Depuis sa dernière discussion avec l'empereur, Kadi réfléchissait à la manière d'introduire ses propos auprès du rebelle dont il avait entendu parlé. Même si ce dernier n'était pas sûr de le voir de ses propres yeux aussi vite que prévu, il était plus que nécessaire pour lui de connaître les bon mots pour orienter sa pensée, dans un sens bénéfique aux plans de Zafi.

Silencieux, le félin à crinière courte continua sa marche dans le désert sans but précis, avant de faire une petite pause à proximité d'un petit espace rocheux. Dans un tout premier temps, le félin couleur sable pensait être seul, loin de tous ses camarades de clan. Un constat très vite démenti par un cri reflétant une certaine joie.

Surpris, Kadi réduisit la distance qui le séparait du premier rocher, avant de prendre place dessus, en posant son regard sur un jeune lion entrain de manger quelque chose.

Satisfait, le jeune lion en question reporta toute son attention sur Kadi, en lui faisant remarquer qu'il venait de rater quelque chose, un véritable "festin" d'après lui. Incrédule, le guerrier couleur sable pris la parole en disant :

- J'espère que ce n'était pas un lézard. Parce que si c'était ça, non, je n'ai rien raté rassure-toi. Par contre, s'il s'agissait d'un rongeur...


Sourire aux babines, Kadi réduisit la distance qui le séparait de son jeune interlocuteur avant de conclure : 


- J'aurai été triste en effet. Bon, après, soyons honnête, il n'y a pas meilleur qu'un bon oryx.


Entre les lézards et les rongeurs, il fallait dire que le menu n'avait rien de particulièrement extraordinaire. Pourtant, ces deux espèces faisaient partie intégrante du régime alimentaire des lions du désert. Même si en réalité, les préférences en la matière portaient surtout sur les impalas ou les oryx. Des créatures plus massives et appétissantes.

Au grand malheur de Kadi, ce fameux "festin" n'était rien de plus qu'un lézard. Une créature dont le félin à crinière courte, gardait un très mauvais souvenir. Le goût n'avait rien d'intéressant...C'était tout simplement dégoûtant. D'ailleurs, le guerrier couleur sable n'avait pas d'autre mot pour décrire cet être si répugnant. 

En attendant parler de l'oryx, Jesaja pensait qu'il était question d'une espèce de rongeur dans un tout premier temps, avant de se rappeler qu'il s'agissait plutôt d'une espèce d'antilope. Le simple fait de penser à la souris en parlant d'un oryx était purement et simplement inadmissible. Pourtant, Kadi ne pouvait pas le blâmer pour ça. Ces bêtes là vivaient dans des zones arides très proches de la frontière, sur un territoire à cheval avec Prideland.

- Oui...Mais très proche de la frontière avec Prideland malheureusement. Donc c'est pas le genre de chose que tu peux voir ou te mettre sous la dent tous les jours...Contrairement à nos voisins.


Pour lui, la taille naturellement plus importante des pridelanders, n'était pas le résultat d'un entrainement particulièrement poussé et rigoureux. Ces lions là, avaient tout à portée de la patte. Avec les herbivores les plus imposants de la terre des lions parmi les proies, ils avaient l'embarras du choix. 

Ainsi, malgré les circonstances occasionnées par ce fameux dérèglement climatique, il était clair pour Kadi qu'aucun pridelander ne serait capable de tenir plus d'une semaine en plein cœur du Désert sans leur régime alimentaire normal.

Les pridelanders ne méritaient rien et pourtant, ils avaient tout à portée de la patte. C'était inacceptable. Cependant, les désavantages liés à la vie dans le désert faisaient la force et la fierté des jangowas. Cette situation si unique, jouait un rôle important dans le développement d'une certaine forme de résilience propre aux lions du désert.

Les lions des sables restaient les plus forts, malgré un régime alimentaire généralement plus pauvre que celui de leurs voisins. Malgré les conditions de vies difficiles, le clan avait gardé sa place au sein de ce Grand désert inhospitalier pour les étrangers.

Pour Jesaja, le phénomène trouvait son origine dans le fait que l'esprit du Grand Désert, n'avait pas besoin de donner de futiles plaisirs gustatifs. Sur cette base, le jeune lion mis en évidence que les habitants du désert, devaient plutôt être fier de cette situation. Chose pour laquelle, Kadi ne pouvait être que d'accord.

