Depuis quelques temps Chakam sentait de légères douleurs au niveau de ses épaules et son dos. L’âge commencerait-il à se faire sentir ? C’est vrai qu’il n’était plus aussi fringant qu’avant, loin du jeune lion un peu fou que ses parents devaient surveiller de près. Peut-être qu’il faudrait qu’il commence à réfléchir à céder sa place à Salju une fois qu’il aurait fini les négociation avec ses alliés et qu’il accepte de prendre sa place auprès des anciens ? Cette idée le rendait malade ! Il n’était pas prêt à se dire vieux pour le moment, les douleurs n’étaient que passagères et il irait voir Kidonda pour qu’elle lui donne un remède pour l’aider. Mais en attendant il commencerait par un bon bain chaud aux sources pour détendre ses muscles qu’il avait sûrement blessée lors d’une chasse un peu brutale.

Il était sur le point de se submerger dans l’eau fumante lorsque des bruits de pas dans la poudreuse résonnèrent derrière lui dans la vallée. Le mâle gigantesque se retourna pour tomber sur sa cousine éloignée qui était avec Hutania. Comme toujours elle semblait nerveuse, et ce n’était pas faute de lui avoir dit qu’il n’y avait rien à craindre de lui. Chakam se dit qu’elle avait peut-être quelque chose qui l’angoissait en tête.

« Bonjour Amefungwa, bonjour Hutania. »

Commença-t-il par dire alors que la lionne était déjà en panique juste à l’idée de lui parler.
Le mâle resta parfaitement calme. Il aurait aimé que Amefungwa lui adresse la parole sereinement, surtout ici où il était venu chercher le calme mais il ne lui en voulait pas non plus. C’était sa nature même d’être nerveuse.

« Oui je le sais Amefungwa, je ne serai pas présent pour la cérémonie car je pars bientôt en voyage mais je vais en parler à Salju et à Kidonda pour que tes enfants puissent faire leur cérémonie avant que le clan ne quitte la montagne. Cela ira ? »

Chakam remarqua le soupir prononcé de sa petite cousine et préféra ne pas le relever. Si encore elle avait eu une mine déçue il aurait pu comprendre, mais là c'était presque comme un soupir blasé. Toutefois face à l'air attristé de la jeune Hutania il préféra ne rien dire, la jeune lionne voulait juste célébrer son passage à l'âge adulte comme n'importe quel autre jeune. Cela avait lieu avec le Guide ou son Second Conseiller, au moins elle aurait l'occasion de le faire avec sa famille.

Par contre là où il ne put retenir un grognement et de plaquer les oreilles en arrière c'est lorsqu'il entendit le ton froid quasiment véhément de Amefungwa. Que croyait-elle ? Que ça l'amusait de jouer à voyager tout le temps ? Qu'il aimait quitter la montagne et partir ? Risquer la vie des membres du clan juste pour aller voir d'autres paysages. Il prit réellement sur lui pour ne pas hausser le ton et s'énerver bien qu'avec la fatigue et la douleur ses jours de patiences s'effritaient.

" Amefungwa dois-je te rappeler les famines dont sont morts nombreux des nôtres ? "

Demanda-t-il d'un ton neutre.
C'était peut-être encore plus glacial que s'il avait été en colère. Il lui mettait devant le museau la réalité du monde dans lequel ils vivaient : un monde cruel dont l'équilibre pour survivre était on ne peut plus précaire.

" Je ne m'amuse pas plus que toi à emmener le clan dans la plaine mais nous n'avons pas le choix si nous voulons pouvoir continuer à venir dans les montagnes. C'est égoïste de penser qu'on peut rester, c'est aller à notre perte. Mais rien ne t'oblige à nous suivre. Je n'ai jamais forcé la patte de personne pour venir avec moi. Par contre si tu restes et que tu épuises toutes les proies menant à l'impossibilité pour les autres de revenir un jour, c'est toi qui leur expliquera ça. Je ne veux pas en prendre la responsabilité. "

Le grand mâle était très sérieux. Il fixait la femelle droit dans les yeux espérant qu'elle comprenait que cette décision n'était pas prise pour le plaisir et qu'elle était libre ou non de les suivre. Chakam s'en voulait un peu de causer une scène devant Hutania qui était loin d'être concernée par cette conversation, elle avait juste cherché à apaiser les deux adultes.

Quand elle aborda le sujet de ses enfants, les yeux du mâle virèrent au rouge l'espace de quelques secondes. C'était bien plus sensible que le reste ! Les enfants du lion étaient un sujet de très haute importance. Il eut envie de froncer les sourcils et dire d'une grosse voix : mais qu'est-ce que tu racontes à mes filles ?! Comment pouvait-elle dire de telles choses avec autant de nonchalance, comme si c'était normal de faire peur aux enfants des autres. Chakam ne s'amusait pas à aller dire les sombres histoires du clan aux lionceaux des uns et des autres alors pourquoi Amefungwa se le permettait ?

