Concentration. Un pas. Deux pas. Trois pas. La robe hivernale de la Vallée Blanche immortalisait ses pas et couvrait ses arrières. Son pelage gris légèrement plus sombre que la plaine elle-même, Sungura ne perdit pas pour autant l'espoir de passer inaperçu auprès de sa proie et suivit silencieusement la trace de son fameux lapin qui s'éloignait, au loin, dans cette clairière blanche, l'air innocent, ne se doutant certainement pas qu'une resplendissante chasseresse le traquait. Le sourire qu'arborait présentement la fille de Késhia indiquait clairement sa satisfaction devant la facilité que les Grands Esprits lui accordaient à tomber sur ses proies et à les achever comme si ses pattes étaient faites de plumes (comme ça personne ne l'entendait venir) et son corps ayant toujours été taillé pour le combat. Elle était surprise de constater que sa proie ne s'intéressait pas à elle et préférait nettement se méfier du paysage plutôt que du prédateur qui la suivait de manière douteuse. Eh bien, tant pis pour lui  ? Songeait-elle, satisfaite, en continuant toujours sa progression. Soudain, le lapin disparut de sa position comme de la fumée. La lionne grise releva la tête, les prunelles étrécies par la surprise. Il réapparut soudain devant elle, comme si de rien n'était. Sungura haussa un sourcil, perplexe. Elle le toucha lentement, peu rassurée par le phénomène qui venait tout juste de se produire. Le lapin leva la tête vers elle et …

Hurla.

Genre, comme ça :

Prise au dépourvu, la demi-Nordique sursauta et fit un bond en arrière, la fourrure hérissée. Son cœur tambourina violemment contre sa poitrine. Le lapin détala à toute vitesse, sans demander son reste. Elle se remit tant bien que mal du choc et laissa ses poils retomber sur sa peau. Instinctivement, elle tenta de rassurer son cœur (et principalement elle-même) avec des mots doux et en se convainquant que tout allait bien et que ce lapin-là était juste … un cas exceptionnel. Trop tard. Des tremblements interrompirent son instant de répit. Les tremblements devinrent de plus en plus inquiétants, jusqu'à cesser et laisser place à une monstrueuse avalanche affamée. Terrorisée, Sungura gémit.

« Eh- … C'EST QUOI CA  ?! »

L'avalanche fondit sur elle à une vitesse affolante, sans lui laisser la chance de s'enfuir. L'adolescente poussa un dernier hurlement effrayé avant que la neige ne l'engloutisse et lui fasse perdre conscience. Avalanche. Puis plus rien. Plus de champ de vision.
Puis dans son champ de vision apparut l'intérieur de la grotte familiale où elle avait passé toute son enfance à dormir contre son frère ou à se dorloter contre sa mère.
Dans un gémissement toujours aussi effrayé par le cauchemar qu'elle venait de faire, Sungura ouvrit brusquement les yeux et ne perdit pas de temps : elle réalisa une pitoyable roulade dans la caverne vide, histoire de rattraper la fuite qu'elle aurait dû faire quand l'avalanche imaginaire l'avait prise par surprise. Le cœur battant affreusement fort contre sa poitrine, les poils hérissés et les larmes aux yeux, l'apprentie chasseresse chercha automatiquement la fourrure sable de son frère en priant les Grands Esprits pour qu'il ne se soit pas réveillé à cause d'elle. Elle le chercha du regard, en vain. Il n'était pas là. Disparu, envolé.
C'est alors qu'elle prit pleinement conscience que son frère n'avait jamais été là et qu'elle s'était inquiétée pour rien. Son frère n'était pas là. Il n'était plus là. Il avait quitté les montagnes.
Sans chercher à se relever, l'ex-princesse resta allongée au sol, laissant petit à petit ses esprits lui revenir. Ses yeux clignèrent, chassant les larmes traîtresses qui menaçaient un peu plus à chaque seconde leur arrivée sur ses joues marquées par la couleur de ses origines mi-Nordique, mi-Jangowas. Son cœur calma ses battements, tant bien que mal. Ses poils retombèrent de nouveau sur sa peau. Sungura respira un bon coup, gagnée par la crainte et la peine.

« Choyo, tu me manques ... » murmura-t-elle, d'une voix tremblante.

Si son faux jumeau avait été là, il l'aurait rassurée. Il lui aurait prouvé de toutes les manières possibles que l'avalanche dont elle avait rêvé n'était pas réelle et que, désormais, elle ne craignait plus rien maintenant que le Monde Réel était à sa portée. Il était un peu grincheux sur les bords des fois mais n'en demeurait pas moins réaliste et sincère avec elle. Elle aurait pu être certaine que Choyo ne lui aurait pas rempli la tête avec pleine de niaiseries irréalistes pour la faire taire une bonne fois pour toutes. Une fois calmée, Sungura ferma les yeux quelques instants et réfléchit, calmement, à ce qu'il fallait faire maintenant qu'elle était réveillée. Plus d'avalanche. Elle était en sécurité. Aucun lapin hurleur ou avalanche sournoise pour venir lui gâcher la journée.
Ou presque.
Le visage de sa protectrice, Akshaya, lui revint en mémoire. Aujourd'hui, elles devaient chasser ensemble. Enfin ! Elles n'allaient pas vraiment chasser pour de vrai, puisque Aksha était censée lui apprendre les bases et l'aider à perfectionner ses techniques ! Forcément, sans expérience … elle n'attraperait pas grand-chose, et c'était sûrement pour cette raison qu'elle avait cru traquer et toucher un lapin si facilement et sans se casser la tête dans son rêve. Sans parler de l'avalanche, terrible prédatrice et fille de la Nature, qui tuait les prédateurs tueurs de proies … une sorte de chaîne alimentaire, provoquant des frissons à la fille de Késhia.

