L'après-midi était déjà bien avancée tandis que Rána vagabondait dans la savane. Au gré de ses envies, il découvrait - ou redécouvrait - peu à peu Prideland et ses vastes territoires. Si Outland lui avait parût être une terre plutôt plaisante et accueillante, Prideland l'était plus encore. Sa végétation et sa diversité en faisait un territoire plutôt riche, au sein duquel les lions n'avaient guère de soucis à se faire concernant leur survie. Si le gibier se faisait parfois moins présent ou la sécheresse plus marquée, Prideland ne semblait pourtant pas autant touché qu'Outland ou que certains paysages arides et dénudés de la moindre végétation. Cette faune et cette flore plutôt riches et accueillantes plaisaient beaucoup au jeune mâle, qui goûtait pour la première fois à la joie de se rouler dans les hautes herbes ou de se rafraichir dans les points d'eau.

Peu à peu, le temps apaisait son anxiété, sans toutefois la faire disparaitre entièrement. Malgré tout, il savait que - lorsque le temps viendrait - quelqu'un accepterait de lui donner des réponses. Avha, Awena, Kuzaidia ... peut importe qui cela était ; les Pridelanders étaient réputés pour leur honnêteté et leur bon sens. Ishana et sa famille étaient là en toute sympathie, et si Prideland avait vu naître Rána, alors le jeune adulte n'avait nulle doute sur le fait qu'il trouverait une partie de ses réponses ici. Mais c'était encore trop tôt, trop frais. En attendant de sentir le bon moment, l'orphelin préférait donc vagabonder sur ce nouveau territoire, qui resterait le sien pour quelques temps. Ce n'est que lorsqu'il passa sous un arbre qu'il fut brusquement tiré de ses pensées tandis que quelque chose lui tombait sur la tête. Secouant cette dernière, il eut la surprise de voir quelques brindilles sur lesquelles avaient poussées quelques feuilles tomber par terre. Fronçant les sourcils, il leva la tête, et eut la surprise de découvrir une masse grise perchée juste au dessus de lui.

La tête levée vers l'arbre, Rána fixait la masse de poils au dessus de lui avec perplexité. Il ne savait qu'en penser. A première vue, on aurait dit une simple lionne, mais en s'attardant sur son physique, on découvrait certaines singularité. Sa queue sa crins au bout, par exemple, ou bien les multiples tâches qui parsemaient son pelage. Le jeune lion ne parvenait donc pas à déterminer s'il s'agissait d'une lionne, ou d'une autre espèce qu'il ne connaissait pas. « Hum.. Bien.. Je suppose que la coutume veut que je m'excuse ? » Le ton était poli, mais assuré. Au fond, ce n'était pas réellement une question, plus une simple réflexion, mais qui montrait que la femelle ne semblait pas avoir l'habitude de ce genre de chose. « Si tel est le cas, je vous présente mes plus plates excuses. J'ignorais votre présence et ne souhaitais en rien vous offenser. » A dire vrai, le jeune mâle se fichait des excuses de son interlocutrice. La branche n'avait pas fait de dégâts, et elle ne l'avait pas fait volontairement, à quoi bon en faire tout une histoire ? Non, c'était plutôt son physique qui piquait sa curiosité, mais il finit par détourner les yeux, conscient que la scruter comme une bête de scène n'arrangerait pas les choses.

« Et bien ? » Elle s'était assise sur sa branche, permettant au lion de mieux percevoir son corps au physique atypique, mais néanmoins harmonieux. Haussant les yeux pour croiser son regard, Rána resta quelques instants à la fixer, cherchant à comprendre ce qu'elle voulait. Devait-il passer son chemin ? Il aurait sans doute dû, mais à dire vrai, elle l'intriguait. Il ne l'avait jamais vu au sein du clan. Il décida donc de s'asseoir à son tour, pencha légèrement la tête sur le côté, et demanda d'une voix calme : « Vous êtes Pridelander ? » Sa queue balayait lentement le sol derrière lui, tandis qu'il attendait sa réponse. Venant tout juste d'arriver, il ne connaissait presque personne, et il comptait bien profiter de cette occasion pour tenter de nouer des liens.

