Les jours s'enchaînaient, toujours identiques, suite constante d'événements semblables, sans changement. Kutoa avait le sentiment de devenir fou, à errer depuis des mois et mois sur un territoire qu'il connaissait à présent mieux que la terre qui l'avait vu naître. Il n'avait nulle part où aller. Nulle part. Et Niwata qui avait disparu. L'avait-elle quitté avec leurs petits sans le prévenir ? Était-elle partie explorer d'autres horizons que la Terre des Lions ? Pourquoi ne l'avait-elle pas prévenu ? Il se sentait tellement seul. Une fois qu'il avait pris conscience de ce fait, il s'était retrouvé incapable de l'ignorer. Seul. Tellement seul. Peut-être que s'il cherchait à retrouver ses frères et sœurs Kulishas ...? Ils étaient sa seule famille restante, peu importait qu'ils eussent essayé de se débarrasser de lui par le passé. Et encore, à présent qu'il y repensait, le guerrier ne pouvait plus en être si sûr, cela n'avait été qu'une conjecture de sa part par le passé. Il les avait pardonnés de toute façon, il voulait les retrouver, Alfajiri, Wanji, Sumu et même Ekua. Il chercherait dans toute la Terre des Lions s'il le fallait, sans aucune hésitation.

Alors que les pensées de Kutoa commencèrent à converger de nouveau vers Niwata, une forme sombre dans la périphérie de son champ de vision attira son attention. Ses yeux s'écartèrent de surprise, reconnaissant immédiatement ce lion au pelage si particulier. Une once d'espoir naquit dans le cœur du guerrier, qui se précipita aussi vite que son épaule le lui permettait vers le nouveau venu. Niwata ne pouvait être bien loin !

Kutoa : “ Hofu ! „

Cependant, le Kulisha déchanta rapidement lorsqu'il arriva à la hauteur de l'autre, découvrant sa réaction pour le moins déconcertante : il s'était mis sur la défensive, comme s'ils ne s'étaient jamais vus auparavant, la mine étrangement neutre.

Hofu : “ Ah, Kutoa. Cela va faire un bout de temps que l’on ne s’est pas vu … „

Un mouvement au niveau de ses pattes claires attira alors l'attention du soldat, qui y découvrit quelque chose de surprenant : un lionceau frêle avec un pelage doré, similaire aux Jangowas mais avec une teinte plus chaude. Le jeune, timide, semblait vouloir se cacher entre les membres de l'adulte, bien qu'il gardât un regard mêlé de crainte et de curiosité sur Kutoa. Ne comprenant pas la présence de cette créature avec Hofu, il lui jeta un regard interrogateur avant de réaliser que Niwata n'était nulle part en vu. Finalement, désireux d'avoir des réponses pour éclaircir son esprit confus, il demanda :

Kutoa : “ Hofu, dis-moi, que fait ce petit Jangowa avec toi ? Et Niwata ? Où est-elle ? Pourquoi ne se trouve-t-elle pas avec toi ? Et nos petits ? Est-elle partie sans me prévenir ? „

Toutefois, ses questions restèrent sans explication, étant accueillies par le silence du lion sombre. Kutoa, une fois n'était pas coutume, perdit patience, le moment étant trop grave pour jouer aux devinettes.

Kutoa : “ Réponds-moi, bon sang ! „

L'exilé sursauta légèrement, sans doute ne s'attendait-il pas à ce que l'autre s'irrita si rapidement. Il jeta un coup d’œil vers Sayidi, comme s'il souhaitait veiller à avoir son consentement, avant de répondre d'une ton étonnamment assertif :

Hofu : “ Ce lionceau est ton fils. „

À cette révélation, Kutoa manqua de s'étouffer avec sa salive, à la fois choqué et prit de court. Ce lionceau chétif était son fils ? Ce fut avec un sentiment de curiosité mêlé à une sorte de déception qu'il examina plus attentivement le jeune. Vraiment, il aurait été très facile de le confondre avec une femelle, avec son corps délicat et ses yeux doux, si l'on omettait de prendre en compte son odeur.
Comment, par le Grand Esprit, aie-je pu produire un tel enfant ?
Toutefois, une sorte d'affection naquit dans le cœur du père, qui se retrouvait avec un désir instinctif de le protéger. Avec une douceur dans la voix qui ne lui était pas caractéristique, Kutoa demanda :

Kutoa : “ Comment s'appelle-t-il ? „

Hofu : “ Sayidi, signifiant seigneur. Niwata a choisi le nom. „

Kutoa acquiesça à cela, satisfait du choix de sa compagne. Il n'aurait pas voulu nommer son fils autrement, aussi efféminé soit-il. Et puis, qui sait, peut-être finirait-il par grandir pour devenir fort comme son père ? Qui n'était définitivement pas Hofu. Le guerrier jeta alors un regard provocateur et hautain vers ce dernier qui, à ses yeux, n'avait plus aucun droit de garde sur son fils. Sayidi était à lui, Kutoa, et lui seul serait chargé de son éducation. À moins que Niwata eût simplement chargé son ami de lui présenter le lionceau ? Cependant, il avait déjà l'air relativement âgé, malgré sa petitesse.

Kutoa : “ Bon, j'imagine que mon fils va venir avec moi, à présent. Viens, Sayidi. „

Toutefois, lorsqu'il s'approcha davantage, Hofu ne fit pas mine de partir, bloquant même le passage, se tenant droit comme un arbre, le visage neutre, mais les yeux brillants de détermination. Le lion sablé recula à cela, les sourcils froncés sous une légère confusion qui se dissipa vite pour laisser place à un agacement rampant.
Comment ose-t-il ?