Quant à Késhia, lui aussi, semblait ne pas être dans la grotte. La femelle grise jeta un regard aux parois de sa caverne familiale et fut, cette fois-ci, assurée qu'elle était bien seule. Qui sait si le sommeil et le choc lui avaient fait voir des illusions … eh bien, en tout cas, plus rien ne la retenait définitivement ici.
Elle passa ces dernières minutes de solitude à se toiletter et à se remettre à niveau. Tête sur les épaules, loin du cauchemar et de toutes autres illusions, la fourrure bien lustrée, les muscles échauffés, les pattes prêtes à cheminer de longues clairières et l'esprit bien réveillé. Elle était prête  ! Une voix familière la sortit bien vite de ses préparations :

« Sun' ! T'es là  ? »

Elle reconnut avec soulagement la voix de sa camarade, Akshaya. Pouvait-elle sortir, maintenant que son amie l'attendait ? Oui. La réponse était oui. Sa présence était désirée dehors. Sans plus tarder, la femelle aux yeux bleus quitta sa zone de ténèbres pour une autre plus lumineuse encore.
Caressée par les rayons du soleil, la féline se montra au grand jour et remarqua sa partenaire de chasse, assise non loin de l'entrée, qui la regardait. Un sourire éclaira bien vite le visage des deux adolescentes désormais réunies et qui allaient, certainement, passer une bonne journée à traquer les animaux dans la neige malgré les possibles maladresses que Sungura éviterait par tous les moyens de commettre. Après tout, elle était la plus vieille, elle se devait bien pour l'orgueil de rester au top ! En attendant, Akshaya s'approchait de son aînée et frottait son front contre le sien, accompagnant son geste par un ronronnement qui apaisa davantage son esprit tourmenté par les heures précédentes. De nature affectueuse, Sungura aimait les câlins et, contrairement à certains lions étranges qui refusaient tout contact avec autrui – les fous, ce qu'ils manquaient ! - rendit ces gestes doucereux par un coup de langue sur le front de la femelle blanche, comme en guise de salut.

« Bien dormit  ? Tu es prête à chasser le lapin ? »
« Bien sûr ! Sinon, pourquoi me serais-je levée  ? » répondit vivement Sungura en gloussant un peu, amusée. Enfin … A choisir entre le cauchemar et son amie …

Quoiqu'il en soit, après lui avoir fait la joie d'un nouveau geste affectif, Akshaya se détourna de la grotte et se prépara déjà au petit voyage. La fille de Suki lui fit un signe de tête en la dépassant un peu dans la progression de la marche, en profitant pour lui demander, gentiment  et taquine :

« Et toi ? Je ne t'ai pas demandé. Tu as bien dormi ? Tu es prête à te faire battre à plate couture par une demi-Nordique ? »

Comme certains Nordiques aimaient bien l'appeler, bien que la jeune tentât d'ignorer et oublier les « insultes » comme si ce n'était qu'un vilain cauchemar et que tous ceux, salissant le nom de Késhia avec des moqueries et des rumeurs, n'étaient en fait que contrôlés par les âmes damnées des Jangowas qui hantaient les montagnes du Nord pour des farces. Même après ces deux ans d'existence avec le Clan de son père, Sungura ne savait que penser alors, impuissante, jonglait entre les possibilités ...

Honnêtement, l'adolescente aux yeux bleus ne s'était pas attendue à ce qui allait suivre sa remarque sur sa position de « demi-Nordique ». Au lieu de flatter d'une quelconque façon son égo ou la rassurer que tout se passerait bien, Akshaya préféra nettement jouer de sa voix et de son corps souple et jeune. Sungura haussa un sourcil plutôt perplexe, quoique accompagné d'un petit sourire amusé maintenant que sa camarade s'affairait à démontrer une réaction des plus absurdes, qui effrayait presque la femelle grise de par son arrivée inattendue dans la conversation et l'élargissement de l'originalité dont ses traits prenaient pour exemple. Telle une statue, la féline blanche écarquilla les yeux, comme surprise, ouvrant légèrement la bouche sans prononcer mot. Ses iris dorés disparurent finalement sous ses paupières sombres et, la patte collée à son poitrail gris, la tête levée, Akshaya ne parvint pas à trouver ses mots.