Tandis que Rána fixait la féline perchée sur sa branche, cette dernière pencha la tête sur le côté, exactement de la même manière que lui. Ne sachant si c'était une coïncidence, ou si elle cherchait à l'imiter - et dans ce cas, si son but était de se moquer - le jeune lion se redressa rapidement, tâchant d'avoir l'air à l'aise bien qu'il ne le soit pas réellement. « Oh ! Le ciel soit loué, vous parlez ma langue ! » Étrange question, bien sur qu'il la parlait. Y avait-il des félins sur ces terres qui parlait un langage différent ? Rána n'en avait jamais entendu parler, quand bien même Ishana et les Outlanders lui avaient conté bien des récits. Si de tels individus existaient, le jeune mâle douta que beaucoup soient au courant.

Avant qu'il ait eu le temps de rétorquer, la féline continua sur sa lancée : « Les Pridelanders ... ? Les habitants de ces terres je présume.. Navrée de vous contredire mais je ne fais partie d'aucun ... Regroupement que les vôtres nomment des "clans". Est-ce de là dont vous venez ? » Peut-être était-ce donc une voyageuse venue d'une terre lointaine ? Si tel était le cas, elle ferait mieux de se méfier des endroit où elle se rendait. Ne savait-elle donc pas qu'il y avait chasse-gardée concernant les territoires de chacun ? Si les Pridelanders était un clan relativement ouvert et pacifiste, il n'en serait pas de même avec les Jangowas. Qu'elle mette une patte dans leur désert, et elle aurait tôt fait d'avoir des ennuis. Rána ne manquerait pas de la prévenir. Levant à nouveau les yeux vers elle, il songea qu'il aurait été plus simple de poursuivre la discussion en bas de l'arbre, mais il se doutait que lui demander de descendre ne ferait que la rendre plus hermétique à ses question. Le jeune orphelin se contenta donc de rester au pied du tronc tandis qu'il lui répondait. « En effet. Vous êtes ici sur Prideland, la terre des Pridelanders. Chaque clan a son propre territoire, et il ne fait pas bon de s'y aventurer sans autorisation ; vous devriez éviter certains endroits. » Rána fronça légèrement les sourcils en songeant aux Jangowas, ou bien à certains lions réticents à voir des étrangers de passage chez eux. Il ne fallait pas grand chose pour que certains clament à tort et à travers qu'on avait bafoué leur règle, et qu'il n'y avait qu'une manière de régler les choses. Ces lions-là étaient souvent enclins à la violence, et le jeune mâle espérait en croiser le moins possible. Reposant son regard sur son interlocutrice, il acheva de lui répondre : « Pour ma part, non, je ne viens pas de Prideland. Mais j'y vis pour le moment. Et vous, d'où venez-vous ? Et qui êtes-vous si vous n'appartenez à aucun clan ? »

La liarde plissa les yeux tandis que Rána la mettait gentiment en garde, et resta silencieuse quelques instants.

« Mon nom est Nelaya, je suis née dans la jungle du Zawadi. Pour répondre à votre question, mes "semblables", contrairement aux lions, n'ont pas pour habitude de vivre en groupe. »

La jungle du Zawadi ? L'orphelin n'en avait jamais entendu parlé. Où était-ce situé ? Etait-ce un lointain Royaume ? Très probablement. Après tout, il avait entendu parler du désert et du grand Nord, quand bien même ces terres étaient lointaines. La jungle devait l'être encore plus. Et si la jeune femelle se considérait comme différente - au vue de la façon dont elle parlait des lions - alors cette terre restait bien mystérieuse.

« Les pridelanders font-ils partie de ces clans peu recommandables? Devrais-je me méfier de votre personne? Je vous ai donné mon nom. Pourrais-je connaître le votre? Bien que je puis tout aussi bien continuer à vous appeler lion, si vous le souhaitez. Ou jolis yeux. Le choix est votre. Si vous n'êtes pas pridelander, d'où venez-vous donc? »

Un léger sourire se dessina sur les babines du jeune mâle tandis qu'il songeait à la situation. Si quelqu'un désignait les Pridelanders comme des lions peu amènes, alors il n'avait sans doute jamais rencontré un Jangowa ou un exilé assoiffé de revanche. Quant à la répartie de Nelaya, il prenait ça comme un compliment. Jolis yeux. Bleus comme le ciel, lui avait souvent dit Dhalahi. De qui les tenait-il, Rána n'en avait aucune idée. Levant des yeux plein de sincérité vers Nelaya, il déclara d'une voix calme :

« Je m'appelle Rána, mais Jolis Yeux fera l'affaire si vous ne vous en souvenez plus. Et pour ce qui est des Pridelanders, vous ne trouverez pas un clan plus accueillant et pacifiste que celui-là. Quant à moi ... je viens d'une terre qui n'appartient à personne. Je ne suis ici que parce que les choses ne restent jamais telles qu'elles. »

Où se serait-il trouvé si jamais sa mère n'était pas morte ? Et si son père n'était pas parti ? Probablement loin d'ici, heureux et entouré. Bien sur, l'orphelin ne pouvait nier qu'Ishana et les siens l'entourait comme une vraie famille, pourtant il manquait - et manquerait - probablement toujours quelque chose.

