Kwilu ne pouvait s’empêcher de se poser des questions. Son roi venait de le conduire hors du camp, sans l’avertir de quoi que ce soit. Pourtant, au fur et à mesure qu’il avançait, Kwilu sentait une tension puissante lui contracter les muscles ; quelque chose n’allait pas.


Pourtant, lorsque le monarque s’écarta pour dévoiler Iya, son neveu, Kwilu n’en revenait tout simplement pas. La gueule béante, l’animal tacheté planta ses yeux dans ceux de son roi qui s’écarta, laissant les deux parents seuls. Kwilu redirigea alors son regard vers Iya, tremblotant vivement. Mille pensées l’assaillaient à présent. Comment avait-il pu le retrouver ? Le détestait-il ? Etait-il venu ici pour venger sa famille ? Ou plutôt… Leur famille ?

Il eut pourtant bien vite la réponse à sa question, lorsque le jeune léopard se mit à lui parler dans une des nombreuses langues de Nkoiland. Une que par ailleurs, Kwilu ne maîtrisait absolument pas. Pourtant, son sourire suffisait à faire comprendre à Kwilu qu’il n’était pas en danger. Aucune animosité n’émanait de lui. Juste une joie sincère d’avoir retrouvé son oncle.


Oncle, qui se retenait désormais de fondre en larmes en réalisant à quel point ce petit avait grandi. A quel point, lui, Kwilu, il avait été égoïste. Il avait abandonné sa famille et tenté de l’effacer pour laver sa honte et tout ce qu’il avait réussi à gagner, c’est perdre la chance qu’il avait de voir son neveu grandir. Désormais, Iya n’était plus le petit léopard qu’il avait connu. Il avait vécu sans figure paternelle. Tout ça… A cause de lui.


Se sentait-il coupable ? Il croulait sous la tristesse et la colère d’avoir agit en petit léopard capricieux, plutôt qu’en oncle. Pour lui, coupable était un bien faible mot pour décrire comment il se sentait. Mais désormais, il était face à ses erreurs, des larmes de honte coincées dans les yeux. Les crocs serrés, il parvint à articuler quelques bribes de mots :

- Iya… Iya… Je s… Tellement désolé.

Loupé, les larmes sortaient désormais de ses paupières, venant s’écraser sur ses joues. Il avait beau serrer sa mâchoire, il ne parvenait plus à se contrôler, il pleurait piteusement devant son neveu. Qui ne devait absolument pas comprendre ce revirement de situation. Les griffes désormais plantées dans le sol, il dit :

- Je m’en veux tellement… Je t’ai privé de tant de choses… Et je… je n’ai pas privé que toi… Je suis qu’un con.

Il pensait bien évidemment à ses propres enfants, qu’il avait volontairement éloigné de ses origines, pour les protéger, disait-il. Mais finalement, n’était-ce pas pour se protéger lui-même ? Il ne savait plus désormais.

Codage par Libella sur Graphiorum

Si Kwilu se confondait en excuses, il ne parvenait pas à saisir pourquoi son neveu s’entêtait à user d’un langage qu’il ne comprenait tout simplement pas. En effet, Kwilu n’étant que bilingue, il ne pouvait pas comprendre la langue que ne cessait d’utiliser le léopard aux yeux de glace.

Kwilu le laissa donc finir son monologue, le cœur battant. Il se demandait ce que le félin pouvait bien raconter. Nerveux, il laissa sa queue balayer le sol, allant de gauche à droite. Une fois que le mâle eut fini, il reçut enfin une réponse convenable, qui parvint néanmoins à balayer toute sa peine. Le pardon de son neveu l’émut tant qu’il sentit les larmes qui l’avaient quitté un bref instant revenir. Ne parvenant pas à chasser ce flot d’émotions, Kwilu sourit au fils de sa sœur, tout en laissant les larmes qui coulaient sur ses joues s’écraser sur le sol.

Puis, vinrent les questions. Légitimes, méritées, Kwilu savait que cette fois, il ne pouvait y échapper. Non pas qu’il en était ravi, mais il savait qu’une mise au point s’imposait. En effet, Kwilu n’était pas parti simplement à cause d’un « ras-le-bol » de la culture qui l’avait vu naître. Il avait simplement voulu vivre son amour avec Wanda, celle qu’il aimait plus que les mots ne pussent le dire.


