J'arpentais les terres de Prideland à la manière d'un fantôme. Le soleil partit, je me sentais seule et délaissée. La nuit assombrissait mon pelage et mon doré perdait de sa brillance, comme un soleil devenu ombre. Mais comme les étoiles, un éclat subsistait. Une particularité des Lions du Soleil, peu importe la noirceur qu'il pouvait faire au dehors, le soleil continuait de vivre en nous. Nous étions ses enfants, ses porteurs d'allégresse.

Par certains moments, j'aimais m'imaginer ce qu'aurait pu être ma vie sans mon exil. Débarrassée du titre de traîtresse, je serais restée Kuzali, la princesse des Terres du Soleil. Mon frère serait monté sur le trône quelques années plus tard et je serais devenue sa conseillère et partisante la plus fidèle. Quant à ma mère, notre relation se serait améliorée, mon père n'étant plus souverain. Elle aurait enfin pris son envol, débarrassée du poids de son titre de reine et enfin, elle m'aurait dit tous ces mots que jamais elle n'avait pu prononcer. Mon père aurait simplement été fier de moi et cela m'aurait suffit. Quant à Sheru... il serait tout simplement vivant. Tous deux nous serions établis dans notre caverne sous la cascade et aurions pu vivre la vie qu'on nous avait volé.

Mais tout ceci n'était que le fruit de mon esprit. Je n'étais plus une princesse mais une exilée et ma terre natale n'était plus qu'un souvenir.

Un lion sage avait un jour dit que la nuit était propice à la réflexion et je lui donnais raison. Ayant délaissée Samekh, j'errais seule comme pour revenir aux vieilles habitudes. C'était rassurant de savoir que désormais, je n'étais plus seule et que j'avais quelqu'un sur qui compter. Le lion au pelage pourpre s'était affirmé comme un véritable espoir et je comptais énormément sur lui. De mon apprentissage dépendait ma vie future. Les autres lions n'avaient pas à se questionner si demain serait un bon ou mauvais jour, s'ils trouveront une carcasse sur laquelle se nourrir ou bien même un endroit sec par temps de pluie. Pour un exilé, ces questions étaient quotidiennes et je n'échappais pas à la règle.

Mes pas me portèrent aux bordures de ces terres et je vins trouver refuge au pied du Baobab. De tout Prideland, c'était peut-être le lieu que j'appréciais le plus. Un calme olympien régnait en cette endroit et sa beauté avait tout à envier. Laissant s'échapper un doux soupir de ma gorge, je m'allongea paisiblement au sol et croisa les pattes, la posture digne, et de là, j'observais le Rocher de la Fierté qui dominait fièrement Prideland. Ce rocher était connu par-delà les frontières aussi Sheru en avait-il entendu parler des Terres du Soleil. Un noble héritage était inscrit dans ces pierres mais l'avenir s’annonçait sombre pour les Pridelanders. J'ignorais tout des manigances de Misaada et Samekh -sans oublier Rumple- mais, j'étais bien décidée à mener mon enquête. Non pas que je cherchais à faire éclater la vérité mais il était toujours préférable d'être mis au parfum des secrets les plus scandaleux.

La lune éclairait majestueusement le Rocher de la Fierté, lui donnant une atmosphère d'autant plus royale et moi, j'observais dans un silence respectueux ce spectacle. Oui, c'était une bien belle nuit.

Le soleil était le passé, la terre le présent et la lune le futur. Et moi, qu'étais-je et qu'adviendrait-il de ma personne dans les temps à venir ? Par tous ces rebondissements et non-dits, notre futur à tous s'assurait des plus insécurisés. Que ce soit dans le royaume du Nord, Outland, les Terres Libres ou même sur ces terres ancestrales de Prideland, l'avenir s'annonçait sombre et incertain. Mon regard toujours posé sur la lune, je ne pouvais plus me dérober à sa beauté. Si belle et étincelante... Peut-être était-elle le rêve du soleil.

Je n'eus guère le temps de réfléchir à une telle chose puisque déjà le vent venait m'avertir qu'un lion approchait. Si mes yeux m'avaient trahis par ma contemplation trop intense, mon odorat lui ne me laissait jamais seule. D'une démarche lente et désintéressé de toute violence, un lion se rendait en ma direction. Si je n'avais pas été trompée par l'odeur, j'aurais pu croire l'espace d'un instant qu'il s'agissait là de Rono. N'était-ce pas ici que nous nous étions rencontrés pour la deuxième fois après tout ? Je me souvenais encore de l'état de confusion dans lequel le mâle m'avait trouvé et surtout, je me rappelais de cette scène où Rono avait accouru pour me rattraper et accepté ma proposition de voyage. Quand bien même notre oremière escapade s'était-elle terminée sur une note positive, cette nuit marqua le début de notre folle amitié. Mais ce lion qui s'approchait ce soir n'était pas Rono mais un tout autre dont l'identité n'était pas des moindres. Kumpa.

Calme, je l’observais d'un regard dont moi seule connaissait le secret tandis qu'il s'approchait. Respectueux de ne pas déranger mon cercle privé, le mâle s'arrêta toutefois à une certaine distance avant de faire chanter la nuit de sa voix masculine. Je souris légèrement à ses paroles tout comme lui se mit à sourire.

« J'ai toujours aimé la nuit, il y a des tas de choses dedans qui parlent, qui chantent ou qui racontent. »

Puis comme soucieux, le prince me questionna sur mon acolyte. J'émis un nouveau sourire. Nous avions beau voyager ensemble et entretenir une relation de mentor et de son élève, nous n'en étions pas pour autant collés l'un à l'autre jour et nuit. Il était important que chacun conserve ses quelques moments de solitude. Mon regard s'attarda un peu dans celui du jeune mâle. Chacun de nous était une lune avec une face cachée que personne ne voyait et je me demandais quelle était celle de Kumpa.

« Peut-être est-il non loin de l'étang, peut-être est-il quelque part dans la savane. Je l'ignore, prince. » lui répondis-je avec un demi-sourire. « Mais si vous souhaitez causer de la nuit avec lui, je vous souhaite bien bonne chance pour le trouver. »

Au fil des jours et des semaines, j'avais bien appris une chose avec le vieux lion au pelage pourpre : ce n'était pas à nous de nous rendre auprès de lui mais bien lui qui nous trouvait. J'ignorais les intentions du prince héritier à savoir s'il désirait simplement échanger quelques mots en l'absence de mon mentor, s'il s'étonnait de notre séparation ou s'il était simplement à la recherche de Samekh dans l'espoir de lui tirer les vers du museau mais sa présence ne m’insurgeais pas. Reportant mon attention sur la l'astre lunaire, je l'observais, presque envieuse. La nuit n'était peut-être que la paupière du jour.

