De tous les territoires sur lesquels ils ont voyagé, la jungle est sans doute le plus insolite, pour Salju. Toute cette végétation luxuriante, ces mangroves, ces lianes qui se baladent un peu partout… Il s’est émerveillé sans le dire par cette flore insolite, ces multiples teintes de vert et cette humidité ambiante. Ils ont quitté le désert aride étouffant, et ce n’est pas pour déplaire au conseiller qui préfère de loin les extraordinaires cascades les entourant. Au moins, ils peuvent se désaltérer à foison et même profiter de quelques baignades. Il n’y a que cette histoire de gorilles qui l’embête un peu. Il espère qu’ils ne se feront pas trop embêtés par ces gros primates… Mais pour l’heure, il préfère s’amuser dans son coin en jouant un peu avec les lianes, imitant les plus jeunes qui s’y accrochent avec leur gueule pour se balancer. Lorsque Salju désire les imiter, toutefois, son poids plutôt imposant ne lui permet pas d’aller bien loin et sa liane finit par se décrocher, le faisant tomber sur d’autres lianes qui le retiennent comme un panier. Son corps est balloté doucement par les lianes, et il se surprend à glousser discrètement. Quel lieu curieux !
De la hauteur où il se trouve, à quelques petits mètres plus bas, la silhouette de Chakam se dessine dans son champ de vision.

« Chakam ! »

Salju, une fois qu’il a attiré son attention, saute de son amas de lianes pour descendre jusqu’à son chef en glissant sur les imposants troncs mousseux. Ça aussi, il trouve ça amusant ; mais devant son chef, pas question de se montrer puéril.

« Nous nous rapprochons de plus en plus des Freelanders. Est-ce que tu comptes aller jusqu’à eux ? »

Il n’y a peut-être pas l’obligation de passer par les terres Freeland, mais peut-être que ce serait une bonne chose de se faire voir par leurs voisins.

Un Mositu ? Pourquoi pas ! Quoique Salju aime trop sa fourrure claire pour échanger avec celle foncée d'un Mositu, même si ces lions ont de belles couleurs aussi, en général. Mais l'observation fait glousser le conseiller, qui s'imagine tout à coup comment leurs congénères de la jungle pouvaient bien y vivre.

« Oh ! Ce serait un honneur, Chakam ! »

Son sourire s'illumine et ses yeux brillent en entendant la proposition de son leader qui l'honore plus que de raison. Même s'il ne devrait pas être étonné, de part son rôle, ça ne veut pas dire que ça ne le flatte pas. De plus, il aura l'honneur de rencontrer la reine des Freelanders, et ça, ce n'est pas rien. Décidément, ce voyage leur fait faire de bien belles découvertes.

« Est-ce que tu connais Ysera ? L'as-tu déjà rencontré ? Il paraît qu'elle est très gentille. »

Se mettant aux côtés de Chakam, il suit du regard les papillons de multicolores qui virevoltent autour d'eux et de fleurs aux formes diverses et variées. Ce n'est clairement pas ces plantes et ces animaux qu'ils auraient pu voir dans leurs montagnes. Les nouveautés de chaque jour lui permettent un peu plus à chaque fois de mettre de côté sa nostalgie de leurs terres natales pour apprécier la beauté des lieux qu'ils visitent.

« En tout cas, cet endroit est encore bien différent de tout ce qu'on a pu visiter jusque là. Je le trouve extraordinaire et très riche ! Tant qu'on évite les gorilles... »

En tout cas, une chose est sûre, le sol n'est plus sec et aride et la nourriture devrait être moins difficile à trouver, par ici.

Est-ce que Chakam est fébrile à l’idée de rencontrer Ysera ? Ce sera sans doute une rencontre historique pour eux, dans tous les cas. Les Freelanders sont habitués aux lions de toutes origines, mais les Nordiques verront pour la première fois un clan aussi divers. Salju a aussi hâte d’entrer sur la zone de Freeland car il imagine une terre prospère et paisible, à l’image de leur troupe nomade qui voyage sur les territoires voisins. Il se demande seulement si un royaume aussi libre et important dans sa composition et sa géographie ne serait pas trop chaotique avec un chef au sommet. Comment font-ils ? Est-ce qu’ils ne sont pas trop nombreux pour être organisé sous la coupe d’Ysera seule ?
Je suppose que j’en saurai plus quand je la verrai et que je parlerai avec des Freelanders.
La perspective de nouvelles rencontres ravit le conseiller, en tout cas.

