We could walk forever.

« Regarde Simba. Toute cette immensité de lumière est notre royaume. Le temps que passe un roi a gouverner ressemble à la course du soleil. Un jour viendra où le soleil éteindra sur moi sa lumière, et se lèvera pour faire de toi le nouveau roi. Tout ce que tu vois obéit au lois d'un équilibre délicat. En tant que roi, il te faut comprendre cet équilibre et respecter toutes les créatures, de la fourmi qui rampe à l'antilope qui bondit. » - Mufasa, dans le Roi Lion.

Le soleil se levait doucement sur la Terre des Lions, éclairant peu à peu Prideland de ses rayons dorés. Luwa était réveillée depuis quelques temps déjà. Elle aimait s'asseoir à l'écart et faire sa toilette en regardant le soleil apparaître au petit matin. Elle avait presque fini, à présent. Alors qu'elle se passait quelques coups de langue sur les épaules, le soleil réchauffant déjà sa fourrure, elle se sentit frémir d'excitation. Aujourd'hui était une journée spéciale : elle devait montrer les terres de Pidelanders à Mwezi. Ce dernier avait été adopté par Haraka et Anga, deux amis des parents de la jeune lionne. Luwa les connaissait donc depuis sa naissance, et lorsqu'ils lui avaient demandé de faire découvrir Prideland à leur fils adoptif, elle avait joyeusement accepté, à la fois heureuse de pouvoir leur rendre service et fière qu'ils aient pensé à elle pour cette tâche ardue. L'origine du lionceau lui était inconnue, mais elle n'en était pas moins ravie de lui faire faire le tour du territoire, comme un autre lion l'avait fait avec elle bien des lunes plus tôt. La lionne couleur sable, une fois qu'elle eut fini sa toilette, se dirigea vers la grotte où dormaient tous les Pridelanders, pour s'arrêter à l'entrée de celle-ci.

« Mwezi ? » appela-t-elle doucement, pour ne pas réveiller les félins qui dormaient encore.

Elle attendit à l'entrée de l'antre que le lionceau la rejoigne. Elle l'avait déjà aperçu, lorsqu'il prenait le soleil avec ses parents adoptifs, et savait donc à quoi il ressemblait physiquement. Elle ne savait par contre pas du tout quel était son caractère et espérait qu'il ne lui causerait pas trop de soucis. La jeune lionne vit donc approcher un lionceau brun, dont les pattes, plus sombres, étaient presque couleur sang. Une fourrure peu commune parmi les Pridelanders, ce qui piqua la curiosité de Luwa. D'où peut-il bien venir ? se demanda-t-elle, avant de hausser les épaules. Peu importaient ses origines, finalement. Ce qui comptait, c'est qu'il avait été accepté au sein des Pridelanders. Luwa attendit que Mwezi la rejoigne, puis elle prit la parole.

« Salut Mwezi ! Je m'appelle Luwa, et c'est moi qui vais te faire visiter Prideland. Tu connais déjà le Rocher de la Fierté, juste là. On va donc commencer par les Gorges, qui se situent au Sud-Ouest d'ici, parce qu'il faut y aller tôt si on ne veut pas cuire sous le soleil. »

La lionne expliquait son choix pour ne pas que le lionceau brun pense qu'elle voulait tout commander, parce que ça n'était pas le cas. Elle n'était pas plus vieille que lui de beaucoup, après tout. Et elle se souvenait que lorsqu'elle était plus jeune, elle détestait qu'on lui dise quoi faire. Elle avait l'impression de perdre sa liberté. Voilà pourquoi elle se justifiait.
Luwa secoua légèrement la tête. Au diable ces réflexions ! Elle allait passer la journée à traverser le territoire des Pridelanders en courant, sûrement en bonne compagnie, ce qui était une perspective assez alléchante. Sentant l'adrénaline commencer à se répandre dans ses muscles, elle se redressa, l’œil brillant.

« Tu es prêt ? »

Puis, sans attendre de réponse, elle descendit la pente rocheuse qui menait à la savane et se mit à courir. Quel bonheur de sentir ses muscles travailler sous son pelage et le vent fouetter son visage, l'herbe s'écarter sur son passage ! Elle garda le même rythme effréné pendant de longues minutes, tournant la tête de temps en temps pour vérifier que Mwezi la suivait. Puis, lorsque le paysage autour d'eux commença à changer, elle ralentit. L'herbe jaune et haute de la savane faisait peu à peu place à une herbe rase, drue et verte. Au loin, elle apercevait déjà les contours du ravin. Ils approchaient des Gorges. La lionne sable laissa le lionceau la rejoindre, puis elle prit la parole en désignant le paysage d'un ample geste de la queue.

