Neva…

Le souvenir de mon prénom murmuré par la voix de ma mère résonnait encore dans mes oreilles. Cela n’était qu’un rêve, je le savais bien, mais si je n’avais plus aucune idée de ce dont j’avais rêvé, la voix de ma mère, elle, était encore parfaitement ancrée dans mon esprit.

Bien qu’il ne s’agissait que d’un rêve, la surprise d’entendre cette voix m’appeler m’avait réveillée en sursaut. Cela faisait plusieurs heures maintenant que j’étais réveillée sans avoir pu retrouver le sommeil. La luminosité augmentant à l’extérieur de la grotte où je m’étais endormie, je devinais que le soleil n’allait pas tarder à se montrer et je me résignais donc. Plus de sommeil pour moi aujourd’hui.

Je m’étirais doucement avant de me lever puis je quittais la grotte qui avait abrité ma nuit. Un frisson parcouru mon échine lorsque mes coussinets passèrent de la pierre à la neige encore bien froide due aux températures de la nuit. Cependant, en tant que Nordique, j’y étais habituée et il ne fallut pas longtemps à mes coussinets pour ne plus ressentir le froid mordant qui se dégageait de la poudreuse blanche.

Il était encore assez tôt et je me disais que l’heure était plus que propice pour une partie de chasse. Les proies ne seraient sans doute pas encore très bien réveillées – si elles l’étaient – et la capture était plus que probable malgré les conditions difficile pour une chasse dans les montagnes du Nord.

Toutefois, mon esprit ne serait pas complétement focalisé sur ma chasse tant que je n’aurais pas vu de mes propres yeux que les déserteurs étaient bien sagement là où je les avais vus la veille. Je dirigeais donc mes pas vers le bas de la Vallée Blanche mais tandis que je laissais mon esprit vagabonder tout en observant le paysage, mon regard fut attiré par des traces de pattes.

La colère s’empara tout d’abord de moi et je fulminais déjà en pensant qu’il était hors de question que ces lâches portant sur eux la maladie aient pu croire qu’ils pouvaient s’approcher du clan sans que cela ne se sache. Mais très vite, je remarquais que les traces s’éloignaient du clan et non l’inverse. Ma colère retomba aussi vite qu’elle était montée et c’est intriguée que je continuais ma route.

Il ne me fallut plus longtemps pour arriver près du camp de ces faux nordiques et rapidement, je remarquais la silhouette d’un lion assise sur un rocher. Nous étions peu nombreux au sein des nordiques et les mâles étaient plus rares que les femelles. C’est pourquoi il fut facile d’identifier le félin qui observait assidument les déserteurs.

Dans sa façon de se tenir et vu l’endroit où il avait choisi de se poster, je comprenais qu’il ne souhaitait pas être remarqué de nos anciens camarades. Je fis donc en sorte de ne pas me faire voir moi-même et je m’approchais furtivement de l’observateur. Je me doutais bien que j’allais le surprendre si je ne me manifestais pas et, si tel était le cas, les déserteurs pourraient comprendre qu’ils faisaient l’objet d’une surveillance. Oh, cela ne les changerait sans doute pas car il ne se passait pas une journée depuis leur retour sans qu’ils ne soient surveillés. Cependant, il existait des jours où la surveillance se faisait plus discrète afin de voir s’ils tentaient des rapprochements ou non.

Aujourd’hui était sans doute un jour comme ceux-là et pour ne pas tout gâcher, j’envoyais un peu de neige sur mon camarade de clan dès que je fus à portée. Je profitais aussi d’être assez près de lui pour engager la conversation en murmurant.

Bonjour Teferi. Je suis désolée de te déranger dans ta surveillance mais je voulais faire un point avant d’aller chasser... Y a-t-il quelque chose à signaler à leur sujet aujourd’hui ?

Le dégoût était clairement audible dans ma voix et bien que le temps passait, il ne faiblissait pas et j’étais persuadée qu’il ne faiblirait jamais.

