Masika quitta le Repère des Lions, non sans avoir donné des consignes à son fils, Kenan : celles de surveiller les faits et gestes de sa sœur en son absence. En ce moment, elle lui semblait flirter un peu trop sérieusement avec un jeune adolescent du clan … Kalamu, c'est ça ? Le vieux mâle tardait encore à accepter ce nouvel ami dans le cercle d'amis de sa fille. Mais soit ! Aujourd'hui était un jour particulier pour lui. Et puis, son fils veillait sur sa sœur.
Se promenant non loin des frontières de Prideland, le Freelander guettait, discrètement, le cœur battant et une lueur impatiente dans le regard, l'arrivée d'une silhouette dorée dans son champ de vision. Il essayait de penser à autre chose, s'intéressant aux paysages, aux promeneurs qui le saluaient, à ce Kalamu en compagnie de Kenan et Malika. Hélas, il avait beau dire mais le visage rayonnant de sa chère amie, Awena, lui hantait l'âme. La reine de Prideland était censée lui rendre visite aujourd'hui. Aussi étonnant que cela puisse paraître, le fils de Kamba avait hâte d'engager la conversation avec elle. Elle était un peu le rayon de soleil de sa vie, celle qui lui galvanisait l'esprit en ces temps si moroses qu'il traversait. Il voyait le monde changer autour de lui tandis que son corps lâchait, lentement mais sûrement, la cadence sur sa propre vie. Awena était intéressante, rieuse, amusante, intelligente et surtout merveilleusement belle. Il n'y avait pas plus motivant que sa propre personne. Puis, ils se voyaient régulièrement. Depuis qu'il lui avait fait visiter son royaume, ils ne s'étaient plus tellement lâchés depuis. Etait-ce une bonne nouvelle pour son cœur si torturé ?

Finalement, son cœur s'agita quelque peu lorsqu'il distingua une fourrure dorée près des frontières. Il s'approcha, pressant légèrement le pas. Son cœur bondit. Ses prunelles vertes s'écarquillèrent. Il croisa le regard bleuté mais pas moins délicieux de la jeune princesse au pelage d'or. Celle-ci se rendit compte de sa présence assez rapidement et se leva d'un bond, s'empressant de lui lancer :

« Bonjour, Masika ! Comment allez- ... Comment vas-tu ? »

Il s'arrêta devant la frontière, devant elle. Un sourire apparut sur ses babines tandis qu'il l'examinait rapidement, se demandant s'il y avait quelque chose qui méritait attention chez elle – hormis son joli sourire et ses yeux bleus captivants – mais il ne trouva rien. Tant mieux ! Il lui répondit, sur un ton chaleureux.

« Bonjour, Awena. Je vais bien et toi ? Je me hâtais de te retrouver. »

Cet aveu sortit tout seul de sa bouche. Il s'en rendit compte, mais au lieu de balbutier bêtement, toussota légèrement, l'air un peu gêné.

« Alors, euh … Du nouveau dans ton royaume ? Ton minois m'a l'air pimpant. C'est nos retrouvailles qui te rendent si euphorique ? »

Masika se demandait si ces questions ne lui sembleraient pas suspectes. En sa compagnie, il perdait un peu patte. Il observait ses yeux bleus. Comment pouvait-il faire deux choses à la fois, surtout à son âge ?
Elle avait l'air plutôt joyeuse. C'était bon signe. Le bonheur de la lionne, qui était désormais considérée comme une sorte de protégée pour le vieux Freelander, lui réchauffait agréablement le cœur. Il avait peur qu'un seul mot, de sa part, puisse briser tout cela. Il s'en voudrait à vie s'il y parvenait.