Mais contre toutes attentes, avant même que le félin à crinière courte puisse tout simplement dire "amen", Jesaja termina en proposant un jeûne en l'honneur de l'esprit du désert.

- Un jeûne ? Woaw. C'est bien la première fois que j'entend ce genre d'idée.


Kadi n'était pas convaincu. En quoi le jeûne constituerait la preuve d'une dévotion sans failles ? Une question pour laquelle, le guerrier couleur était très curieux de connaître la réponse. L'idée même de faire un jeûne, n'avait jamais traversé l'esprit des lionceaux de sa génération. C'était à peine croyable. La nouvelle génération de jeunes lions adultes était pleine de surprises.


- Et tu crois vraiment qu'un jeûne jusqu'à la nouvelle lune nous rendra plus forts ?


Kadi n'était toujours pas convaincu. Garder son corps en bonne santé, restait un prérequis essentiel pour un bon entraînement régulier et efficace. Comment garder le rythme sans un apport régulier en nourriture ?

Presque instantanément, le visage de Jesaja se décomposa. Pour lui, l'idée d'un jeûne jusqu'à la nouvelle lune semblait tout-à-fait logique, voire, très intelligente en tant que guerrier du Grand Désert. Pourtant, Kadi n'était pas convaincu. Au-delà d'une certaine forme de questionnement authentique, le félin à crinière courte avait beaucoup de mal à croire qu'un jeûne soit assez important pour distinguer le bon et le mauvais jangowas.

Pourtant, l'importance de ce jeûne semblait évidente pour Jesaja. Une conviction assez unique pour laquelle, ce dernier ne vit aucun inconvénient à partager son point de vue sur la base de son propre vécu en période d'exil.

Une épreuve importante qui marquait l'ouverture d'un nouveau chapitre de l'histoire de tout bon guerrier jangowas qui se respectait. Cette période, était un moyen pour le Grand Désert de choisir ceux qui avaient leur place parmi ses enfants. Cette épreuve si particulière, était souvent comprise comme un moyen de légitimer l'appartenance au peuple du désert.

L'air sérieux, Jesaja rappela à juste titre que l'exil, forçait le jangowas a puiser dans ses ressources personnelles. Il ne s'était pas restauré pendant plusieurs jours, au point de se retrouver au porte de la mort. Pourtant, cette situation visiblement désespérée, se transforma en bénédiction lorsque l'esprit du Grand Désert se révéla à lui. Une histoire qui, avec un peu de recul, était très intéressante.

- Très intéressant. Ton histoire me rappelle mon expérience de l'exil. Même si je ne peux pas me vanter d'avoir senti une manifestation aussi claire de l'esprit du Grand Désert, tout ce que je peux te dire c'est que cette période d'exil m'a sauvé la vie d'une certaine façon.


Une conclusion assez paradoxale, compte tenu de la nature de l'épreuve. Pourtant, tout ceci, était bel et bien la vérité.

- Je t'avoue qu'avant mon exil, je menais une vie sans but précis. Je n'avais aucune idée de ce que je comptais faire plus tard, aucune perspective. Je ne voyais pas l'intérêt des entraînements sur le long terme. Cependant, l'exil a été pour moi une sorte de révélation. Une révélation sur ce que je voulais faire pour mon avenir. Et je pense que c'est justement cette assurance qui m'a gardé en vie. Sur cette base, je peux dire que l'esprit du Grand Désert a été clair : Un lion du désert sans ambitions ne mérite pas de vivre.


C'était un fait. L'idée n'était pas de se plonger dans un jeûne sans réfléchir. Néanmoins, contrairement à lui, Jesaja avait la conviction que cette pratique serait obligatoirement bénéfique pour tout enfant du Grand Désert.

- Dis-moi Jesaja, que compte-tu faire de ta vie ? Qu'est-ce que le Grand Désert ta montré ?


En tant que fils légitime du Grand Désert, Jesaja avait la réponse. Son succès à l'issu de la période d'exil, n'avait rien d'anodin.