" Qu'est-ce qu'il s'est passé avec mon fils ? "

Demanda-t-il d'une voix quelque peu méfiante.
Il n'avait pas été informé d'un événement marquant de la part de Bhor alors qu'est-ce qui avait bien pu se passer ?

L’ambiance avait viré d’un coup suite à la colère des deux adultes qui s’observaient avec une certaine froideur. Chakam n’était pas d’humeur à mâcher ses mots aujourd’hui, la douleur avait dû vraiment tirer sur sa patience car il ne se serait pas permis d’aller si loin d’ordinaire. Hutania s’interposa entre eux de crainte que n’éclate un conflit mais ils n’iraient pas jusque là.

« Tu crois que je suis stupide ? Que je ne sais pas à quel point c’est dur de devoir quitter sa terre natale régulièrement ? Tu crois que je le fais pour m’amuser, que le clan a pris cette décision à la légère ? Je ne comprends pas Amefungwa, à quel moment est-ce qu’on se comporte comme si ce n’était rien ? Ce n’est pas la première fois que tu diriges ta colère contre moi à ce sujet, pourtant je te rappelle que le clan entier a voté sur cette décision. Je ne suis pas là pour recevoir toutes les plaintes, j’en prends déjà suffisamment tous les jours sur d’autres sujets sans que l’on me rajoute la rancune de cette décision collective. »

Il poussa un long soupir qui en disait long sur son état de lassitude.

« Amefungwa, l’espoir fait vivre, mais ne soit pas trop optimiste. Les nôtres meurent depuis des générations de la famine, nous ne pourrons peut-être plus jamais habiter dans les montagnes pour de longues durées. Les Esprits nous accordent déjà de pouvoir y revenir en nous donnant assez de gibier, c’est déjà quelque chose de pouvoir rentrer plusieurs mois. »

Il baissa la tête et resta un instant dans ses pensées. Il voulait bien entendre de nombreuses critiques tous les jours, gérer des injustices mais se faire crier dessus pour une décision qui n’était pas seulement la sienne, c’était là où il tirait la ligne.

L’histoire que lui racontait Amefungwa le surprenait, Bhor n’avait pipé mot à ce sujet, ce qui était à la fois surprenant et pas si surprenant que ça.

« Il va bien mais il ne m’a rien dit de tout ça. Et toi, tu as pu te reposer ? Kidonda t’a examiné ? »

L’échine du grand lion se hérissa lorsqu’il entendit sa petite-cousine répondre. Il se demandait si c’était un concours pour voir jusqu’à quel point il pouvait tenir avant de craquer et de s’énerver pour de vrai. Ce qu’il avait montré jusqu’ici n’était rien de l’immense colère qu’il était capable de déferler sur ses ennemis, et là peut-être qu’il atteignait doucement mais sûrement ce stade. Il lutait pour ne pas perdre davantage contenance face à une lionne qui ne voyait pas plus loin que le bout de son museau ! Il était si frustré par la situation. C’était fou. Il avait l’impression que Rukkia comprenait mieux la situation que l’adulte face à lui. Il voulait bien reconnaitre qu’elle était très vive d’esprit mais de là à surpasser un adulte qui avait connu la situation des Nordiques …

« Tu n’as qu’à demander à ce qu’on restaure la monarchie si ça te tient à coeur Amefungwa. Je peux t’organiser une Assemblée, enfin je veux dire n’importe quel lion peut organiser une Assemblée et faire voter le clan sur un sujet important, je t’en prie. »

Sa voix avait une pointe de sarcasme, il était à la fois très sérieux et il savait parfaitement que depuis les années personne n’accepterait un roi ou une reine, c’était bien pour cette raison que leurs ancêtres avaient instauré un système qui permettait de prendre des décisions collectives, parce qu’ils avaient vécu indépendants si longtemps qu’il était impossible de concevoir qu’on les gouvernerait à nouveau.

Il tourna la tête en direction de la petite, il n’avait pas entendu Kidonda parler de cette décision, étrange, la lionne venait pourtant souvent parler de ses choix et ses besoins. Il resta silencieux quelques instant avant de regarder Hutania avec un sourire.

« Oui en effet donc je vais aller prendre un bain dans les sources chaudes et me reposer, à moins qu’il n’y ait quoi que ce soit d’autre à rajouter à cette discussion ? »

Il coupait court à l’interaction, il avait déjà donné beaucoup trop de lui même pour aujourd’hui. Comme la jeune s’éloigna il regarda sa petite-cousine attendant de voir si elle avait encore un mot à dire sinon il irait enfin se baigner dans la source chaude, il le méritait bien.