Chose étonnante, je me mis à rire des paroles du lion. Il ne pensait pas si bien dire. J'admirais Samekh et son art oratoire mais il était vrai que par moment, je me perdais dans ses mots. Peut-être était-ce par habitude pour lui de semer le trouble chez son auditoire. Oui, il avait ce talent fou pour vous déstabiliser.

« Vous ne savez pas si bien dire ! » répondis-je alors, dans un sourire.

C'était quelque peu étrange de me retrouver ainsi en compagnie du prince à rire de ses plaisanteries. J'avais toujours pris soin de déprécier Prideland et son peuple mais cela n'avait jamais été véritablement de leur faute. Seulement celle de mon passé. Je me souvenais également de ma rencontre avec Malkia la régente et à quel point cette entrevue avait mal tourné. J'avais conscience d'avoir été odieuse avec la reine mais après tout, celle-ci l'avait bien mérité. Kumpa semblait bien différent de cette dernière. Selon les dires, le mâle tenait énormément de son père mais je ne pouvais me permettre de mener un tel jugement n'ayant jamais rencontré le feu roi.

S'attardant un peu plus sur le sujet « Samekh », le jeune lion en profita pour commenter notre relation. Je ne pus m'empêcher de sourire à l'entente de ses mots. Nous avions beau être deux personnes différentes, bien plus de choses nous rapprochait que ce Kumpa pouvait croire. Je doutais que quelqu'un puisse un jour nous comprendre mais, je n'en demandais pas tant. Du moment qu'on nous fichait la paix, je n'avais pas à m'en soucier. Néanmoins, une certaine distance avait récemment pris place dans notre duo. Sûrement à cause de tous ces non dits. Malgré son caractère peu commun et son passé mystérieux, j'avais fini par m'attacher à ce vieux lion bourru et la situation ne me réjouissait guère. Il faudrait tôt ou tard percer l’abcès.

« Oui, étrange semble être le mot. » confirmais-je doucement.

Peut-être était-ce la nuit qui rendait cette rencontre hasardeuse si calme et propice à la paix. Ne disait-on pas que la nuit facilitait les confidences ? Sans doute rendu bavard par la présence de l'astre lunaire, le mâle me fit à nouveau part de ses pensées qui me laissèrent à mon tour songeuse.

Des amis, des ennemis, une famille... Je n'étais pas vraiment gâter à ce niveau là. Quand bien même j'essayais de m'en détacher, mon esprit ne pouvait s'empêcher de me rappeler mes terres natales, là où vivait ma famille ainsi que mes anciens amis. Ceux que je ne reverrais jamais, là où était mon ancienne vie. En arrivant sur la Terre des Lions, je n'avais rien : ma famille m'avait renié, mes amis abandonnés et le seul lion resté de mon côté était mort. Mes premiers pas n'avaient pas été simple... J'avais cru pouvoir me fier à un groupe d'Outlander mais ces derniers m'avaient trahis à leur tours d'où mon aversion pour ces lions. Des ennemis, je n'en manquais pas... Par mon statut d'Exilée, j'étais automatiquement placée sur liste rouge et rejeté par la plupart même si certains avaient su voir au-delà de mon appartenance comme Rono. Mon précieux ami... je me demandais où son voyage l'avait mené et s'il avait pu satisfaire sa soif de découverte.

Préférant éviter le regard de Kumpa pour le moment, je me contentais d'observer la lune, songeuse. Quand bien même vous pouviez placer votre confiance en une personne, cette dernière était toujours susceptible de vous trahir que ce soit vos amis ou bien même votre famille... J'avais malheureusement fait les frais de cette tragique vérité.

« Prenez soin de vous entourez de lions de confiance, Kumpa. Ils seront la clé de votre réussite. »

Un roi n'était rien sans l'amour de ses sujets mais plus encore, il devait pouvoir compter sur un cercle proche composé d'un nombre restreint de lions et lionnes sur lesquelles il pourrait compter en toute circonstance, comme par exemple son frère Damu. J'avais beau ne pas connaître personnellement ce lion, il était évident que jamais il ne laisserait seul son frère car c'était là le devoir d'une fratrie : s'entraider en toute circonstance, accourir au moindre problème, pouvoir compter sur l'un comme sur l'autre... Devoir auquel Hasire et moi-même avions failli. J'espérais simplement que la même chose n'arriverait pas à Kumpa, il semblait être un lion bon et ne méritait pas de connaître la vie que j'avais pu mener. En toute vérité, j'enviais les deux lions pour leur complicité, cette si précieuse chose que j'aurais aimé ne jamais perdre avec mon frère. J'avais beau le détester pour ce qu'il avait fait et engendré, Hasire restait mon frère et malgré toute la haine que je pouvais lui cracher au visage, il resterait éternellement mon grand frère protecteur et aura toujours sa place dans mon cœur bien que mes sentiments à son égard étaient continuellement opposé.

« La famille est une chose précieuse, Kumpa. Bien plus précieuse que le reste. » finis-je par dire, orientant finalement mon regard vers celui du prince.

S'il y avait bien une chose que ma mère m'avait enseigné, c'était celle de voiler mon regard. Peut-être était-ce même l'une des premières notions royales qui me fut enseignée. La famille était une chose importante dans la vie d'un lion et qui n'était pas à négligé. Ceux qui resteraient éternellement de votre côte. Ou du moins était-ce ainsi que cela devait se passer... Le fait d'avoir été exilée par mon propre sang fut sûrement l'une des choses les plus dures à accepter. Maintenant que j'y repensais, peut-être était-ce aussi la raison pour laquelle j'avais tant eu de mal à comprendre ma mère, elle ne m'avait jamais laisser lire en elle. Ce ne fut que lors de moment volé que je vis enfin la tristesse que renvoyait son regard. Au final, je n'en aurais jamais su la cause.

Je souris péniblement aux paroles du prince, il n'avait pas idée de combien je pouvais comprendre ces mots. Je me demandais quelle réaction il pourrait bien avoir s'il venait un jour à connaître mon histoire. Oui, qui pouvait s'attendre à ce que Kuzali la bannie soit de sang royal... Aussi, je comprenais bien les confusions de Kumpa que j'avais moi-même partagé. Ce sang qui coulait dans nos veines nous apportait bien plus de restrictions qu'il n'en paraissait. La couronne avait un certain poids.

« Nous avons tous nos points faibles et nos qualités, vous ne pouvez exceller dans tous les domaines. » dis-je dans un premier temps à la manière d'une vérité générale. « Il vaudrait mieux que votre mère n'en ait pas ouïe, elle pourrait vous ajouter des leçons supplémentaires. » terminais-je sur le même ton enjoué que celui du prince.

