La pluie avait cessée. Les vestiges de sa venue, épars sur le territoire désolé, reflétait le ciel nuageux que le couchant peignait de nuances orangées. Pareil à un embrasement, la voute céleste ajoutait à la plaine un aspect désertique et hostile. Le Dieu silencieux devant elle, la hyène déambulait dans ce paysage, qui, à première vue, semblait dénué de vie. Elle avait pour habitude de visiter cette partie du territoire. Bien souvent, ses escapades lui vidaient l’esprit et revigorait ce dernier avec de nouvelles idées. Mais aujourd’hui, la visite de ces lieux avait une toute autre finalité : Récolter des informations.

Shasta sauta sur un promontoire de pierre, gagnant un plateau surélevé. A son arrivée dans cette meute, une telle manœuvre aurait été impossible. Mais, les nombreux entrainements avec Akoda lui avaient fait gagner en agilité. Certes, elle n’avait pas la souplesse ni la grâce d’un félin, mais cela avait bien peu d’importance. En parlant de félin, le charognard glissa une œillade sur les environs, s’assurant qu’aucun idiot à crinière n’ait eu l’idée farfelue de s’introduire chez elle, tout comme les deux abrutis l’avaient fait quelques mois plus tôt. Si ses pairs n’avaient pas été aussi stupides, les lions auraient servi de pâture aux vautours. Et la brute se serait fait une joie de regarder leurs vilains petits becs percer et déchirer le corps des intrus !

Sa balade s’acheva bientôt, alors qu’elle foulait un terrain on ne-peut-plus familier : Celui où, tantôt, elle fit la connaissance de Zakor… Kar’Zoc...Non, Zar’roc ! Un compagnon de meute envoyé en espionnage quelques jours avant son périple meurtrier. La guerrière laissa choir son arrière train dans la poussière, fixant l’horizon. Son retour avait presque passé inaperçu, c’est pourquoi la géante dut faire appel à un camarade pour éventer la nouvelle jusqu’aux oreilles du rayé.

Cette étendue sans fin avait le don de faire perdre la notion du temps. La géante se sentait presque hypnotisée par la perspective de la plaine, comme si ses pensées étaient absorbées par le lointain. Qui sait, elles donneraient peut-être vie à des plantes urticantes ? Même si, sur ce sol imbibé d’acide et de déchets volcaniques, l’idée de voir prospérer des végétaux relevait de la naïveté.

- Ça t’va pas d’mater le bout du monde. Ça t’fait vraiment une sale tronche.

L’interpellation sorti Shasta de ses pensées. Comme réveillée du mauvais pied, la brute se tourna lentement vers le rayé, sa mine aussi chaleureuse qu’à l’accoutumée. Une courte distance les séparaient, si bien que la brute s’approcha d’avantage, son regard enfoncé dans celui de Zar’roc.

- Surveille tes propos si tu veux pas que je refasse la tienne. Et contente-toi de faire ce pourquoi j’t’ai engagé ! Gronda-t-elle du tac au tac, se plantant devant le mâle. Alors ?

Il n'y avait pas de temps à perdre ! Chaque seconde à discuter dans le vide était une seconde de plus sous le règne de Kuruka !

La conclusion tomba, arrachant un rictus à Shasta qui se détourna du mâle pour savourer la nouvelle. Elle s’y attendait, évidement. La vieille femelle n’avait plus aucune légitimité aux yeux de ses congénères. Le démantèlement de la meute en était une preuve flagrante. Néanmoins, Zar’roc souleva un nouveau point, qui, d’après lui, ne semblait pas des moindres : Djal. Le frère débile de cette dominante honnie. La surprise, mêlée à l’incompréhension, la paralysèrent un instant. Elle zieuta la plaine avant de se tourner lentement vers le rayé, plantant une nouvelle fois son regard dans le sien.

- En quoi ça t’pose problème ? Demanda-t-elle sèchement. Tu veux sauver les valeurs de ta meute ou faire du sentimentalisme ?

