Les mois s'étaient écoulés sans accident, tous les chasseurs semblaient respectés la nouvelle loi et aucun jeune herbivore n'avait été attaqué, ni même de lionceaux. Ahva n'avait pas revu Mapinduzi depuis leur accord mais elle l'apercevait de temps à autre dans la savane et s'ils n'échangeaient aucunes banalités, les deux animaux s'adressaient toutefois des signes respectueux. Consciente de la réussite de cet accord, Ahva échelonnait de plus en plus ses surveillances des troupeaux mais retournait de temps à autre à un poste d'observation. Juste au cas où. Baignée par les rayons chaleureux du soleil, la lionne ambrée était postée sur une pierre en hauteur pour observer les aller et venus de la savane, gardant ainsi un œil protecteur sur le troupeau d'herbivore qui broutait non loin. Son regard fut toutefois happé par une ombre se mouvant par les herbes dorées.

Un jeune lionceau déambulait seul parmi la savane. Ou du moins était-ce ce qu'elle supposait. Elle aperçut bientôt un petit lézard dressé sur une petite pierre chauffée par l'astre solaire et le lionceau qui l'observait d'un regard gourmand. Il était donc en chasse. Elle esquissa un petit sourire. Elle aurait aimé lui conseiller de s'approcher davantage s'il espérait capturer le lézard d'un coup de maître mais elle craignait trop d'effrayer la petite créature du son de sa voix. Elle demeura donc silencieuse et se contenta d'observer la technique du lionceau. Il lui semblait reconnaître le fils d'Amaya et Banguko. Elle était toutefois moins certaine quant au prénom du père, il ne vivait pas parmi eux.

Le petit lion s'élança, précis mais tout juste dans les temps. Le lézard manqua de lui échapper. Il semblait très fier de sa prise et il avait de quoi, ces reptiles étaient très vifs et une fois en fuite il était peu probable de les rattraper. Ahva observait le petit être qui lui-même observait sa proie prise entre ses pattes mais à son étonnement, il le laissa s'enfuir. Ce n'était pas une chasse, seulement un entraînement. L'objet de ses convoitises s'étant enfui, le lionceau remarqua enfin la présence de la lionne et la salua presque bougon.

« Bonjour Kyu. » lui répondit la princesse.

Il semblait gêné. L'avait-elle dérangé ? La princesse glissa un regard vers le reptile qui s'enfuyait à toute allure avant de reprendre :

« C'était une belle prise. Pourquoi l'as-tu laissé partir ? »

Elle se souvenait avoir elle aussi chassé le reptile dans sa jeunesse, souvent aux côtés de son frère qu'elle aimait initié aux goûts de l'aventure. Ses tentatives auront toutefois été vaine, Azaan était devenu plutôt casanier et à sa connaissance, il n'avait jamais quitté leur terre.

Sourire aux babines, le jeune lion confia ne pas être friand de petits reptiles et que tout ceci n'était qu'une expérience pour mettre en application les leçons de son père d'où la futilité à tuer l'animal.

« Tu es un jeune chasseur très appliqué, c'était clément de ta part de le laisser filer. »

L'aurait-elle fait dans la même situation ? Que nenni. Quoi que Ahva n'était plus vraiment une enfant et à cet âge, on était plus intéressé par l'exploit de capturer sa proie que de la manger. Surtout dans un clan où la nourriture était abondante.

« Je me porte bien. » répondit-elle au lionceau dans un sourire. « Ce n'est pas vraiment une patrouille, je reste statique pour m'assurer que la nouvelle loi est bien respectée par nos congénères. Tu sais, celle qui interdit dorénavant de tuer les jeunes herbivores sans moyen de défense. »

En tant qu'investigatrice de cette loi, Ahva était très attachée à son fonctionnement et surtout à sa réussite. Jusqu'ici les chasseurs ne l'avaient pas enfreint et c'était une bonne chose, la nouvelle restriction semblait avoir été accepté par les lions d'autant plus si celle-ci garantissait la protection de leurs propres petits. Au fond, peut-être était-ce une bonne chose que Mapinduzi s'en soit pris à ces lionceaux -parce qu'ils s'en étaient tous sortis indemne- mais surtout parce que cela avait éveillé les consciences.