Malgré le fait que je ne souhaitais pas le surprendre, c'est tout de même ce qu'il se passa. Teferi sursauta et je pu clairement voir ses poils se hérisser dès lors qu'il reçu la neige que je lui avais envoyé. A sa place, j'aurai sans doute réagi de la même manière. Qui n'aurait pas cru à une attaque, surtout aussi près du campement des déserteurs. Tout était possible.

Toutefois, lorsqu'il vit que ce n'était que moi, il regagna une attitude pacifiste et tenta de remettre sa crinière en place. Je faisais fi des quelques mèches rebelles qui refusaient de se remettre en ordre et me concentrais sur les paroles qu'il disait.

Bonjour Neva, j’espère que tu te portes bien aujourd’hui. Non rien d’inhabituel à signaler, ils sont toujours fidèles à eux mêmes mais ce n’est pas pour autant que je leur fais confiance.

Voilà des mots que je ne pouvais qu'approuver et c'est ce que montrait ma tête qui bougea en un signe d'acquiescement. D'autant que j'entendais aussi clairement dans sa voix le même dégout qui pouvait transparaitre dans la mienne lorsque je parlais de ces faux nordiques.

J’espère qu’ils comprendront bientôt qu’on ne les veut plus dans nos montagnes et qu’ils finiront par dégager. Mais vu comme ils sont coriaces, j’imagine qu’ils tenteront de nouveau une approche dans le futur …

Si seulement la première partie de ce qu'il venait de dire pouvait se produire... Mais malheureusement, ils étaient têtus comme il le disait si bien.

Qu'ils essaient, ils me trouveront toujours sur leur chemin pour les empêcher d'approcher. Ils ont pris la décision de partir quand il n'y avait plus assez de proies... Ce n'est pas en revenant la bouche en cœur quand ça va mieux que l'on va les accueillir à pattes ouvertes. Qu'ils assument leur décision.

Et quand bien même j'étais ailleurs lorsqu'ils tenteraient leur prochain coup, je ne doutais pas qu'il y aurait d'autres véritables nordiques pour se placer en travers de leur route. Takahé en premier lieu, Teferi aussi apparemment et je ne doutais pas qu'il y en aurait d'autres.

Si seulement ils pouvaient t'entendre et repartir d'où ils viennent... Je me demande comment ils ont pu croire ne serait-ce qu'un instant qu'ils seraient accueillis chaleureusement après ce que l'on a vécu. Qu'est ce qui leur est passé par la tête ce jour-là ?

Bien que je ne pourrais sans doute jamais comprendre, je me posais tout de même la question. Certes, ils ne devaient pas savoir ce que l'on avait dû traverser en... mangeant - un frisson me parcouru l'échine à cette simple pensée - la chaire de nos morts mais tout de même. Ils nous avaient côtoyés pendant un temps alors ils auraient pu se douter de ce qui les attendaient...

Aucun mot ne suivi ceux que j'avais prononcés mais je voyais bien à l'expression de Teferi qu'il était en accord avec moi. Comme je le pensais, en plus de Takahé de qui je connaissais déjà les pensées, mon interlocuteur faisait partie de ceux qui n'éprouvait rien de positif envers les lâches qui se trouvaient à plusieurs mètres de nous. En même temps, qui pouvait bien être enclin à les accepter de nouveau parmi nous après ce qu'ils avaient osés faire. C'était impensable !

Toi ou moi, nous serons présents pour leur barrer la route !

Je ne pouvais qu'acquiescer face à ses paroles puisque j'étais on ne peut plus d'accord avec lui. Et heureusement, j'étais certaine que nous serions plus que deux à leur barrer la route si cela était nécessaire.

Je laissais néanmoins ce sujet de côté, me demandant plutôt à haute voix ce qui avait pu leur passer par la tête en pensant qu'ils pourraient revenir la bouche en coeur et qu'on les accepterait comme ça en dépit de tout ce que nous avions vécus.

Tout comme le frisson qui parcouru mon échine, je pu remarquer que le regard de Teferi se voilât. Je ne souhaitais pas revenir là-dessus car je ne savais que trop bien - ou en tout cas, je l'imaginais par rapport à ma propre expérience - ce que l'on avait dû faire et, s'il était comme moi, il était préférable que ce temps sombre de notre passé reste dans le passé. Aussi, je faisais fi de sa réaction pour me concentrer sur ses paroles.