« Regarde, Mwezi. Regarde autour de toi. Nous venons de traverser la savane. Vois-tu comme le paysage change ? Sens-tu des odeurs différentes ? Il n'y a pas de frontière marquée entre la savane et les Gorges, pourtant ce sont deux lieux totalement différents. Apprends dès maintenant ce qui t'entoure, la beauté du paysage et les pièges qui le composent. Si tu veux courir à en être essoufflé, il faut d'abord savoir où tu t'aventures. »

Luwa se rappelait que le lion qui lui avait fait visiter les terres avait tenu un discours semblable. Inconsciemment, elle répétait ce qu'il lui avait dit. Les mots étaient totalement différents, ceux qui étaient sortis de la bouche de la lionne étant les siens, mais l'intention était la même. Les deux lions étaient au sommet du ravin, à présent. La Pridelander donna un léger coup de museau à Mwezi pour qu'il s'approche du bord.

« Viens, approche-toi plus près du vide et sens, observe, écoute. Ecoute le silence qui plane sur les lieux et laisse-toi bercer. Ressens le monde, et tes yeux le découvriront par eux-même. Bientôt, quand tu seras plus grand, il ne tiendra qu'à toi de faire de toutes ces terres ton terrain de chasse, ton terrain de jeux. Et ce travail commence dès maintenant. »

Elle transmettait son savoir à un être encore juvénile plein de rêves, de désirs et de naïveté qui, plus tard, transmettrait également ses connaissances à un autre lionceau. La lionne savait qu'il lui restait beaucoup de choses à apprendre, mais en accompagnant ainsi Mwezi, elle retrouvait l'innocence de sa propre jeunesse. Lorsqu'elle posa sa queue sur l'épaule du lionceau, elle ressentit le Cycle de la Vie. Elle sentit une lignée infinie de lions, posant chacun la queue sur l'épaule de celui qui, le temps d'une journée, avait été leur élève. Elle sentait presque le frôlement de la fourrure du lion qui lui avait montré cela contre la sienne. Un frisson d'excitation remonta le long de sa colonne vertébrale. Puis un bruit retentit derrière elle, et la sensation disparut. Aux aguets, Luwa se retourna vélocement. Le bruit retentit de nouveau, comme si un animal écrasait l'herbe drue. Pourtant, l'herbe en question n'était pas assez haute pour camoufler un lion, ou même un guépard ou une hyène. Il devait donc s'agir d'un animal plus petit... A moins que ce ne soit que le fruit de l'imagination de Luwa. Mais le bruit retentit de nouveau, ôtant cette dernière possibilité de l'esprit de la lionne. Il y avait bien quelqu'un. Par prudence, Luwa s'éloigna du bord des gorges et, d'un léger coup de museau, indiqua à Mwezi d'en faire de même. Un accident était vite arrivé, et la jeune lionne couleur sable redoutait par dessus tout que le lionceau ou qu'elle-même bascule dans le ravin. Elle s'écarta donc du vide et, lorsqu'ils furent totalement hors de danger, elle leva la tête pour humer les odeurs qui parvenaient jusqu'à elle. Il y avait en effet un fumet différent de d'habitude... Un parfum qu'elle n'était pas sûre d'avoir déjà croisé. Comme elle l'avait deviné, il ne s'agissait ni d'un lion, ni d'un guépard, ni d'une hyène, mais d'un autre animal. Qu'est-ce que cela pouvait bien être ?

« Pas la peine de te cacher, je sais que tu es là. » lâcha-t-elle, un brin tendue.

We could walk forever.

Luwa, qui avait été gagnée par l'enthousiasme à mesure que les souvenirs de son propre apprentissage remontaient à la surface de sa mémoire et par la fierté lorsque le petit Pridelander avait complimenté son nom, fut douchée par le ton froid, bien qu'enjoué, de Mwezi lorsqu'il lui répondit. Elle le regarda un instant, oubliant l'intrus qu'elle avait entendu. Comment pouvait-il faire preuve d'autant de morgue ? N'avait-il pas ressenti, tout comme elle, la lignée de guides qui s'était étendue à leur côté ? N'avait-il pas senti les mots de la lionne, rendus forts par sa foi, si ficher dans son âme comme autant de flèches ? Comment pouvait-il être si grave, à son âge ? Était-ce lié à ses origines, origines dont elle ignorait tout ? Son passé doit être bien plus important que je ne le pensais... songea-t-elle. Mais d'où vient-il ? Quel est donc son passé, pour qu'il le rende si froid ? Le cri du lionceau brun la sortit de ses pensées. Elle s'ébroua, comme si elle sortait d'un lac d'eau glacée, et posa un regard curieux sur Mwezi, qui s'approchait d'elle en claudiquant. La lionne comprit la raison du cri de douleur du lionceau lorsqu'elle aperçut, plantées dans son arrière-train, trois longues épines. Épines qui, elle en était certaine, ne pouvait provenir que du dos d'un porc-épic. La gêne teintée de douleur de son élève du jour était peinte sur son visage, mais si Luwa grimaça en imaginant ce que pouvait ressentir le lionceau, elle ne fut pas attendrie. Elle ne se rappelait que trop bien de la réaction détachée -enjouée, certes, mais surtout détachée- de Mwezi. Un lionceau si froid n'allait pas pleurer pour trois pauvres épines, si ?