« Et toi alors, tu t'occupes à perfectionner tes bases dans l'art de la chasse ? D'ordinaire ce sont plutôt les mères qui s'occupent de cette partie de l'éducation mais je suppose que c'est tout aussi bien si ton père s'en charge. »

Ahva ne connaissait que très peu de chose au sujet de Banguko si ce n'était qu'il était le compagnon d'Amaya et un voyageur. Elle l'avait simplement remarqué parce qu'il était l'unique mâle sans crinière qu'elle avait croisé jusque là.

A son étonnement, Kyu lui confiait que ses parents se répartissaient l’éducation de leurs enfants : la mère s’occuperait de la fille et le père du fils. Elle était surprise car d’ordinaire les parents s’occupaient équitablement d’un enfant comme de l’autre. Enfin, chaque famille son fonctionnement ... Elle même avait davantage été éduqué par sa mère que son père mais c’était différent, Kumpa était roi de son vivant et d’innombrables taches lui pesaient sur les épaules. Petite, Ahva avait jalousé sa sœur qui passait tant de temps en compagnie de leur père mais cela était primordial pour lui transmettre les fondements d’un bon règne. Elle l’avait compris plus tard. Ahva n’interpella donc pas davantage le lionceau sur cette histoire d’éducation, peut-être par peur de le froisser.

Curieux, le lionceau beige rebondit sur cette loi de non agression sur les plus jeunes qu’ils soient des herbivores ou des fauves. Il exposa par ailleurs son avis sur la chose, affirmant qu’il était rassuré à l’idée de ne plus avoir à craindre les bêtes cornues mais que la peur ne s’était pour autant évanouie. Ahva sourit, se voulant rassurante.

« Ni les lions ni les hippotragues n’ont d’intérêt à enfreindre cette loi. Nous avons tous le même but : assurer la pérennité de notre espèce et entrevoir un avenir pour nos petits. Je comprend que tu ais encore peur des cornues mais tu ne crains rien, ils ne s’attaqueront plus aux lionceaux. »

Ahva croyait foncièrement en la durabilité de cette loi, Mapinduzin et elle s’étaient entendus sur l’intérêt de voir fonctionner cette loi et tous deux s’assureraient qu’elle fonctionne aussi Ahva continuait à surveiller la savane bien qu’aucun accident n’ait été recensé pour le moment. Les deux parties tenaient leurs engagements. Son sourire s’agrandit alors et elle ajouta d’une voix plus ferme mais qui se voulait rassurante :

« De toute manière, le clan sera toujours là pour te protéger. Nous sommes une grande famille. »

L’avantage de vivre dans un clan et non en solitaire, ils étaient tous solidaires et une mère n’avait jamais à s’inquiéter pour la sécurité de son lionceau car tout le clan était derrière lui. Ensemble ils étaient invincibles.

Elle observa le lionceau, songea, puis bascula son regard vers l’horizon avant de revenir sur le petit beige, prise de curiosité :

«  Ton père, est-ce qu’il vit avec vous ? »

Elle n’en était pas vraiment sur. Un jour il était là et le lendemain abonné aux absents. C’était un lion bien mystérieux.

Tout en expliquant que son père vivait bel et bien avec eux, le petit Kyu lui confiait qu’il adorait entendre ses histoires de voyageurs. Ah, voilà donc l’explication à tout ceci. Ahva se demandait toutefois pourquoi le lion gris ne s’installait pas sur Prideland auprès de sa famille, peut-être ne voulait-il pas renoncer à sa liberté. Elle laissa ces préoccupations de côté et lui répondît simplement dans un sourire :

« Je te comprends, moi aussi j’adorais entendre les histoires de ma mère. »

Et quelles histoires ... Son esprit de jeune enfant avait peut être ajouté du spectaculaire là où il n’y en avait pas mais Kuzali avait toujours été son héroïne. Elle s’était pourtant bien éloigné de son modèle ...

Elle pensait avoir fait taire les inquiétudes du lionceau mais non. Visiblement très soucieux, Kyu argua que les herbivores ne savaient faire de distinction entre les Pridelanders et les voyageurs de passage. Il marquait un point, Mapinduzi lui avait bien confié ne pas faire de distinction entre les clans et que pour lui un lion était un lion, point.

« Il est vrai que seuls les Pridelanders sont assujettis a cette loi et nous n’avons aucune emprise sur la ligne de conduite des étrangers alors oui, ils peuvent très bien attaquer un jeune herbivore si bon leur semble. » lui concédait la lionne d’un air sérieux.