« Oui… Après tout, il y a beaucoup de choses que nous ignorons encore de cet endroit. »

Il n’avait pas pensé au fait que leur guérisseuse pourrait élargir ses connaissances au contact de d’autres groupes, mais cela fait sens et ne pourrait être que plus utile pour leur avenir, si Kidonda est mieux préparée pour les soigner. Ils pourraient bien avoir une maladie ici sans en connaître les origines ou le remède, alors ça rassure Salju de savoir qu’ils ont une chance de renforcer leurs liens avec d’autres clans.

« Je sais qu’il y a les singes, les gorilles… Mais est-ce que ceux qu’on appelle Mositus ne se trouvaient pas ici aussi ? Je n’en ai entendu que des histoires, à leur propos. »

Comme ils étaient surtout restés dans les montagnes sans jamais qu’il puisse voir le monde extérieur, au-delà de leurs frontières enneigées. Il sait simplement que ce peuple était un peu leur opposé : à la fourrure sombre et vivant dans les coins de cette jungle qu’ils connaissaient probablement jusqu’au bout des pattes.

Les yeux de Salju brille à la proposition de Chakam. Il a toujours rêvé d'aller à Prideland pour rencontrer les lions de là-bas ! Ce serait l'occasion ou jamais d'en savoir un peu plus sur l'histoire de ce territoire, où Mositus mais aussi Jangowas ont posé leurs marques. Il est heureux de savoir, en plus, que Chakam semble tout aussi curieux que lui quant à ces lions au pelage doré comme le soleil. Il a toujours entendu dire que leurs terres étaient prospères et vertes, avant la sècheresse. Sa poitrine gonfle davantage lorsque son leader lui demande conseil, cherchant son avis.

« Ce serait une bonne idée ! Je ne sais pas si j'aurais été rassuré de te laisser seul avec les Freelanders, même s'ils s'avèrent inoffensifs au final. »

Que ce soit Pridelanders ou Freelanders, Salju n'aurait pas été à l'aise de voir Chakam aller jusqu'aux territoires voisins sans même une escorte pour assurer qu'il ne craint rien. Ils ne savent jamais, après tout, comment peuvent être Ysera ou Kupendwa, le roi de Prideland. Et son conseiller sera plus qu'enchanté de pouvoir l'accompagner à ces rendez-vous importants.

« Pour être honnête, j'espère que notre route croisera aussi celle des Pridelanders. Prideland reste un royaume important. »

Même si ce n'est pas pour ça qu'il désire passer par chez eux. Salju voudrait connaître les détails de la vie d'un Pridelander. Que mange-t-il ? A-t-il d'autres couleurs pour son pelage que le doré ? Fait-il des combats avec les autres pour se disputer leur place de régent ?

« Hmm... Peut-être que nos ancêtres veulent depuis le début nous pousser à rencontrer nos voisins et à découvrir de nouveaux paysages... »

Salju ne dit jamais vraiment ça sérieuse, mais ça ne l'empêche pas en revanche d'y réfléchir. Il veut savoir si les Freelanders et les Pridelanders seront amicaux avec eux. Peut-être qu'avec un peu de chance on leur ferra faire une visite sur les terres ?

Les yeux de Salju s'illuminent à l'évocation du Rocher de la Fierté. Il n'a jamais eu la chance de voir ce gros bloc de pierre massif mais on lui a raconté comme il était imposant; et surtout comme il portait bien son nom, trônant au cœur du royaume de Prideland pour avoir une vue imprenable sur tout le territoire. Un peu à l'image de leurs montagnes froides et élevées. Le conseiller est au moins rassuré de savoir que Chakam ira à la rencontre d'Ysera pour établir des liens pacifiques entre leurs groupes : les Nordiques sont si peu nombreux, comparé aux Freelanders ! Une guerre entre eux marquerait probablement leur fin. Mais ça compte aussi pour les Pridelanders depuis qu'ils se sont alliés aux Jangowas.

