Chef Koda. Je viens aux nouvelles, vous vous portez bien ?

En signe de respect, j'inclinais la tête devant mon Roi avant de répondre à la question qu'il m'avait posée.

Bonjour, Majesté. Mes os ressentent la fatigue du voyage mais sans doute cela est-il aussi lié à mon âge. Je ne peux plus faire d'aussi longues distances que dans ma jeunesse sans en payer le prix. Après un sourire légèrement contrit, je n'hésitais pas une seconde avant d'enchainer. Je vous remercie pour votre sollicitude et je parle au nom des miens en vous remerciant à nouveau de nous accueillir au Repère. Je ne sais pas ce que nous aurions fait sans votre accord.

Je l'avais déjà remercié à plusieurs reprises mais je ne pouvais m'empêcher de recommencer. Après tout, il était vrai que si le Roi Tangawi n'avait pas pu nous accueillir au Repère parmi les siens, nous aurions sans doute été contraints de vivre au sein même du territoire, dans les espaces dégagés. L'idée ne me dérangeait pas en soi mais cela était beaucoup moins facile de veiller sur les jeunes de cette façon...

J’avais déjà remarqué cette expression lors de mes précédents remerciements et, encore une fois, le Roi Tangawi se montra amusé de ma réaction. Je ne le prenais pas mal, au contraire. Sans doute aurais-je réagi de la même manière si les rôles avaient été inversés.

Cher Koda, vous n’avez pas besoin de me remercier plus que de raison, j’ai fait ce que n’importe qui aurait fait en ma situation. Vous êtes des nôtres, vous n’avez pas besoin d’agir de la sorte, détendez-vous.

Je ne pouvais que concéder qu’il avait raison et je me promis de faire tel qu’il le voulait. Son sourire s’effaça alors qu’il levait la tête vers le ciel. Et tandis que j’en faisais de même, sa voix se fit de nouveau entendre.

Le temps ne s’améliore pas, j’espère que cela n’empirera pas. Le sol sur le Repère des Lions devient presque brûlant désormais. Cela m’inquiète pour les plus jeunes d’entre nous. Mais maintenant que nous sommes plus nombreux, nous aurons à priori moins de difficultés à gérer la situation. Plusieurs tête valent mieux qu’une, n’est-ce pas ?

Détachant mon regard de jade du bleu du ciel pour le reposer sur mon souverain, je tentais une réponse. Ayant été confronté au problème plus tôt au sein des Montagnes Humides, je m’étais longuement entretenu avec les miens et bien que la solution de migrer vers le Repère nous avait paru la meilleure, d’autres suggestions avaient été faites et elles étaient loin d’être idiotes.

Il est vrai que cela ne va pas en s’arrangeant mais croyez-moi, cela n’est pas grand-chose comparé à la chaleur étouffante qui régnait au sein des Montagnes Humides. Ici au moins, nous pouvons respirer facilement. Et n’ayez crainte pour ce qui est des plus jeunes : vous serez surpris de voir avec quelle facilité ils peuvent s’adapter à toute sorte de situation ! Je laissais quelques secondes s’écouler avant de reprendre. Nous sommes effectivement plus nombreux et il va de soi que nous ferons notre part pour aider le clan. Il ne nous viendrait pas à l’esprit de simplement profiter de votre générosité sans rien faire en retour. Je parle au nom des miens pour dire que vous n’avez pas à hésiter pour nous impliquer dans les tâches du Royaume. Les Chafayas avaient une Cheffe de chasse et des chasseuses plus ou moins expérimentées mais douées sous ses ordres, des guerriers, des patrouilleurs et aussi des surveillants à qui confier les plus jeunes lorsque c’était nécessaire. N’hésitez donc en aucun cas à faire appel à nous. Je laissais à nouveau le silence nous entourer pendant quelques instants avant de reprendre une fois encore, abordant cette fois-ci le sujet le plus important. Pour revenir aux conditions climatiques, de nombreuses suggestions ont été faites lors de nos assemblées quand nous devions décider quoi faire face à cette situation. Je serais ravi de vous les partager pour voir si elles sont envisageables si nous devions faire face à une dégradation.

