Trois mois… Voilà le temps qu’il restait à mes fils avant de revenir triomphant de l’Exil. Grâce aux sentinelles qui gardaient un œil sur les adolescents lors de cette épreuve, je savais qu’ils étaient toujours vivants. Je n’en savais pas plus mais c’était suffisant. Pour autant, ils avaient beau avoir déjà passé neuf mois loin des leurs, avaient-ils pour autant vécu le plus difficile ? Je savais que mes fils étaient de dignes représentants Jangowas mais cela n’empêchait pas une mère de s’inquiéter pour ses enfants. Et c’est pourquoi je priais le Désert chaque jour pour qu’Il les laisse me revenir.

C’est dans cette optique que je m’étais éloignée des miens. Je préférais être seule lorsque je m’adressais au Désert. Enfin, « s’adresser » n’était pas vraiment le mot exact puisque je ne faisais que penser mais toujours était-il que je préférais être seule. Je marchais pendant quelques minutes, zigzaguant entre les différentes roches qui formaient le Champ Rocheux. Je grimpais ensuite agilement sur l’une d’elle avant de m’arrêter. Je trouvais que l’endroit était idéal et je commençais ce qui était devenu une sorte de rituel depuis le départ de Kumani et Jenkaa. Je m’asseyais, fermais les yeux puis tournais la tête vers l’astre solaire avant de diriger toutes mes pensées vers mes fils.

Je pensais à tout ce que je leur avais enseigné, que ce soit des techniques de chasse ou de combat pour qu’ils puissent survivre seuls pendant une année entière. Je m’apprêtais à me souvenir d’autres choses lorsque le bruit consécutif à une chute de caillou attira mon attention. Cela aurait pu être insignifiant en temps normal mais j’étais censée être seule dans les parages. Alors ce caillou n’avait pas pu tomber tout seul. Je restais immobile mais pour autant, mes sens étaient à l’affut pour découvrir la position de la personne qui avait osé me déranger. Une respiration en contrebas était l’indice que j’attendais et sans crier gare, je me jetais littéralement dessus. Mon saut m’amena directement sur mon camarade de clan et nous roulâmes quelques instant au sol. Il ne résista pas et je me retrouvais rapidement au-dessus de lui, mes pattes bloquant ses épaules pour l’empêcher de bouger.

Je pouvais enfin détailler mon « adversaire » et poser un nom sur celui qui avait interrompu ma communion avec le Désert. Un pelage doré assez clair, une crinière crème entourant un visage aux yeux bicolores et soulignés par un marquage en pointillés.

Azrael…

Je soupirais avant de le libérer de mon emprise. Je reculais aussi de quelques pas pour qu’il puisse se relever, chose qu’il ne tarda pas à faire. Un sourire amusé se dessina sur son visage avant qu’il ne prenne la parole.

Eh bien Hatasa, c’est comme ça que tu accueilles tes amis ?

Je levais les yeux au ciel tout en haussant les épaules, lui signifiant de cette façon que je n’avais que faire de sa remarque. S’il ne m’avait pas interrompue aussi, peut-être que je n’aurais pas réagi de cette façon. Je m’asseyais ensuite face à lui, preuve que je n’allais plus l’attaquer. Enfin, souhaitant savoir ce qui l’avait amené à me suivre, je m’empressais de lui poser la question.

Pourquoi m’as-tu suivie ? Que veux-tu ?

Nous étions amis depuis longtemps, c’était vrai mais il savait qu’il pouvait venir me parler n’importe quand alors pourquoi avoir choisi l’unique moment où je m’esseulais ? Souhaitait-il que notre conversation ne soit pas entendu des autres ?

En réalité, c’était exactement ce que souhaitait Azrael et bien qu’il attendait ce moment depuis longtemps, il ne pouvait s’empêcher de jouer un peu avec les nerfs de son amie. Il était persuadé que l’Impératrice connaissait son désir mais il en avait marre d’attendre et avait décidé d’accélérer les choses. C’est ainsi qu’il tourna de nombreuses fois autour d’Hatasa, comme un prédateur tournait autour de sa proie.

