C’était malin vraiment ! Mais la glace était si belle et la tentation si grande que les deux frères n’avaient pas su résister à l’appel du jeu. De plus, ils avaient vu d’autres lionceaux faire de même et ce à plusieurs reprises, alors pourquoi pas eux ? Mais voilà, il avait suffit d’une glissade ou deux pour qu’ils se retrouvent au milieu du lac gelé, sur la fine couche de glace qui menaçait maintenant de céder. Un seul mouvement de travers et tout basculerait, c’était inévitable. Les lionceaux ne survivraient pas à la noyade sous l’effet tranchant de l’eau glacée.

Des voix se firent entendre et dans leur panique extrême, les deux frères eurent du mal à identifier ce qu’elles disaient. Mais peu importe, si c’est des adultes étaient là, c’était bien pour les aider et les sortir de cet affreux cauchemar. Ils posèrent des yeux presque ahuris sur les lionnes et plus particulièrement sur celle qui avait fait la traversée pour venir les chercher. Le plus jeune et plus proche de cette dernière paniquait allègrement, tremblant de tous ses membres et persuadé que si l’adolescente continuait d’avancer, ils finiraient tous au fond du lac.

« Toi, le plus éloigné. »

Le concerné leva les yeux vers elle et hocha la tête lorsqu’elle lui demanda de combler la distance qui les séparait. Grelottant autant que son frère, ils n’étaient pas transis par le froid mais bien par la peur, soucieux de ce qui leur arriverait dans les prochaines minutes. Il était minutieux et faisait attention à ne pas marcher sur les fissures déjà creusées sous la glace. Est-ce que cela changerait quoique ce soit à l’issue de cette mésaventure ? Peut-être bien. Mais voilà que lorsqu’il dépassa son frère, ce dernier se mit à chouiner et finit par pleurer. Déconcentré et inquiet pour son semblable, il tourna la tête vers lui et ne fit pas attention à l’endroit où il posa sa patte. Il sentit le craquement de la glace sous ses coussinets et ferma les yeux en même temps qu’un énième sanglot déchira le silence qui s’était brusquement installé.

« Me laisse pas tout seul. »

C’était pour ça qu’il pleurait. Et probablement parce qu’il était terrifié mais actuellement, ils ne pouvaient pas faire autrement. Celui qui s’était avancé déglutit péniblement avant de poser son regard sur l’endroit où cette nouvelle craquelure avait fait son apparition. Il lança un regard à l’adolescente qui était censée le récupérer. Il pourrait peut-être sauter dans sa direction ? Terriblement stupide comme idée, il l’écarta rapidement. Il continua d’avancer, mais la glace ne cessait de fendre le silence qu’imposait lui situation. Se dépêcher était la meilleure option, mais voilà, l’autre lionceau voulait lui aussi avancer et ses pleurs n’arrangeait rien.

La glace craquait beaucoup trop sous les poids des trois individus. Pourtant, l’un des lionceaux se sentit soulever et bien qu’un bref moment de panique l’anima, il se rappela de la consigne : ne pas bouger. C’était une sensation désagréable, autant au niveau des serres qui lui compressait le ventre qu’au niveau du vertige qu’il ressentait et qui lui donnait la nausée. Il ferma brusquement les yeux, priant pour que cela se termine vite.

L’autre lionceau ne s’attendait pas à ce que la suite des événements se déroule aussi vite. Pourtant, alors qu’il se faisait catapulter à l’autre bout du lac, il pensa que cela avait duré une éternité. Lui aussi espérait que tout ceci allait bientôt cesser et qu’il pourrait regagner les pattes protectrices de sa mère. Il ne demandait que ça en réalité. Plus jamais il ne s’approcherait de ce lac.

Puis le craquement se fit plus sourd et la glace céda. Le bruit de ces blocs entrant soudainement en contact avec l’eau froid ramena les deux lionceaux à la réalité qui ouvrirent brutalement les yeux. La panique se saisit à nouveau du lionceau encore dans les airs et il tremblait comme une feuille en voyant le spectacle qui se jouait sous ses yeux.

L’autre lionceau avait heurté la glace avec une légère violence qui lui coupa le souffle mais ce qui n’était probablement pas prévu c’est qu’il soit à moitié dans l’eau glacé. Affolé et complètement terrorisé, il tentait de se raccrocher au bloc de glace encore stable à l’aide de ses pattes avant, tandis que ses pattes arrières battaient l’eau nerveusement. Tout ce qu’il réussissait à faire, c’était glisser un peu plus alors que le froid mordait davantage son corps.

Finalement, le lionceau en difficulté fut rapidement rattrapé par la Nordique qui était restée sur la berge mais il était trempé, frigorifié et transit de peur. Il n’arrivait pas à se détacher du fait qu’il était passez à quelques poils de la noyade. Celui qui avait réussi à regagner la terre ferme plus rapidement se rapprocha de son camarade et se colla à lui bien que la différence de température ne cessa de le faire grimacer. Son pelage était affreusement mouillé et le froid ambiant n’arrangeait rien. Mais il fallait au moins reconnaître une chose, ils étaient tous les deux sains et saufs.

De plus, alors qu’ils s’inquiétaient du sort de la lionne qui n’avait pas hésité à se jeter sur la glace pour eux, il la vit regagner également la rive et ce ne put être qu’un soulagement général bercé par des grelottement réguliers. Ils n’auraient plus qu’à se serrer les uns aux autres pendant quelques minutes avant de finalement pouvoir regagner les pattes protectrices et aimantes de leurs parents. Si l’un des lionceaux se jura de ne plus franchir la frontière entre la neige et la glace, l’autre se promettait de ne plus jamais s’approcher de cet endroit qui avait manqué de devenir un tombeau pour lui.