Puis vint une question du mâle qui me laissa d'abord surprise puis mélancolique, toute gaieté quittant alors mon visage.

« Tout le monde a une famille, Kumpa. » dis-je sans pour autant répondre à la question.

Je n'aimais pas vraiment ces discussions qui en venait à aborder les sujets intimes et personnels. Parler de ma famille revenait à évoquer mon passé et ce n'était pas dans mes habitudes. La seule information qui avait pu se répandre sur ma personne était uniquement celle de mes terres natales. Rien de plus n'avait été dévoilé. Le regard lourd, je revoyais les plaines ensoleillées des Terres du Soleil, jamais aucune herbe n'avait été aussi belle et un ciel aussi bleu. Mais tandis que esprit faisait défiler diverses images de mon enfance, la voix du mâle résonna au creux de mon oreille et je redressa légèrement la tête, à son écoute.

Comme je le pensais, Kumpa confirma que seul son frère était d'un réel soutien familial. Tandis qu'il évoquait l'attaque de son frère, nos regards se croisèrent et je pus y lire à quel point il tenait à son frère cadet. Oui, on serait prêt à tout par amour de notre fratrie... Quelles idées avaient alors poussé Hasire à commettre un tel acte ? Sous prétexte que mon amour avec Sheru était infondé ? Mais il aurait tout simplement pu venir m'en parler au lien d'en arriver à un tel point ! C'était ainsi à chaque fois, dès que j'essayais de comprendre les actions de mon frère, je me heurtais à un mur. Je le haïssais autant que je l'aimais et ces sentiments contradictoires devenaient très vite ingérables.

Après une courte pause, le prince en vint à évoquer le jour de la mort de Farao, cela ne devait pas être évident pour lui. Bien des mystères rôdaient autours de ce fameux jour et la vérité n'était connu que par ces trois là. Je ne pus m'empêcher de baisser le regard à l'entente du nom de Samekh, comme si j'étais moi aussi liée à cette affaire par mon implication avec le lion. L'absence de vérité devait être dur à supporter pour Kumpa mais pour ma part, je continuais de penser que Samekh n'était pas responsable de la mort du feu roi. Il était certes fourbe et manipulateur mais, il n'était pas pour autant un meurtrier.

« Je suis désolée pour votre père. » dis-je finalement, le regard peiné.

La mort d'un proche était un événement dur à surmonter et malgré les apparences, je n'étais pas sans cœur. Face à l'honnêteté dont faisait preuve le prince, je me résolu à lui dévoiler un peu de ma personne. Un geste de bonne foi. Peut-être était-ce aussi ma façon pour excuser la présence de mon mentor lors de ce jour funeste mais également pour lui prouver ma sincérité dans mes propos antérieurs. Néanmoins, parler de ma famille n'était pas une chose aisée...

« Comme vous, ma relation avec mes parents est quelque peu... compliquée. » commençais-je par dire, un peu maladroite. « Ma mère était sans cesse dissimuler dans l'ombre de mon père qui était très strict et sévère. Heureusement, il y avait mon frère. Nous étions très proches. »

C'était bien la première fois que j'évoquais ma famille sur ces terres. Je n'en avais jamais parlé à quiconque et mon ressentiment était étrange. Ma famille était sûrement la chose la plus dure que j'avais à gérer. Haine, amour, déception, regret, manque... Ces sentiments ne cessaient de se mélanger à leur égard. Ma relation avec ma mère n'avait jamais été parfaite, je n'en gardais qu'un souvenir d'une mère effacée, sans cesse effrayée par le regard de son compagnon. Oui, mon père... sûrement le lion le plus sévère que j'eus rencontré. Un simple regard de sa part suffisait à me glacer le sang. Il n'avait jamais caché sa préférence pour son héritier mais sans doute était-ce mieux ainsi. Les marques d'affections de mon père étaient étranges, je ne l'avais jamais vu sourire. Tantôt désigné comme un roi austère, tantôt comme un tyran. Il n'était pas particulièrement aimé des ses sujets mais tous le respecter comme personne. Et enfin, restait Hasire, mon frère. Sûrement le cas le plus inexplicable...

En l'absence de Samekh, le prince se montrait plus docile et ouvert à la discussion. Il fallait admettre que ce n'était pas chose évidente lorsque vous aviez face à vous un lion expérimenté qui n'hésitait pas un seul instant à vous embarrasser. Un climat agréable et propice à la discussion s'était peu à peu établi et Kumpa en profita pour s'allonger à son tour, de manière plus détendu. Si l'on m'avait avertie dans la matinée que je me retrouverai à converser de la sorte avec le prince héritier, je n'y aurais probablement pas cru une seule seconde ! Mais, pourtant, il arrivait que le hasard fasse bien les choses.

« Pour connaître le succès, ne faut-il pas d'abord connaître les difficultés ? Tirez une leçon des erreurs passées de votre père et tâchez de vous entourez de lions braves qui vous soutiendront à toutes épreuves. »

Peut-être était-ce une chose dure à entendre mais il n'y avait pourtant aucune vile intention dans mes propos. Les erreurs de Farao étaient connus de tous et sa brève idylle avec une lionne dénommée Uzazi lui avait attiré bien des problèmes sans oublier que cette histoire avait énormément entachés sa réputation et celle de la famille royale. Quant à Malkia, cette dernière n'avait rien arrangée à la situation. Je me souvenais encore de notre rapide entrevue, peu de temps après mon arrivée sur la Terre des Lions... Je ne pouvais que souhaiter à Kumpa de trouver une compagne fidèle et aimante, contrairement à son père.

Attentive, j'écoutais avec intérêt les propos du mâle même lorsque ces derniers concernaient la nuit et les mystérieuses étoiles. Aurait-il été étonné si je lui avais confier faire la même chose ? Que nous croyions ou non en ces histoires d'enfants, nous avions tous levé le regard au ciel plus d'une fois pour y trouver une quelconque réponse.

« Ne soyez pas si dur avec vous même. » assurais-je dans un sourire, touchée par ses mots. « Je dirais plutôt l'espoir, Kumpa. » rectifiais-je alors le ton doux.

Malgré ses paroles encourageant la continuité de la vie, il était évident que Kumpa continuait d'être rongé par les faits passés. Perdre un parent à un âge si jeune était une chose très perturbante et je ne doutais pas que Kumpa ainsi que son frère mettraient tous deux du temps à s'en remettre. Qui plus est, Farao n'avait pas laissé un héritage des plus glorifiant à son fils...

