Aujourd'hui, c'est avec une idée bien précise en tête que j'arpentais le territoire des Chafayas. Oh, non pas que cela ne m'arrivait pas habituellement mais ce que j'avais en tête aujourd'hui n'était pas de jouer avec Lenora ou de trouver un tour à jouer à Usiku.

Mon petit frère était né il y a quelques mois et même si je ne le détestais pas, je ne pouvais pas dire que j'étais ravie de sa venue au monde. Ma jumelle ne l'était pas non plus d'ailleurs. Enfin, heureusement pour lui, il était seul et c'était un mâle. Je n'avais qu'une soeur et je n'en voulais pas d'autre alors Usiku avait au moins ce point de positif. S'il avait été une fille... Jamais nous ne l'aurions accepté Lenora et moi et nous lui en aurions fait voir de toutes les couleurs !

Enfin, on s'amusait quand même pas mal avec Usiku. Ou plutôt, Lenora et moi nous amusions pas mal. Aux dépends de notre frère, évidemment. Oh, cela n'avait rien de bien méchants. Juste quelques petites farces.

Mais bon, ce n'était pas mon petit frère que je cherchais aujourd'hui. Il s'agissait bien d'un membre de ma famille - en même temps, quel Chafayas n'était pas un membre de ma famille ? - et c'est son pelage caractéristique que je recherchais. Il n'était pas bien difficile à trouver car parmi cette majorité de pelages rougeoyants, le sien était quasiment unique.

Au bout d'un moment, je l'apercevais enfin et c'est d'un pas plus rapide et presque sautillant que je la rejoignais.

Salut Tata Wanda ! Comment ça va ?

J'avais appris à me mouvoir parmi cet environnement et il était facile pour moi de ne pas faire de bruit quand j'approchais alors j'espérais ne pas surprendre ma tante et que je n'avais pas fait rater une possible chasse, ce serait vraiment dommage vu ce que je comptais lui demander...

Ma tante aux couleurs brunes-dorées ne sursauta pas lorsque je l'interpellais et je me sentais soulagée. Au moins, je ne l'avais pas surprise et je n'avais rien fait rater.

Coucou ! Et bien écoute ça va ! Et toi ? Quoi de neuf à raconter ?

Je souriais à ma tante, contente qu'elle aille bien. A mesure que je grandissait, je comprenais et remarquais certaines choses, comme l'attitude de Sagira. Je ne savais pas vraiment pourquoi elle ne semblait pas l'apprécier - d'autant que tata Wanda était vraiment géniale - mais je voyais bien les regards qu'elle lui lançait. C'était un peu comme ça que je regardais mon petit frère au début… Enfin, elle allait bien et c'était ce qui comptait.

Ca va aussi, même si papa me manque déjà… Enfin, je sais que ça ne va pas durer longtemps mais c'est bizarre d'être séparée de lui.

Papa était parti sur Prideland avec d'autres freelanders et tonton Kama pour accompagner les pridelanders chez eux et faire après le procès des hyènes. Il nous avait dit qu'il serait absent un moment et même si j'avais déjà passé quelques jours loin de lui lorsque j'allais au Repère, je savais quand je rentrerais et que je le reverrais. Là, c'était différent parce qu'il avait dit "un moment" et un moment, ce n'était pas vraiment une durée définie…

Mais bon, t'inquiète pas, hein. Avec Lenora, on lui a promis d'être gentille avec Usiku et de prendre soin de lui et de maman. Et j'ai bien l'intention d'y arriver alors pas le temps d'être triste !

Mon regard brillait d'une détermination sans faille. J'étais bien décidé à tenir cette promesse et pour ça, j'avais besoin de l'aide de ma tante.

D'ailleurs, c'est un peu pour ça que je viens te voir. Papa veut que je prenne soin d'eux mais je veux faire plus que de les surveiller. J'aimerais me sentir plus utile que ça alors j'ai pensé à un truc qui pourrait aider.. Tu veux bien m'apprendre à chasser ?

Maman m'avait déjà expliqué les bases et si elle nous avait promis à ma jumelle et moi qu'elle nous emmènerait pour qu'on observe comment elle faisait, elle n'avait pas encore pu le faire parce qu'il y avait eu Usiku. J'étais presque une adolescente alors je devrais pouvoir réussir à attraper quelques petites proies mais encore fallait-il apprendre la pratique et tata Wanda était l'une des meilleures chasseuses des Chafayas alors il m'avait semblé tout à fait logique de le lui demander à elle et pas à quelqu'un d'autre.