« Battue par … par ... »

Fin de l'histoire. Elle tomba à la renverse et parût mourir au sol, une patte sur le cœur, l'autre dans la neige, défiant au passage la taille de la jeune Nordique et ses dimensions taillées avec l'expérience. Maintenant, le tremblement saisit son corps immobile et la voix se joignit à la danse, tout aussi imprévisible :

« PAR UNE DEMI-NORDIQUE ? »

Elle se redressa, comme si de rien n'était. Elle est tarée, ma parole … pensa la princesse déchue avec un amusement couplé à une légère inquiétude. Son amie semblait jouer son rôle à cœur joie mais la facilité qu'elle prenait à changer de masques soufflait presque un doute à la conscience de la femelle gris-bleu. Aksha allait bien physiquement, mais Sungu ne pouvait s'empêcher de se demander s'il ne lui manquait pas une heure ou deux de sommeil. Voilà l'une des principales raisons pour laquelle elle était une proie facile aux yeux d'autrui : sa naïveté ne pardonnait aucun écart. Même dans le plus innocent des jeux comiques, sa stature innocente venait toujours à remettre en cause la véracité de son champ de vision. En attendant, sa cadette ne se doutait nullement des pensées se chamboulant dans son instant de réflexion ; revers de patte sur front, Akshaya paraissait désormais plus dénuée de vie que d'habitude. Une ligne chargée de mutisme finit par déformer ses babines parfaites, alors que son épaule venait troubler l'immobilité de la position de Sungura en l'espace de quelques secondes seulement. L'intéressée leva les yeux au ciel avant de sourire à son tour, complètement dépassée par celle qui partageait ses origines pour moitié. Elle était irrécupérable, celle-là. Elle avait bien failli s'inquiéter pour un rien.

« Ce n'est pas parce que je suis une pure Nordique que tu ne pourras pas me battre, c'est simplement parce que je suis plus douée. » assura Akshaya avec un regard désormais malicieux, le ton joyeux. La position de la jeune lionne parmi tous ces conflits politiques n'était pas un mystère et, pourtant, la fille de Késhia ne cessait jamais de s'en complaire ; elle aurait tellement aimé que les Nordiques soient tous comme sa protectrice. Elle aurait aimé qu'ils soient tous joyeux, innocents, taquins, et surtout compréhensifs envers son père. Mais souhaiter tout cela serait toujours un peu trop pour les Grands Esprits, n'est-il pas ? Assurément, Sungura ne devrait pas compter sur ses ancêtres pour cette mission des plus ardues. Elle devrait compter sur elle-même … et sur la complicité de sa jolie bande.

« Plus jeune que moi et pourtant, ta langue est plus sage que celle de bien des nôtres. Vas donc le dire au Clan ! » lança-t-elle en gloussant un peu. Elle ajouta alors dans un petit clin d’œil, d'une voix murmurante. « Alors prépare-toi à te faire battre tout court par … moi. » Ni ce qu'elle avait dit sur le Clan, ni sur le destin tragique d'Aksha n'étaient vrais. En vérité, sa conscience lui soufflait que les Nordiques étaient excusables et que son amie la battrait tout de même, bien que cela l'embête quand même un peu, vu qu'elle est plus âgée qu'elle. Son interlocutrice en profita pour s'amuser avec l'une de ses oreilles avant de lui faire perdre l'équilibre, l'embarquant dans une série de roulés-boulés dans la neige, sous l’œil de la compagne de route de sa comparse, un volatile. Sungura prit cette occasion comme un moyen de prouver sa valeur dans la lutte mais, au dernier moment, le simple fait d'imaginer qu'elle devrait toucher sa cible et possiblement la blesser la convaincu de ne rien faire. Qui sait si elle lui faisait mal dans une de leurs roulades … ?
Son cœur se serra. Elle se sentait bien incapable de faire du mal à Akshaya.
Elle fit mine alors d'être vaincue, le poitrail écrasé par les pattes de la femelle aux mirettes dorées.

« Si j'avais su que je me ferais maltraiter aujourd'hui, je ne serais pas sortie de ma grotte ! » gémit faussement la femelle gris-bleu en faisant sa tête de chien battu.
« Sungura, tu es encore plus douce que le lapin que nous partons chasser et c'est pour ça que je t'emmène avec moi, pour que tu deviennes redoutable ! »
« Oui. » finit-elle par avouer. « J'ai hâte d'apprendre à tes côtés. Qu'attendons-nous pour partir ? Le seul lapin que tu as attrapé pour l'instant, c'est moi, mais je pense que ce n'est pas du jeu puisque je n'ai pas de longues oreilles » Amusée, elle ajouta cela avec gaieté. Il n'y avait pas à dire, les rires et la joie dansante dans les prunelles d'Akshaya étaient communicatifs. Elle venait d'en faire l'expérience, et d'être contaminée par une soudaine bonne humeur. Un très bon début pour l'apprentie-chasseuse qui ne tarderait pas à faire briller les prunelles de tous !

Égayée par ce désir nouveau, Sungura s'imagina les lapins de la vallée blanche et le moment où, victorieuse, elle en attraperait un et le montrerait fièrement à son professeur. Elle avait hâte de se forger dans l'art de la chasse, à défaut d'être une remarquable guerrière dont la capacité à blesser et tuer s'avérait satisfaisante. Seulement, devrait-elle tuer sa prise ? Elle pensait que non, que ce ne serait pas le cas. Ses crocs ne voulaient pas prendre la vie. Ses griffes ne voulaient pas éparpiller le sang dans la neige, quelle que soit la raison de ce geste criminel. L'adolescente se releva doucement, aidée indirectement par le réflexe de sa camarade qui fut de se retirer d'elle, riant au passage de la comparaison évidente entre le nom Sungura et les lapins. Comme si sa mère avait toujours lu dans son avenir, elle lui avait donné le nom parfait. Un petit sourire prit possession de ses babines d'argent et de cristal. C'était très amusant. Ses pensées ancrèrent automatiquement le visage de Suki dans sa tête mais la princesse déchue se força à le chasser le plus vite possible, de peur de voir sa joie et son sourire disparaître pour toujours. Les blessures étaient devenues cicatrices, mais la douleur demeurait encore présente.