- Tu… Tu te souviens des Chafayas, et de la lionne dont je t’avais parlé, Wanda ?

Il allait faire clair et concis, il ne voulait plus tourner autour du pot. Il n’allait pas essayer d’enjoliver les choses, ni noircir le tableau, cela n’aurait en rien arrangé sa situation. Inspirant profondément, il prit la parole, déclarant d’un ton qui trahissait son appréhension :

- Il s’agit de ma compagne. Et de la mère de mes trois enfants. Si je suis parti, c’est parce que je voulais vivre avec elle et… Que… Je pensais que vous n’auriez pas approuvé… J’ai été lâche et j’ai fuis mes responsabilités… Mais j’avais peur. Trop peur. La situation était devenue insupportable pour moi et… J’ai préféré … Je sais pas… Je…

Il ne parvint pas à finir sa phrase, se noyant dans ses propres larmes.

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Iya n’était plus aussi démonstratif, chose que Kwilu pouvait comprendre. S’attendait-il que tout redeviendrait comme avant de manière miraculeuse ? Pas vraiment, pourtant il ne s’attendait pas à une telle expression de neutralité.


-Je me souviens de cette lionne dont tu parlais souvent. Mais je n'aurai jamais imaginé que vous finiriez ensemble. Toute mes félicitations.

Ces félicitations avaient un goût bien amer dans la gueule de Kwilu, qui ne pouvait s’empêcher de les prendre pour une réprimande. Une chose était sûre, s’ils avaient eu un lien très fort à une époque, cette époque était révolue. Kwilu et Iya n’étaient visiblement plus du même monde et bien que cela soit regrettable, Kwilu ne voyait pas comment changer cela.


-Tu as même eu le temps d'avoir trois enfants. Il s'est passé tellement de choses en moins de deux ans...Bon ! Maintenant que je suis là...Je pense qu'il serait peut-être temps de procéder aux présentations...Tu ne crois pas ?

Sur l’instant, Kwilu n’avait pas envie de présenter Iya à qui que ce soit. Il avait honte. Pas honte d’Iya, mais honte de lui-même. Plus encore, il avait l’impression que le présenter n’avait plus aucun sens, maintenant qu’il n’était même plus sûr d’être lié avec ce léopard par autre chose que le sang. Puis il pensa à Minei, son fils qui mourrait d’envie d’en apprendre plus sur ses gênes léopards. Et à Sahaas et Adva, qui méritaient tout autant de savoir.


- Je pense que tu as raison, suis-moi, s’il te plaît.


Et il s’avança jusqu’au repère avant de rugir :

- Wanda ! Les enfants ! Vous pouvez venir s’il vous plaît ?

Il était bien conscient que cette démarche changerait sa vie à jamais, mais il n’avait pas le choix.

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La vue de ses enfants eut le don d’apaiser le rythme cardiaque de Kwilu qui commençait à s’angoisser. La présence de sa compagne le rassurait également. Le plus dur restait cependant à faire, surtout avec Sahaas dans les parages. Cette dernière venait d’arriver avec le reste de sa petite famille en trottinant. Pourtant, contre toute attente, elle demeura calme, inclinant la tête sur le côté en signe d’incompréhension. Kwilu posa alors sa patte sur son poitrail comme pour se masser la gorge en disant :


- Les enfants, ma chérie, je vous présente Iya. Iya, voici respectivement Minei, Sahaas et Adva, et ma compagne Wanda… Et pour finir… Euh…


Il fut pris de vertige un instant, il s’assit donc avant de reprendre :


- Je sais que je n’ai jamais été très bavard concernant la branche Nkoilander de notre famille. Mais… Je ne peux plus mentir. Je ne veux plus mentir, ni vous cacher quoi que ce soit. Wanda, je te présente Iya, mon neveu. Je sais que c’est soudain et que ce n’est pas forcément le moment opportun mais…


Il baissa la tête, il n’était définitivement pas dans une bonne posture. Il allait devoir prier pour que la réaction de sa famille soit propice à un échange positif.

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