Un sourire amical se dessina sur mon visage. En tant que sujet, je me sentais forcément inférieur à mon Roi. Néanmoins, ayant déjà vécu cette situation et étant plus âgé que lui, je me sentais en droit de lui apporter mon expérience. C’était étrange comme ressenti et j’espérai qu’il ne trouverait pas ma proposition trop audacieuse.

Tandis que j’expliquais à mon Roi les différents rôles que les uns et les autres jouaient au sein du sous-clan Chafayas, je voyais qu’il était attentif et qu’il notait ces renseignements.

Il semblait d’autant plus intéressé lorsque je lui avouais que notre groupe, qui s’était réuni à plusieurs reprises lorsqu’il avait fallu trouver des solutions, avait évoqué de nombreuses possibilités pour faire face à la chaleur qui augmentait et dont je pouvais lui faire part s’il le souhaitait. Il ne fallu d’ailleurs pas longtemps après que je me sois tu pour que le souverain de Freeland fasse bon usage de ma proposition.

C’est une offre généreuse, je vous remercie. Lorsque le moment sera venu, je vous serai reconnaissant si vous veniez à nous partager ces informations. Ne serait-ce que pour éviter la catastrophe.

Durant la pause qu’il marqua, j’en profitais pour acquiescer d’un signe de tête. S’il m’était possible d’apporter une solution viable pour le clan, il était impensable que je garde cela pour moi.

Quant à votre concernant la chasse, je comptais y venir. Étant donné que les bouches à nourrir se sont multipliées, je me demandais si au lieu de chasser séparément, nos troupes ne pouvaient pas se coordonner ? Ainsi, la chasse serait davantage fructueuse et plus encore, cela permettrait aux deux groupes de se souder. Qu’en pensez-vous ?

Je ne pouvais nier que cela était une excellente idée. Le Roi avait pensé à tous les bénéfices d’une telle association et je ne voyais aucune raison pour refuser, d’autant que j’avais moi-même proposé l’aide des membres du groupe Chafayas.

Cela est une idée excellente à laquelle j’adhère. Dès mon retour auprès des miens, je les informerai de cette nouveauté. Et les connaissant, je pense qu’elles seront ravies de pouvoir apporter leur aide et de rencontrer d’autres personnes, surtout une en particulier, concluais-je avec un petit rire en pensant à l’une de mes filles. Reprenant vite mon sérieux, j’en profitais pour poser une question qui me semblait essentielle pour que cela se passe de la meilleure des façons. Devront-elles se présenter auprès d’une lionne en particulier ou quelqu’un viendra t-il les chercher ?

Les miens ne s’étant que très peu éloignés les uns des autres depuis que nous étions arrivés, je ne savais pas s’il y avait déjà eu des liens de noués. C’est pourquoi il me semblait approprié de connaître le nom de leur Cheffe des troupes de chasse ou, au moins, comment celles qui allaient chasser aux côtés des troupes du Roi seraient informées qu’il fallait qu’elles se tiennent prêtes. D’ailleurs, la question de la planification m’intriguait. Et bien que la chaleur était plus supportable qu’au Versant Brumeux, elle était tout de même élevée ici aussi. Je savais également que Sikhà ferait assurément partie de ces expéditions et de par la couleur de son pelage, je m’inquiétais de l’effort fourni sous un soleil ardent. Je profitais donc de la présence de mon souverain pour l’interroger.

Je me questionne aussi sur les moments auxquels auront lieu ces chasses. J’imagine que vous y avez déjà réfléchi mais il me semble que chasser le matin ou le soir, lorsque le soleil tapera moins, serait plus approprié. Veuillez excuser l’audace dont je fais preuve mais au moins l’une de mes filles participera à ces chasses et avec son pelage de feu, je ne voudrais pas qu’il lui arrive quelque chose.

Mes filles avaient beau avoir presque quatre ans désormais, je ne cessais de m’inquiéter pour elles. Tel était ma responsabilité en tant que père et je savais que, même si le temps passait, mon inquiétude pour mes enfants ne diminuerait en rien.