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Joue Shagan.

Un soleil indistinguable régnait sur les plaines vertes mouchetées de flaques d'or là où il avait fait sécher l'herbe. Shagan sentait son échine brûler sous son courroux. La sécheresse persistait, indolente et cruelle. Il découvrait aujourd'hui que l'Etang pouvait être un endroit tranquille malgré le fait qu'il soit très fréquenté ces derniers temps. En vérité, la plupart des animaux comataient à l'ombre ou au bord de l'eau, étourdis par la chaleur et les insectes volants.
Comme Shagan l'avait prédit, les terres d'Outland s'étaient transformées en un désert de terre grise et rude comme la pierre. Des arbres en pleine santé qu'on avait vu touffus de verdure du tronc à la cime depuis des générations avaient perdu jusqu'à leur dernière feuille d'espoir. Ce territoire, qui avait été leur maison à tous, n'était plus rien qu'une lande vide et terne, la carcasse d'une longue histoire de famille qui s'achevait dans la tristesse du silence et de l'abandon. Oui, Shagan souffrait de la perte de ses terres, et aujourd'hui, plus que jamais, il comprenait l'importance d'un roi de posséder un royaume.

La reine Sazana, louée l'intelligence de son cœur, avait désigné à son clan des terrains de chasse et des tanières éparses. C'était là ce que Prideland avait pu donner de meilleur pour leur permettre de vivre, mais les outlanders comptaient sur la résurrection de leur terre perdue dès la prochaine saison des pluies. Les fiers lions pensaient que toute cette occupation n'était que provisoire. Il fallait dire que c'était ainsi qu'on leur avait présenté les choses. Pourtant, au fond de lui, Shagan n'était pas certain du caractère provisoire de leur séjour. Si Sazana paraissait garder espoir, lui, pour être honnête, envisageait le pire, et le plus terrifiant, c'était qu'il n'arrivait même pas à imaginer une Outland redevenue elle-même. On avait vu des choses renaître de leurs cendres, mais pas de la poussière. Lui et les siens n'avaient plus qu'à espérer une opération miraculeuse du Grand Esprit.
À dire vrai, Shagan se sentait comme pris au piège, acculé par les événements : Que dire à son clan si lui-même n'avait aucune perspective d'avenir pour eux ? Et à Sazana ? Cette dernière croyait fermement en un rétablissement des terres. En fait, tout le monde y croyait, même Fukuza à qui il avait fait une ou deux confidences sur le sujet. Oui, tout le monde ; excepté lui-même. Sans doute était-ce cela qui l'empêchait de prendre des décisions et d'adresser le fond de sa pensée, que ce soit à son alliée ou à son peuple. Partagé entre son intuition que tout était fini et la honte de songer à baisser les pattes alors que tout le monde avait encore foi en l'avenir... À moins que l'optimisme de certain cache quelque forme de déni ? Après tout, il n'est pas rare que le premier couvre le deuxième. Peut-être n'était-il pas le seul dans cette position. Mais il était le seul à devoir prendre des décisions. C'était là qu'il aurait apprécié être entouré de conseillers, comme l'était la reine de Prideland.

Mais il n'était pas seul non plus. Il y avait Fukuza. Sa tendre, intelligente, merveilleuse Fukuza. La lionne lui avait été d'une grande aide depuis le début de la sécheresse. Ses services, bien que discrets, avaient permis d'apaiser les tensions au sein du clan. Et ses tensions à lui, aussi, il fallait bien le reconnaître.

Shagan en était là dans ses ruminations lorsque la voix de sa sœur, reconnaissable entre mille, parvint à ses oreilles depuis les fourrées. Il tourna vers elle son profil si sérieux, trahissant très peu l'immobilité minérale qui le clouait au bord de l'Etang.

─ Shagan. Il faut que je te parle.
Le lion prit une longue inspiration avant de faire rouler sa voix aussi sombre que sa crinière :
– À quel sujet ? répondit-il, sans vraiment savoir s'il devait être soulagé ou inquiété des prochaines annonces de Melyn.

La couleur de la voix si SOMBRE de Shagan ::