CONFRONTER LES VIEILLES PLAIES QUI RONGEAIENT SON CŒUR

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Le sable du désert prenait une teinte bleutée, lorsque le soleil avait tiré sa révérence. Imbibée de la lumière de la pleine lune qui dévorait l’obscurité, l’étendue prétendue infinie brillait comme un deuxième ciel étoilé. Si Isanti n’était habituellement pas indifférent à la beauté de son environnement, cette nuit-là, ses pensées voguaient d’autres horizons. Ce n’était pas l’insomnie qui guidait ses pas, les Jangowas embrassaient une vie nocturne à l’abri de la chaleur lors de la saison sèche, mais une volonté consciente ne les dirigeait certainement pas non plus. D’une façon, Isanti errait sans but précis, déconnecté de son corps ankylosé.

Son esprit ne rattrapa sa chair qu’une fois que ses pattes frôlèrent de l’herbe sèche et cassante. Isanti cligna des yeux, avant de reconnaître l’Oasis Oubliée. Zafi et lui s’y étaient rendus souvent tout au long de leur vie, jusqu’à ces derniers mois. Depuis sa destitution, et malgré sa reprise de fonction, Isanti avait évité le havre par peur de tomber sur son empereur. Une rencontre en tête-à-tête ne conduirait qu’à une confrontation désagréable qu’ils ne pouvaient avoir en public, Isanti le savait, mais une autre part de lui-même lui susurrait que l’inévitable conflit n’était pas la seule raison de son hésitation. Le vieux général serra les dents. Rien ne l’empêchait de faire volte-face, de retourner sur ses pas, de rejoindre les Jangowas les plus proches, mais il était fatigué de sa lâcheté. Il s’enfonça dans l’Oasis Oubliée.

La broussaille desséchée laissa rapidement place à de la végétation foisonnante, comme épargnée par l’aridité du désert en saison sèche. Isanti se surprit à avoir froid, avec les gouttelettes d’humidité qui lui collaient au poil, mais il ne rebroussa pas pour autant chemin. Zafi pouvait très bien ne pas être là, mais indépendamment de sa présence, la jungle devait être patrouillée.

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Isanti grommelle en #E7E0CF

Les menaces de Wuta avaient finalement mises à exécution. Enfin… en elle-même, l’ancienne compagne de Zafi n’avait rien fait. Mais le malheur avait quand même frappé, il fallait se rendre à l’évidence : Kynaïa n’était plus là. Bon… D’accord. Ça n’avait pas été la femelle la plus sympa chez les Jangowas, mais Zafi l’aimait bien quand même ! Et il l’avait évitée pendant tout le temps de sa gestation. S’il avait été plus présent, peut-être qu’il aurait pu pressentir que quelque chose n’allait pas ! Wuta le lui avait dit : c’était sa faute. S’il s’était contenté de n’avoir qu’une seule femelle et qu’un seul fils, tout ça ne serait pas arrivé… Wajanja et Nguvu, quant à eux, avaient survécu. Ils étaient maintenant sous la charge d’une autre femelle qui venait de perdre son petit. Parfois, Zafi va les voir. Mais ça le rendait triste de le faire…

Cette nuit-là, il en avait profité pour aller chasser. Il était parti seul dans le désert, mais son esprit était tellement troublé qu’il ne tombait sur aucune proie, et si jamais il lui arrivait d’en trouver une, il la laissait filer de manière absolument ridicule. Ses pattes avaient finies par l’amener à l’Oasis Oubliée… peut-être qu’il y aurait plus d’animaux en promenade de ce côté-ci du territoire. C’était bien trop différent du désert ici, mais… c’était peut-être mieux ? S’il ne voyait pas les dunes, ça le ferait penser à autre chose. Peut-être qu’il devrait s’éclipser par ici pendant un petit moment, le temps qu’il aille mieux ? Secouant la tête pour chasser ses tristes pensées, il essaya de trouver quelque chose à prendre en chasse. Qu’est-ce que c’était, par-là ? Il avait eu l’impression de voir un mouvement dans la végétation, une grande proie ? Il y en aurait assez pour plusieurs lions, Zafi la rapportera à Kynaïa pour qu’elle puisse reprendre des forces et… ah. Les pensées de l’empereur s’arrêtèrent net. C’est vrai…

Griffes sorties, il était à présent juste déterminé à sauter sur la proie et passer ses nerfs dessus. Il s’élança, mais quelque chose était bizarre… Cette odeur… Oh non ! Ce n’était pas une proie, c’était Isanti ! Zafi s’arrêta net, mais dans son élan, il percuta tout de même le général, si celui-ci ne s’était pas poussé entre temps.