Aucune idée. Les Nokosis ont su semer le trouble au sein de la bande. En des périodes troubles, c'est facile de se laisser influencer et manipuler par des êtres peu scrupuleux, le désespoir pousse à bien des choses farfelues...

Ma question avait beau n'être que rhétorique, Teferi venait pourtant d'y répondre. Son analyse était judicieuse et je ne pouvais nier qu'avec l'antipathie que j'avais pour ce groupe de lions, il n'était pas difficile de me faire adhérer à cette idée.

L'idée que plusieurs lions prennent les décisions pour le groupe n'était pas si mal mais je ne comprend toujours pas pourquoi il a fallu mettre en terme à la royauté pour cela. Un Roi ou une Reine peut très bien avoir des conseillers avec qui débattre sur certains sujets mais notre territoire ne s'appelle pas le "Royaume du Nord" pour rien... Les Nordiques ont toujours connu un système monarchique et dès lors que cela a changé, nous avons commencé à souffrir. Je sais que la lignée royale est éteinte mais... Enfin, je pense que maintenant que nous avons la chance d'aller mieux, peut-être faudrait-il contenter nos ancêtres en retrouvant une tête couronnée.

Je ne parlais que peu souvent de mes convictions politiques mais le moment s'y prêtais et j'étais intriguée de savoir ce qu'en pensait Teferi.

Mon cadet de quelques mois s'était assis tandis que j'évoquais mes pensées en matière de politique. Je ne connaissais pas beaucoup l'avis d'autres Nordiques à ce sujet. Seuls ceux de Takahé et de Wakiza, deux de mes amis, m'étaient connus. Et tous les deux pensaient la même chose que moi. J'étais donc curieuse de savoir si l'opinion de Teferi rejoignait la notre ou si elle était toute autre.

Je suis d’accord. Un Roi doit être à l’écoute de son peuple, et l’aide de Conseillers qui peuvent plus facilement récolter les opinions et les retours des sujets, permet au monarque d’avoir un panel plus large d’avis sur ses mesures. Et puis maintenant que le groupe a vécu en partageant les responsabilités du groupe, je verrai mal tout le monde accepter d’être dirigé par un lion unique. Pour moi, le leader serait d’avantage un symbole pour les Nordiques qu’une figure d’autorité absolue, il représenterait tout ce en quoi nous croyons. Mais les décisions seraient prises à plusieurs quand c’est possible. Je ne sais pas, tout ça est peut-être trop compliqué voir même un peu ridicule.

J'opinais du chef à la fin des ses phrases. Il était bon d'avoir un autre avis et ce que disait Teferi n'était en rien compliqué ni ridicule et c'est ce que je lui fis savoir.

Je ne vois pas ce qu'il y a de compliqué ou ridicule dans ce que tu dis. Je connais au moins une autre personne que moi qui pense que le prochain monarque, si nous en arrivons là, ne sera pas seul décisionnaire. Nous avons en effet vécu sans leader depuis la fuite des Nokosis et nous nous en sommes plutôt bien sortis. De fait, j'imagine que certains d'entre nous n'accorderont pas une confiance aveugle dans cette figure d'autorité. C'est pourquoi je pense qu'il faudrait instaurer un système dans lequel le Roi et ses conseillers seraient amenés à prendre les décisions en votant, sans que la voix du souverain ne pèse plus que celles de ses conseillers. Il y aura un nombre pair de conseillers pour éviter les égalités aux votes mais enfin, voilà... Je pense qu'une monarchie dans le sens strict du terme doive être mise en place, non. Quelques modifications doivent être apportées afin que notre système soit des plus efficaces.

Mes paroles semblaient être fortes de convictions et c'était le cas. J'avais passé de nombreuses nuits à en discuter avec mon ami Wakiza et c'était de ces discussions qu'étaient ressorties toutes ces choses que j'avais dites à Teferi.