La reine cligna les yeux, visiblement étonnée de savoir son ami si impatient de la revoir. Masika réprima un petit rire nerveux : sa remarque allait-elle causer un certain malaise dans leur conversation ? Il ne l'espérait pas. Mais Awena n'était pas censée savoir qu'il l'affectionnait tout particulièrement. Elle devait certainement le voir comme un ancêtre mature et dénué d'arrières pensées. De toute manière, la femelle dorée s'avérait jeune et lui vieux ; c'était inutile d'espérer davantage que de l'amitié entre eux. Les différences qui les séparaient rendraient toute potentielle romance impossible à réaliser. En revanche, lorsqu'il lui demanda si c'était leurs retrouvailles qui la rendaient aussi euphorique, elle hocha soigneusement la tête. Cette réponse provoqua un léger sourire soulagé sur les babines du mâle chocolat. Alors comme ça il continuait de faire du bien aux gens malgré son âge vieillissant. Qui l'aurait cru ?

« Bien entendu, tu comptes beaucoup pour moi ... Tu es un des meilleurs amis que j'ai pu avoir. » asséna-t-elle.

Masika écarquilla légèrement les yeux. Son meilleur ami ? Il se serait plutôt imaginé précepteur, confident … mais meilleur ami ? Il ne savait s'il devait en rire ou non. Ça le renvoyait un peu à sa jeunesse, avec les meilleurs amis, les petites copines, tout ça … bien qu'il ne se trouvât pas du tout jeune à cet instant précis. Au contraire. Au moins, il avait désormais la certitude que la princesse du Soleil l'estimait énormément. Sur un ton doux, elle enchaîna :

« Le royaume bouge, tous semblent en pleine forme ... Et grâce à Chayà et Tan Diel, ma majordome et mon bras-droit, on arrivera enfin à avancer et à laisser le passé derrière. »

Par rapport au pacte d'Ahva et de Soto ? Oui. Il était assez content d'apprendre que les temps s'arrangeaient sur Prideland malgré la bourde de la sœur d'Awena. Il ne savait pas qui était Chayà et Tan Diel, mais ils devaient être très précieux aux yeux d'Awena pour qu'elle lui en parle de la sorte. Masika lui aurait bien dit de les garder précieusement contre elle, mais elle le dissuada, pour l'instant, de le lui dire, puisqu'elle continua aussitôt :

« Mais, j'ai l'impression que ma sœur s'en veut. Elle est bien plus attristée que d'habitude et m'évite de plus en plus. Après ... Elle part souvent, sûrement pour sortir de Prideland, et je la comprends. »

Hmm … Il pouvait comprendre la peine d'Ahva mais … si elle se sentait aussi coupable, pourquoi n'essayait-elle pas justement de se rapprocher davantage de sa famille et de son peuple afin de les aider à réparer ses erreurs ? Masika se voyait bien proposer à Awena d'aller trouver sa sœur et lui proposer de se racheter … ce pourrait être bénéfique pour les deux partis. Et elle se sentirait moins coupable, et moins forcée à s'isoler.

« Enfin ! J'espère qu'elle se remettra vite, j'aimerais bien que tu la rencontre un jour ... Tu verras, elle est merveilleuse ! Oh d'ailleurs, comment va ton clan ? » s'enquit la femelle dorée, un sourire sur les babines.
« Oh, je … oui. Certainement. J'aimerais bien voir à quoi ressemblent Chayà et Tan Diel. Ils ont l'air d'être des sujets admirables. Garde-les à tes côtés le plus longtemps possible. Je suis content de voir que ton royaume retrouve le sourire. Le tien est déjà rayonnant ... » déclara-t-il, avant d'exprimer un rire amusé. Intérieurement, il pensait sincèrement son compliment mais préféra laisser planer le doute sur Awena. « Si ta sœur s'en veut autant que ça … pourquoi ne lui proposerais-tu donc pas de s'acquitter de ses méfaits en travaillant d'arrache-patte pour le peuple ? Ça ne changera rien à ce qui a été fait par le passé mais … au moins, ce geste partirait d'une bonne intention de se racheter. » puis il sourit amicalement et émit un léger soupir ennuyé : « Mon clan va plutôt bien. Kenan et Malika continuent de s'affirmer, Naba également – malgré le déclin lent d'Haki. Savoir Naba sur le trône ne m'inquiète pas. En revanche … Il s'avère qu'il a pris pour compagne Sumu, la fille de Sharkan. Et les rumeurs disent qu'elle attend ses enfants. Ça par contre, ça m'effraie. Enfin, cette petite ne fait rien de mal parmi nous mais … tu connais mon passé, Awena. Qu'il est dur de ne pas voir en certains les reflets de nos ennemis. »

Il ne fallait pas juger les gens à cause de leur héritage familial. Il connaissait la chanson. Mais bien qu'il ne voulût aucun mal à Sumu, ses craintes persistaient – quoi de plus normal pour un lion se sentant impliqué dans la vie de son protégé. Plusieurs questions se bousculaient dans son crâne, à la manière de celles d'un père s'inquiétant pour sa progéniture. Il avait déjà perdu Kama dans des circonstances qui auraient pu être évitées … il ne voulait pas perdre Naba de la même façon. Il était désormais le seul fils d'Haki, et Masika se sentait dans le besoin de veiller sur lui. Alors Sumu ne serait pas épargnée par sa méfiance, surtout que ses origines ne l'aidaient pas tant que cela à la base. Et si ce n'était pas la bonne ? Et si elle faisait souffrir son protégé ? Et si elle profitait de son statut de reine pour faire souffrir le peuple ? Tant de possibilités qui entraînaient méfiance et inquiétudes chez le vieux lion dont le surplus d'angoisse pourrait entraîner la perte.
Face au compliment du mâle, Awena baissa un peu la tête, comme si elle avait l'air gênée. Ce sentiment devait-il rendre Masika mal-à-l'aise ? Ou l'attendrir de par la pudeur dont faisait preuve sa nouvelle protégée ? Elle émit son avis quant au cas de sa sœur.

« C'est compliqué ... J'ai peur de réveiller de vieilles cicatrices et de lui mettre ça sur le dos inconsciemment, alors qu'elle n'est pas la seule fautive dans l'histoire. Tu comprends, c'est un sujet délicat, alors j'essaie de me racheter pour nous deux. »

Oui, bien sûr, il comprenait … mais à ses yeux sa solution aurait pu être essayée. Quoiqu'il en soit, il faisait confiance en la femelle dorée ; elle était la reine, elle savait comment gérer ce genre de situation et connaissait mieux que quiconque sa sœur. Si elle ne souhaitait pas appliquer ses conseils … qui était-il pour s'y opposer ? Enfin, il demeurait qu'il pouvait encore renchérir sur le sujet malgré tout.

« Je comprends, oui … Mais prendre tout pour soi n'est pas forcément la solution. Tu pourrais la rassurer, lui montrer qu'elle n'est pas seule face à la crise générale … Lui prouver que vos liens de parenté sont bien plus que des étiquettes. Mais je te confiance. A toi de voir comment agir avec elle. » rétorqua-t-il, l'air pensif.

Awena lâcha un rire en l'entendant parler de Sumu et de Naba, et de Kenan et Malika.

« Je pense surtout que tu n'es pas prêt à le voir marié et encore moins à être père. » corrigea la reine Soleil sur un ton un peu moqueur. Mais Masika ne le prenait pas mal. Au contraire. Elle avait sûrement raison. Il ne s'était jamais imaginé Naba en tant que compagnon et encore moins en tant que père. Il le voyait encore, là, au Pays Verdoyant, non loin d'un étang, enfant, posant mille questions à son Monsieur Ka et s'attirant des ennuis à tout vas avec toute l'innocence d'un bambin. Cette époque lui manquait un peu. Mais on n'y pouvait rien. Le temps emportait avec lui les débris du passé, succédant les chapitres et les événements importants. La princesse Awena lui sourit. « Soit plutôt heureux pour lui, il a su trouver l'amour et Sumu, se racheter malgré les méfaits de son père. Et puis des enfants ... Ça doit être un nouveau souffle pour Freeland, savoir que la lignée perdurera. »