La jeune liarde continuait de le regarder.

« Rana fera l'affaire. D'ailleurs Rana, je dois avouer que votre histoire m'intrigue. Cette terre est-elle lointaine? »

C'était une étrange question pour quelqu'un qui n'était pas d'ici. A dire vrai, peut-être que la façon dont il en avait parlé pouvait sembler attirante. Après tout, une terre qui n'appartenait à personne pouvait voir chacun en profiter comme il voulait, ce qui signifiait plus de liberté, en somme. Mais en réalité, la lande des sans terres n'avait rien de si attrayant ; le gibier y était rare et famélique, et les paysages arides et peu souvent accueillants.

« La vie sur Prideland est-elle agréable? Je me suis toujours demandée comment vous les lions arriviez à partager un territoire de cette façon. Les miens sont plutôt solitaires.. Alors.. N'est-ce pas trop contraignant? »

Rána devait avouer qu'il n'avait jamais vraiment songé à la question. Depuis tout petit, il vivait entouré d'autres lions, ou presque. Il ne se rappelait pas beaucoup des semaines passées seuls avec ses parents. Et lorsqu'il avait intégré Outland, il était encore trop jeune pour se poser la question. Mais désormais, il était en âge de mener ses propres réflexions, ou du moins de mettre au jour ses propres hypothèses.

« Je ne vis pas sur Prideland depuis longtemps, mais je dois dire que ce sont des terres plutôt calmes. Les Pridelanders sont pacifistes dans l'âme et n'hésites pas à s'entraider, ce qui rend les choses plutôt paisibles. Chacun peut vivre sa vie comme il l'entend, tant qu'il participe à la vie du clan. En échange d'un peu de temps, chacun d'entre nous profite de la sécurité d'un groupe. »

Son regard toujours posé sur Nelaya, Rána s'était détendu. Il ne craignait plus tellement de se faire attaquer par son interlocutrice. Après tout, si elle avait voulu le faire, elle aurait déjà saisit l'occasion. Non, elle semblait plutôt curieuse de découvrir un mode de vie différent du sien.

La liarde semblait douter des propos du jeune mâle :

« Cela semblerait presque tentant, bien que cela paraisse trop beau pour être réel.. »

Trop beau pour être réel ? Rána ne savait que répondre. A dire vrai, il devait avouer que la vie au sein d'un clan était plutôt agréable, mais il n'avait pas assez de recul pour juger de la chance qu'il avait. Il ne pouvait comparer sa vie actuelle qu'avec son ancienne vie. Et dans cette vie-là, ses parents étaient présents, et cela valaient mieux que n'importe lequel des cadeaux. Pourtant, il n'avait jamais été malheureux au sein d'un clan, que ce soit sur Outland ou sur Prideland. En y songeant, le jeune orphelin se disait que vivre au sein d'un clan avec ses parents aurait sans doute été la chose la plus douce qui soit. Mais cela n'arriverait jamais, il était donc inutile de l'espérer.

« Merci pour toutes ces explications, Jolis Yeux. »

Le jeune mâle hocha légèrement la tête, un léger sourire sur les babines. Cette liarde lui était sympathique, bien qu'il ne la connaisse que peu et qu'elle n'ait pas daigné descendre de son perchoir. Elle était sans doute encore trop méfiante, après tout Rána ne connaissait guère les habitudes de vie des léopards, et Nelaya en tenait pour moitié. Penchant légèrement la tête sur le côté, il déclara donc d'une voix paisible :

« Tu es la bienvenue. Si tu me cherches, tu n'auras qu'à donner mon nom à n'importe quel Pridelander, il saura te dire où je suis. Sinon, je serai ravi de te recroiser une prochaine fois. Évite simplement le désert. »

Ce disant, il n'attendit pas de réponse de la liarde haut perchée sur sa branche, et rebroussa chemin vers le grand rocher de Prideland.