Et c’était le point qui avait fait gronder le chef de troupeau. L’idée de clans et de hiérarchie était difficile à saisir pour un être qui avait la gouvernance sur tous les siens, Mapinduzi n’était pas très ouvert d’esprit alors qu’il devait bien y avoir d’autres troupeaux d’hippotragues vivant sur la terre des lions. Sans doute aurait-elle du lui saisir cet argument mais s’il venait se plaindre du comportement des voyageurs, elle ne manquerait de le lui signaler pour qu’il comprenne que les Prideland n’étaient pas roi de tous, seulement de leur propre clan. C’est d’ailleurs ce qu’elle rappela au lionceau :

« Mais nous ne sommes pas responsables de leurs actes, j’ai bien insisté sur ce point lorsque j’ai rencontré le chef de troupeau. Alors certes si un tel événement venait à se produire Mapinduzi voudra très certainement des explications et je les lui fournirai. Si tu as peur de représailles ne t’en fais pas, je pense qu’il aura la décence de venir chercher des explications avant d’agir. Moi c’est ce que je ferai. »

Mapinduzi tenait tout autant qu’elle au maintien de cette loi, il ne ruinerait pas tous leurs efforts sur un simple coup de tête. Ahva adressa un énième sourire au lionceau, espérant l’avoir rassuré pour de bon.

Malgré les propos rassurants de la lion’e dorée, Kyu restait sur ses positions et n’en démordait pas. Avait-il rencontré des problèmes avec les bêtes cornues ? Cela expliquerait ses doutes et ses inquiétudes. Réfutant les propos de la princesse, il insistait sur le fait que Mapinduzi était un monstre et qu’il chercherait vengeance sans chercher à savoir qui était responsable. Ses yeux n’était que haine disait-il. Ahva soupira lentement.

«Et pourquoi penses-tu qu’il est animé par tant de colère ? Les lions lui ont pris son enfant ... Crois-tu que ton père resterait de glace si quelqu’un te faisait du mal et pire encore ? »

Avant de rencontrer le chef de troupeau, Ahva était animé de cette amertume. Elle n’avait pas vu en lui un monstre mais un dangereux ennemi qui renversait les lois. Pourtant si Mapinduzi n’avait pas agi, les lions n’auraient jamais pris conscience du problème.

« Ce n’est pas un monstre, seulement un père dont l’enfant lui a été arraché. Si tu continues à le considérer comme un ennemi, lui aussi fera de même devant cette hostilité. Nous devons apprendre à vivre ensemble et surtout à se faire confiance. Les Pridelanders n’ont pas fauté une seule fois depuis l’instauration de la nouvelle loi et je persiste à penser que Mapinduzi réfléchira avant d’agir si un incident se produisait mais tu sais, s’il n’a pas confiance en nous, c’est de notre faute. Trop longtemps nous avons considéré les herbivores comme du simple bétails mais eux aussi vivent et pensent comme nous. »

Sur ce, elle adressa un sourire au lionceau espérant le toucher avec des mots et faire ainsi évoluer sa pensée.

« Cette peur que tu as, est-elle seulement la cause de tes incertitudes ou avais-tu rencontré l’hippophagie avant que les choses ne s’apaisent ? »

Si tel était le cas, elle pouvait comprendre ses craintes. Elle se souvenait avoir rencontré Shaka, première victime de la bête cornue et la petite lionne bien que fière et joyeuse semblait encore marquée par l’attaque.

Malgré ses apparences de lionceau fier, Kyu confiait avoir été marqué par sa rencontre avec l'hippotrague. Il semblait avoir très mal pris le fait que Mapinduzi insulte son géniteur, véritable idole pour le lionceau mais aussi par son attitude agressive qui l'avait effrayé. Puis, il eut des mots qui frappèrent la lionne : perdre quelqu'un de proche n'est pas une raison valable pour verses le sang d'innocents. Ahva se retrouva pétrifiée. Ces mots ne lui étaient pas destinés et pourtant, c'était tout comme sans qu'il ne le sache. Elle déglutit et se ressaisit.