« Ne laissez pas les erreurs de votre père porter un jugement sur votre personne. Vous n'êtes pas votre père Kumpa et ne serez pas le roi qu'il était. Chaque règne est différent et ce sera à vous de faire en sorte que les prochaines générations évoquent le votre avec admiration. »

Il m'arrivait malheureusement d'être maladroite dans mes mots et parfois même trop franche mais j'espérais que Kumpa avait saisit le message que je tenais à lui faire passer.

« Trouvez la force d'avancer et devenez celui que vous devez être. Un roi digne de ce nom. »

Sans véritablement m'en rendre compte, voilà que j'étais devenu une partisane du prince Kumpa. Que penserait Samekh de tout cela ? S'il n'avait pas été clair sur son ressenti, je sentais pourtant que le vieux mâle partageait mon opinion. Mais alors pourquoi s'être allié avec Misaada ? Je craignais quant à l'accord qui avait été conclu entre les deux lions. Après tout, Misaada ne nous avait-il pas permis de nous établir sur Prideland ? Un tel privilège n'était pas accordé sans monnaie d'échange. A quoi Samekh avait-il donc céder ? Il me tardait de découvrir la vérité, toute la vérité.

C'est alors qu'au beau milieu de cette discussion, surgit un mot ou plutôt un nom qui me fit louper un battement de cœur. Rono. Dès l'entente de son nom, je tournis la tête vers la prince, stupéfaite que cela sorte d'entre ses crocs. Ainsi connaissait-il lui aussi mon précieux ami ? Aux éloges du prince, je répondis par un doux regard. Sans doute était-ce la première fois que Kumpa pouvait observait une telle émotion sur mon visage. Rono... voilà si longtemps que je ne l'avais pas vu. Nous nous étions quittés après notre périple dans le Nord, avec la profonde conviction que nos chemins finiraient par se croiser à nouveau. C'était d'ailleurs ici même au baobab que nous nous étions convenus de ce périple. De doux souvenirs m'envahirent et c'était bien l'une des rares où je pouvais songer aux passés sans avoir une boule au ventre.

« Oui, Rono est... Je n'en connais pas deux comme lui. » répondis-je, en accord avec les propos du lion. « J'ignorais que vous vous connaissiez. »

Je ne fus guère surprise d'apprendre la prise de position de Rono dans cette histoire. C'était un lion brave et juste. Cependant, cela ne concordait pas avec son envie de voyager et voir du pays... Avait-il donc abandonné cette idée pour soutenir le futur roi ?

« C'est un lion digne de confiance. » finis-je par dire, l'émotion dans ma voix trahissant l'attachement que j'avais pour l'intéressé.

Sur la Terre des Lions, rares étaient les lions qui bénéficiaient de ma confiance et pourtant, Rono était assurément l'un d'eux. Peut-être même le seul. Il me tardait de le revoir...

« Pardonnez-moi de me montrer si indiscrète mais, à quand remonte votre dernière entrevue avec lui ? »

Bien qu'autrefois Prideland, Rono avait quitté son clan pour devenir un Voyageur et ainsi assouvir ses envies mais rien ne l'empêcher d'être resté proche de son clan. Je me demandais bien où il se trouvait à l'heure actuelle... Un certain temps était passé depuis notre dernière rencontre mais je n'avais aucun doute quant à la force de notre amitié. C'était même pour moi une évidence que le temps ne pouvait ternir notre complicité.

Si Rono était bel et bien présent le fameux jour de l'annonce de la mort du Roi, je ne doutais pas de l'image qu'il devait tenir de Samekh. Me mettait-il dans le même sac? Et s'il me voyait différemment maintenant qu'il avait pris connaissance de mes nouvelles fréquentations ? Je n'avais pourtant aucune idée de l'implication de Samekh dans cette affaire mais petit à petit, j'accordais ma confiance au lion de feu. Chose que mon ami ne comprendrait probablement pas. Bouleversée par cette nouvelle, je prêtais peu d'attention aux paroles du prince.

Moi qui m'étais tant de fois imaginé d'heureuse retrouvaille, ce scénario s'en voyait subitement entaché par les révélations de Kumpa. J'étais désormais anxieuse à l'idée de retrouver mon précieux ami... Pire même, j'angoissais. Ce n'était pourtant pas une réaction à avoir lorsqu'il était question de revoir un ami de longue date. L'espace d'un instant, j'en voulu au prince pour avoir ainsi mis en péril mon amitié avec le lion cendré puis me rendis compte que je ne pouvais en vouloir qu'à moi-même.

A en croire les paroles du futur roi, mon précieux ami était actuellement dans les environs de Prideland -sûrement pour suivre cette affaire de près-. Il était étrange de constater que nos routes ne s'étaient pas encore croisées. Ne faisait alors que confirmer mes doutes, Kumpa me tint au parfum quant à la réaction de Rono lorsqu'il avait apprit mes nouvelles occupations -à savoir traîner avec l'un des assassins présumés du feu roi-. Je n'avais jamais vu Rono en colère et le savoir énervé contre moi ne me plaisait guère. Je sentis mon ventre se crisper.

« Je vois. » dis-je finalement dans un souffle, le regard amer.

Plus atteinte que je ne le pensais par cette nouvelle, je me renferma un peu sur moi-même, prenant une distance avec le prince. Ce n'était pourtant pas sa faute, il ne pouvait pas savoir quel lien nous unissait avec le lion cendré. Et si par mon alliance avec Samekh, j'en venais à perdre mon précieux ami ? Cette simple idée laissa mon cœur en panique. Je ne pouvais permettre qu'une telle chose se produise... Les sentiments rendaient faibles et en arrivant sur ces terres, je m'étais pourtant juré de ne plus jamais m'attacher à quiconque. Seulement, ce genre de choses ne se contrôlaient pas...

Reprenant alors conscience que je n'étais pas seule, je tâchais de redevenir maître de moi-même et cesser de laisser paraître de telles émotions. Je ne voulais pas que le lion ait une image de moi comme étant une lionne émotive -chose que je n'étais évidemment pas- mais il n'était guère aisé de rester de marbre après de telles révélations. J'en avais lourd sur le cœur. Lâchant alors un gros soupir, j'orientais mon regard vers Kumpa et m'adressais à lui sur le ton de la confidence :

« Rono fut mon premier ami sur ces terres. » expliquais-je, la voix quelque peu engourdie. « Alors que tous me traitaient comme une vulgaire exilée, Rono fut le premier à venir vers moi sans viles intentions et à me montrer de la gentillesse. Il compte beaucoup pour moi, vous savez. Nous avons même entrepris un voyage dans le Nord quelques mois auparavant. » confiais-je dans un sourire alors que les souvenirs remontaient.

Je ne m'étais jamais confié de la sorte à personne mais quelque part, cela soulageait. J'avais beau connaître peu Kumpa, je trouvais en lui un lion à l'écoute des autres et bienveillant. Sa vie avait beau ne pas être rose, il gardait pour autant le sourire. C'était admirable.

« Ce fut également là où nos routes se séparèrent. Je ne l'ai pas revu depuis notre périple. » concluais-je, le sourire absent. Je marqua une longue pause avant de reprendre : « Je vous remercie de m'avoir mis dans la confidence, au moins je saurais à quoi m'attendre. »

Je n'en voulais pas à Kumpa, il ne pouvait pas savoir les répercutions de ses paroles et qui plus est, peut-être était-ce mieux que Rono ne l'apprenne pas de ma propre gueule. De plus, le prince avait au moins eu la décence de me tenir au parfum. Quelque peu gênée de m'être ouverte de la sorte au prince, j'évitais péniblement son regard. Je n'agissais pourtant jamais de la sorte. Fixant quelques instants la lune, je me concentrais sur mon esprit afin de calmer mes émotions et taire tout sentiment de trop. Le calme était désormais revenu.

« Navrée de vous avoir importuné avec mes états d'âmes. »

Lançant un bref regard à Kumpa, je lui adressais un maigre sourire, presque désolée. Je devais prendre garde à ne pas trop en dire, Samekh m'avait mainte fois mise en garde contre ce genre de chose...

Écoutant les paroles du jeune prince, j'émis un léger sourire, laissant alors les souvenirs emplirent mon esprit. Plus qu'impressionnant, ce voyage fut fabuleux. Je songeais à ces trois longs jours de voyage en compagnie de Rono. comme nous nous étions amusés... Ayant marché si longuement seule, j'en avais oublié les joies des voyages en groupe et plus que des moments de gaieté, nous en étions venus à lier une véritable amitié et une confiance s'était instaurée. En quittant le royaume du nord, j'avais eu la certaine conviction que je n'étais plus seule et que désormais, j'avais un ami sur qui compter. Bien qu'aujourd'hui notre amitié semblait en péril, je ne doutais pas qu'elle serait plus forte que ces détails insignifiants.

« Oui, c'est la raison de son pelage peu commun. » répondis-je finalement, étonnée que Kumpa n'ait pas eu vent des origines de mon ami. « Et quant à Theluji, j'ai eu la chance de le rencontrer. Il nous a personnellement escorté dans les montagnes. Il est tel que les rumeurs le décrivent. C'est un lion empli de sagesse. »

Et dire que je m'étais montré méfiante voir même insolente avec lui... Sans doute était-ce l'une rencontres que je regrettais le plus vis-à-vis de mon comportement. Heureusement, j'avais su mettre ma fierté de coté et était venu m'excuser auprès du Roi du Nord. Se montrant alors étonnement rassurant, le jeune prince me confia des paroles réconfortantes allant même jusqu'à m'assurer de son soutien et j'eus plaisir à l'entendre dire. La colère de Rono était une chose que je me surprenais à redouter amèrement et son pardon m'était d'une importance capitale.

« C'est tout ce que j'espère. »

Continuant dans un sourire, le jeune prince me proposa de mettre fin à ces marques de politesses. Je n'avais jamais pris la peine de vouvoyer quiconque sur ces terres, n'en éprouvant guère le besoin mais, respectant tout de même mon éducation, je me devais de me montrer respectueuse envers ceux de sang royal. Néanmoins, si le prince souhaitait mettre un terme à ces règles de politesse, je m'y plierai volontiers. Bien qu'en y repensant, je n'avais pas pris la peine de montrer une telle marque de respect lors de ma rencontre avec la reine... mais une fois de plus, c'était là un cas à part.

« Si c'est ce que tu souhaites. » répondis-je tout en souriant à mon tour.

Il était vrai que cela permettait un climat plus agréable et moins stricte. Je me souvenais que durant mon adolescence, j'avais en horreur les lions qui se sentaient obliger de me vouvoyer. Cela mettait une certaine distance entre nous et tout de suite, je me sentais différente. Certes je l'étais mais je me souvenais que par moment, j'avais simplement envie d'être comme les autres et cesser de me plier à ce protocole qu'on m'avait imposé.

Se mettant subitement à rire, Kumpa proposa de changer de sujet -sûrement afin de détendre l'atmosphère- ce à quoi je me plia avec plaisir.

« Je ne me suis pourtant pas sentie interrogée. » rassurais-je le jeune prince.

Laissant derrière moi ces quelques moments de faiblesse, je repris du poil de la bête. Il n'était pas toujours évident de se livrer de la sorte et souvent, les sujets les plus anodins étaient les plus abordables. N'étant pas aveugle à l'éclat précédent ayant éclairé le regard du prince, je savais exactement quoi dire :

« N'as-tu pas envie de voyager, Kumpa ? » demandais-je sur un ton tranquille. « Je vois bien dans ton regard cette envie qui t'animes. Ne penses pas que ton rôle te restreint sur tes terres, tout bon roi se doit de connaître l'au-delà de ses frontières. »

Que ce soit pour satisfaire son envie de découverte et faire des rencontres, il était aussi important -stratégiquement parlant- d'en savoir plus sur les royaumes qui l'entourait. Peu importait que le but soit de mieux connaître ses voisins ou bien pour mieux être préparer à la guerre...

Oui, qui n'avait pas envie de voyager ? Bien que Pridelander par le passé, Rono avait fini par suivre cette voie ainsi que Fleck, mon ami lycaon que j'avais accompagné jusqu'à la frontière du désert pour qu'il puisse partir à la découverte du monde. Ne regrettait-il pas ce choix ? Je l'espérais de tout cœur. Après tout, son dernier échange avec son père adoptif avait été des plus explosifs. Me concentrant à nouveau sur le prince, ce dernier me raconte de manière mélancolique sa dernière excursion qui remontait à son adolescence. Hum... ses sorties du territoire ne devaient pas être fréquentes. Il me parla alors de sa rencontre avec la princesse d'Outland, cette fameuse Tahani. Je n'avais entendu d'elle que certaines rumeurs comme ses multiples interactions avec des lions venant d'autres clans. Une bien étrange attitude venant de la princesse d'Outland. Je ne regrettais guère mon choix d'isolement.

« Tu n'as pas du voir beaucoup du pays. » lui lançais-je dans un rire léger.

Ce n'était pas vraiment une moquerie mais davantage un constat. Un constat amusé. Au moins en devenant une exilée, je n'avais plus à me soucier de toutes ces règles et pouvais marcher au gré de mes envies. Plus rien ne me retenait de faire ce que je voulais. Une certaine forme de liberté derrière ces chaînes.