En était-elle sûre ? Masika aimerait bien la croire. L'arrivée des futurs enfants de Naba ravirait le peuple, assurément ; et le mâle brun se sentirait encore plus vieux qu'il ne l'était déjà. Son temps était compté. Il avait connu un Haki adulte, un bébé Naba et peut-être un bébé mini-Naba avant la fin de son existence. Peut-être devrait-il se faire moins de soucis. Il lui faudrait du temps.

Le voyant déboussolé face aux avènements, Awena lui fit une petite pichenette amicale, l'air rassurant et exprimant un doux rire comme pour lui montrer qu'il s'imaginait trop de scénarios.

« Allez, va ... Tu auras bientôt des petits-enfants qui t'occuperont toute une journée et tu ferais mieux de sourire comme ça. »

Masika fit les yeux ronds, pris de court par la remarque de la lionne au pelage ensoleillé. Des petits-enfants ? Il avait déjà imaginé ce scénario, maintes fois … mais il désespérait intérieurement. Ses enfants étaient jeunes, bon sang … Bien qu'il les trouvât parfaits, il savait que leur trouver compagnons et compagnes ne serait pas tâche facile. Il y avait Wissel et sa timidité handicapante, Kira et son côté enflammé, Janan et sa crise d'adolescence, et Koda et son allure chevaleresque … s'il devait parier sur quelqu'un pour avoir des petits-enfants, il compterait assurément sur Koda. Mais il ne devait pas se faire d'illusions. Ce moment n'arriverait pas avant longtemps. Bien qu'il espérât à sa lignée de fonder sa propre famille comme il l'avait fait avant elle.

« C'est très perturbant de voir Naba grandir et devenir un vrai adulte, c'est vrai … Mais comment pourrais-je ne pas me soucier davantage pour lui que les autres ? C'est le futur roi de Freeland. Je me dois de veiller sur lui et sur ses fréquentations. » Mais l'amour, rebelle et têtu, ne s'écrasait pas face aux menaces. Au contraire. Il n'en devenait que plus fort. Voilà pourquoi il n'espérait pas briser l'union de son protégé avec Sumu. Il lui ferait confiance et verrait bien ce qui se passerait à l'avenir. « Oh, tu sais, j'ai imaginé maintes fois ce scénario où je deviendrais grand-père. Mais je crois que j'ai eu des enfants bien trop tard dans ma vie. Je suis fier et heureux d'avoir pu assister à leur passage à l'âge adulte … mais je pense qu'il ne faut pas espérer des petits-enfants tout de suite. A moins que Koda me cache des choses ... » ou les autres. Masika sourit, avec malice. Il ne savait que dire sans offenser éventuellement la Fille du Soleil. « D'ailleurs, tu n'as toujours pas songé à un compagnon depuis notre dernière rencontre ? Tu sais, je pense que j'avais ton âge lorsque j'ai eu mes enfants avec Ishana. Je me demandais si les choses n'avaient pas évoluées de ton côté depuis le temps … N'y vois pas là une obligation de me parler de ta vie privée ou autre. Je m'en voudrais ! »

Il lui fit un clin d’œil complice, comme pour lui prouver la sincérité de ses mots.