« Oui, je comprend, que ce soit ta colère ou ta peur pour les autres voyageurs. Beaucoup d'errants viennent chasser sur Prideland où le gibier est abondant et gras mais tu sais s'ils s'en prennent à des jeunes eux n'auront pas peur des représailles : ils n'ont pas le poids de la sécurité d'une multitude de lionceaux sur les épaules et ils savent à quoi s'en tenir, même nous avant la promulgation de cette loi : les parents chercheront toujours à protéger leurs petits. »

Elle soupira. Kyu avait fait ressortir tous les points faibles de cette loi mais aucune n'était parfaite.

« Je ne te demande pas d'aimer Mapinduzi ou de le comprendre, juste de croire en cette loi. C'est vous, la future génération, qui ferez que cette loi perdurera. »

Elle lui sourit doucement.

Enfin, le débat semblait prendre fin. Kyu capitula, sûrement parce qu'ils n'en auraient jamais fini le cas contraire, et affirma que la lionne pouvait compter sur sa sœur pour la pérennité de cette loi. Il était bien moins têtu qu'elle. Elle sourit à cette pensée. Mais ces propos l'intriguèrent : déjà par l'évocation de sa sœur mais aussi par ce qu'il confiait sur ses propres ambitions qu'il disait trop éloigné de ceux de ces camarades de clan.

« Ta sœur est-elle une fervente partisane de cette loi ? Et toi, pourquoi pas ? Qu'est-ce t'opposes au collectif du clan, tu aimerais être comme ton père, un voyageur ? »

C'était beaucoup de question mais nullement sur un ton pressant, elle était simplement curieuse et ponctua ses paroles d'un sourire. Il était très mature pour son âge. Mais après quelques secondes de silence, Kyu prit une grande inspiration comme s'il cherchait du courage et interrogea la lionne sur sa réaction précédente, lorsque ses mots l'avaient frappé de plein fouet sans qu'il ne s'en doute. Il était mature mais aussi perspicace.

« Tout va bien. » répondit-elle dans un murmure. « Tout va très bien, j'ai juste pensé à quelque chose et tu as raison, Mapinduzi ne devrait pas répandre sa haine sur des innocents. Peut-être avons-nous besoin de sceptiques comme toi finalement pour garder les pattes sur terre. »

Ce n'était pas vraiment un mensonge, seulement une façon détournée de lui répondre. Elle lui ébouriffa brièvement les quelques crins qui pointaient au bout de son crâne et se coucha en biais du lionceau pour lui faire face.

En guise de réponse au questionnement de la princesse ambrée, Kyu se mit à rire et affirma que selon sa sœur, tout ce que disait la famille royale était forcément juste. Comme Amaya d'ailleurs. Tout régime avait besoin de partisan impliqué et ô combien mais fidèle mais certaines perdait la mention des mesures et en oubliait leur propre arbitre. Ce n'était pas dangereux tant que certain comme Kyu demeurait réaliste et guidé par leurs propres idées. La famille royale était la ligne directrice mais tous n'avaient pas à être en accord avec leurs idées, ce serait une tyrannie sinon. Kyu avait suffisamment pointé le problème de sa sœur pour éviter à la lionne toute relance. Ce petit était bien perspicace. Il confirma les pensées de la lionne lorsqu'il lui confia qu'il suffisait d'ouvrir les yeux et de voir au-delà ce que l'on pensait voir. Elle sourit.

« Ton père est quelqu'un de sage Kyu, je suis entièrement d'accord avec son enseignement. Apprends à penser par toi-même et non par les autres. Il n'y a rien de plus dangereux que de devenir aveugle mais ne deviens pas trop individualiste non plus, un clan a besoin de chacun de ses membres. »

Suivrait-il la même voie que son père ? Il semblait s'en approcher et de ses dires, Kyu était bien plus proche des idées de son géniteur que celle d'Amaya. La femelle orangée avait toujours été ... quelque peu extrême dans ses idées. Dire qu'elle avait eu pour ambition de devenir conseillère de sa sœur. Ahva n'avait jamais vu cela d'un bon œil. Sûrement était-elle trop protectrice avec sa sœur aînée.

« Viens, rentrons. » dit la lionne en se redressant. « Ce sera bientôt mon tour de patrouiller et j'aimerai voir ma sœur avant de repartir. Tu pourrais me raconter tes aventures pour égayer notre chemin ? »

Ahva n'avait rien contre l'idée de laisser un lionceau poursuivre ses rêves dans la savane depuis l'instauration de la nouvelle loi mais on l'a traiterait encore d'inconsciente et Amaya la sermonnerait de ne pas avoir ramener son enfant en lieu sûr.

HRP: