ARPENTER LA FANGE QUI CREUSAIT DES SILLONS

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Si la mousson évoquait aux animaux de la Terre des Lions un singulier mélange de lassitude et de soulagement, la haute saison sèche inspirait une forme de crainte, car son danger se ressentait plus personnellement. Son influence vaste s’étendait aux quatre coins du territoire, asséchait sans aucune discrimination les rivières et les gorges de l’environnement et des êtres vivants, mais aucun ne se trouvaient aussi concernés que le désert et ses habitants. L’eau y devenait si rare que la majorité des individus dotés d’un tant soit peu d’intelligence fuyait les contrées ensablées lorsque la vie y devenait trop dure.

Les Jangowas, eux, prenaient cette période de l’année comme un défi. Ou peut-être était-ce tout simplement de la stupidité masquée par de l’arrogance. Isanti supposait qu’il y avait certainement un peu des deux.

Relever ce défi supposait de trouver des proies à rapporter aux femelles pleines des futures générations. Le clan avait déjà migré pour se rapprocher des marais, seul lieu où l’eau se maintenait grâce aux plantes et algues qui la gardaient jalousement du soleil, mais les lions n’étaient pas les seuls à avoir pris cette initiative : les proies et les autres prédateurs rôdaient également autour des marécages. Des conditions parfaites pour la chasse, et le potentiel recrutement d’un espion.

Le soleil amorçait sa descente dans l’horizon lorsqu’Isanti approcha ceux qu’il comptait amener avec lui à la chasse. Adhama était couchée un peu plus loin à l’ombre d’une dune, mais le vieux mâle ne souciait pas d’elle ; elle ne refuserait pas une patrouille en sa compagnie. Il ne l’avait jamais confrontée à ce sujet, mais il la savait rongée de culpabilité pour avoir été responsable de la blessure qui lui avait temporairement coûté son statut de général. Non, à la place, Isanti s’approcha d’un autre lion, qui lui tournait le dos. Lorsqu’il fut à distance suffisante pour se faire entendre, il le héla : « Kadi ! Je compte lancer une patrouille de chasse aux marais, es-tu disponible pour te joindre à nous ? »

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Isanti grommelle en #E7E0CF

Les babines d’Isanti furent tirées dans un petit sourire indulgent à la vue de l’enthousiasme non-caché de Kadi. Il était difficile d’imaginer une telle expression, le genre que l’on ne voyait typiquement que sur les lionceaux n’ayant pas encore connu l’exil, sur le visage d’un Jangowa d’âge mûr. « Tant mieux. » Kadi était un lion impliqué dans la vie du clan, qui se portait régulièrement volontaire pour rejoindre des patrouilles de surveillance à la bordure de Prideland. Isanti savait également que le lion blond s’entretenait de temps en temps avec Zafi, et était souvent occupé en conséquence. Le général ignorait les détails de leurs rencontres, mais plus pour bien longtemps, il espérait ; le choix de Kadi comme partenaire de chasse n’avait pas été anodin.

Confiant que Kadi le suivrait, Isanti partit retrouver Adhama sous sa dune. Elle était entourée d’autres lionnes occupées à se toiletter mutuellement ; elles s’interrompirent à son approche pour le fixer. « Adhama, nous partons chasser au marais. Tu viens avec nous. » Adhama était une chasseuse exceptionnelle, qui n’avait pas froid aux yeux et dont la réputation n’avait plus à se faire. Dans un contexte de saison sèche particulièrement rude, où les proies se faisaient rares et méfiantes de grands groupes de prédateurs, une lionne persistante était exactement ce dont ils avaient besoin.

Adhama se leva silencieusement, sa compliance marquée d’un acquiescement. Une des femelles, une jeune adolescente, dévisageait leur petit groupe de chasse avec envie. Ses yeux verts brillaient dans la lumière du soleil couchant. Une apprentie, sans doute. Adhama la désigna de la tête. « Puis-je amener Mwiba ? Elle a besoin de toute l’expérience dont elle peut bénéficier. »

Isanti laissa son regard couler vers l’adolescente, qu’il regarda fixement. Elle lui rendit la pareille. Elle a du cran. « Seulement si elle peut me garantir qu’elle ne sera pas un poids. » Les oreilles de la gamine s’aplatirent une seconde avant de les redresser, trahissant son émoi quant à la menace.