Puis le lion me parla de sa mère et j'eus un petit rire sournois. Si je l'avais déjà rencontrée ? Oh il n'en avait pas idée. Malgré mon aversion pour cette lionne, je ne risquais pas d'oublier notre rencontre. Elle avait beau être reine et se permettre diverses réflexions, elle n'avait même pas été capable de tenir son mâle et avait fini cocu. Un bien triste événement mais étrangement, je n'avais pas ne serait-ce qu'une once de compassion. Quand une personne me sortait pas les yeux, je ne faisais pas les choses à moitié.

« Au risque de te surprendre, j'ai déjà rencontré ta mère par le passé. » révélais-je finalement, un sourire mystérieux aux babines. « Mais je n'étais pas vraiment dans un bon jour. » laissais-je couler d'une voix étrangement malicieuse.

Kumpa n'était pas sot et devait comprendre par mes mots que cette rencontre n'avait pas été des plus charmantes. Cela remontait à mes premiers pas sur la Terre des Lions et disons qu'à cette époque, j'avais encore quelques problèmes à gérer mon impulsivité ainsi que mon venin. Les choses s'étaient quelques peu apaisés avec le temps et j'avais appris le self-contrôle mais Malkia n'était certainement pas une lionne que je portais dans mon cœur. Son attitude hautaine avait su faire jaillir mon écœurement et ses airs de bonne sainte n'avaient rien arranger. Je n'étais pas une lionne facile à gérer et entre de mauvaises mains, l'échange pouvait très vite devenir électrique. Ce qui avait été le cas ce fameux jour... Mais Kumpa n'avait pas à le savoir, cela ne le regardait pas après tout.

On ne pouvait s'entendre avec tout le monde, s'était ainsi. Quoique si la reine ne m'avait pas sortie de manière aussi brutale de mon sommeil réparateur, les choses auraient pu se dérouler autrement. Je n'aimais pas être dérangée et elle l'avait appris à ses dépends. Repensant aux paroles passées du prince, j'en vins à une certaine réflexion sur ce qu'impliquait être de sang royal.

« Par ton titre d'héritier, on a rarement du te demander ce que tu voulais être ou faire... Sûrement est-ce le plus gros désavantage à être de sang royal. Avant même d'être né, ton destin est déjà tracé et il n'y a plus de place pour tes propres désirs. » dis-je d'une voix calme, ne sachant que trop bien les problèmes que Kumpa avait pu connaître. « Mais, tu sembles pas si attristé par ton destin, pas vrai ? »

Les Pridelanders étaient des lions fiers et leur patrimoine était sacré. Tout comme Kumpa en avait averti mon mentor, être roi était son devoir et il devait bien ça à son père. Tous les espoirs reposaient sur ses épaules encore frêles mais cela pouvait aussi s'avérer épuisant par moment. Prince héritier... ce n'était pas un titre au poids plume. Bien que mon père avait choisi Hasire pour lui succéder, cela ne m'avait jamais empêché d'être restreinte dans ma façon d'être. On m'avait appris à ne rien laisser au hasard et être un exemple parfait pour mes camarades. L'erreur n'était pas une chose permise. Aussi lorsque j'avais présenté Sheru à mon père, ce dernier avait de suite refusé cette liaison. N'étant pas un lion du Soleil, Sheru n'était pas apte à être mon compagnon. Ou du moins était-ce les pensées de mon père... Au risque d'être déshonoré, il m'avait demandé de mettre fin à cette relation, ce à quoi je n'avais pu répondre. La seule fois où j'avais osée tenir tête à mon père. Pensant alors que ce n'était qu'un amourache de jeunesse, il avait fini par céder, persuader que cela ne durerait pas mais avait néanmoins poser comme condition que cela reste secret aux yeux de tous. L'honneur d'un roi était une chose bien sacrée.

Levant mon regard ambré vers Kumpa, je lui adressa un petit sourire, l'encourageant à parler. Mine de rien, je m'étais prise à cette conversation et si le lion souhaitait se confier, je l'écouterai d'une oreille attentive.

Je souris à l'entente des mots de Kumpa. Il avait au moins la lucidité de reconnaître les torts de sa mère, ce n'était pas donné à tout le monde. J'ignorais ce qui était le mieux, avoir une mère trop bavarde comme la sienne ou une mère trop silencieuse comme l'était la mienne. Mais sûrement était-ce là un débat inintéressant. Naître égaux... Que l'on le souhaite ou non, cela était impossible. Par nos parents et le sang qu'ils avaient répandus dans nos veines, nos destins pouvaient être tracés avant même notre naissance.

« Notre sang nous définis bien que nous souhaiterions le contraire. » laissais-je doucement planer avant de reprendre d'un air plus jovial : « Je ne considère pas ta mère comme étant quelqu'un de stupide mais je suppose que l'on ne peux aimer chacun. Toi même devenant roi, certains de tes sujets ne t'inspireront guère de sympathie ! » terminais-je dans un petit rire.

Si je n'étais pas née fille de Kuzami, roi des Terres du Soleil, je n'aurais pas eu à cacher mon amour pour Sheru et rien de tout cela ne serait arrivé. Ce sang qui coulait dans mes veines n'était pas un cadeau mais une malédiction.

Répondant à ma précédente question, Kumpa me révélait non sans grande surprise qu'il s’accommodait parfaitement de son destin. Être prince héritier n'était pas une plaie mais plutôt un honneur pour lui. Cette dignité ainsi que cette fierté me rappelait celle de mon propre clan. Être un lion du Soleil était une fierté pour nous tout comme être Pridelander devait être une fierté pour eux.

« C'est une bonne chose que tu le prennes ainsi. Percevoir ton rôle comme une fardeau ne t'aurais pas aider à la tâche. Accepter ton destin est la meilleure chose à faire. »

Tantôt cette discussion était marqué par l'amusement et le rire, tantôt elle était marqué par le sérieux de nos propos et nos airs graves. Mais c'était ainsi que se déroulait une conversation entre deux personnes non hostiles. Cela faisait longtemps que je n'avais pas conversé de la sorte et étrangement, c'était plutôt agréable. Me surprenant alors, Kumpa me révéla le fond de ses pensées et celles-ci s'avérèrent en accord avec les miennes. Je souris, amusée.

« Disons que sur mes terres natales, j'étais assez proches de la famille royale. » dis-je, le ton anodin, comme si cela n'était qu'un détail parmi d'autres.

Bien évidemment, Kumpa ne pouvait pas se douter de la profondeur de mes propos. Personne ici ne pouvait songer à la pureté de mon sang et dans le fond, c'était plutôt amusant d'être traiter comme une lionne quelconque et non comme une princesse. Si j'en oubliais mon statut d'exilé, je goûtais de manière inattendu à la vie d'une lionne anodine. J'aurais pu être davantage honnête avec le lion sur cette question mais, il n'avait pas à savoir la vérité. Cela n'aurait rien changé et sûrement modifier cette discussion agréable. Je ne souhaitais guère songer au passé mais plutôt au moment présent. C'était tout simplement moins douloureux.