« Méprisant... »

Les Nordiques ne doivent pas être vus comme des ennemis, s'ils tiennent à leur survie. Et ils ont vu ce que le mépris dont parle Chakam a provoqué sur leur groupe. Salju a peur qu'un jour les Nordiques s'éteignent.

« Oh... J'espère que l'on ne nous voit plus comme ça, en tout cas. Mais avec ce que j'ai pu entendre des plus âgés, ce comportement ne m'étonne pas de la part des anciens lions. »

L'espoir est de mise, cependant. Les lions qu'ils sont aujourd'hui demeurent bien différents de ceux qu'ils étaient auparavant. Les échecs et les terribles événements qui leur sont arrivés en ont fait une troupe plus soudée qu'autrefois. C'est sans doute aussi pour ça que Salju a un désir un peu maladif de maintenir la paix entre tout le monde.

« Je suis plus que fier d'être un Nordique, mais je sais que c'est important de se rappeler des nos histoires les plus sombres qui nous ont amené au stade où nous en sommes à présent. »

S'il a voulu être conseiller, d'ailleurs, ce n'est pas que pour ça. Il était persuadé -et il l'est toujours- que Chakam est le seul qui peut les guider convenablement.

Les idées de Chakam ne s'opposent pas à celle de Salju. Ce dernier croit aussi que leurs Ancêtres ont pour projet de les faire progresser pour ne plus jamais qu'ils fassent les mêmes erreurs. Les Nordiques, si aujourd'hui sont plus calmes et sages, traînent des histoires sordides malgré tout. Mais le conseiller est soulagé de n'avoir jamais eu à connaître cette époque terrible. Il est entouré de lions bienveillants qu'il est heureux d'aider.

« En tout cas, je ne laisserai personne dire que toi ou Awa êtes odieux ! »

Sous ses airs de lion bonne pâte, il peut se montrer très dur envers ceux qui osent remettre en question ses proches. Comme l'a dit son aîné, ils sont loin de ressembler à leurs ascendants lointain.

« L'avantage d'être nomade, au moins, c'est qu'on ne restera pas indéfiniment ici. Enfin, c'est toujours mieux que le désert. »

Quelques primates s'amusent dans les arbres et mangroves à plusieurs mètres de hauteur au-dessus d'eux. Salju s'amuse de leur aisance à se déplacer de lianes en lianes, même si l'humidité ambiante à tendance à l'étouffer parfois quand il vagabonde dans des milieux trop chauds. Ses yeux bleus observent un instant les singes qui les fixent et poussent leurs petits cris comme s'ils se moquaient d'eux.

« Il y a certains d'entre nous qui doutent encore, mais j'aimerais rester optimiste malgré tout... Je me demande s'il y a d'autres montagnes enneigées, autre part. Des neiges qui durent éternellement. Est-ce que tu n'as pas une préférence, toi, sur l'endroit où on pourrait se poser définitivement, si un jour nous en avons l'opportunité ? »

Peut-être... est-ce ça, la fin de leur voyage ? Des montagnes nouvelles ? Des montagnes encore inexplorées qui les attendent, pareilles à une terre promise ?.. Il se met à rêver, s'imaginant un paradis glacé où ils retrouveraient leurs marques aisément pour y faire une nouvelle vie.

Salju frissonne rien qu'à l'évocation du désert. Les autres, il ne sait pas, mais lui, jamais il ne pourrait y vivre ! Il est persuadé de toute façon qu'hormis les Jangowas, il est impossible de supporter une telle chaleur indéfiniment sans en mourir. Mais le Conseiller est touché de l'aveu de son chef. Chakam doit rester fidèle aux décisions des esprits pour l'instant, mais ça n'empêche pas que le leader a aussi ses propres envies, ses propres désirs. Qu'il a sans doute des rêves et des objectifs personnels en dehors de ses devoirs. Ce qu'il lui confie, en outre, ne le surprend pas. Alors Salju se permet d'être lui-même honnête avec celui qu'il admire et dont il respecte les choix plus que quiconque.

