Junun s'était levé tôt ce jour-là, comme d'habitude à vrai dire. Il y avait-il une raison particulière ? Pas vraiment, simplement, le lion à la crinière brune avait pris pour habitude de chasser avec les troupes de chasse chaque matin. Il avait beau être un guerrier, il était difficile pour lui d'attendre l'après-midi pour s'entraîner au combat. Et puis… Ne connaissait il pas déjà tous ses enchaînements par cœur ? La réponse, il la connaissait déjà.

Il était donc allé réveiller sa mère, qui dormait, blottie contre son père. Elle qui était toujours collée contre Rubin, Junun culpabilisait presque de la tirer de son sommeil... Mais le clan passait avant, il le savait. Il donna un coup de truffe à Wahrada, qui ouvrit ses grands yeux jaunes.

- Junun ? Je ne me suis pas réveillée !?...

- Il n'y a pas de mal, maman... Tu étais fatiguée, ça se comprend. Mais oui, les troupes de chasse nous attendent sûrement...

- Rectification : elles m'attendent. Tu n'es pas obligé de faire ça, tu le sais.

- Oui, mais si je peux aider, je le fais.


Cette réponse fit rire Wahrada, qui lui donna un coup de tête tendre. Junun ne s'écarta pas, il aimait ses étreintes avec sa mère, qui n'avait jamais fait un seul faux pas ler concernant.

- Tu ne t'arrêtes jamais, n'est-ce pas ? Aller, je te suis, ton père se réveillera bien au bout d'un moment.

Et tu ne seras pas là pour le voir… Junun devinait les pensées qui hantaient sa mère à l'instant, et pour cause, il la connaissait par cœur. Wahrada avait toujours une certaine crainte vis-à-vis de son compagnon, même après des années. Les griefs du passé ne s'effacent pas comme ça, il faut dire.

Le duo mère-fils quitta le Repère des Lions et s'avança vers les groupes de chasse qui les houspillèrent un instant, leur reprochant leur retard. Wahrada s'excusa avec un petit sourire, mais leur colère était déjà dissipée. Personne n'en voulait jamais à Wahrada, qui parvenait toujours à trouver le meilleur dans tout le monde.

Les lions se dispersèrent, Junun se retrouva en tête de groupe. Expérimenté, il arpentait les Terres du Sud, où il avait été assigné. Les Terres du Sud n'étaient pas les terres les plus abondantes en terme de proies, mais il n'était pas à plaindre. Il aurait très bien pu vivre une vie de voyageur et se retrouver à chasser seul ! Trêve de rêverie, le lion senti bien vite une proie. Il adressa un signe de la queue à ses compères, qui se regroupèrent pour encercler l'animal... Avant de se raviser. En effet, Junun avait malencontreusement mené sa troupe à une petite antilope, qui, réalisant qu'elle était prise au piège, détala en semant l'alarme. Très vite, les autres proies se cabrèrent et prirent la fuite, sonnant le début des problèmes.

Avant même que Junun ne puisse dire quoi que ce soit, une lionne plus expérimentée feula à son attention :

- Reprends toi, Junun ! On ne peut pas se permettre de revenir bredouille. Je prends la tête de cette chasse. Tu peux rentrer, nous verrons demain si tu es plus utile.



Le lion voulut rétorquer quelque chose, mais les lions s'éloignaient déjà, lui lançant des regards mi-compatissant, mi-agacé. Il fallait dire qu'il n'était pas un chasseur de manière officielle. Il venait juste donner un coup de patte, et s'était lamentablement planté. En soit, il avait bien senti une proie, juste... Pas la bonne.

Ravalant sa fierté, il n'eut pourtant pas le courage de faire demi-tour. Son malaise était palpable. S'il rentrait maintenant, sans rien, il aurait juste l'impression d'avoir raté quelque chose. Chose qui n'était pas totalement fausse, puisqu'il avait échoué dans sa tâche. Mais Junun refusait d'admettre une telle chose.

Après quelque secondes, il s'enfonça un peu plus dans les Terres du Sud, profitant du vent et de sa solitude. Il se mit à fredonner une petite mélodie, sans qu'il ne s'en rende compte. Très vite, sa voix prit de l'ampleur, et il se mit à chanter une chanson à plein poumon, oubliant le monde autour de lui.

Ce n'est que lorsque ses cordes vocales finirent par s'épuiser qu'il reprit conscience du monde autour de lui. Il était toujours seul. Ce n'était pas plus mal, cela étant dit. Il haussa les épaules et se remit en marche, avant de sentir une odeur étrange. Un mélange de Pridelander... Et Freelander ? Curieux, le félin pressa le pas, avant de se retrouver face à une figure non sans importance. Koliya, la cheffe des guerriers de Freeland. Elle s'était absentée quelque jours, d'après ce que lui disait sa mémoire... Et son odorat, assurément.

Au début, il ne sut pas exactement comment réagir... Devait-il s'incliner ? Ils avaient le même âge, cela rendrait le tout plus embarrassant encore. Devait-il l'ignorer ? Diable, non ! Alors... Que faire ?

- Bonjour, Dame Koliya.

Dame Koliya ? Pardon ?! Le mâle manqua de se taper la tête contre le sol. Il ne pouvait pas faire plus nul encore ?! Il fit pourtant mine de rien et resta immobile, attendant que l'hybride décide de la suite.