Mwiba redressa cependant la tête et maintint le contact visuel. « Je ne gênerai pas. » Elle ne laissa pas la nervosité faire trembler sa voix. Elle a du potentiel. Isanti était convaincu ; il hocha la tête et fit volte-face, indiquant à Kadi, Adhama et Mwiba de le suivre d’un mouvement de queue. Ensembles, ils prirent la direction du marais.

Isanti laissa les deux lionnes prendre la tête de leur petit groupe afin de prendre Kadi à part, suffisamment hors de portée pour empêcher les femelles d’entendre précisément leur échange. À voix basse, le vieux général s’adressa au blond : « Kadi… Je sais que tu t’es rapproché de Zafi dernièrement. Il ne m’a pas parlé de vos entretiens, et pourtant, je vois bien que vous vous êtes mis d’accord sur quelque chose : tu patrouilles plus qu’avant à la frontière avec Prideland. Qu’est-ce qui s’est décidé ? »

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La réponse de Kadi remua les crocs dans la plaie. Non, Isanti n’était pas, n’était plus, parmi les premiers au courant, pas sur tous les sujets du moins. Ses babines tombèrent dans une grimace non-cachée. S’il était vrai que récupérer son rang de général des Jangowas avait quelque peu raccourci la distance qu’il avait établie entre Zafi et lui, il restait encore du chemin à parcourir. Et Zafi ne semblait pas réaliser l’étendue de la situation. Isanti était assez mature pour reconnaître que l’entièreté du blâme ne reposait pas sur son ami, mais faire le premier pas pour corriger la situation était difficile. Il fut tout de même capable de mettre son amertume de côté afin d’écouter ce que son subordonné avait à lui dire.

… Une méthode douce pour gagner la confiance des Pridelanders ? Pourquoi pas. Une partie non-négligeable de sa conscience protestait à l’idée de montrer constamment patte blanche aux lions de la savane, car cela était tout bonnement contre-nature pour un Jangowa, mais de l’autre ? Il comprenait parfaitement. Si n’importe quel animal devait tomber dans la fosse, un Pridelander rondouillard et au cœur tendre correspondait parfaitement au profil. Du moins, en théorie. Dans la pratique, les relations avec les lions du Rocher de la Fierté avaient à peine évolué, ces derniers mois. « La méthode douce a l’air de donner des résultats mitigés, si tu veux mon avis. » C’était tout juste si les Pridelanders qu’il croisait aux patrouilles ne tentaient pas de se jeter à son cou !

Le problème, l’expérience lui avait appris, résidait en partie dans leur réputation de Jangowas, avec les coutumes, jugées barbares par les étrangers, et l’histoire sanglante de leur clan. « Oui… Recueillir des informations est crucial pour préparer un assaut le plus efficace possible, bien que lui-même ne convoitait nullement la savane. Sa place, et celle des Jangowas, étaient dans le désert, sous la bénédiction de son esprit. Cependant, il est difficile de mettre la patte sur quoi que ce soit d’intéressant quand on peine à franchir la frontière. » Il ne faisait qu’énoncer ce qu’ils savaient tous les deux, mais le rappeler lui semblait pertinent. Il plantait la graine qui lui permettrait d’introduire l’idée qui lui trottait dans la tête depuis un certain temps. « Tu sais, j’entretiens l’idée de recruter un espion pour le compte des Jangowas. Un animal qui n’est pas un lion, un animal qui passerait inaperçu aux yeux des Pridelanders… »

Le ralentissement inattendu des deux mâles ne manqua finalement pas d’être remarqué par les deux lionnes qui menaient la patrouille. Elles s’arrêtèrent dans leur lancée pour jeter un regard confus derrière elles. Adhama éleva légèrement la voix, restant toutefois mesurée afin de ne pas alerter les proies : « Qu’est-ce que vous faites ? Il faudrait idéalement arriver au marais avant que la nuit ne soit complètement tombée ! Vous le savez, pourtant ! » Mwiba, son apprentie, acquiesça vivement pour marquer le point.