« Je veux croire en ce que nous diront nos Ancêtres, mais... »

Son regard passe brièvement vers le ciel, se demandant si leurs aïeux pouvaient les entendre.

« Moi aussi, j'aimerais bien rentrer chez nous, à la fin de notre voyage. Nous sommes les Nordiques, les fiers lions au pelage blanc des montagnes. »

Ils ont toujours vécu dans les hauteurs, alors pourquoi leur génération changerait ? Il y a sûrement un moyen de revenir à là d'où ils viennent, se dit Salju.

« Je ne veux pas penser au fait que nous pourrions ne jamais retrouver les sommets qui nous ont vu naître. »

Il évite d'y songer. C'est une de ses craintes les plus profondes, mais il la repousse aussi loin que possible tant qu'ils n'ont pas à y être confrontés. Leur voyage est loin d'être fini, après tout.

« De toute façon, je ne vois pas où nous pourrions vivre d'autre. Il serait assez difficile de chasser sans profiter de notre camouflage avec la neige. Nous ne passons pas vraiment inaperçu, pour l'instant... »

Et cela finira par être un problème, à terme. Ils sont prévus pour pouvoir se fondre dans la neige afin de ne pas se faire repérer, mais au milieu d'une végétation luxuriante et pleine de couleurs chatoyantes, c'est peine perdu.

Chakam, à la connaissance de Salju, ne reçoit pas de visions et ne peut pas voir dans l'avenir non plus. Pourtant, à ses simples mots sur un potentiel retour, comme s'il lui faisait une promesse, le Conseiller a envie d'y croire et de se dire qu'il a raison, qu'ils rentreront tôt ou tard chez eux ou du moins, qu'ils finiront par revenir dans les montagnes. C'est que le lion crème a peur aussi de s'imaginer les Nordiques ne jamais revenir dans leurs territoires enneigés, obligés de vivre dans une zone à laquelle ils ne sont pas habitués. Ce serait la fin des Nordiques, selon le point de vue de Salju. La nouvelle génération est assurée par les lionceaux qui sont là et ceux à venir pour le moment, mais cela lui fait de la peine de se dire que les plus jeunes ne pourront jamais connaître les terres de leurs Ancêtres s'ils n'y reviennent pas. Il n'y a bien que l'espoir qui arrive à les faire tenir, car le reste du groupe espère sans doute aussi qu'ils reviendront d'où ils viennent, que ce voyage n'était qu'initiatique.

« Je te crois, Chakam. Je pense aussi que les Esprits finiront par nous pardonner si nous continuons à être soudés. »

Même si le leader des lions blancs a ses propres opinions et souhaits quant à la finalité de leur voyage, il a toujours fait de son mieux afin de rassurer sa troupe afin de les guider du mieux qu'il peut. Un clan démoralisé et en perte de confiance n'est jamais bon et a du mal à suivre, généralement. Mais la force des Nordiques, s'ils sont généralement plus petits en terme de population que les Pridelanders, Jangowas ou Freelanders, prennent soin les uns des autres, en dépit de quelques lionceaux turbulents par-ci par-là...
A la proposition de son chef, Salju sent son ventre se mettre à grogner un petit peu et l'eau lui monter à la gueule.

« Avec plaisir ! Je commence à avoir une petite faim ! »

Avec enthousiasme, il ne peut qu'accepter et se lève à la suite de Chakam, impatient de dîner. Au fil de leur discussion, le ciel s'est fait de moins en moins clair et la jungle s'est faite de plus en plus silencieuse. Mais à bien y réfléchir, quand Salju ne perçoit plus aucun son provenant des singes, il se demande si ce n'était pas mieux quand il y avait un peu de bruit finalement, car la jungle, quand elle est plongée dans la pénombre, a quelque chose de menaçant et d'étrange.