Enfin tranquille ! Je sais que c'est triste à dire, mais j'en ai par-dessus la tête de Kumpa et Damu. Depuis qu'un lion de la tribu leur a promis de les emmener chasser il y a trois jours, ils sont intenables ! Heureusement, chose promise étant due, ce lion doit être en train de s débrouiller avec deux petits diables indisciplinés au possible en ce moment. De quoi lui enlever l'envie de faire de ma vie un cauchemar. Qu'il voit un peu, ce que c'est que d'avoir deux piles électriques en permanence dans les pattes, et l'envie lui passera bien vite d'avoir des petits ! Bon, je suis un peu mauvaise langue : des enfants, c'est du bonheur ! et 3 points en moins d'audition.

J'avais envie d'un peu de silence et de solitude, aussi prit-je congé de mes amies lionnes et partie m'abreuver au lac. Que c'est bon de ne pas avoir de petits en vue pendant toute une journée ! Mais, horreur ! Voilà qu'arrivée au point d'eau, il y a déjà un petit lionceau ! Bon, pas de panique : ce n'est ni Kumpa, ni Damu, je n'ai donc aucune responsabilité à avoir. Je me raidis légèrement en voyant que ce petit être n'était autre que Mina. Oui, vous me prenez sûrement pour une idiote doubl"e d'une sadique, mais lorsqu'elle est née, j'ai directement détestée cette petite. Pourquoi ? parce qu'elle signifiait que sa traître de mère était encore en vie, et que le conseiller de mon époux... oh, je ne diris pas qu'il a trahit, car il n'a fait qu'exécuter les ordres de Farao, et il est tombé amoureux - la belle affaire ! - mais je ne peux m'empêcher de soupçonner que sa loyauté en a prit un coup.

Mais depuis tout ce temps, est-ce que je n'ai pas grandis ? J'ai prit des claques, certaines méritées, d'autre non. Une erreur d'un soir, et voilà que j'ai si naïvement condamnée deux êtres, une mère et un petit, à mourir - car c'est bien ça que signifie l'exil, chez nous. Et quand mes petits sont nés, je me suis imaginé ce que c'était de perdre son fils, et j'ai souffert de ce que j'ai fait. Je la déteste toujours, oh oui ! parce qu'elle représente ma déchéance, cette mère qui, par ma faute, a perdu son petit ! Mais je lui ai déjà arraché un fils, parce que j’étais idiote, égoïste et naïve, aussi folle que fut le père de mon époux. Est-ce que j'aimerais sa fille ? oh, non, je ne pense pas. Mais je peux au moins faire des efforts pour ne pas ruiner la vie de cet enfant.

Et puis, au fond, je regrette un peu de n'avoir pas eu son caractère, à cette petite. Si j'avais été plus garçon manquée, plus affirmée, j'aurais pût refuser mon mariage et claquer la porte derrière moi. Au lieu de quoi j'ai été un pauvre petit bébé effarouché. Et elle, cette petite, encore si jeune, elle me donne une leçon de vie. Alors, lorsqu'elle me fit face, grande et fière, je ne put lui reprocher ce que les lionnes m'avaient rapportées, qu'elle s'était mal comportée et leur avait tirée la langue. Comment la blâmer, lorsque tout le clan lui est sourdement hostile ?

< Bonjour, Mina. Si tu cherche Kumpa et Damu, ils apprennent à chasser ; mais je crois qu'ils l'ont déjà répété vingt fois à tout le clan, et bien quarante à toi. Que fais-tu de beau, aujourd'hui ?>

Comment lui expliquer ? A quel point savait-elle ce qui était arrivé avant sa naissance ? Comment dire à un enfant que son père est vu comme un traître et que sa mère a perdu son fils, et a été obligée de retourner dans un clan qui la haïssait ? pour peu, j'en venais presque à regretter de n'avoir pas rembarré Mina sur son pelage ou ses façons. Mais non ; je ne l'aime pas, cette petite, mais elle n'est en rien responsable de son sort. Et comment pourrais-je combattre des ennemis extéreurs quand je suis incapable de faire régner le calme et la paix dans mon propre clan ? Je cherchais encore mes mots lorsque je vis la petite labourer le sol d'un air impatient. Alors, pour me mettre à sa hauteur, je me couchais par terre, et commençais mon discours :

< Je... écoute, Mina, je ne sais pas jusqu'au ta maman t'as raconté son passé. Mais notre clan n'a pas connu que des jours heureux... et des plus sombres encore. Alors, ces lionnes... ce sont des idiotes ! Tout comme je l'ai été. Tu as du caractère, et tu fais partie du clan... et surtout, ne change pas. Enfin si, grandis, mais ne change pas fondamentalement. Je sais, ce n'est pas toujours bien vu de sortir du rang et de questionner les ordres... mais ça sauve pas mal la vie. Dis-moi, que sais-tu de ce qui s'est passé avant ta venue au monde ? >

Il était temps de lui expliquer dans quelle situation était le royaume. La petite a du cran, et du caractère ; de mauvaises nouvelles ne l'accableront pas, et elle est du genre à apprendre vite. Je ne saurais dire pourquoi, j'avais l'impression qu'une fois adolescente, il serait trop tard pour lui expliquer. Toutefois, jusqu'à où pouvais-je aller sans trop en dévoiler sur la vie de sa mère ? Qui étais-je pour tout lui dire ? Et ce que je m'apprêtais à lui dire, même si c'est pour le bien du clan, et même si je n'aime pas faire cela, en quoi cela affecterais la relation mère-fille ?