« Ah, Isanti, tu tombes à pic ! » lui lança Zafi, comme si de rien n’était… « On dirait que je t’ai pris pour une grosse proie ! Ha, ha ! Ha… »

Un Isanti, ça n’aurait pas été bon à manger. Ça aurait plein de nervures… !

« Tu chasses aussi ? On pourrait peut-être chasser ensemble. »

Comme au bon vieux temps, pendant leur Exil ! Et puis, ça pourrait permettre à Zafi de se changer un peu les idées !

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L’Oasis Oubliée était bruyante, comparativement au reste du désert. L’eau y ruisselait continuellement dans un clapotis qui chatouillait les oreilles inhabituées d’Isanti, mais ces notes désorganisées ne représentaient finalement qu’une goutte dans une flaque, noyée par la cacophonie des vies qui grouillaient entre les arbres. Il fallut plusieurs minutes au vieux général pour s’accoutumer à ce changement d’environnement, en dépit des journées entières passées au sein de l’oasis aux côtés de Zafi. Isanti peinait à imaginer comment les Mositus avaient pu s’y établir durablement. Sûrement, leur esprit avait dû s’abrutir avec tout ce brouhaha ! Leur disparition avait été courue d’avance, et elle n’était pas une grande perte.

Un bruissement inhabituel de feuilles se distingua toutefois du bourdonnement ambiant. Le bruit était discret, mais son rythme particulier était tout aussi déplacé qu’un coup de tonnerre. Isanti s’arrêta net et tendit l’oreille, sur ses gardes. Qu’est-ce que- ? Le son se fit de plus en plus intense, de plus en plus rapide. Un grand animal le chargeait !

Les vieux os du général s’opposèrent néanmoins à tout mouvement vif de sa part. Il fut percuté de plein fouet et perdit l’équilibre, mais se montra suffisamment gaillard pour se rattraper avant de finir prostré au sol. Il ne sortit néanmoins pas intact de cette chute partielle, car de la terre humide et de la boue s’étaient accolées à la face plantaire de ses membres, à son grand dégoût. Isanti se remit correctement debout et grimaça à l’état de ses pattes. Sans surprise, Zafi se trouvait derrière cette interruption de ses ruminations. Qui d’autre que ce grand balourd ? Et qui de mieux que le lion qu’il évitait depuis des mois ? L’esprit du Désert se moquait ouvertement de lui. Devait-il interpréter cela comme le signe qu’il était temps de confronter son ami ? Isanti se renfrogna davantage. Les paroles de Zafi ne firent qu’alimenter l’amertume qui lui rongeait le cœur, tout en lui donnant une bonne excuse pour attraper le gnou par les cornes. « Ah, parce que pour chasser, tu veux bien de ton vieil ami ? Je ne suis pas trop estropié pour cela ? » Isanti regarda son empereur droit dans les yeux, dans ses stupides yeux bleus.

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Isanti grommelle en #E7E0CF

Si Zafi était bien content de… littéralement… tomber sur Isanti, sa joie fut de courte durée lorsque le général lui répondit. Le gros lion le fixa un instant, ses yeux également plantés dans les siens, l’air incrédule, avant de lui-même prendre la parole :

« Oh, mais, quand même ! Je ne t’ai pas abandonné non plus ! »

C’est vrai, quoi ! Un autre empereur l’autre sûrement laissé de côté pour toujours, et aurait considéré que c’était inutile de le reprendre en tant que général, à cause de sa blessure. Zafi n’aurait jamais osé faire ça, oh non, ja-mais ! L’empereur était un bon ami, ça, il n’en doutait pas ! Pourtant, il n’était pas sûr de réussir à déchiffrer l’expression d’Isanti. Était-il sérieux, où est-ce qu’il était en train de plaisanter ? Zafi supposa qu'il était en train de plaisanter. Évidemment, pourquoi s'énerverait-il maintenant, alors que tout allait pour le mieux, enfin pour lui en tout cas ! L'empereur devait répondre quelque chose, pour que son ami voie qu'il avait bien compris qu'il n'était pas sérieux. Mmmh... Que pouvait-il dire ?

« Évidemment qu'il me faut quelqu'un pour m'aider à chasser ! Je suis bien trop lourd pour être discret, si c'est moi qui essaie de traquer les proies, elles m'entendront dans tout le Grand Désert ! » lança Zafi.