« Allons-y alors puisque notre douce Princesse est si impatiente ! » annonça la femelle blanche avec un mouvement de tête, cette fois-ci pour avoir un nouveau contact privilégié avec son aînée. Sungura ronronna un peu avant de hocher la tête, visiblement d'accord avec elle.

Sur ces mots, les deux Nordiques se pressèrent sérieusement jusqu'à la Vallée Blanche. La chaleur des Sources Chaudes mourrait. Le grondement des geysers s'étouffait dans le lointain, alors que la fille de Késhia essayait tant bien que mal de tenir la cadence tenue par son amie. Akshaya semblait rechercher son animal domestique, alors voletant dans le ciel céruléen de la journée. Il tournoyait, le mouvement tranquille, comme si rien ne pouvait l'atteindre : la lionne gris-bleu observa quelques instants ce maître aérien, un peu envieuse de sa capacité à voler et aller là où il le voulait. Si seulement son père pouvait avoir des ailes et se détacher des Nokosis et de ses problèmes ! Ce songe semblait quelque peu étrange, dit ainsi, mais toujours était-il qu'elle et sa famille étaient les seuls à comprendre le sous-entendu de cette remarque.

« Ce n'est pas très loin mais j'ai une question … Ou plusieurs. Tu aurais aimé être Reine ? »

Elle ne réagit pas tout de suite. Ses yeux regardaient indéniablement le ciel, avant que ses oreilles ne rappellent à l'ordre l'attention de la femelle pour enfin s'intéresser à ce que Akshaya lui avait dit. Elle repassa en boucle les mots, comme pour comprendre leur signification.
Réaction.
La surprise s'accrocha à ses épaules. Elle eut un petit mouvement en arrière, ne s'étant pas attendue à cette question. La question, elle-même, était prévisible venant d'une Nordique à l'intention de celle qui aurait dû devenir sa Reine, mais n'avait-elle pas fait le deuil de ce temps ancien ? Pour éviter d'en souffrir davantage et se combler de faux espoirs, Sungura avait préféré jouer la carte de sécurité et renoncer à son trône pour protéger sa famille des représailles et tout autres formes de méchancetés. Son cœur lui hurlait d'avoir toujours voulu monter sur le trône, au point même d'en avoir imaginé mille scénarios et mille lois que l'adolescente aurait pu instaurer au sein du Nord afin d'améliorer leurs conditions de vie – mais c'était peine perdu, les Nokosis étaient trop aimés, et la famille royale se divisait progressivement. Suki avait perdu la vie, Choyo avait quitté le Nord, Késhia enseignait désormais aux Nokosis et voilà que la seule à avoir encore l'espoir de revenir en arrière se trouvait être elle, Sungura. La plus gentille de toutes. C'était suffisant pour comprendre qu'elle n'y arriverait jamais. Choyo aurait pu l'aider, mais son destin l'attendait ailleurs.

« Eh bien, je … Oui, j'aurais aimé être Reine. » soupira-t-elle soudainement, un peu moins enthousiaste. Il fallait dire que ce sujet s'annonçait délicat, elle n'aimait pas trop en parler. « J'avais mille projets, mille scénarios dans ma tête et puis, cet imbécile de Nhormero est venu humilier mon père devant tout le Nord. J'imagine que ça ne sert à rien de débattre plus, que je veuille devenir Reine ou non, je ne le deviendrais pas. »

Le simple fait de prononcer « Nhormero » la dégoûtait. Mais il avait humilié son père, remis en cause sa capacité à être un bon meneur et s'était imposé, tel un héros, avec son groupe de vilains sbires, autour de la table où se discutait le pouvoir. Il devait sûrement faire du bon travail puisque personne ne s'en plaignait. Mais elle aurait bien aimé qu'il en discute avec Késhia avant de le prendre en grippe en public.

Cette fois-ci, la sœur de Choyo ne riait plus. Elle se remémorait l’événement du Mont Blanc avec une note désagréable sur la langue. Elle avait très mal.