Contrairement à Kadi, Jesaja ne semblait pas particulièrement inquiété par cette forme d'incertitude permanente. Même si l'existence d'une ambition claire jouait un rôle important dans l'évolution de chacun, le simple fait de "se perdre" n'était pas une fin en soi. La preuve d'un tel constat, reposait sur l'expérience de Jesaja lui-même.

Il était prêt à tout pour répondre aux attentes du Grand Désert. Sa détermination était tellement forte, qu'il était prêt à satisfaire les désirs les plus fous et impensables. Au-delà du caractère assez incertain de son propre avenir, Jesaja n'avait clairement pas l'intention de devenir empereur, un bon époux ou père de famille. Cette vie ne l'intéressait pas. 

Même si son avenir ne semblait pas aussi éclairé que celui de son ainé, le jeune lion avait cette conviction que l'esprit du Grand Désert, lui indiquerait le chemin qu'il devait suivre en temps voulu. Une perspective intéressante à laquelle Kadi n'avait pas pensé à l'issu de son exil. Tout portait à croire que la richesse de l'exil, reposait sur les points de vues variés des survivants.

Tout naturellement, Jesaja retourna la question, en cherchant à savoir ce que le Grand Désert avait montré à son interlocuteur. Chose pour laquelle, Kadi ne vit aucun inconvénient à répondre avec clarté.

- Devenir empereur ? Non. Un bon époux ? Encore moins. Le Grand Désert m'a montré quelque chose de très différent...Un avenir confirmé à l'issue d'une discussion avec Zafi : Celui de vivre en tant "qu'oreille" pour l'empereur, désireux d'obtenir les informations nécessaires à la réalisation d'un plan précis. L'objectif, serait de gagner la confiance des pridelanders.


Le plan était très simple. Dans un tout premier temps, les lions du désert devaient gagner la confiance des pridelanders. Le but, étant de permettre une circulation plus fluide du désert jusqu'au cœur de la savane. Une première dans toute l'histoire des lions du désert.


- La méfiance de nos voisins n'a rien d'avantageux.


C'était un fait. Comme Zafi l'avait fait remarqué à juste titre, les jangowas devaient récupérer les informations plus facilement. Pour cela, ils avaient besoin d'un espion indépendant, mais aussi, un pion parmi les sujets de Kupendwa. Deux points d'entrée nécessaire à l'établissement d'une circulation plus fluide entre le désert et la savane, sans créer un climat de suspicion chez les lions couleur fauve.

Pour Jesaja, le rôle de son interlocuteur était clair. D'une certaine manière, Kadi était devenu une sorte d'espion de guerre. Même si l'idée d'une guerre n'était bien évidemment pas à l'ordre du jour, le félin à crinière courte comprenait toute l'importance d'un tel vocabulaire. Cette notion de guerre, renvoyait à l'idée d'une confrontation directe entre deux entités bien définies. 

Sur cette base, même si le scénario d'un affrontement direct n'avait rien de pertinent, l'idée d'un lien sans accrochages avec les lions de la savane n'était pas envisageable. 

En l'absence de bénéfices clairs sur le long terme, les lions du désert devaient absolument trouver le moyen de faire évoluer les clauses de l'alliance établie. Un plan audacieux, dont la réussite dépendait très largement de la qualité des informations obtenues par Kadi, la coopération du rebelle, mais aussi, la trouvaille d'un espion indépendant.

L'air amusé, le jeune mâle termina en rappelant à juste titre, l'inconvénient principal lié au jeûne : l'épuisement. Il était hors de question de concevoir une situation dans laquelle "l'espion de guerre" se retrouvait affaibli par un jeûne.

- Tu as tout compris. Cela dit, récolter les informations est un chose, gagner la confiance de nos voisins en est une autre. L'idéal, serait de faire les deux simultanément.


Kadi n'était pas fermé à l'idée de laisser Jesaja jouer un rôle dans cette mission. Créer des liens avec des lions perçus comme naturellement inférieurs, n'était pas une mince affaire. Pourtant, le félin à crinière courte avait la sensation que son jeune interlocuteur avait toutes les compétences requises pour mener à bien cette mission.


- As-tu croisé la route d'un pridelander ?