Il termina sa petite tirade par un clin d'œil adressé à Isanti. Une plaisanterie comme celle-ci bien placée, ça devrait lui arracher un sourire, au moins !

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L’expression ahurie de son empereur apporta une certaine satisfaction à Isanti, qui esquissa un sourire au succès de sa répartie, et ce, malgré le caractère sérieux de sa précédente accusation.

Zafi se ressaisit néanmoins rapidement, avec une aise qui lui était si douloureusement familière, évocatrice de longues heures passées ensemble à échanger piques et autres taquineries au milieu de discussions plus respectables. Isanti avait toujours admiré cette facette de son ami, cette faculté à rebondir, à ne jamais se laisser décontenancer par l’imprévu. Lui-même n’en avait jamais été véritablement capable, se laissant plutôt aller à la rumination lorsqu’il n’avait pas la possibilité de se plaindre ouvertement. La lune qui éclairait le désert cette nuit-là le prenait pour témoin.

Isanti se renfrogna à la réponse de Zafi, la nonchalance avec laquelle il lui avait répondu remuant les crocs dans la plaie. Il pouvait reconnaître un indéniable élément de vérité à ses mots ; un bon nombre des empereurs de leur histoire n’auraient assurément pas hésité à l’exécuter pour son incompétence. Cela ne rendait pas pour autant l’herbe de purge facile à avaler. Le général garda toutefois le silence, sentant bien que Zafi n’avait pas encore fini d’ouvrir sa grande gueule.

Et sa grande gueule, il ouvrit. Ses mots furent ponctués d’un clin d’œil qui contraignit Isanti à détourner vivement les yeux. Si seulement son empereur pouvait cesser de le traiter par mégarde comme une de ses lionnes à courtiser ! Isanti sentit ses oreilles s’aplatir sur son crâne. « Sois sérieux ! » Siffla-t-il entre ses crocs avant de s’asseoir, utilisant une de ses pattes pour maintenir sa queue battante en place et éviter qu’elle ne trahît davantage son agitation. « Et puis, si je ne suis plus bon à me battre, suis-je vraiment encore bon pour chasser ? À moins que ta logique s’arrête à la première conclusion, sans prendre en compte les autres conséquences ! » Il se remit avec raideur sur ses pattes, puis pointa un museau accusateur vers son empereur, avant de grogner ses dernières paroles : « Tu voulais te faire une autre lionne, alors tu m’as destitué pour t’attirer ses faveurs ! »

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Ah ha ! Isanti avait réagi aux paroles et gestes de Zafi ! Bon… pas par un sourire, hélas ! Mais la façon de réagir d’Isanti fut suffisante pour satisfaire le gros lion, qui souriait à présent de tous ses crocs.

« Mais, je suis sérieux ! » continua-t-il sur le même ton.

Cependant, Isanti n’était pas, mais alors vraiment pas content ! Du point de vue de Zafi, il était même définitivement en colère ! Il grognait, et le regard qu’il lui lançait n’était pas franchement le plus sympa que Zafi eût connu… ! Ce dernier tenta désespérément une énième plaisanterie, pour essayer de calmer son ami, même s’il y avait plus de chance que ça eût l’effet inverse…

« Sérieusement, si tu le voulais, tu pourrais parfaitement me casser la gueule ici, sans aucun problème ! »

Non pour de vrai… Vu comme il n’était pas content, c’était possible ! Puis, vint la dernière accusation d’Isanti. Zafi parut outré, dans un premier temps.

« Quoi ! N’importe quoi ! » protesta-t-il.

… Bon, d’accord, c’était un peu vrai, quand même. Il fallait quelqu’un de fort au rang de général, non, ce n’était pas pour dire qu’Isanti ne l’était pas ! Mais voilà, il était blessé, et il ne fallait absolument pas que Prideland découvre que les Jangowas avaient un lion blessé en guise de général, qu’en auraient-ils pensé ? Ils se seraient sûrement moqués d’eux ! et c’était hors de question que ça arrive ! Ces pensées-ci, Zafi aurait peut-être dû les énoncer à Isanti ; mais il avait l’impression qu’il ne devrait pas le lui dire. Après tout, il ne voulait pas le vexer encore plus ! Il fallait trouver autre chose à la place… Voyons voir…

« Enfin, de toute façon, si tu avais une compagne, tu comprendrais un peu mieux tout ça, quand même ! »

Ah… pas sûr que ce soit les meilleures paroles à prononcer. En fait, il aurait peut-être mieux fallut ne rien lui dire du tout !

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