« Je ne pense pas que le but de Nhormero était d'humilier ta famille, Sungura. » défendit Akshaya avec une pointe d'hésitation. Le fait qu'elle sourit un peu plus de cette supposition grotesque indigna la fille de Késhia, dont le cœur agonisait de douleur désormais, profondément offusquée que son interlocutrice ne la comprenne pas vraiment sur ce point. Bien évidemment que son but n'était pas d'humilier sa famille ! Il a juste souligné le sang impur de sa famille et prétendu que son père n'était pas digne du trône. Bien sûr qu'il n'avait pas souhaité leur faire du mal ! Elle n'en savait absolument rien ! Ses sourcils se froncèrent légèrement, alors qu'un voile de larmes recouvrait ses yeux. La princesse déchue repensait à l’événement du Mont Blanc, tout ce qu'elle avait retenu. Ce qui l'avait touché, blessé de tout son être. « Je pense qu'il voulait sincèrement le bien de ton père, en lui permettant ainsi de rester auprès de vous. A vrai dire, je doute davantage d'Idéha et le reste de son groupe, ils sont … un peu étranges. » Akshaya lâcha un petit rire sans valeur et qui, pourtant, rendait encore plus mal Sungura. Elle n'avait rien contre son amie. Rien contre elle. Mais multiples jurons lui traversaient la gorge et consumaient l'image de Nhormero. Elle avait envie de tous les cracher, les répéter avec colère, pour s'apaiser, se libérer de toute cette indignation ressentie ces derniers mois. Seulement, elle n'en avait pas le droit.

Elle préféra donc détourner le regard, les prunelles comblées de larmes. Jusqu'où pourrait-elle les contenir ? Elle ne regardait plus sa comparse, faisant mine d'observer le paysage qui défilait de son côté pour réfléchir à autre chose. Pourquoi pleures-tu pour une raison si stupide ? Elle ne savait pas vraiment. C'était comme ça : certains cœurs supportaient moins que d'autres les mots.

« Cependant Sungura, tu renonces trop vite. Peut-être ne seras-tu jamais Reine du Nord mais tu peux leur montrer à tous que ton métissage ne fait pas de toi une lionne qui n'est pas leur égal. Moi je le sais que ton cœur est pur et que tu es juste. Nous sommes ceux qui devront assurer la prospérité du Nord après eux et je veux que tu deviennes Nokosis. » lui avoua la Nordique aux prunelles dorées, d'une voix déterminée.

Une Nokosi ? Répétèrent ses songes avec surprise. Une Nokosi, la pure création de ceux qui avaient détruit son père ? La folle idée de pouvoir recadrer les défauts des Nokosis l'enchantait mais, présentement, sa gorge était tant nouée qu'elle ne laissait échapper plus un seul mot. Des larmes avaient roulé sur ses joues, alors que l'ex-princesse tentait de les sécher à l'aide de l'une de ses pattes, rapidement, histoire que son amie ne se doute de rien. Elle n'avait pas vraiment envie de lui partager son malaise et de la rendre inquiète pour une chose qui ne concernait qu'une seule personne : elle-même.

« Tu dois être forte pour leur montrer à tous ce dont tu es capable ! Tu resplendiras et ceux qui ont mal parlé viendront s'excuser pour le mal qu'ils t'ont fait ! »

D'habitude elle aurait sourit et confirmé ses dires – qui n'étaient pas faux, d'ailleurs – mais, étrangement, elle se contenta simplement de hocher la tête, un peu assommée par la contrariété de tout à l'heure. Sungura lâcha simplement, d'une poussée de voix qu'elle espérait simple et enthousiaste :

« On arrive bientôt ? »

Son regard bleuté balaya le paysage, retrouvant tant bien que mal sa contenance.

Pour retrouver la contenance d'une lionne qui ne comptait pas pleurer, Sungura insista sur la contemplation du paysage, clignant des yeux afin de sécher les larmes qui menaçaient de descendre le long de ses joues, tentant de penser à autre chose, quelque chose d'un peu plus joyeux que cela. Sa conscience lui souffla qu'elle valait bien plus que le Conseil Blanc et Nhormero. Ses pensées lui attribuèrent la vision de Késhia, Suki et Choyo à l'entrée de la grotte familiale. D'une certaine manière, ce fut suffisant pour la détendre un peu plus.
La princesse déchue respira un bon coup. On pouvait croire qu'elle essayait de profiter de l'air pur et froid de la Vallée Blanche mais ce n'était pas le cas. Elle évacuait ses ondes négatives grâce à un joli courant d'air dans ses poumons brûlants d'un sentiment indescriptible qui traversait également tout son être, son corps. Au bout d'une vingtaine de secondes, Sungura se sentait se détendre, s'apaiser. Son regard bleu se posa sur le visage d'Akshaya, hésitant entre une expression désolée et une mine sans émotion. Maintenant que le sujet de Nhormero avait été abordé, la princesse déchue ressentait de la gêne en sa compagnie. Seulement, sa camarade ne semblait pas le remarquer et lui offrit un sourire tendre, engageant le contact entre leurs deux pelages d'une manière que l'intéressée prit comme « une consolation » par rapport à la conversation dernière. Ça aussi, ça la détendit, mais la fille de Késhia avait besoin de temps encore pour oublier totalement sa colère vis-à-vis du Chef des Nokosis. Pour cela, elle concentra son attention sur les mots dits par son amie.

