Ils avaient entamés le trajet du retour. Les kilomètres qui les séparaient du campement étaient nombreux, si bien que la nuit avait fini par les rattraper.

Tandis que Waban et Hex étaient envoyés en courses, afin de refournir leur stock de plantes, le vieux prêtre s’était accordé une pause qui, selon lui, était largement méritée. Trainer ainsi la nacelle de Kuruka avait été épuisant ! Son corps entier fourmillait encore de cet effort. Les crampes n’avaient pas tardées à se faire sentir également, jusqu'à ce que le simple fait de tourner la tête sans grimacer représentait une épreuve sur-lionnesque.

L’ancien se dirigea vers l’étang, dont l’atmosphère paisible et fraiche suffisait à calmer un tant soit peu sa douleur. Tout en se rapprochant, le noiraud distingua une forme, penchée au-dessus de l’eau. Un lycaon, à priori. Ces animaux-là n’étaient-ils pas censés vivre en meute ? Ou bien s’agissait-il d’un égaré ? Quoi qu’il en soit, rien dans son comportement ne trahissait de l’agressivité. La présence du félin ne l’inquiéta pas outre mesure.

Ceset s’installa sur la berge, à quelques mètres du canidé. Lorsqu’il plia son long corps pour atteindre l’étendue aqueuse, ses tendons et sa colonne vertébrale craquèrent, lui arrachant une grimace de douleur, ainsi qu’un juron, tiré de son pays d’origine.

-Vous devriez vous ménager, mon cher.

L’interpellation tira le prêtre de ses pensées. Son regard de suie dériva sur son voisin à grandes oreilles. Maintenant à son niveau, il pouvait le détailler avec plus amplement : Le canidé et lui devaient être dans la même tranche d’âge. Le chien tacheté, éclairé par la lueur de la lune, laissait transparaitre des yeux blancs, pas moins emprunts d’une certaine douceur.

-…Il semblerait que je ne sois pas le seul que le temps n'épargne pas. Continua-t-il.

Prenant une dernière gorgée, l’ancien poursuivit, lui demandant subtilement d’où il venait.

- Le temps n’épargne personne, je le crains. Il a beau avoir emporté vos yeux, votre ouïe semble en parfaite condition ! Ajouta-t-il dans un rire Legé. Le prêtre s’assit près de son interlocuteur. Malgré la douleur qui assaillait son corps entier, il était décidé à prendre un peu de temps en compagnie du chien. Je suis Ceset, originaire des LilaLänder, guérisseur et prêtre de Sha’Haar.

Il se détendit, laissant ses muscles se relâcher doucement. La parole était-elle un bon remède contre les crampes ? C’est ce qu’il allait voir.

- Et vous-même ? Je pensais que votre espèce vivait habituellement en famille.

- En effet. Avait répondu le prêtre. La nuit était déjà bien avancée, il n’était pas prudent de laisser un aîné sans surveillance aux heures tardives. Bien qu’il fût aux abords de l’étang, zone présumée de paix et d’harmonie, n’importe quel esprit dérangé pourrait s’en prendre à lui. Après tout, il avait déjà eu des problèmes, à priori, à l’écouter au sujet de sa cécité.

Ce fut au tout du lycaon de se présenter. "Fleck", Ceset ferait de son mieux pour se souvenir, bien que la mémoire ne fût pas son principal problème. Quoi qu’il en soit, la compagnie du canidé était fort apaisante. Le prêtre était décidé à passer quelques temps avec lui, la conversation lui faisant oublier la douleur. L’ancien poursuivit, sur le ton de l’interrogation, cette fois ci.

- Oh, pardonnez-moi ! Ce ne sont pas des termes employés sur cette partie du monde, j’ai pu constater. Chez moi, le prêtre est un animal qui voue sa vie aux divinités et à l’étude de ses dernières. Ma divinité est Sha’Haar, déesse de l’érudition et patronne céleste des médecins et guérisseurs.

Il soupira. La partie la plus délicate était à venir : Comment expliquer avec objectivité son pays d’origine.

- Quant aux LilaLänder, il ne s’agit ni plus ni moins de ma terre natale. C’est loin d’ici, et tant mieux ! Les animaux qui la gouvernent ne sont pas des gens biens. Des esclavagistes égoïstes et avides de pouvoir. Des traitres à leur propre nature ! Voilà ce qu’ils sont !

Quel genre de droit autorisait des individus à en maltraiter d’autres pour leur propre profit ? Cette question n’avait de cesse de tourmenter le lion noir. Le vieux félin avait articulé ses derniers mots avec amertume. Une pensée fortuite pour sa sœur lui vint en tête.