Le regard de la reine Soleil se fit malicieux lorsqu'elle entendit les propos de son ami à propos de ses enfants. Puis, elle fit mine d'avoir l'air ennuyé, le corrigeant :

« Je parle de Naba, NA-BA. Il n'a pas l'air de n'être que le fils du roi pour toi ... Je me doute que vous devez avoir un lien spécial comme un père et son fils. Aaaaah ... Dire que tu vas devenir papy, ça me fait drôle. »

Ah. Masika écarquilla de nouveau les yeux. Surpris. Il percutait enfin. Mais au lieu de se chercher des excuses, le mâle brun poussa un léger rire gêné et il inclina légèrement la tête vers le bas, l'air honteux. Comment avait-il pu ne pas comprendre le sous-entendu de sa comparse ? Un sous-entendu si important ? Heureusement que Naba n'était pas dans les parages. Le pauvre ! Trahi par son propre protecteur !

« Aaaaah ! Je n'avais pas percu-... percuté ! Ah bah oui … ça me fera plaisir de m'occuper de ses lionceaux. On se fait à la vieillesse. »

De toute façon, ce n'est pas comme s'il avait la possibilité de rajeunir. Bientôt, il mourrait et seule sa mémoire perdurait dans l'esprit des Freelanders et des rares personnes qu'il avait pu rencontrer en dehors de son royaume. Il était peut-être bien l'un des derniers lions de la Terre des Lions à avoir connu le règne des Nyeusis. Ou quoique. Sumu l'avait connu, de loin. Elle serait la dernière des dernières de sa génération.

Awena semblait songer aux interrogations du vieux félin. A savoir si elle avait pris pour cible quelqu'un ou si elle demeurait une éternelle célibataire endurcie. En attendant, Masika songeait naïvement à son passé ; aux jours romantiques qu'il avait pu vivre en compagnie d'Ishana ou de Luja. Quand il était encore amoureux d'elles. L'amour, c'était magique. Les sentiments amoureux, agréables. Et qu'est-ce qu'il aurait aimé revivre cette période où la lucidité ne rimait plus avec son état psychologique. Il n'y avait plus que le visage de sa dulcinée qui pouvait compter dans son esprit. Mais maintenant, il savait que pour lui tout cela était fini. Il avait été poignardé au cœur deux fois de suite. La vie n'avait rien d'un rêve éveillé.

« Ah ? Tu as peur que je finisse vieille fille ? » s'enquit la femelle dorée, avant de lâcher un léger rire. « Heureusement ou malheureusement, je n'enchaîne pas les conquêtes comme toi ... Je préfère profiter de l'instant présent plutôt que de me perdre dans les recherches de compagnon. Le jour où je tomberais amoureuse, peut-être que mes plans changeront. »

Les conquêtes ? Masika se sentit un peu blessé par ce terme péjoratif. Le qualifiait-elle de don juan ? De coureur de jupons ? D'infidèle ? Ce n'était pas son style et puis, il n'avait jamais rien fait de mal : il s'était contenté d'aimer d'amour. Ce n'était pas sa faute si Ishana avait décidé de lui cacher sa grossesse. Ce n'était pas sa faute si Luja avait préféré prendre la fuite plutôt que de se servir de lui comme appui face à tous ses problèmes. Et puis, les « conquêtes », ça lui rappelait un peu l'état d'esprit de son père. Il ne l'avait jamais tellement connu, son visage lui apparaissait flou dans sa mémoire. Mais Kamba lui avait déjà parlé de lui, et de son infidélité. Comme quoi il avait eu des enfants avec une Outlander avant sa naissance. Étrangement, le phénomène semblait se reproduire à chaque génération. La famille de Masika semblait être maudite. Vouée à ne jamais connaître le bonheur et le repos.
En revanche, il ne pouvait blâmer Awena pour ses décisions sentimentales. Elle avait raison de ne pas se soucier de ce genre de chose. Masika se souvenait avoir éprouvé de la pitié vis-à-vis d'elle et de ses futures fonctions de reine ; voilà que ces sentiments revenaient à la charge, et il éprouvait une fois encore, de la compassion. La royauté réclamait bien des concessions à ses héritiers.

« Tu verras. Le jour où tu tomberas amoureuse, tu ne verras plus jamais la vie de la même manière. Tu te penseras prête à soulever des montagnes et à traverser des déserts pour l'élu de ton cœur. Je pense sans aucun doute que l'idée de fonder une famille te viendra très vite. »

Il le savait mieux que quiconque, car il avait été amoureux plusieurs fois. Il n'avait pas pensé à avoir des enfants avec Ishana, dans un premier temps … mais il n'avait pas non plus tiré la gueule en faisant leur rencontre sur Outland. Bien sûr, loin de lui l'idée de gâcher la surprise à Awena. Elle découvrirait cela en temps voulu.

« Personnellement … Ce qui m'intrigue le plus en ce moment, c'est ce qu'il y a après la mort. Je crois aux ancêtres du passé. Mais … Tu vois un peu ma condition physique actuelle … il faut bien y penser un jour ou l'autre. »

Penser de la sorte était déprimant, il ne pouvait le nier. Mais comment pourrait-il en faire autrement ? Son corps vieillissait et sa mentalité également. Il venait d'une autre époque. Une époque qui serait bientôt révolue, grignotée qu'elle était par la génération actuelle. La génération d'Awena. Awena n'avait pas encore besoin de penser à la mort. Elle contrôlait le présent et le futur de Prideland. Quelle chance elle avait. Enfin, il aurait dit cela dans d'autres circonstances, s'il avait été jaloux de sa jeunesse ; sauf qu'il ne l'était pas. La vie n'avait désormais plus besoin de lui. Il gardait la forme seulement pour ses petits, pour sa Awena, pour son Naba qui serait bientôt le monarque de son pays.

« Tu ne crois pas qu'il est trop tôt pour y penser ? Je veux dire ... Tu ne sembles pas aussi vieux, et tu as toujours l'air d'être en forme ! » protesta la femelle dorée, dans un léger rire.

Puis elle se tût et ferma les yeux, comme pour réfléchir plus sérieusement à la question du lion aux prunelles vertes. Masika ne savait s'il devait donner raison à sa cadette ou non. Oui, physiquement parlant, il avait l'air de bien se tenir … mais c'était purement illusoire, il le savait bien. Ses muscles le lui rappelaient chaque matin au réveil, et chaque jour s'annonçant lui rappelait que celui de sa naissance remontait à de bien nombreuses années. Bien sûr, il ne se trouvait pas non plus dans un état mourant ; mais il fallait bien se faire à cette idée un jour ou l'autre, n'est-ce pas ? Comme ça, le retour à la réalité serait moins douloureux …
Bon, bon, bon ! Il s'égarait. La seule chose qui l'intéressait en cet instant, c'était l'avis d'Awena quant à l'existence d'une autre vie après la mort. Il ne désirait en aucun cas déterminer en avance sa mort, il savait que ce jour viendra et qu'il ne pourrait rien faire pour l'en empêcher. Alors, la meilleure chose qu'il pourrait entreprendre, c'était profiter à fond du restant des jours que les Grands Esprits lui avaient offerts.

« Enfin ... J'y crois moi-aussi. Je suis persuadée que chaque soir, mes parents nous regardent, mon frère, ma sœur et moi. »

Kumpa et Kuzali … oui, les monarques de Prideland étaient morts. Masika eut une pensée pour Ishana, son ex-compagne, qui lui avait maintes fois vanté les prouesses de sa tante de cœur, Kuzali, et quelquefois celles de son « oncle de cœur », Kumpa. Le père de Kenan avait déjà braqué son regard vers la voie lactée, espérant y déceler un signe provenant de sa mère défunte, Kamba. Où qu'il soit, il serait heureux. D'un côté, il avait Awena, ses enfants, Haki, Naba. De l'autre, il avait sa mère, ses tantes de cœur, tous ses amis qu'il avait perdus en cours de route et autres. Il ne serait jamais malheureux dans tous les cas. Awena leva la tête et regarda le ciel, parsemé de nuages blancs et couronné d'un soleil.