« Aussi, si tu souhaites te confier sur certains problèmes de ta vie d'héritier, je pourrais t'écouter. Ce n'est pas une chose qui m'est étrangère. » dis-je dans un léger rire.

C'était même plutôt amusant. Derrière ce masque d'exilé, mon véritable visage était celui d'une princesse mais personne ne savait pour ce déguisement. Quelque part, je m'en amusais. Mais malgré ce petit jeu de rôle, je pensais mes mots et c'était avec plaisir que j'écouterai les difficultés de Kumpa et tâcherai de l'aider à les surmonter. J'ignorais pour combien de temps Samekh songer à rester sur Prideland mais aussi longtemps que nous serons ici, j'offrirais mon soutien au prince.

« Saches que je trouve moi aussi cette discussion agréable. »

Un sourire franc illuminait mon visage tandis que je regardais Kumpa. Il n'y avait pas cette gêne qu’occasionner en général les conversations avec un exilé. En vérité, il me faisait même oublier ma condition. Je me sentais simplement comme étant Kuzali, la lionne du Soleil.

Il me remercia simplement, conscient qu'il avait désormais une oreille à l'écoute. Je n'étais pas une de ces lionnes que l'on venait voir pour confier ses problèmes ou du moins était-ce ainsi depuis mon exil. Les lions tels que moi n'étaient guère bien vus et loin de se confier à eux, on préférait les éviter. Mais autrefois, alors que j'étais encore princesse de mes terres, nombreux étaient ceux qui venaient à ma rencontre, que ce soit pour parler d'un rien ou d'un tout. J'étais aimé tout simplement et devenir ainsi rejeté m'avait blessé et plongé dans une grande solitude mais le temps passait et la blessure se refermait peu à peu. Je m'étais faite à cette vie tout simplement. Et ce n'était pas comme si j'étais réellement seule, j'avais mes deux amis Fleck et Rono. Ces deux-là ne s'étaient jamais arrêtés sur mon statut et m'avaient acceptés tel que j'étais. Et il y avait surtout Samekh.

Alors que je songeais à mon mentor, le prince Kumpa semblait avoir eu écho de mes pensées puisqu'il en vint à parler du lion pourpre. Son regard était empli de curiosité et cela me fit sourire. Il me questionna sur nos habitudes de lieux avec Samekh et exprima également quelque réflexion. C'était étonnant de voir le futur roi de ces terres s'intéresser ainsi à deux exilés dont l'un d'eux était un présumé coupable de la mort de Farao. Sans doute était-ce simplement un lion curieux qui désirait connaître davantage le monde aussi j'entrepris de répondre à sa question :

« Bien que nous soyons tolérés sur ces terres par Misaada, nous n'avons pas à nous approcher du Rocher de la Fierté. Ou du moins, je n'en vois pas l'utilité. Là-bas réside votre clan et je doute que ce dernier souhaite voir deux exilés rôder non loin des lionceaux. »

Et n'était-ce pas normal après tout ? Les lionceaux étaient notre avenir et il était de notre devoir de les protéger. Je me souvenais qu'à l'arrivée de Sheru et ses compagnons au sein de mon clan natal, tous nous avions été à la fois intrigué par ces mystérieux personnages mais également méfiants. On craignait toujours ce que l'on ne connaissait pas. M'aventurer au Rocher de la Fierté n'était pas une chose qui m'attirait. Ce n'était qu'un roc surplombant la savane, pas de quoi en faire tout un lézard. Peut-être qu'en le découvrant je changerai d'avis mais permettez moi d'en douter.

« Un coin favori... je ne dirais pas ça. Disons plutôt qu'on erre d'un endroit à un autre sans réelle attache. » commençais-je par dire, sans émotion particulière dans mon intonation. « Mais pour être honnête avec toi, je t'avoue aimer beaucoup cet endroit. Impressionnant le jour, le Baobab révèle toute sa beauté la nuit venue. C'est un lieu calme et apaisant. »

Un léger sourire étira délicatement mes babines. Peut-être était-ce l’atmosphère que dégager ce lieu qui nous avait permis d'avoir une discussion aussi calme. Si nous nous étions croisés au gorges, les choses auraient pu être différentes. Mais étrangement, ce lieu agissait réellement sur mon humeur. Je me souvenais également que c'était non loin de cet arbre que j'avais retrouvé Rono avant de lui demander de m'emmener dans le Nord.

« Dis moi Kumpa, pourquoi vous autre les Pridelanders êtes si fiers de ce Rocher ? » demandais-je subitement, un tantinet curieuse d'en savoir plus sur l'étrange magie de ce roc. « Jusqu'à mes terres natales, j'en ai entendu des échos et pourtant, ce n'est rien d'autre un gros rocher pointu. Est-il donc si important pour vous ? »

Pouvait-on réellement voir au-delà de la Terre des Lions ? Si oui, peut-être y verrais-je mes terres natales... Mais cet espoir n'était que vain et je le savais, la Terre du Soleil était bien trop éloignée et quand bien même ce Rocher pouvait dégager l'horizon, il ne me permettrait jamais de voir mes terres. Je lâchais un bref soupir avant de détourner mon regard vers le jeune lion.

« C'est une belle histoire qui l'entoure. » affirmais-je après que le prince m'ait conté les mérites du Rocher.

Visiblement fier de son patrimoine, Kumpa m'avoua son désir de m'y emmener pour qu'à mon tour, je puisse découvrir cette vue sans précédent. Croisant son regard bleuté, je n'y vis aucune moquerie et compris sa sincérité. Ainsi quand bien même mon statut, il souhaitait m'emmener au cœur même de ce sanctuaire tant chérit par son clan ? J'émis un léger sourire, presque touchée. Il devait vraiment aimer et adorer cet endroit pour souhaiter le partager avec une exilée qu'il connaissait à peine. Folie ou passion, allez savoir.

« Peut-être te laisserais-je un jour m'emmener à ce gros rocher pointu. » répondis-je un brin amusée.

En soit, je ne détestais pas Prideland et ses habitants malgré l'impression que je donnais. Simplement, je ne pouvais me permettre de les aimer. Pas sans Sheru. Cette terre avait été celle que nous avions choisis pour trouver refuge ou du moins était-ce l'idée de Sheru. Il n'avait entendu que de bonnes choses à son sujet et était persuadé que nous trouverions un meilleur avenir là-bas. Mais le destin nous avait déjà réservé un sort très précis et aujourd'hui, c'était seule que j'arpentais ces terres aussi, je ne pouvais donner d'amour à ces terres car elle me rappelait celui que j'avais perdu.