Voyons Hatasa, je suis certain que tu sais ce que je veux. Ou plutôt qui je veux…

Effectivement. J’avais remarqué son petit manège et les regards envieux qu’il me lançait quand il pensait que je ne le regardais pas. Il n’avait jamais voulu prendre de compagne et j’avais mis un certain temps avant d’en comprendre la raison. Celle qu’il désirait été déjà liée. Et pas à n’importe qui, non. Elle était devenue la compagne de son rival et nouvel Empereur, Wivu. Mais Wivu avait abandonné tout le monde, faisant de nouveau de moi une lionne sans compagnon. Ce qui laissait le champ libre pour Azrael…

Tu sais que je déteste ça. Parle franchement et dis-moi clairement ce que tu attends de moi.

Le lion aux prunelles bicolores s’arrêta devant moi et me regarda droit dans les yeux.

Oh tu es loin d’être naïve, Hatasa. C’est pourquoi je ne te ferais pas l’affront de te dire ce que tu as déjà deviné.

Il n’avait pas tort. Néanmoins je ne répondis pas, me contentant simplement de lui lancer un regard persistant. Azrael compris bien vite que je ne lâcherais pas et soupira avant de reprendre.

Très bien, si c’est ce que l’Impératrice désire…dit-il, vaincu. Tes enfants sont de dignes Jangowas et évidemment, ils ont pris ça de leur mère. Sachant ça, tu ne t’es jamais demandé ce qu’il en serait si leur père n’était pas un lâche ?

Je connaissais les pensées de mon ami sur celui qui avait été mon compagnon autrefois mais je ne pouvais laisser passer ce qu’il sous-entendait sur mes enfants.

Surveille tes paroles ! Qu’est-ce que tu oses insinuer sur mes enfants ?

Le sourire amusé qui apparut sur le visage du lion aux prunelles bicolores m’irrita mais il me devança en reprenant la parole avant que je n’agisse.

Je reconnais bien là ton caractère mais calme toi. Je dis simplement qu’avec un véritable Jangowa en tant que père, tes enfants en seraient d’autant plus dignes de ce nom.

Il s’arrêta de nouveau de parler avant d’expliquer plus précisément ce qu’il entendait par là.

Je ne parle pas forcément de ceux qui sont déjà nés…

A part certaines caractéristiques physiques, mes enfants n’avaient rien pris de leur traitre de père. Ils étaient tous les quatre de dignes représentants du Désert et gare à celui qui dirait le contraire. Pour autant, est ce qu’il en serait différemment avec un véritable fils du Désert en tant que père ? Serais-je capable de supporter à nouveau une gestation et d’élever des enfants en sachant que je ne serais plus seule cette fois-ci ? Je pesais le pour et le contre pendant des minutes qui parurent des heures à Azrael.

Allait-elle accepter qu’il lui force ainsi la patte ou allait-elle le rejeter pour cette même raison ? Il n’aurait su le dire et il était incapable de le deviner tant le regard de l’Impératrice était indéchiffrable. Elle finit cependant par se relever et sa voix s’éleva de nouveau.

Si mes fils reviennent tous les deux vivants de leur Exil, alors je répondrais favorablement à ta demande.

Je ne m’attardais pas plus longtemps à ses côtés, considérant que notre discussion était close. Je laissais donc le lion doré sur place et fis demi-tour pour retourner vers le Clan. Je ne voyais donc pas le sourire satisfait apparaître sur le visage d’Azrael. Je ne le voyais pas non plus tourner la tête vers le soleil, pas plus que je n’entendis ses derniers mots.

Alors il n’y a plus qu’à prier pour que Jenkaa et Kumani rentrent vivants.