- Si vous saviez ce qu’ils sont capables de faire pour maintenir leur emprise sur les malheureux qu’ils enchaînent…Ils sont même apte à trahir et détruire leur propre famille… Remarquez, certains lions ici, ne valent pas mieux !

Il faisait bien sûr allusion aux notables de Prideland. Fleck ne comprendrait peut-être pas, quoi que la nouvelle de l'alliance avec Outland avait du se rependre comme une trainée de poudre. Mais était-il au courant des conséquences de cet acoquinement mal placé ?

Visiblement, Ceset n’était le seul à déplorer l’enchainement de mauvaises décisions prises par les dirigeants de Prideland. Par ailleurs, Fleck semblait étrangement affecté par la tournure des événements. Mais le prêtre ne put l’interroger, le lycaon reprit la parole, lui demandant comment de telles nouvelles étaient parvenues à ses oreilles. Inutile de mentionner les exilés.

- Oh, vous savez, répondit le noiraud en haussant ses maigres épaules, les nouvelles vont vites, comme vous l’avez si justement dit. Remercions les volatiles de ne pas savoir tenir leur bec. Quoi qu'il en soit, je comprends ce que vous ressentez.

En effet, les oiseaux étaient de très bons vecteurs de ragots. Les plus proches du Rocher avait sans doute put capter des conversations au sujet des Waasiens et de l’alliance qui causa leur perte.

- Vous semblez bien peiné par les évènements, mon ami. Votre famille a-t-elle eu un quelconque problème suite à ces manigances ?

Après tout, pourquoi les exilés seraient-ils les seuls à souffrir ? Il devait forcément y avoir d’autres âmes tourmentées par les décisions de la reine soleil.

Le pauvre lycaon semblait tout aussi bouleversé que Waasi et le Général, lorsque ces derniers se sont vu refuser leur demande d’asile. Et cela était parfaitement compréhensible ! Un tel retournement ne pouvait laisser indifférent ! C’était d’autant plus dévastateur lorsque la décision était prise par quelqu’un que l’on estimait. Une boule de mépris se logea dans la gorge du prêtre. Il savait très bien de qui son interlocuteur faisait mention. Ahva. La princesse qu’il avait rencontrée quelques heures auparavant, alors qu’il ramenait Kuruka au Rocher. C’était déroutant de voir ses sujets dans une telle fureur contre elle ! Cette alliance allait avoir des retombées catastrophiques. Il le sentait bien… Ils le sentaient.

- Je vous comprends. Et je crains que cette histoire ne reste pas sans conséquences. La nouvelle commence à faire le tour de la savane. Comment réagiront les animaux quand ils découvriront le pot aux roses ? Mal, J’en ai bien peur…

Les hyènes, les freelanders, les exilés, tous allaient réagir. Les esprits allaient s’échauffer, c’était certain.

- Et j’espère ne plus être là quand cela arrivera.

Mais qu’en était-il de Tadewi ? Waban ? Hex ? Il soupira. Il ne pouvait s’empêcher d’avoir peur pour eux. Cela dit, peut-être y avait-il un moyen de contrer tout ça ? Mais comment ?

- Vous étiez donc au service de Prideland avant cet incident ? Reprit-il pour chasser ses mauvaises pensées. C’est la première fois que j’entends parler d’un lycaon parmi les lions !

Aux dires du vieux lycaon, le prêtre ne put retenir un soupir. Ses enfants, peu importe qui ils étaient, étaient effectivement en danger. Il n’y avait pas de paix à espérer lorsque deux clans s’étaient liés dans le dos d’un autre…pour le détruire. Cette trahison allait faire de nombreuses pertes, Ceset en était certain.

- Je comprends votre déception. Dit-il, quand Fleck mentionna son ancien rang. Mais vous n’avez plus à vous soucier de leur idiotie. Vous avez fait votre travail. Prideland est le seul qui doit répondre de ses actes. Quant à moi, je suis ici en pèlerinage. Mon devoir est de connaitre les plantes de ce pays et d’étudier leurs bienfaits. Les sciences sont très importantes, là d’où je viens.

Là-dessus, il n’avait pas complétement menti : C’était effectivement sa mission de base. Disons qu’une autre plus importante c’était ajoutée à celle-ci…

La voix de Waban se fit entendre. Le géant gris cherchait le prêtre !

- Mon compagnon de voyage m’attend…C’était un plaisir de vous rencontrer, Fleck. J’espère que nos routes se recroiseront.

Il lapa une dernière gorgée.

- En attendant, je vous souhaite bien du courage, l’ami. Dit-il en s’éloignant.