Alors que je venais juste d'annoncer mon souhait à ma tante, la réaction de cette dernière ne se fit pas attendre. Un sourire plus franc étira ses babines pendant que l'une de ses pattes avant venait se poser doucement sur ma tête dans un geste de tendresse.

Tu veux apprendre à chasser ? Vraiment ? Mais dis-moi Sikhà... D'où te viens cette idée ?

Je m'étais attendue à avoir un oui ou un non mais je n'avais pas prévu ce genre de question. Pourquoi je voulais apprendre à chasser ? C'était une bonne question et même si je ne me l'étais pas posée avant de venir, la réponse était plus qu'évidente pour moi. C'est pourquoi je ne mis pas longtemps avant de répondre à la plus jeune des sœurs de papa.

Et bien, papa veut que l'on prenne soin de maman et Usiku. Je peux les surveiller comme je le lui ai promis mais je veux faire plus que ça. Je veux aider et me sentir utile donc je me suis dit que la rapporter quelques proies était un bon début. Et puis, même si je ne suis pas très douée au début, j'ai bien l'intention de persévérer et de progresser pour pouvoir réussir et décharger un peu maman de cette responsabilité.

L'aube de l'adolescence se faisait bel et bien sentir à ce moment précis car il y avait encore quelques mois de ça, jamais je ne m'aurais imaginé parler de la sorte et être aussi déterminée à réussir cet objectif que je m'étais fixé. Et puis si j'y parvenais, il y avait d'autres personnes à qui cela serait profitable. Cette réflexion venait de m'arriver et je la partageais immédiatement avec ma tante.

Et aussi, si je ne suis pas trop catastrophique dans ce domaine, je pourrais chasser pour le clan. Une chasseuse en plus, ça ne pourra pas faire de mal, non ? Qu'est ce que tu en dis ?

J'ignorais si ma tante au pelage doré accepterait ma requête mais ce qui était certain c'était que même si elle disait non, je ne comptais pas abandonner et j'apprendrai seule s'il le fallait.

J'avais exposé mes raisons à ma tante avant de lui demander son avis sur le fait qu'une chasseuse de plus pouvait être bénéfique pour le clan, d'autant qu'il y avait plus de bouches à nourrir qu'au début de notre installation avec les naissances de Kohana et Usiku. Celle-ci mit du temps à me répondre. De longues secondes qui me paraissait interminables et qui me faisait me dire qu'à ce moment précis, j'aurais adoré savoir lire les pensées des autres pour savoir ce qu'il se passait dans l'esprit de ma tante.

Lentement, elle souleva sa patte qui était restée sur mon crâne avant de la reposer au sol. Elle rouvrit ensuite ses yeux - qu'elle avait fermés durant les longues secondes précédentes - pour les poser sur moi et me fixer intensément. Je ne cillais pas devant son regard, désireuse de lui montrer que je ne céderai pas et que j'avais bien l'intention d'apprendre à chasser.

Je vois...Ton objectif est noble. Pour être honnête, j'ai encore beaucoup de choses à apprendre de mon côté. Néanmoins, t'apprendre quelques trucs tout simple ne me dérange pas. Mais dis-moi...Tu es vraiment sûr de toi ? Devenir chasseuse, n'est pourtant pas une mince affaire.

Un immense sourire satisfait étira mes babines devant cette réponse tant attendue. Elle avait dit oui ! J'aurais bien sauter sur place avant de me jeter sur elle pour la remercier mais ce n'était pas là l'attitude à avoir pour quelqu'un qui se voulait sérieuse dans sa demande. Je me contentais donc de répondre à sa question, mon sourire toujours fixé sur mon visage.

Je suis sûre de moi, tata. Tu pourrais me reposer la question tous les jours pendant un mois ou plus que je te répondrais toujours oui. Je veux vraiment aider ma mère et rendre mon père fier de moi en aidant le clan comme lui l'a toujours fait lorsque c'était possible.

Je me tus alors, ne quittant toujours pas le regard de ma tante aux couleurs du soleil. J'avais hâte de commencer l'entraînement et d'apprendre quelques trucs simples comme elle l'avait dit elle-même. J'avais hâte oui, mais la chasse était une affaire de patience, ça je le savais bien, et c'est pourquoi je me contenais et la laissait prendre les choses en pattes plutôt que de lui demander quand est-ce que nous commencerions. De ce fait, j'espérais lui prouver qu'elle ne perdrait pas son temps avec moi et qu'elle pouvait m'enseigner les bases de la chasse.