Mis à part la nécessité d'un très bon jeu d'acteur, le jangowas devait accepter l'idée de sortir de son isolationnisme naturel. L'objectif étant, l'ouverture des portes du royaumes de Prideland bien au-delà des espaces de patrouilles communes à la frontière.

Sa question n'avait qu'un seul but : Récolter quelques informations, afin de savoir par où commencer. Même si Kadi ne voyait aucun inconvénient à partir de zéro, prendre le temps de "s'équiper" avant de partir, n'avait rien de stupide.

Silencieux, le félin à crinière courte porta toute son attention sur le jeune mâle qui, hésitant, expliqua qu'il n'avait pas croisé la route d'un pridelander depuis longtemps. Une réponse dont le manque de conviction, laissait penser que le jeune Jesaja avait quelque chose à cacher.

Une hypothèse confirmée par la révélation d'un mensonge évident. En réalité, le jeune guerrier avait bien passé un moment en compagnie d'un pridelander dans le cadre d'une patrouille en commun à la frontière.

Visiblement inquiet, l'adepte du jeûne chercha à savoir si son interlocuteur avait l'intention de le dénoncer. Une question dont la réponse était déjà claire. Kadi n'avait aucun intérêt à dénoncer ou accuser qui que soit. Seules les informations nécessaires à la réussite de sa mission avaient de la valeur à ses yeux.

Cependant, même si rien ne laissait penser que Jesaja représentait un danger pour le groupe à ce stade, Kadi chercha à se faire une idée plus claire de ses intensions.

Le regard fixé sur le jeune mâle, Kadi plissa les yeux, avant de prendre la parole en disant :

- Aucune idée. Tout dépend des raisons derrières ce mensonge. Pourquoi ? Quel était l'intérêt de mentir sur une question aussi simple ? J'étais juste curieux de savoir ce que tu pouvais me dire des pridelanders sur la base de ta propre expérience avec l'un d'entre-eux. Rien de plus.

C'était évident. Pourtant, tout portait à croire que Jesaja pensait à autre chose. Compte tenu de sa personnalité, Kadi avait beaucoup de mal croire que ce mensonge, découlait d'un simple sentiment de peur face à un ainé. Cette hypothèse ne tenait pas la route.

Jesaja connaissait très bien les règles. Rien n'interdisait à un jangowas de cacher une information à un autre dans quasiment tous les cas. À moins de nuire aux intérêts du Grand Désert et son peuple, Kadi ne voyait aucune raison susceptible de justifier une condamnation du jeune mâle. La réaction de Jesaja, n'avait rien de répréhensible à première vue.

Cependant, Kadi ne pouvait s'empêcher de penser que sa question n'avait rien de particulièrement difficile. Peut-être que le jeune mâle avait la sensation d'être mis sous pressions pour des raisons complexes. Une chose que le félin à crinière courte avait beaucoup de mal à comprendre.

Hésitant, l'adepte du jeûne révéla qu'il n'avait soutiré aucune informations particulière. Partant de là, le félin à crinière courte comprenait qu'il était impossible de compter sur son jeune interlocuteur. Du moins, pour le moment.

Lorsque Jesaja fit mention du roi sang-mêlé de Prideland, Kadi écouta attentivement ce qu'il avait à dire. D'après lui, ce dernier n'était pas doté de cette "foi véritable" propre aux enfants du Grand Désert.

- Peut-être que oui...ou peut-être que non. Il n'a pas remis en cause l'accord qui a été établi entre nos deux peuples. Est-ce de la folie ? Ou de l'audace ?

Si d'aventure la deuxième réponse était la bonne, les jangowas pourraient se vanter d'avoir réussi à laisser une marque intéressante sur ce roi dont la personnalité et les objectifs, étaient encore obscurs.

- En tout cas, si tu apprend des choses intéressantes sur eux, n'hésite pas à en parler à notre empereur. Je suis sûr qu'il sera très content d'en savoir plus sur les faiblesses de nos chers voisins.

Sourire aux babines, Kadi se contenta d'un simple mouvement de tête en guise de salutation, avant de prendre congé de son jeune interlocuteur. Peut-être qu'avec un peu de chance, le félin à crinière courte aurait la chance d'en savoir un peu plus sur les lions de savanes grâce à lui.

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