« On y est, on s'arrête derrière ces buissons. »

Tout en la prévenant, Akshaya fila derrière l'un des premiers buissons que le Royaume du Nord leur tendait, tandis que Sungura levait les yeux droits devant elles : surprise, elle observa un bref instant l'étendue blanche de la Vallée … Blanche. Une immense plaine où seule la neige régnait en maître, forçant les arbres et toutes autres végétations un peu trop imposantes à pousser sur les côtés, telles que sur les collines, les terrains plats. Des buissons et d'autres végétations faisaient cependant exception … et poussaient un peu partout, ce qui avait le mérite d'attirer le gibier dans une zone relativement dégagée. La demoiselle gris-bleu s'imagina avec délice le repas qu'elle mangerait et dont elle ferait profiter à son père, une fois rentrée aux Sources Chaudes. Bien qu'amusée par les réactions d'Akshaya, Sungura s'engagea à jouer convenablement son rôle de chasseresse et à apprendre dans les règles de l'art les techniques de chasse du Royaume du Nord. Les oreilles plaquées contre son crâne, le ventre frôlant la neige avec une grâce de serpent, la jeune féline suivit sa camarade et fit face au plateau de chasse, quelque peu impatiente à l'idée de commencer ses cours.
Son professeur la considéra simplement, sourire aux babines et hochant doucement la tête, de sorte à appuyer ses dires de grande importance :

« Le truc, c'est de se faire voir le plus tard possible. Tes yeux doivent être partout, tu restes couchée au maximum et tu t'approches tout doucement. Les lapins sont très futés tu sais, ils ont de bonnes techniques d'esquives mais ils ne résistent pas très longtemps. Si tu tapes dans ta cible, t'as pratiquement toutes tes chances. »

Pauvres lapins ! Se désola intérieurement Sungura, le cœur serré par un sentiment de pitié à leur égard. Toutefois, elle hocha la tête à son tour, comme pour dire qu'elle avait compris ce qu'il fallait faire.

« Allez princesse, tu peux le faire » l'encouragea Bushra, qui avait cessé de voler depuis le temps et s'était posée non loin d'elles.
« Merci, Bushra. » la remercia d'un mouvement de tête l'apprentie-chasseresse, sourire aux babines. Elle jeta un œil à Akshaya, sans un mot, consciente que son expression suffirait à lui faire comprendre qu'elle était prête. Après quoi, la fille de Késhia se détacha du duo et, à pas lent et contrôlé, progressa lentement dans la vallée, dans l'espoir de repérer un petit lapin d'une façon ou d'une autre. Son ventre frôlait la neige et lui procurait des chatouilles qu'elle bloqua immédiatement, se mordillant la babine inférieure. Elle avait envie de rire mais se retenait. Ce n'était absolument pas professionnel !

Son envie de rire mourut bien vite à l'approche d'un petit être doté de grandes oreilles : un lapin. Le petit animal sautait, à gauche, à droite, jonglant entre les nombreuses végétations qui s'offraient à lui. A un moment, le lapin se dressa sur place et passa ses deux petites pattes sur sa tête, ses oreilles, son museau, comme s'il se nettoyait le visage. Sungura trouva cela vraiment très adorable. Oh, il est trop mignon le petit … Non ! Non, non, non ! Ressaisis-toi Sungura ! C'est … C'est une proie !
Elle n'osa même pas jeter un regard à Akshaya et Bushra, de peur d'attirer l'attention de la cible sur elle. Ses pattes continuèrent donc de progresser finement dans la neige, tandis que la chasseresse au pelage gris-bleu tendait ses muscles, prête à attaquer. Quand elle sentit qu'elle était proche de lui et que le lapin regardait ailleurs, elle bondit, brusquement. Cette brusquerie lui fit un peu mal aux muscles mais elle tint le coup, espérant être victorieuse. Sa proie poussa un gémissement désespéré avant de prendre la fuite. Ses griffes plongèrent malheureusement dans la neige.

« Non ! » s'écria Sungura, horrifiée. Oups. Ce fut instinctif ! Sans perdre davantage de temps, elle s'élança à la poursuite de l'animal, bien déterminée à le rattraper. Tous les autres lapins de la zone dressèrent leurs oreilles et prirent la fuite, saisis de panique face au prédateur qui, aux yeux de tous et sans scrupules, poursuivait à une allure folle un pauvre rongeur.

Saisie de frustration, Sungura n'osa pas regarder Akshaya et Bushra. Elle fonça droit sur le lapin qui fuyait, lui qui cherchait à sauver sa vie, et elle qui voulait simplement s'initier à la chasse. Tout autour d'eux, les proies détalaient dans de différentes directions, se cachaient là où ils le pouvaient … Puis, tel un espoir inespéré, Akshaya apparut dans la piste de danse, déstabilisant habilement la bête blanche qui faillit perdre l'équilibre, pivotant finalement sur la droite.

« Attrape-le, Sungura ! » lui lança Akshaya, passant non loin de la chasseresse débutante.
« Je vais essayer ! » répondit l'intéressée, éclatant dans un petit rire mi-amusé, mi-nerveux. C'est que ce lapin courrait vite ! Bushra avait pris la relève et s'attaquait désormais au déserteur. Sungura délaissa sa camarade de clan pour reprendre sa course folle, bien déterminée à attraper sa victime du jour. Si elle n'y parvenait pas, pour quoi passerait-elle auprès de son amie ? Pour une bonne à rien. C'était difficilement envisageable. Elle demeurait celle qui aurait dû succéder au Roi du Nord, jadis. Ses aptitudes devaient rester à la hauteur de celles des autres.

