Le soleil était levé depuis longtemps sur le Champ Rocheux quand j’ouvris les yeux. Cela n’était pas dans mes habitudes mais il fallait dire que vu comment nous nous étions dépensés la veille, c’était plutôt logique que j’ai besoin de plus de repos. Je balayais le Clan des yeux mais je ne voyais aucune trace de mes amis. Cela ne me découragea pas pour autant car je les connaissais et j’avais ma petite idée de l’endroit où ils pouvaient bien se trouver. Je quittais donc mes camarades mais ne put esquiver ma mère qui m’attrapa rapidement.

C’est l’heure de ton bain, jeune fille.

Un bain ? Sérieusement ? Elle m’en avait déjà donné un la veille, pas besoin d’en reprendre un aujourd’hui, si ? Désireuse de m’échapper au plus vite, je remuais dans les pattes de ma mère tout en protestant.

Encore ?! Mais tu m’en as déjà donné un hier !

Je me tortillais toujours mais ma génitrice me tenait bien. Je ne pouvais éviter tout ses coups de langues et bientôt, une voix plus grave retentit près de nous.

Cesse de râler Hatasa et obéis à ta mère. Une femelle se doit d’être belle pour plaire aux mâles et avoir l’honneur d’engendrer des fils.

Pardon ? Parce qu’il pensait sérieusement que c’est ce que je comptais faire ? Me pomponner et attendre qu’un mâle me choisisse comme compagne et donner des fils au Désert ? Très peu pour moi ! J’avais plutôt dans l’idée de devenir une guerrière reconnue, c’est pourquoi je marmonnais mes prochaines paroles.

Si tu crois que se sera ça mon futur, tu te mets la griffe dans l’œil…

Je savais que cette habitude avait le don de l’énerver et il ne tarda pas à réagir, haussant le ton lorsqu’il me questionna.

Qu’as-tu dis ?

Je n’avais pas encore les armes pour me battre avec lui et préférais lui accorder cette petite victoire plutôt que de subir ses foudres et risquer la punition.

J’ai dit que j’étais d’accord pour le bain !

Je me laissais donc faire et passé le calvaire de la toilette, je quittais rapidement les pattes de ma mère. Je m’éloignais du Clan et lorsque je fus à l’abri des regards de mes géniteurs, je me roulais dans le sable. Je ne détestais pas me sentir propre mais je n’étais absolument pas d’accord avec les paroles de mon père alors j’avais fait ça uniquement par esprit de contradiction et surtout pour voir sa tête lorsqu’il remarquerait que cette toilette forcée n’avait servie à rien.

Je reprenais ensuite ma route et ne tardais pas à entendre des éclats de voix. Je reconnus très vite leurs propriétaires et je pressais le pas, contente d’être sur la bonne voie. J’arrivais sur les lieux et je découvris mes amis en train de se battre. Enfin, pour être plus précise Aberash qui se battait contre Sayed. Les autres mâles étaient sur les côtés et semblaient attendre leur tour. C’est d’ailleurs l’un d’entre eux qui m’aperçut et s’approcha pour venir me parler.

Salut Hatasa ! Désolé mais aujourd’hui, on s’entraîne entre mâles…

Je tournais ma tête vers Wivu et lui adressais un petit « salut » en retour. Rien qu’entre mâles, hein ? Je n’eus pas le temps de répondre que ce n’était pas grave, qu’une autre voix s’éleva.

Y’a pas à être désolé, vieux ! On a d’jà r’foulé Chimwe, c’est pas pour qu’une aut’ femelle vienne nous trainer dans les pattes !

Pff, quel macho. Il avait toujours considéré les femelles comme des êtres inférieurs et cela ne changerait certainement jamais. Dommage que je ne puisse pas lui faire ravaler ses mots… J’haussais les épaules et me concentrais sur Aberash, qui avait profité de la distraction que j’avais causé pour prendre le dessus sur son cousin.

Bah justement, Chimwe, tu saurais pas où elle est Abe’ ? Je l’ai pas vu dans le Clan…

Le fils aîné de Kaïad se tourna vers moi et ne réfléchit pas plus de deux secondes avant de me donner une réponse.

Si elle est pas avec notre mère, je dirais avec Kaya.

Maintenant qu’il le disait, c’est vrai que je n’avais pas aperçu Kaya non plus tout à l’heure. Je me demandais bien où elles pouvaient bien être lorsque la voix d’Aberash retentit à nouveau.

Allez, Wivu. Toi contre Jalan maintenant !

Je laissais les garçons à leurs combats et fis demi-tour. Je réfléchissais toujours à l’endroit où pouvaient bien se trouver Kaya et Chimwe quand une autre silhouette apparue dans mon champ de vision. Lui aussi faisait partie de notre petit groupe et je reconnu donc sans mal Azrael. Sans doute m’avait-il reconnue lui aussi car il me héla dès qu’il fut à portée de voix.

Salut Hatasa ! T’es pas avec les autres ?

J’attendais d’arriver à la hauteur du mâle aux prunelles bicolores avant de répondre.

Nan, aujourd’hui ils ont décidés de s’entraîner qu’entre mecs. Alors je cherche les filles puisqu’ils ne veulent pas de nous.

Azrael darda sur moi un regard étonné et lâcha rapidement ce qu’il en pensait.

C’est débile, vous aussi vous savez vous battre. Peut-être même mieux que certains !

Ça, c’était plus que vrai. En plus, j’étais persuadée que nous étions meilleures qu’eux. Une idée dû traverser l’esprit d’Azrael car ses yeux ne tardèrent pas à briller d’excitation.

Ça te dirait de leur prouver qu’ils ont tort ?

J’hochais rapidement la tête et il enchaina, sûrement ravi de ma réponse positive.

Alors, viens. Il faut qu’on trouve les filles pour commencer.

J’ouvrais les yeux lorsque les premiers rayons du soleil chatouillèrent mes paupières. Je me trouvais toujours au Champ Rocheux mais bien des années avaient passées depuis la scène que je venais de revivre. Ce rêve m’avait ramené à l’époque où notre petit groupe était encore complet et plus précisément au jour où mon amitié avec Azrael était vraiment née. Jusqu’alors, j’avais plus considéré le mâle comme une relation positive mais après le tour que nous avions joué aux garçons, il avait gagné la désignation d’ami à mes yeux.

J’ignorais pourquoi j’avais rêvé de ça exactement mais sûrement que la conversation que j’avais eu la veille avec Azrael y était pour quelque chose. Je ne rêvais que très peu en général, ou bien je ne m’ en souvenais que rarement mais cette fois-ci, c’était différent. Je me souvenais parfaitement de mon rêve alors que cette journée de notre enfance avait depuis longtemps rejoint les limbes de ma mémoire.

Que devais-je en tirer ? Était-ce un signe du Désert que la réponse que je lui avais donné était la bonne ? Je passais de longues minutes à me poser des questions jusqu’à ce qu’un mouvement ne me ramène au moment présent. Quoi qu’il arrive, je refusais d’avoir d’autres enfants tant que je ne serais pas certaine que les premiers pouvaient survivre sans mon aide. Je savais déjà que c’était le cas des filles mais qu’en était-il des garçons ? Ma décision ne serait définitive que lorsque je les verrais revenir de leur année d’Exil. En attendant…

L’Impératrice avait des devoirs et il était temps que je les exécute.