Le silence s'installait après que j'ai pris la parole pour affirmer à ma tante que j'étais bel et bien déterminée à réussir dans mon entreprise. Il était là mais pourtant, il n'était absolument pas pesant. Ma tante me détaillait et alors que je laissais mon regard dévier sur son propre corps, je remarquais à quel point je l'avais rattrapée en terme de taille. Je n'avais pas noté cela jusqu'à présent, étant le plus clair de mon temps avec ma sœur ou mon petit frère. Le gain de taille que j'avais eu ne m'était pas apparu jusqu'alors mais maintenant que c'était le cas, je voyais à quel point la toute jeune Sikhà était loin maintenant.

Sur cette pensée, ma tante aux origines du Soleil semblait avoir fini de peser le pour et le contre et le regard qu'elle posa sur moi m'indiqua ce qu'elle pensait avant même qu'elle ne brise le silence.

Compte tenu de mon manque d'expérience, je ne peux malheureusement rien t'apprendre d'extraordinaire. Néanmoins, rien ne m'empêche de commencer par certaines choses que je qualifierai d'essentielles. Par conséquent, je te propose de travailler l'endurance.

C'est avec un sourire que j'avais commencé à écouter ses paroles mais il s'était vite dissipé lorsqu'elle avait dit qu'elle ne pourrait rien m'apprendre d'extraordinaire. J'avais alors rapidement pensé que c'était dommage de ne pas pouvoir apprendre à ses côtés mais elle avait balayé cette pensée aussi vite qu'elle était venue en continuant et en me disant qu'elle pouvait tout de même se concentrer sur des choses essentielles comme l'endurance.

Je n'avais rien contre l'idée, n'ayant pas d'aversion pour la course. Je courais depuis toute jeune, autant pour échapper aux parents quand Lenora m'embarquait dans ses aventures ou justement lors de mes jeux avec elle. Je me demandais cependant comment elle comptait me faire travailler ça et c'est donc ce que je lui demandais.

Ça me va, travaillons mon endurance ! Mais je t'avoue que je ne vois pas très bien comment faire... Tu veux que je cours le plus longtemps possible ou on fait autrement ?

Je n'avais aucune idée de comment faire ça et je ne voyais pas tellement de solution. Les lionnes qui souhaitaient devenir chasseuse comme moi devaient-elles elles aussi travailler leur endurance avant de se mettre en situation et de chasser des proies ou était-ce justement en chassant qu'elles travaillaient leur endurance ?

Tu as fait comment toi quand tu as commencé tes entraînements ? Et d'ailleurs, qui t'a enseigné tout ce que tu sais ? C'était la Reine Awena ? Et maintenant, qui continue à t'apprendre ? D'après papa, tu t'améliores donc tu as forcément quelqu'un qui t'aide, non ? Si c'est le cas, tu crois que je pourrais le rencontrer ?

J'avais pensé à voix haute et mes questions s'étaient échappées de ma bouche avant que je ne les retiennent, comme j'en avais l'habitude depuis l'enfance. Chasser le naturel et il revient au galop disait-on. Je m'en rendais compte et j'offris un sourire penaud à ma tante.

Désolée... Tu n'es pas obligée de répondre si tu ne veux pas. J'ai encore parfois du mal à me retenir de poser toutes les questions qui me passent par la tête.

Je ne l'obligeais pas à me répondre comme je le lui avais dit mais je devais bien avouer que j'avais envie qu'elle assouvisse ma curiosité.

Et voilà, je le savais. Mes questions semblaient avoir gênées ma tante car celle-ci baissa rapidement les yeux. Qu'est-ce que je pouvais être sotte, il fallait vraiment que j'apprenne à maîtriser ma curiosité et le flux de questions que je posais.

Même si je m'étais excusée, je voyais bien que je l'avais mise dans un état de trouble et si je l'avais pu, je me serais tapé le front avec ma patte. Cependant, elle me répondit quand même et j'osais espérer qu'elle ne m'en tiendrait pas rigueur.