Isanti esquissa un sourire. Adhama ne perdait pas le nord. Il éleva mesurément la voix à son tour : « On arrive ! Je devais discuter avec Kadi. » Il accéléra le pas pour ponctuer ses mots. Il jeta ensuite un coup d’œil vers Kadi et, avec un niveau sonore adéquat, il compléta l’idée qu’il venait de soulever : « Je me disais que le marais serait un endroit idéal pour faire du repérage. »

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La révélation de Kadi ne surprit pas Isanti, qui acquiesça à ses paroles. L’empereur et lui avaient beau traverser une période difficile, ils demeuraient des amis de longues dates dont une vie de coexistence les avait menés à s’influencer mutuellement. Naturellement, il n’était pas rare pour eux de parvenir aux mêmes conclusions, aux mêmes idées, et ce, de façon totalement indépendante. « Un oiseau serait l’idéal, oui. Il n’y a pas plus discret. » Cependant, il n’était pas question de se fermer à d’autres espèces, il serait déjà suffisamment difficile de trouver un animal qui accepterait de collaborer. Un reptile ou un mammifère ferait tout à fait l’affaire, si la motivation était là. Mais qu’est-ce qui pourrait bien motiver leur aide ? Partager nos proies ? Un herbivore ne serait définitivement pas intéressé. En parlant de mangeurs d’herbe, la silhouette d’un petit troupeau d’oryx se dessinait au loin, tous attroupés aux rives du marais pour profiter de l’eau, comme escompté. Le soleil couchant teintait les dunes de rouge.

D’un mouvement de queue, Adhama indiqua à leur petit groupe de s’arrêter. À voix basse, elle s’adressa à son apprentie : « Comme d’habitude, nous isolerons l’individu le plus faible du groupe, mais cette fois-ci, je te laisse le repérer toi-même. L’issue de la chasse repose sur tes épaules. » La jeune lionne acquiesça avec sérieux avant de reporter son regard vers le troupeau. Adhama se tourna alors vers les deux mâles. « Isanti, Kadi, vous vous chargerez du coup de grâce tandis que Mwiba et moi poursuivrons la proie jusqu’à vous. » Isanti acquiesça à son tour. Le plan semblait sain.

La stratégie ayant été décidée, ils se mirent en chasse. Les deux femelles prirent les devants tandis que Kadi et Isanti se rapprochèrent du troupeau tout en restant à distance raisonnable. Il n’était pas question de se faire repérer. Isanti n’avait jamais été particulière doué pour la chasse, cette dernière demandant bien plus de patience qu’il n’avait à sa disposition, mais il pouvait s’accorder sur le fait que les quelques minutes qui précédaient une attaque avaient quelque chose d’exaltant.

Mwiba passa subitement à l’action, semant la zizanie au sein du troupeau. Les herbivores visés s’éparpillèrent tandis que les autres animaux qui profitaient du marais s’écartèrent de leur chemin. Une vieille femelle fut rapidement isolée du groupe, poursuivie par Mwiba. Adhama la rejoignit quelques secondes plus tard en se plaçant au flanc du grand herbivore, le forçant à tourner pour l’éviter et à foncer droit sur Isanti et Kadi. Lorsque l’oryx fut suffisamment proche, le général bondit sur le dos de l’animal, mais la détente insuffisante de sa patte défaillante l’empêcha de bien s’accrocher. Il parvint tout de même à déchirer le cuir de sa victime de ses griffes, avant de lâcher prise et de tomber sur le sable. « Kadi, achève-la ! » Ils comptaient sur lui. Un mouvement au coin de son œil attira toutefois l’attention du général vers le marais. Il semblerait qu’il y ait un curieux…

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Isanti plissa les yeux en direction des marais, intrigué par l’identité de l’animal qu’il avait cru voir du coin de l’œil. Cependant, la lutte acharnée entre l’oryx et Kadi eut tôt fait de le ramener au moment présent. À moins de vouloir finir piétiné par mégarde, le général ne pouvait se permettre de se déconcentrer ainsi. Alors campé sur ses pattes raidies par l’âge et la perte de sa prise, il se mit à suivre attentivement les mouvements de plus en plus désespérés de la vieille herbivore, prêt à s’écarter si le besoin venait à se faire sentir.