La géante n’avait rencontré l’intéressé qu’une fois. Mais cette entrevue fut suffisante pour classer le frère de Kuruka dans la case des "éléments inutiles". Malgré cela, il restait un membre du clan. Shasta n’avait rien contre lui malgré le mépris qu’elle ressentait à son égard, en partie valut à ses liens de sang.

- Y’a pas de révolte à deux vitesses ! Laisse le frangin décider de la marche à suivre. Qui sait, la sœur aura pas à l’éberner, pour une fois.

En cas de conflit, Djal ne serait certainement pas de ceux qui prendraient part au combat. Aussi se retrouverait-il avec deux possibilités à l’issue de l’affrontement : Suivre Shasta, ou fuir avec la vieille reine si cette dernière venait à survivre.

- Nan j’voulais dire que… Bon ok, s’tu le dis. Balbutia Zar’roc. Du coup, tu penses à une victoire faci…

- Excusez-moi mes chers, je ne fais que passer pour trouver une fleur. Aucun grabuge, Kuruka me connaît.

Comme si une abeille venait de lui piquer l’arrière train, Shasta se tourna brutalement vers l’interpellation. Le mâle, lui avait instantanément gonflé son pelage, donnant à son corps une allure encore plus imposante. Les pupilles de la brute s’étrécirent quand elles se posèrent sur le félin rouge. Que faisait-il ici ?! Comment avait-il put échapper à leur attention ? Quoi qu’il en soit, utiliser Kuruka comme étendard scella son sort. Et elle qui cherchait un plan pour destituer la dominante…

Shasta échangea un regard entendu à son acolyte. Leurs muscles étaient tendus et nul doute que la même idée leur était passée par la tête. Il était temps de briser cette alliance stupide et, par la même occasion, remettre de l’ordre dans cette foutue meute !

- Aww. Vous vous connaissez ? Demanda Shasta, s’approchant doucement du gros chat afin de se poster devant lui. Son ton faussement mielleux ne signifiait rien de bon. Tu tombes à pic ! J’ai justement un message pour Kuruka…

La procédure imposée par la reine d’argent exigeait que tout étranger doive subir un interrogatoire. Mais ce temps était révolu. Peu importe ce que cet imbécile était venu chercher, il était hors de question qu’il sorte du territoire vivant. La couleur de son sang tâchant le sol poisseux serait la signature du pacte de Shasta : Un nouvel avenir pour les hyènes.

La géante jeta une œillade au guerrier. Il était temps pour lui de lui montrer ce qu’il avait dans le ventre !

Ses muscles se détendirent comme un ressort. Le corps de Shasta fut propulsé à l’avant et alla percuter le poitrail de l’intrus. Il fallait profiter de l’effet surprise pour lui couper le souffle. Ce lion, malgré son âge, avait une musculature fine et développée. L’agilité devait être son domaine. Aussi, le ralentir serait à l’avantage des charognards.

Le contentement de Shasta face au résultat escompté fut de courte durée. A peine remis du choc, le félin gratta le sol, propulsant une brume de poussière vers les hyénidés. Zar’roc, qui s’était précipité vers leur adversaire, fut le premier à subir les conséquences de ces représailles. Néanmoins, le rayé ne se démonta pas, cherchant à mordre le lion rouge, sans succès.

De son côté, la géante détourna la tête, évitant le nuage poisseux de justesse alors qu’une brise venait de la lui expédier. Un long grognement lui sortit de la gorge devant un tel affront.

- Grouille, faut pas qu’y’s’casse ! Hurla le guerrier, alors que la brute se préparait déjà à repartir à l’assaut. Les muscles de leur proie étaient tendus : Elle n’allait pas tarder à s’échapper ! Avant que l’intrus n’ait pu entreprendre une telle manœuvre, la grosse hyène fondit sur l’ennemi, bifurqua brusquement avant de le saisir à la gorge. Elle serra ensuite toute ses forces, secouant sa prise violement. Il lui fallait percer la crinière et la chair pour pouvoir atteindre son but, raidissant ses muscles dans l’attente d’une réplique agressive du félidé. Maintenant que ses crocs étaient hors d’état de nuire, le fauve userait certainement de ses griffes et son poids pour dégager le charognard. Encore fallait-il que Zar’roc trouve lui aussi un bon angle d’attaque.