Mes premières séances d'entraînements dédiées à la chasse furent dans un tout premier temps, supervisées par ta tante Kira. Il y a maintenant plusieurs mois, j'ai fais la rencontre d'un léopard qui, dans sa grande bonté, a accepté de me prendre son sous aile pour travailler la furtivité.

Un léopard ! Waow, ça c'était vraiment génial ! J'adorais faire des rencontres avec d'autres animaux et savoir que ma tante connaissait un léopard avait de quoi me faire envie. J'adorerais moi aussi pouvoir en rencontrer un mais je ne savais pas où cela pourrait se faire. Cela dit, je savais maintenant qu'il y en avait au moins un pas très loin et je notais ça dans un coin de ma tête en me disant de me mettre à sa recherche dans les prochains jours.

Travailler ton endurance ? C'est très simple ! Je penchais légèrement la tête sur le côté avant de la voir se lever puis sautiller doucement pour enfin trottiner autour de moi. Je la suivais du regard et ne manquait pas le signe qu'elle me fit pour m'inviter à la suivre. Les montagnes humides représentent un espace dans lequel nous sommes dans l'obligation de gérer les montés et les descentes. C'est important lorsque l'on ne veut pas se faire distancer par une proie !

Une proie ou même une sœur, pensais-je. Même si on grandissait, Lenora ne perdait pas sa flamme qui faisait qu'elle ne tenait pas en place. Et comme nous étions extrêmement proches, elle pensait à m'embarquer dans la quasi totalité de ses aventures. Et comme j'étais plus ronde qu'elle dans notre jeunesse et qu'en plus je n'avais pas son goût pour l'aventure, j'avais déjà, malgré moi, commencé à travailler mon endurance depuis longtemps et sans m'en rendre compte.

Je me levais donc et me mis à mon tour à trottiner pour rattraper ma tante. J'allongeais les foulées pour me porter à sa hauteur avant de calquer mon rythme sur le sien. Je ne savais pas combien de temps elle avait l'intention de me faire courir ni la direction qu'elle allait me faire prendre alors je la laissais prendre les choses en pattes. Et j'étais certaine d'une chose : j'allais la suivre jusqu'à ce que mes muscles me brûlent et que j'arrive au bout de mes forces. Hors de question de m'arrêter avant !

Ma tante ne disait plus un mot et se concentrait sur sa course. Bonne élève, j'en fis de même, sachant que si je parlais, cela puiserait de l'énergie que je n'aurais plus pour courir. Et en plus, cela gênerait ma respiration et me causerait sans aucun doute un point de côté, m'empêchant de montrer tout ce dont j'étais capable.

Je restais donc silencieuse mais restais attentive à tout ce que ma tante me montrait. Que ce soit dans la façon de se tenir ou même de poser ses pattes.

Lorsqu'une montée se présenta, ma tante me distança quelque peu. Je ne cherchais pas à la rattraper car je pensais que si je modifiais mon rythme de course, je ne ferais pas long feu avant de m'écrouler, épuisée.

*****

Ma respiration était sifflante depuis déjà plusieurs minutes mais je me refusait à arrêter. Mes muscles me brulaient et j'avais l'impression que j'avais des bûches brulantes à la place des pattes. C'était très difficile de continuer et je me faisais de plus en plus distancer par ma tante.

Je ne savais pas combien de temps j'avais réussi à tenir mais je devais me rendre à l'évidence : je n'en pouvais plus. Et plutôt que de continuer jusqu'à me blesser, je préférer admettre qu'il était temps de s'arrêter. Après tout, reconnaitre ses limites était un bon point, non ?

Tante... Wanda ? Peut-on... s'arrêter... s'il te plait ?

J'étais parvenue à m'exprimer mais avec une très grande difficulté. Je n'en pouvais vraiment plus et même si j'aurais voulu attendre sa réponse, je ralenti progressivement l'allure avant de m'arrêter totalement. Ma respiration était tellement saccadée que je n'arrivais pas à prendre une grande bouffée d'air sans tousser au point d'avoir l'impression que je cracherais mes poumons l'instant suivant.

Plusieurs minutes passèrent avant que je ne retrouve un rythme cardiaque normal mais pour ce qui était de mes muscles, je savais que j'allais en baver le lendemain. J'ignorais si ma tante m'avait parlé depuis mon arrêt mais j'espérais que non car je n'avais absolument rien entendu. Je plantais donc mon regard ambré dans ses prunelles bleutées en quête d'explication sur ce que l'on venait de faire.