Kadi, de son emprise sur la trachée de l’oryx, ne donna toutefois pas l’occasion à l’herbivore de lancer un sabot dans la direction d’Isanti. Proie suffoquée et prédateur exténué tombèrent sur le sol sablonneux du désert, l’un entraînant l’autre à quelques pas du vieux général. Adhama arriva au chevet du guerrier blond quelques secondes plus tard, suivie de près d’une Mwiba encore essoufflée de sa course. « Beau travail ! Nous pourrons nourrir une bonne partie du clan avec cette proie. » Sa voix ne trahissait nullement l’effort physique auquel elle venait de soumettre son corps, témoignage de son expérience de chasseuse.

Isanti se redressa sur ses quatre pattes avant de rejoindre les autres, la démarche plus affectée par sa chute qu’il ne l’aurait aimé. « Bien, complimenta-t-il Kadi d’un ton neutre, laissant planer le doute sur la nature même du compliment. Reposons-nous avant de porter la carcasse jusqu’au camp. » Il pointa le marais du menton. Plus qu’une excuse pour récupérer, Isanti voulait se rapprocher du marais pour retrouver l’animal qui les avait observé plus tôt. Il prit la tête de leur petit groupe, laissant le cadavre derrière eux. Personne n’oserait y toucher avec les Jangowas encore dans les parages.

La majorité des petits animaux prirent la fuite à leur approche, tandis que les plus gros ne daignèrent pas même de lever la tête. Avec la mise à mort qui venait d’avoir lieu, ces derniers se savaient temporairement hors de danger ; jamais les lions ne parviendraient à transporter deux larges proies à quatre.

Tandis que Mwiba et Adhama partirent patauger dans l’eau pour se rafraîchir, Isanti resta quelque peu en retrait pour examiner les alentours. Son regard croisa alors celui d’un fennec assis non loin, qui maintint le contact visuel avec provocation. C’est lui, il n’y a pas de doute. Isanti rejoignit alors Kadi, qui était resté à proximité, et désigna d’un mouvement de tête le canidé qui les dévisageait encore. « Que penses-tu de ce fennec ? Il ne craint pas les lions, de toute évidence. » Le fennec fronça les sourcils, les oreilles pointées vers eux. Les avait-il entendus ?

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La réponse de Kadi, tiède dans son implication, n’aida pas le vieux général à jauger la qualité de l’ébauche de plan qui lui trottait en tête. Il se renfrogna à son tour, son expression imitant par inadvertance celle du fennec assis plus loin. Kadi avait-il déjà oublié la discussion qu’ils avaient eue plus tôt, sur le chemin ? Le général secoua doucement la tête dans un mélange de désapprobation et de résignation. Ils se faisaient vieux, tous ; une réalisation qui lui faisait toujours froid dans le dos. Aussi, fidèle à ses habitudes, Isanti ne s’attarda pas sur le sujet. « Je pense qu’il a du potentiel, en tant qu’espion », insista-t-il auprès du guerrier qui le flanquait, appuyant sur les derniers mots. La subtilité et la discrétion n’avaient de toute évidence pas fonctionné la première fois. À croire qu’il avait bien trop habitué ses guerriers à sa franchise brute.

Du coin de l’œil, il vit la moue du fennec se changer en une expression de surprise non-cachée. Le doute ne subsistait plus : le canidé parvenait à les entendre parfaitement, en dépit de la distance et des mots échangés à mi-voix. Isanti abandonna alors toute idée de se montrer discret et le toisa ouvertement. « Toi-là, approche ! » héla-t-il en sa direction. Le fennec fit mine de regarder autour de lui, comme si l’interpellation du vieux général ne lui avait pas été clairement adressée, avant de trotter la distance qui les séparait.

Son regard sautait d’un lion à l’autre. D’aussi près, et à portée des griffes et des crocs des grands félins, il semblait bien plus sur ses gardes. « Que puis-je faire pour vous ?
— Tu nous as entendus, avança Isanti d’un ton catégorique. Qu’en penses-tu ? »
Le fennec plissa les yeux. « Qu’est-ce que je gagne à devenir l’espion des Jangowas ? »

La question prit Isanti au dépourvue. L’idée que le simple fait de servir les intérêts des lions du désert ne constituait pas un honneur en soi lui avait tout bonnement échappé. Le vieux général lança un regard confus à Kadi.

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Kadi prit l’initiative de proposer une contrepartie, à laquelle Isanti acquiesça. L’idée lui paraissait saine et, sûrement, elle ne manquerait pas de convenir à leur interlocuteur ! Cependant, avec sa tête penchée sur le côté, ses sourcils froncés et ses lèvres pincées, le fennec montrait explicitement qu’il n’était pas convaincu. « J’apprécie la pensée, répondit-il lentement, avec une prudence marquée dans son ton, clairement conscient qu’il tenait tête à deux carnivores qui pourraient ne faire qu’une bouchée de lui, mais… je ne suis pas originaire de la Terre des Lions. Rien ne me retient ici. »

Isanti y reconnut des non-dits, une implication que le fennec avait déjà eu dans ses plans l’idée de quitter le Grand Désert au moindre signe de danger. Le vieux général échangea un autre regard avec Kadi, avant de s’adresser au petit animal, sur un ton grave et une voix rauque d’un grognement restreint : « Je t’explique, fennec. Tu n’as plus vraiment le choix, maintenant que tu as entendu nos plans. On ne peut pas permettre à l'information de s’échapper, d’autant plus que tu ne te cantonnes pas au désert. » Les oreilles du fennec s’aplatirent sur son crâne tandis qu’il recula de quelques pas à la menace. Isanti avança en réponse. « Tu comprends bien que si tu refuses de coopérer, notre promesse ne tient plus. » Le vieux général dégaina ses griffes et découvrit ses crocs pour ponctuer ses mots. Le pelage du fennec se hérissa à cette démonstration. S’il savait ce qui était bon pour lui, il ne pourrait qu’accepter de travailler pour les Jangowas. Du coin de l’œil, Isanti repéra Adhama et Mwiba, qui s’ébrouèrent sur la berge du marais avant de les rejoindre aussitôt. Il supposait qu’elles avaient été intriguées par l’étrange scène qui se déroulait.

À l’approche des deux lionnes, les yeux du fennec s’écarquillèrent. « D’accord, d’accord ! J’accepte !
— Bien, Isanti rengaina ses griffes et laissa ses babines retomber lourdement sur ses dents. De toute évidence, un instinct de survie motivait encore les décisions du fennec, malgré la témérité dont il avait fait preuve en provoquant des lions du désert quelques minutes auparavant. Je t’invite à te rendre au Jardin d’Os à la prochaine pleine lune, où nous discuterons de ta fonction en présence de l’empereur. » Un rendez-vous quelque peu lointain, mais Isanti souhaitait se donner le temps de discuter avec Zafi à ce sujet. Le général entendit Adhama et Mwiba, qui les avaient rejoints, s’installer silencieusement derrière Kadi et lui.

Le fennec acquiesça vivement, avec suffisamment d’énergie dans son mouvement pour plier momentanément le cartilage de ses grandes oreilles. « J-Je serais là. » La promesse réalisée, il fit alors mine de partir, mais Isanti le retint d’une patte posée sur sa queue touffue :
— Pas si vite ! Fennec, quel est ton nom ?
— Fahim. » La réponse fut cette fois-là bien plus assertive que précédemment, le fennec semblant avoir retrouvé contenance malgré la situation plus précaire dans laquelle il se trouvait, à la merci du fauve. Isanti laissa un sourire narquois se dessiner sur ses babines. Fahim avait du cran, et cela lui plaisait. Il saurait tenir tête aux Pridelanders et aux Freelanders, Isanti en était certain. Satisfait, il libéra le fennec qui partit dans les broussailles qui entouraient le marais sans demander son reste.

Isanti se tourna alors vers ses compagnons de route et s’adressa notamment à Kadi : « Voilà qui est fait. Avec un peu de chance, nous avons-là l’animal dont nous avions besoin. » Adhama et Mwiba leur lancèrent un regard interrogateur, auquel Isanti répondit d’un claquement de langue. Il s’agissait là de toutes les explications qu’elles recevraient de sa part. Leurs statuts au sein du clan ne leur octroyaient pas le droit d’en savoir plus ; l’information de l’existence d’un espion était trop sensible pour être accessible à l’ensemble du clan. Les deux lionnes n’insistèrent pas. Isanti se racla la gorge avant de continuer, s’adressant cette fois à tout le groupe : « Ramenons la carcasse au camp. » Sans attendre, le vieux général tourna le dos au marais et prit la direction du désert, où ils avaient laissé le corps de l’oryx.

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