Le lapin changea, une fois, deux fois, plusieurs fois de direction, effrayé par Bushra. Il semblait fatigué, malgré la terreur qui animait ses mouvements. Sungura aussi. Mais elle s'arrêta en pleine course, se rendant compte que sa proie se dirigeait droit sur elle. Instinctivement, ne sachant comment réagir face à un tel renversement de situation, la femelle gris-bleu s'assit, barrant le passage au petit animal qui avait espéré filer sous son ventre. Il glissa dans la neige dans une tentative de dérapage, s'apprêtant à repartir sur le côté quand, sans réfléchir, la chasseresse abattit ses pattes avant sur lui et le plaqua au sol. Il poussa un cri horrifié. De multiples gémissements, couinements, s'échappèrent de sa gueule. Choquée, Sungura n'arrivait pas à y croire. Elle était parvenue à l'attraper ! Avec de l'aide peut-être, mais …

« Akshaya ! Regarde ! Je l'ai attrapé ! » s'écria-t-elle, les yeux brillants. Cependant, son sourire disparut bien vite : en essayant de s'échapper, le lapin lui mordit la patte. La jeune lionne poussa un petit cri, les prunelles tantôt larmoyantes. Il avait vraiment peur, ça se voyait. Qu'attendait-elle pour le tuer ? Elle pencha la tête vers lui, dévoilant ses crocs d'ivoire. Le lapin s'immobilisa, le nez tremblant, les prunelles noires écarquillées. Ses petites pattes bougeaient un peu, par-ci par-là, tremblant un peu, sans qu'il ne puisse pour autant lutter contre le tragique destin qui l'attendait. Sungura eut beaucoup de peine pour ce pauvre animal. Même s'il l'avait mordue, il était vraiment mignon !

Hésitante, la princesse déchue leva le regard vers Akshaya, puis reconcentra son attention sur lui. Le tuer, ne pas le tuer … ? Elle avait beau se convaincre qu'il fallait qu'elle plante ses crocs dans sa chaire pour abréger ses souffrances, elle n'y arrivait pourtant pas. C'était trop difficile de tuer un innocent ! Il n'avait rien demandé à personne !

« Akshaya, je … je fais comment ? Je suis vraiment obligée de le tuer ? Il a sûrement une famille, des gens qui l'aiment, un âge très jeune et ... » bégaya-t-elle, un peu gênée.

Ses oreilles se redressant, elle dirigea son attention sur l'expressivité de son amie d'enfance, à la fois curieuse et gênée. Comment réagirait-elle face à un tel refus d'agir en prédateur ? Elle avait un peu honte. Pourtant, son instinct ne parvenait pas à se faire à cette nouveauté.

Sungura se retrouvait devant une impasse et ne savait comment agir en conséquence. Derrière, on avait Akshaya en plein fou rire et s'amusant probablement de la maladresse indésirée de la princesse au cours de sa toute première chasse. Qu'y pouvait-elle, sincèrement ? Elle n'avait jamais poursuivi un lapin de sa vie et peinait désormais à le tuer. Comment le pourrait-elle ? Elle n'arrivait pas à s'imaginer en train de le mordre à la nuque, le faisant probablement souffrir par la même occasion, et attendant que sa vision se trouble pour enfin l'achever et le manger. C'était horrible. Il fallait faire quelque chose !

« Fais le rapidement pour qu'il ne souffre pas Sungura, brise lui la nuque avec la pression de ta mâchoire. » lui conseilla doucereusement Akshaya, s'approchant d'elle à pas léger.
« Oui, mais ... » faillit protester la féline grise avant d'observer le petit lapin qui se débattait sous ses pattes.

C'était sa première « tuerie » et elle ne savait pas forcément comment faire pour le tuer. En fait, si, elle se doutait bien de la stratégie à adopter pour tuer la proie, mais elle se voyait mal le tuer assez rapidement pour qu'il ne souffre plus. Peut-être aggraverait-elle son état ? Elle eut un pincement au cœur encore plus prenant. Sentant une fourrure chaude se frotter contre son dos, Sungura se sentit soutenue et apaisée face au triste sort qu'elle devrait infliger au petit animal. Si seulement elle s'y ose. Pour le moment, elle n'y arrivait pas, une force supérieure l'en empêchait. Ce n'était pas digne d'un prédateur, ni d'une lionne, ni d'une Reine sûrement. Incapable de tuer une proie et ça se prétendait être la fille de Késhia … Elle était frustrée d'être si sensible, si … eh bien, d'être si gentille. Au point d'en faire profiter aux lapins du coin.

« Sungura, c'est ainsi que le cycle de la vie est. Nous, prédateurs, tuons ces proies. Si nous ne le faisons pas, le cycle ne pourrait pas être optimal car les lapins seraient trop nombreux et pourraient causer de sérieux dégâts dans la nature et empiéter sur la nutrition d'autres herbivores. Ils prolifèrent rapidement tu sais et nous ou encore les aigles … Nous sommes utiles à cela. Alors ne t'en fais pas, c'est peut-être triste mais ainsi est la vie, Sungura. Si tu le désires, tu peux le tuer et adresser une prière à notre Montagne, souhaiter du bon à sa famille ou que sais-je, chacun à son petit rituel. » voulut la rassurer la Nordique, en même temps de lui expliquer le fonctionnement de la vie.