« Je ne sais pas si tout cela s'avère vrai ... Mais c'est un bon moyen de se rappeler. Et puis ... Je trouve que c'est beau de penser que la mort n'est qu'une étape. »

Il lui sourit doucement, attendri par les pensées innocentes de la reine au pelage ensoleillé. Oui, il l'espérait. Il espérait que la mort n'était qu'une étape et qu'il pourrait retrouver ceux qu'il aimait dans les cieux. Il espérait pouvoir retrouver Awena chaque soir et malgré la distance qui les séparait, l'écouter, la conseiller et la rassurer.

« Je pense la même chose que toi. Certains soirs, je me surprends à regarder les cieux, adressant des messages doux à ma mère comme si elle n'avait jamais quitté le monde des vivants. C'est rassurant, il est vrai » concéda-t-il dans un petit hochement de tête.

Mais il le savait. Où qu'il serait, il continuerait de veiller sur la princesse dorée, sur ses enfants et Naba. Que pouvait-il dire d'autre. Il le jurait.

« Garde ça en tête, Princesse. Quand je serais mort, je ne serais plus là où j'ai toujours été mais je serai partout là où tu iras. Je te le promets. » souffla-t-il, dans un clin d’œil taquin.

De nouveau, Awena sourit à sa remarque. Comme la plupart du temps d'ailleurs. Masika la trouvait adorable, resplendissante, attendrissante. Il se surprenait à vouloir vivre davantage sur Terre juste pour être en sa compagnie. Il se laissa faire lorsqu'elle le poussa légèrement de la patte, d'un geste amical. Elle lui fit un clin d’œil tout en lui jurant :

« Et moi, je te promets de te faire profiter des jours ... Des mois ... Des années qu'il te reste !
▬ Quelle agréable perspective. » commenta le mâle brun dans un sourire amusé.
« Allons respecter cette promesse ... A l'étang, il y a tant de choses à faire ! A moins que tes os ne soient trop usés ?
▬ Mais non. Je parle pour l'avenir. Pour le moment mes os peuvent m'emmener partout là où tu le voudras. » il eut un faux soupir exaspéré.

La reine dorée se mit à rire aux éclats. Masika soupira de nouveau, dans un mélange d'exaspération et d'amusement vis-à-vis de la réaction de sa cadette. Il réfléchit plus sérieusement à sa proposition et se dit que, pourquoi pas, il pouvait bien faire le voyage pour elle ? De toute manière, personne ne l'attendait sur Freeland – et il savait Malika entre de bonnes pattes, grâce à Kenan. Tandis que la femelle au pelage ensoleillé lui faisait signe de la suivre, le Freelander s'ébrouait avant de se mettre à sa hauteur. Ensemble, ils cheminèrent jusqu'à l'étang. Tout au long du voyage, le père de Kenan se sentit drôle, confus, secrètement euphorique. Comme si quelque chose d'extraordinaire l'attendait à l'étang. Alors que non, justement, rien ne l'y attendait. Il jeta un coup d’œil furtif en direction du visage d'Awena et aussitôt, il détourna le regard, un peu embarrassé. Il se sentait étrangement bien. Ça lui faisait tout drôle. Il ne savait pas tellement ce qu'il lui arrivait mais il lui semblait avoir déjà éprouvé ce genre de chose fut une époque avant leur rencontre. En fait, si, il a rencontré Awena en plein dans cette période. Qui l'eût cru ? Pourtant, toutes ses attentions n'avaient pas été dirigées vers elle ; plutôt vers une autre personne … Ishana. Se pourrait-il que … ? Il chassa ses idées étranges aussitôt, n'osant s'imaginer la dure réalité des choses.

Il était en train de tomber amoureux, encore. D'une troisième femelle. Alors qu'il pensait sa vie déjà terminée. Mais il savait que cette romance ne lui apporterait rien de bon, il le craignait même.

Awena ...