Comme en écho à mes propres pensées, le prince aborda vivement mes terres d'origines. J'émis un petit rire en l'entendant reprendre mes mots. Peut-être avais-je blessé sa fierté de Prideland en utilisant de tels termes mais, Kumpa n'était pas assez orgueilleux pour ignorer ma plaisanterie aussi en riait-il à son tour.

« Oui à chaque terre ses légendes et mythes. » concédais-je, comprenant la fierté que ce clan. « Sur mes terres natales, le baptême royale se déroule différemment du votre. Tout d'abord nous n'avons pas de rocher en guise de repère mais des cavernes creusées dans la roche au fil du temps. Et au sommet de ce haut mur rocailleux s'écoule une cascade, c'est notre lieu de vie et sûrement la plus belle chose qui m'ait été donné de voir. » narrais-je, un doux sourire nostalgique étirant mes babines. « Le baptême se déroule en deux étapes. Tout d'abord, nous gravissons la falaise et y déposons l'héritier afin qu'il soit touché des premiers rayons du soleil et une fois chose faite, il est baigné dans l'eau. Le rituel est ainsi achevé. »

Bien que mon frère est été désigné comme héritier en tant qu’aîné, mes parents avaient tout de même insisté pour que j'ai moi aussi droit à ce rituel. Quand bien même j'étais trop jeune pour me souvenir convenablement de cet instant, je me remémorais néanmoins la chaleur grandiose du soleil qui venait doucement envahir ma peau. Je n'oublierai jamais cet instant. Lentement, je redressais mon regard vers la nuit sombre mais étoilée. Ne serais-je donc jamais lasser de ce spectacle ? Probablement pas. Tout en observant les cieux, je m'adressais au lion:

« La nuit se fait de plus en plus sombre, prince. Peut-être devrais-tu songer à retourner au Rocher, les tiens doivent être inquiet de ta si longue absence. »

Je ne disais pas ces mots dans l'intention de congédier le prince, loin de là mais, il était chose normale qu'un peuple s'inquiète pour son futur souverain si son absence se faisait trop longue. N'était-ce pas à cause de cette même inquiétude que les patrouilleurs de mon clan natal avait cru à un enlèvement et pris Sheru comme coupable ? Après une légère réflexion sur un temps passé, je reposais finalement mon regard sur le prince, un léger sourire aux babines.

Acquiesçant de mes pensées, le prince prit conscience de la nuit noire qui nous entourait et de l'heure tardive et tout comme le soulignait si bien le prince, sa famille devait s'inquiéter. Ces derniers n'avaient pas toujours eu des jours heureux et la crainte de perdre à nouveau un de leur proche devait les hanter. Quand bien même mon arrivée sur ces terres s'était déroulé après cet événement, je n'avais pas été sourde à l'agression du prince Damu. Dire que j'avais rencontré Rumple sans même avoir conscience du fait qu'il était l'objet de tous ces commérages. Répondant alors de mon récit sur la Terre du Soleil, le prince me confiait que mes terres natales devaient être magnifiques. J'esquissais un sourire nostalgique, heureuse que mes sentiments aient pu l'atteindre. Oui, il n'y avait rien de plus beau au monde... Mais mon sourire s'effaça dès lors que le lion se mit à évoquer mon exil. Dur était un bien petit mot pour le décrire. Kumpa semblait aimer ses terres autant que j'aimais les miennes aussi pouvait-il imaginer ne serait-ce que le déchirement que cela avait été pour moi de quitter la Terre du Soleil. Pour un lion ordinaire, ses terres natales lui étaient chères et précieuses mais pour un lion royal... il était question de bien plus. Ce n'était plus simplement un attachement mais une question d'héritage, des terres que l'on se devait de protéger et faire perdurer. En être banni ne pouvait que nous briser le cœur et nous laisser une sensation de vide immense. C'était une punition des plus abominables qui ne cesserait jamais de nous hanter.

L'heure était donc venue de mettre fin à cette discussion nocturne et je me redressais face au prince, respectant ainsi le sang qui coulait dans ses veines. Partageant un sang différent mais de même valeur, j'avais un certain respect pour les coutumes et tâchais de ne jamais me montrer impétueuse avec un lion royal. Question de principe. Mais alors que je m'attendais à des au revoir classiques, le prince parvint une nouvelle fois à me surprendre. Le plus étonnant était que, de nous deux, j'étais sûrement celle qui avait fait la moins bonne impression à notre rencontre. En bon prince qu'il était, Kumpa ajouta qu'il espérait voir nos routes se recroiser dans de bonnes conditions. Je n'étais pas une lionne sentimentale ni même attachée à la compagnie aussi ne cherchais-je jamais avec un zèle particulier à revoir d'anciennes connaissances, Rono et Fleck étaient des cas à part mais, il semblait que Kumpa s'était lui aussi sorti du lot. Je remarqua alors cet air intimidé sur le visage gêné du lion avant qu'il ne finisse par cracher le morceau. Tout comme je m'étais précédemment proposée comme oreille attentive au lion, ce dernier venait à son tour m'assurer de son soutien en cas de temps dur. Mes cils bâtèrent précipitamment de stupeur avant de laisser place à un doux sourire sur mes babines.

« Tu es quelqu'un de bien, Kumpa. » finis-je par dire.

J'ignorais ce que l'avenir me réservait et si j'aurais un jour besoin de mettre en pratique ces paroles mais une chose était sûre, je garderai précieusement cette discussion en tête. Si au départ j'avais cru devoir considérer Kumpa comme un éventuel ennemi, il n'en était désormais rien de tel. Un ami serait un bien grand mot mais Kumpa n'était plus un étranger à mes yeux. En l'espace d'une seule nuit, j'avais appris beaucoup de lui et il pouvait être sûr que je le tenais en estime. Je respectais ses convictions et les comprenais. Quelque part, il me rappelait ma propre personne lorsque j'étais encore Kuzali, la lionne du soleil. Le temps m'avait changé mais Kumpa faisait étrangement ressortir de vieux sentiments enfouis. Ceux d'une princesse fier de son royaume et qui l'aimait profondément.

« Oui, toi aussi. » répondis-je à mon tour tout en courbant l'échine.

Nous nous quittâmes alors sur un dernier sourire et tandis que le prince s'éloignait en direction du Rocher de la Fierté, je resta quelques temps couchée sur l'herbe à observer les étoiles. Qui aurait cru à une telle situation ? Désormais, je ne souhaitais qu'avec plus de conviction connaître le fin mot de cette histoire. Que s'était-il passé ce jour-là au Lac-au-Roi et quel rôle Samekh avait-il joué dans cet étrange histoire ? Il était plus que temps que j'ai une discussion avec mon mentor.