« ha ha je crois bien que j'ai trouver se que tu cherchais! »

Aussitôt, Luwa fut prise de légers remords. Ce n'était, après tout, pas la faute de Mwezi si il avait réagi ainsi. C'était la faute de son enfance qui, au vu des cicatrices qui couraient sous son œil et sur ses flancs, n'avait pas du être de tout repos. Réprimant un soupir, la Pridelander fit un pas vers le lionceau, avant de se raviser. Elle n'était pas sûre qu'il apprécie qu'elle lui vienne en aide. Elle allait donc lui proposer son aide, lorsqu'une petite bestiole déboula soudainement à côté de Mwezi. Luwa eut tout juste le temps de s'apercevoir que la bestiole en question était un porc-épic avant que ce dernier se mette à parler à un rythme effréné.

« Kipik est désolé! Kipik n'a pas vu que Lion voulait s'asseoir là ou il était mais ne t'en fais pas ! Kipik va tous arrangé, comme un vrai lion ! »

La lionne couleur sable se mit à ronronner, à la fois amusée et intriguée, autant par les paroles de la boule de picots que par l'enthousiasme qu'il dégageait. Elle réprima un « Aïe ! » lorsque celui qui, visiblement, se nommait Kipik, délogea d'un coup sec les pointes qui s'étaient plantées dans l'arrière-train de Mwezi. Elle voulut prendre la parole, mais le petit porc-épic la prit une nouvelle fois de court.

« Voilà! Vous avez vu ! Hein dit vous avez vu ! Kipik il a tous fait comme un grand ! Comme un lion! Dites vous venez de loin, Kipik vous a jamais vu ! Vous voulez jouer avec Kipik?! » dit-il, l'air très fier de lui.

Luwa était impressionnée par l'audace du porc-épic... Et par sa naïveté. D'après elle, il fallait en effet être soit très courageux, soit totalement ignorant, soit complètement fou pour approcher deux lions lorsqu'on n'arrivait même pas au niveau du genou de ces derniers. De plus, il y avait chez ce Kipik quelque chose de touchant, qui attendrissait la Pridelander. Il était visiblement très jeunes, cinq ou six mois tout au plus. Mais, malgré son jeune âge, il avait des manières : il s'était excusé auprès de Mwezi. Et il semblait vouer une admiration sans bornes envers les lions. La jeune lionne abaissa la tête jusqu'à pouvoir regarder le porc-épic droit dans les yeux, et elle répondit à la demande de ce dernier,

« Dis donc, t'es un peu insouciant, toi ! Ou simplement inconscient, je ne sais pas... Jouer avec nous, c'est ça ? N'as-tu donc aucune crainte, petite boule de piquants ? Tu sais qu'une lionne lambda, par exemple furieuse après que tu aies interrompu la discussion qu'elle avait avec un autre lion, pourrait profiter de ton innocence pour te dévorer tout cru ? » Puis elle ronronna et se coucha dans l'herbe courte, se roulant sur le dos comme un lionceau. « Tu as de la chance, nous ne sommes pas de ceux-là. Du moins, pas à ma connaissance. Et puis j'ai été sérieuse trop longtemps, aujourd'hui. Un petit moment de détente serait le bienvenu. »

Elle accompagna ces paroles d'un clin d’œil en direction de Mwezi. Elle ne voulait pas dire que lui apprendre tout cela, qu'avoir passé la matinée en sa compagnie, avait été ennuyeux, barbant, soporifique, et que sais-je encore. Au contraire, elle était pour le moment très heureuse de partager ces moments avec lui. Elle ne savait pas si c'était réciproque, mais n'en avait pour le moment cure.

« Tu t'appelles Kipik, c'est cela ? » reprit la lionne. Puis, sans attendre de réponse : « Moi c'est Luwa. »

La lionne, après s'être consciencieusement gratté le dos contre le sol, se redressa et s'ébroua pour chasser la poussière de son pelage, laissant ainsi à Mwezi le soin de se présenter. Elle avait bien d'autres questions à poser à ce petit Kipik, mais elle voulait également observer comment le lionceau brun allait réagir face à leur nouveau compagnon, aussi peu impressionnant soit-il.