Oh là là, mais elle ne sait rien ! Je peux comprendre que sa mère ai décidée de ne pas lui révéler son lourd passé ; pour ce qui est strictement personnel, je vais essayer d'éluder, mais cette histoire concerne aussi la tribu. Pour que Mina s'intègre, il faudrait déjà qu'elle sache pourquoi tout le monde essaye de la rejeter. Je n'aime pas dire ça, mais elle a droit à la vérité, et apparemment, c'est à moi de la donner. Juste le temps de me racler la gorge, et je commence mon speech :

< Eh bien... pas mal de choses se sont passées, avant ta naissance... et si je te les raconte aujourd'hui, c'est parce que tu as le droit de comprendre. Ta maman... est née dans ce clan. Et, tu sais que mon mari, c'est Farao ! Eh bien, un jour, on s'est disputé. Et il a... hem... bref, il est allé voir ta mère... et, il ont passé la nuit ensemble. Et quelques mois plus tard, un lionceau est né. Pas toi ! Ton... eh bien, ce doit être ton demi-frère. >

Et on arrivait à la partie la plus rude de l'histoire. Mina allait probablement me détester après cela, mais il faut bien y passer un jour, et je préfère que ce soit moi qui admette mes fautes plutôt qu'une lionne du clan qui soit trop rude et aveugle comme je l'ai été. Oh, pauvre petite...

< A cette époque, j'étais jeune, enceinte de Farao et encore naïve. Je n'ai pas supporté qu'un époux à qui j'avais été mariée de force me trompe. Alors, je suis devenue folle... j'ai bannie ta mère. Mais Farao était plus sage que moi, et il a demandé à ton père, son fidèle conseillé, de veiller sur la mère et le petit. Malheureusement, ça n'a pas suffit à sauver l'enfant, qui a succombé. Mais ton père est tombé amoureux de ta mère, et, selon les lois de ce clan, un lion Pridelander peut épouser une lionne, même bannie, et la faire ré-intégrer le clan. >

A présent, il ne restait plus qu'à tirer les grandes conclusions de cette histoire, en priant pour qu'elle ne l'ai pas trop chamboulée.

< Alors, quand ces lionnes te voient... elles ne te voient pas toi, mais le symbole d'un roi faible, car il a réintégrer une lionne bannie, et elles n'aiment pas ça. Il y a beaucoup de lions qui ne rêvent que de prendre notre royaume en renversant les Pridelanders, Mina. Et... ton père... beaucoup d'entre nous pensent que son désaccord avec Farao l'a rendu moins fidèle. Tu comprends, un lion basique, ça n'aurait pas fait un aussi grand scandale, mais c'est le conseiller ! Il est important ! Mina, ne répète pas cette histoire sous tout les toits. Garde-la pour toi, les lions n'aiment pas entendre encore et encore que notre royaume... est plus faible qu'avant. Et ne te laisse pas atteindre par ces lionnes, ça leur passera dès que le royaume sera plus fort. Pour l'instant, tout ce qu'elles veulent, c'est un bouc émissaire. Personne ne peut te blesser sans ton consentement. >

Woah, j'ai parlé plus que je ne l'avais prévu ! C'est comme un poids sur la poitrine qui s'envole. Mais c'est aussi un gros choc, j'imagine, pour Mina. J'ai la gorge sèche d'avoir tant blablaté, mais je ne veux pas quitter la petite, pas même une seconde, pas maintenant.

La petite était écroulée sur le sol, en pleures. Il fallait si attendre ; c'est dur, et lourd à porter, un passé. Autour, quelques animaux regardaient ; aucun lion, c'est déjà une chance. Je posais une patte protectrice sur le corps secoué de sanglots du lionceau. Mon regard balaya le cercle des curieux ; un genre de regard qui dit : 'qu'est-ce que vous observez ? Z'avez rien de mieux à f*utre de vos journées ? hors de ma vue !'. C'est pas très gentil, mais au moins, c'est efficace : en moins d'une minute, nous étions seules.

Bon. Détruire les gens, ça, oui, je suis forte. Mais les reconstruire... c'est le moment où jamais de voir si je suis aussi douée pour les consoler que pour les anéantir. J'étais, malgré tout, persuadée qu'elle ne faisait pas partie d'un complot ; peut-être une conséquence de celui-ci, mais pas le complot en lui-même. Et puis, même dans sa fragilité, elle avait la force de se questionner, de ne pas se laisser sombrer ! Avec un caractère comme celui-là, l'avenir lui souriait.

< Ce que tu vas devenir... eh bien, c'est la partie fun de l'histoire. Tu peux devenir tout ce que tu veux : une chasseresse, une conseillère, une vagabonde... certes, ton passé est lourd. Mais maintenant que tu le sais, tu ne pourras jamais te faire manipuler ! Tu est libre ! Ta mère a de bonnes raisons de ne pas t'avoir raconté tout ça : la souffrance ! Elle a perdu un fils. Elle a probablement peur de te perdre, toi. >

N'importe qui aurait été plus douée que moi. N'importe qui ! Mais il faut bien que j'essaye, je ne compte pas laisser ce petit être si fragile et fort à la fois se laisser écraser par son passé. Et puis, si quelqu'un sait ce que c'est que de se sentir écrasée par un passé, alors, paradoxalement, on peut l'accepter et voir toutes les possibilités qu'il ouvre sur l'avenir... oh, il y a sûrement d'autres lions qui le savent bien mieux que moi, mais j'suis pas mal placée. Et je vais aider cette petite, de toute mes forces, à remonter la pente.