Hofu : “ Non, Kutoa, tu n’auras pas ce petit. Je suis plus un père pour lui que tu ne l’as jamais été. „ prononça-t-il d'une voix bien trop calme pour la situation.

Kutoa : “ Bien évidemment, j’ignorais son existence ! „

Hofu : “ Niwata m’a confié sa garde, pas à toi à ce que je sache ! „

La queue du Kulisha battit alors l'air, son agacement remplacé par de la colère. Il se mit à tourner autour de l'autre lion, grondant, menaçant, effrayant le lionceau qui se recroquevilla davantage. Son ton se fit d'autant plus agressif lorsqu'il répliqua :

Kutoa : “ Et alors ? Je suis son véritable père ! C’est à moi et à Niwata de l’élever, pas à toi ! Où est-elle d’ailleurs, qu’elle confirme mes dires ? „

Encore une fois, ses paroles furent accueillies par un silence prolongé. Sayidi semblait ouvertement terrifié et tremblait comme une feuille, raison pour laquelle Hofu cherchait à maintenir une certaine distance entre lui et son père. Voyant que Kutoa semblait prêt à attaquer s'il ne pipait mot, il finit par répondre, sans réellement pouvoir cacher son émotion :

Hofu : “ Elle a rendu l’âme en mettant bas, et tu n'étais pas là. „

Kutoa cessa tout mouvement, la gueule bée, ses yeux s'écarquillant. Non. C'était faux. Ce ne pouvait être vrai.

Kutoa : “ Tu mens ! „

Rugit-il, sa voix tremblante de rage et de désespoir. Il mentait, il mentait. Le regard fou, il fixa intensément Hofu, attendant une réaction, une preuve que tout cela n'était que du bluff, du faux, mais il ne le vit que baisser la tête, évitant tout contact visuel. Quelque chose se brisa alors dans Kutoa. Sans prévenir, il frappa violemment le vieil adulte, toutes griffes sorties, le prenant par surprise. Ah, depuis le temps qu'il rêvait de faire cela ! Il n'avait jamais supporté l'ami de sa compagne. Alors que le lion sombre se remettait du premier coup, le Kulisha se mit à le répéter encore et encore, frappant avec toujours plus de force et de précision, jusqu'à ce qu'il s'écartât, cherchant à les éviter. Kutoa grinça des dents, son épaule le brûlant légèrement, mais cela ne suffit guère à l'arrêter et il continua de s'acharner sur Hofu, au point que ce dernier en tomba par terre. Alors, la voie étant libre, le soldat se retourna d'un bond pour faire face à Sayidi, la rage aux yeux, l'adrénaline lui faisant perdre toute conscience morale.

Kutoa : “ Toi ! Elle est morte à cause de toi ! „

Le petit lionceau écarquilla ses yeux gris, l'horreur et la terreur se dessinant sur tous les traits de son visage et le tétanisant sur place. Seul son pelage hérissé semblait traduire un instinct de survie, le faisant paraître moins chétif qu'il ne l'était. Malgré cela, Kutoa s'approchait de lui, la démarche lourde et menaçante, grondant, prêt à lui réserver le même sort qu'aux bâtards qu'avait engendrés Ladha. Cependant, un poids soudain lui tomba dessus et l'interrompit, le clouant à moitié au sol.

Hofu : “ Cours, Sayidi, cours ! Rejoins Prideland, tu y seras en sécurité ! „

Le lionceau ne se le refit pas dire deux fois et prit ses pattes à son cou, s’enfuyant aussi vite qu'il le pouvait.
Non !
D'un coup de bassin, Kutoa délogea Hofu de son dos, profitant qu'il fut au sol pour l'attaquer. Sayidi. Sayidi s'était échappé à cause de lui ! Comment venger Niwata si le fautif ne pouvait être puni ? Décidant de déplacer le blâme sur le lion qui se défendait avec une vaillance nouvelle, le Kulisha déversa toute sa rage sur lui, telle les flots déchaînés du Mochanga lors de la saison des pluies.

Le combat fut long et sanglant, l'un cherchant désespérément à gagner du temps et l'autre cherchant fébrilement à tuer. Finalement, la fatigue, la vieillesse et le combat eurent raison de Hofu, qui finit par s'écrouler soudainement, pour ne plus réussir à se mouvoir. Face à cette ouverture, le monstre n'hésita pas et plongea ses crocs dans la jugulaire de son adversaire, lui retirant son dernier souffle. Lorsque Kutoa se redressa, un sentiment de satisfaction se déversa en lui. Sayidi s'était échappé, mais peu importait, car après tout, le lion sombre avait été le véritable coupable pour ne pas avoir tenté de sauver Niwata. Avec sa mort, elle se trouvait vengée. Et puis, Hofu ayant été son ami, elle se sentirait moins seule en compagnie du Grand Esprit, n'est-ce pas ?

Désireux de quitter cette maudite lande une fois pour toute, de retrouver les siens, Kutoa s'éloigna du cadavre encore frais, remarquant avec une touche d'amusement qu'il avait encore brisé les lois de ces terres libres. Ce fut avec un objectif en tête qu'il se dirigea alors vers les frontières : celui de retrouver sa famille Kulisha.

Kit © Kutoa

Kutoa parle en #0070ff