Parmi tous les rituels que son amie lui proposât, la princesse n'en voyait aucun lui convenir. La Montagne ne lui pardonnerait pas cette mort ; sa famille n'entendrait jamais ses prières parce qu'elle était encore vivante et ignorait que quelque part, dans les montagnes, se mourrait leur enfant désormais adulte. L'apprentie chasseresse allait devoir le faire. C'était dans son sang, c'était une première étape pour se sentir digne des Montagnes Nordiques.
Comme en écho à ses pensées, Akshaya semblait approuver ses pensées moralisatrices. Bien que Sungura n'était que peu motivée par ses propres songes, l'avis d'une autre personne lui fit se rendre compte que ce n'était même pas un devoir qu'elle devait accomplir pour elle-même : c'était un devoir qu'elle devait accomplir pour tous.

« C'est dans ton sang Sungura, tu peux le faire et tu dois le faire. » l'encouragea sa comparse.

L'intéressée fronça légèrement les sourcils, bien que son cœur battît à la chamade et qu'elle tremblât légèrement. Le lapin ne bougeait plus vraiment, il semblait s'être évanoui après tant d'affolements. Approchant doucement ses canines de sa gorge, la fille de Suki finit par les plonger dans sa chair, pleine d'hésitation, réveillant subitement le lapin. Alors, pour éviter de l'effrayer, de le faire souffrir davantage, elle se dépêcha de resserrer sa prise et de le tuer. Un étrange liquide s'immisça dans sa bouche et déplut fortement à la chasseresse. Un goût métallique, assez … repoussant. Le lapin avait trouvé la mort. Se redressant doucement, elle cligna plusieurs fois les yeux afin de chasser les larmes qui lui brouillaient la vue.

« J'ai réussi. » annonça-t-elle, la voix quelque peu tremblante.

Relevant ses prunelles bleutées vers le visage d'Akshaya, elle s'attendit à une expression ravie. Histoire de la rassurer. Qu'elle comprenne qu'elle n'avait pas fait cela pour rien et que c'était pour prouver à soi, à elle, à tous qu'elle était capable de survivre dans le Nord malgré les conséquences. Silencieuse, Sungura se lécha les babines histoire de faire disparaître ce sang indigne de sa petite personne.

Le sourire fier d'Akshaya fit doucement sourire Sungura, presque dépitée par ce qu'elle venait de faire pour la toute première fois. Elle soupira doucement, évitant volontiers de regarder le lapin désormais mort. Alors c'était cela, être un chasseur ? A son âge, ce genre de question ne se posait pas. A son âge, les lions avaient déjà pris connaissance de leur rôle dans la chaîne alimentaire. Sauf la fille de Késhia qui, elle, conservait cette part d'innocence, d'espoirs, de bonté dans son cœur. Le léger sourire qu'elle eut fut presque pitoyable tant elle se trouvait ridicule à accorder de l'importance à des débats qui n'en valaient pas la peine pour la plupart de ses congénères.

« Tu as réussit Sungura ! C'est génial, tu es très très forte ! » s'écria joyeusement Bushra.

Au moins, elle pouvait se complaire dans les éloges à défaut de pouvoir se satisfaire d'avoir « tué » pour la première fois. Les compliments faisaient du bien à son ego, lui donnaient une raison de vivre, d'exister. La petite princesse déchue se redressa et fut prise de court par l'étreinte plein d'affection que lui offrit Akshaya. Elle ne put retenir un ronronnement en sentant son amie la câliner.

« Félicitations mon amie, c'est ta première chasse. Avec encore un peu d'entraînement, tu brilleras toujours plus. » lui dit-elle.

Elle pourrait devenir un élément indispensable au Clan si elle s'améliorait, en effet. Et elle pourrait, ainsi, prouver aux extrémistes que les sang-mêlés pouvaient tout autant survivre dans le Nord qu'eux-mêmes. Elle le prouvait à l'instant, d'ailleurs ! Akshaya se détacha d'elle, montrant du menton le petit trophée de la lionne bleue, lui souriant tendrement durant quelques instants, et lui proposant finalement :

« On rentre ? Tu pourras l'offrir à ton père, ce serait un beau cadeau, une première chasse, n'est-ce pas ? »

Sungura hocha la tête, approuvant la proposition de sa camarade. Son père serait sûrement fier de constater que sa fille était en train de grandir et de prendre ses marques progressivement. Prenant son courage à deux pattes, elle attrapa le lapin et fit signe à Akshaya de la suivre. Quand une pensée lui vint. Elle reposa le lapin à ses pattes.

« Tu ne veux pas rapporter quelque chose à ta famille, Akshaya ? Tu sais, je ne suis pas pressée de rentrer. » lui assura-t-elle, penchant légèrement la tête sur le côté, l'air un peu amusé.

Après tout, elle l'avait bien aidée à attraper une proie. Pourquoi ne pourrait-elle pas profiter de leur présence dans la Vallée Blanche pour attraper quelques lapins à son tour ? Bien évidemment, elle ne la forçait pas à accepter.
Patiente, l'apprentie chasseresse reprit son lapin et attendit une réponse, balayant du regard les alentours, par simple curiosité.

Après avoir entendu la réponse de sa chère amie, Sungura acquiesça ; les deux lionnes s'engagèrent dans la montée et quittèrent leur terrain de chasse, retrouvant leurs collègues et leurs familles, le sourire aux babines.