Enfin, tout ceci n'était pour l'instant qu'à l'état de simple discussion entre membres du clan et il faudrait en convaincre plus d'un avant qu'un tel système ne soit mis en place. De plus, il fallait encore trouver la bonne personne à couronner et de ce côté là, rien n'était gagné...

Tandis que je parlais sans détours de ce que je pensais du prochain système politique à mettre en place, Teferi acquiesçait de temps à autre, prouvant une fois encore que nous étions sur la même longueur d'onde. Mes paroles s'éteignirent dans le silence environnant et quelques secondes s'écoulèrent avant que mon camarade de clan ne reprenne la parole.

Je me demande dans combien de temps les lions du clan commencerons à parler comme nous du prochain système politique ? J'ai l'impression que chacun est plutôt content à vivre en prenant des décisions plus ou moins collectives ou individuelles, mais tôt ou tard un évènement nous forcera à prendre une décision pour le groupe et cela s’avérera difficile si personne n’est là pour trancher. Enfin bon je digresse. Qu’as-tu prévu de faire aujourd’hui Neva, programme chargé ?

J'étais étonnée par le changement soudain de sujet de conversation mais cela ne me dérangeais guère. Toutefois, avant d'enchainer sur ce nouveau sujet, je commençais par conclure l'ancien.

Je pense qu'ils en parlent entre proches mais qu'ils n'osent pas en parler ouvertement. Honnêtement, je ne pensais pas parler de ça avec toi quand je t'ai abordé tout à l'heure, c'est venu tout seul au fil de la discussion... Peut être faudrait-il que l'on commence à en parler autour de nous plutôt que d'attendre qu'un évènement ne nous force à réagir. J'avoue que j'en ai un peu marre d'être devant le fait accompli, je préfèrerais que nous soyons prêts pour une fois...

Enfin, je secouais la tête pour chasser ce sujet un peu morose et abordais un sourire plus joyeux.

Je ne dirais pas chargée, non. J'avais l'intention d'aller chasser donc selon le temps que ça me prendrait, je n'ai pas vraiment prévu grand chose derrière si ce n'est discuter avec Wakiza sans doute, comme tous les soirs. Et de ton côté, quelque chose de prévu à part les surveiller ?

Je désignais alors de la tête le groupe de déserteurs qui n'avaient pas bougés avant de reposer mon regard bleu-violet sur Teferi dans l'attente de sa réponse.

Teferi était attentif à la description que je faisais de ma journée prévisionnelle. Lorsque je lui demandais à mon tour ce qu'il avait prévu, la réponse ne se fit pas attendre.

Pour être honnête, j'organise rarement mes journées. J'avais prévu de rester là à observer les déserteurs quelques temps et qui sait, peut-être que j'irai voir si on a besoin de moi quelque part et je pourrai donner un coup de patte par-ci, par-là.

Ce n'était pas si mal comme programme, au moins avait il prévu quelque chose plutôt que de rester allongé à attendre que le temps passe. De plus, surveiller ces parias était une noble tâche. Je l'aurais fait également si je ne devais pas aller chasser. Je n'allais donc certainement pas être celle qui critiquerait le choix de journée de Teferi.

Je ne veux pas te retenir trop longtemps si tu es occupée, va chasser, je veille à ce que les déserteurs ne bougent pas de là.

J'approuvais ces paroles et murmurais une dernière réponse avant d'entreprendre de le laisser.

Merci de veiller à la sécurité du clan. Je vais y aller mais je te promet de repasser tout à l'heure... avec une proie ou non, terminais-je dans un sourire.

J'étais plutôt bonne chasseuse mais je n'excluait pas que celle que je m'apprêtais à faire soit infructueuse. Cela avait souvent été le cas avant que les proies ne reviennent. J'y étais donc habituée et chaque chasse réussi me procurait un sentiment de tâche accomplie que j'appréciais particulièrement.

Sur un dernier signe de tête, je me tournais silencieusement et quittais notre zone d'observation. J'empruntais en sens inverse le chemin que j'avais pris pour arriver en ces lieux avant de mettre mes sens en alerte. Je marchais ainsi pendant quelques minutes avant de tomber sur une piste plutôt fraiche : la chasse commençait.