La gêne du Freelander s'accentua plus encore lorsque le léopon le corrigea gentiment. Bien qu'il aurait été étrange qu'elle fasse autrement, se retrouver dans une telle posture était plus embarrassant encore quand il réalisait qu'ils avaient presque le même âge. Il avait beau savoir que la féline ne lui en tiendrait pas rigueur pour l'instant, il ne pouvait pas être sûr qu'elle n'en parlerait pas à ses amies à des termes... Moins noble...

Pourtant l'animal à crinière ne montra rien, restant de marbre, extérieurement du moins. Il sourit à sa supérieure et se mit à piaffer, signe témoignant de son stress imminent :

- Euh... Oui, bien sûr Koliya.


Je ne suis pas habitué à parler à d'autres lions que mes parents, se retint-il de dire. Par chance il parvint à empêcher une nouvelle humiliation de justesse. Pourtant, il n'était pas tiré d'affaire, ô que non. Il allait se retrouver face à un choix assez complexe, il pouvait : soit dire "au revoir" à la cheffe maintenant et passer pour un imbécile effronté, ou essayer de meubler la conversation et passer pour un insociable aguerri. Mais même si la première proposition était tentante, il se souvenait des paroles de son père : Si tu restes tout seul, tu ne connaîtras rien, la vie c'est chiant, faut t'y faire. Son père était un philosophe, assurément, constata-t-il avec ironie.


Il finit, après un court silence, par reprendre la conversation, tant bien que mal :

- J'imagine que vou... Tu... Rentres au Repère ? J'y allais aussi...

Plutôt maladroit comme invitation, mais s'en était une. Le tout était encore que Koliya le voit...

Junun avait écouté attentivement les propos de Koliya et il réalisait à présent qu'il avait vécu dans une bulle depuis très longtemps. Pour lui, la paix avait toujours été acquise, puisqu'il n'avait connu que cela. Pourtant, la réalité était toute autre. Certains royaumes n'avaient pas la chance de vivre avec la sérénité qu'il connaissait depuis le départ. Et surtout... Que la paix dépendait partiellement de lui, guerrier qui avait juré fidélité à sa reine.

- Je ne connais pas la situation des autres royaumes, mais quoi qu'il en soit, je suis persuadé que Reine Ysera et toi-même, ferez ce qu'il faut pour que ce soit le cas. Et nous, les guerriers, mettrons nos vies en jeu pour que cet objectif soit atteint.

Junun était certain de ce qu'il avançait, les guerriers Freelanders, lions ou hyènes, étaient fidèles à leur reine. Son père, Rubin, lui avait toujours conté que les guerriers avaient toujours une importance capitale dans l'équilibre d'un royaume, pourtant, il ne s'en rendait compte que maintenant.

Au fur et à mesure qu'ils se rapprochaient du Repère, Junun sentait qu'il devenait de plus en plus à l'aise, une première pour lui. Il regrettait presque qu'ils soient déjà arrivés.

- Nous y sommes, Koliya.

Très vite, un patrouilleur vint à leur rencontre, Junun prit donc l'initiative de s'éclipser, pour ne pas interférer dans les échanges de Koliya.

- Je vais te laisser, j'espère... Qu'on se reverra vite. Merci.

Et il s'éloigna, laissant l'hybride à ses occupations. De son côté, il se sentait plus léger, peut-être était ce car il allait pouvoir se reposer les pattes ? Il en doutait, il était habitué à l'exercice, cet apaisement était plus profond que ça.

- Qu'est-ce qui te fait sourire comme ça ?

Junun sursauta en voyant que sa mère était juste à côté de lui. Avait-il été distrait à ce point ? Il secoua la tête, s'apprêtant à dire qu'il ne souriait pas, avant de réaliser qu'il avait tort. Il souriait bel et bien. Ses muscles du visage tendus en était la preuve irréfutable.

- C'est rare de te voir faire une tête pareille ! C'est la chasse qui t'a mis dans un tel état ? Ah ! Non, c'est vrai, ça ne peut pas être ça...

Junun se crispa, son échec à la chasse avait été reporté aussi vite ? La honte... Son sourire demeurait malgré tout, sans qu'il ne sache réellement pourquoi. Mais sa mère ne lâchait pas l'affaire pour autant.

- A moins que... Ce soit à cause de la cheffe des guerriers ?

Ugh ?! Junun tressaillit, depuis quand sa mère l'observait, au juste ? Il fronça les sourcils immédiatement, chose qui poussa la vieille Wahrada à lui donner un coup de patte pour le détendre :

- Je te taquine, tu fais ce que tu veux. Quoi que, je serai ravie que mon fils soit proche d'une figure aussi noble, haha !




Mort de honte, le lion ne prit même pas la peine de la corriger. A quoi bon ? Il n'y avait rien à dire. Il avait juste parlé à sa supérieure, sa mère se faisait des idées toute seule. Chercher à la contrer ne ferait qu'accentuer sa soif de provocation. Il se contenta de s'éloigner de sa génitrice, avant de lui demander :

- Papa est rentré ?

Les yeux de Wahrada s'assombrirent l'espace d'un instant, avant qu'elle ne se remette à sourire de tous ses crocs :

- Pas encore ! Il a dit qu'il avait un... Impératif.

Junun n'avait même pas remarqué le changement d'attitude de sa mère, il se contenta de dire, dubitatif :

- Il part beaucoup en ce moment, non ?

La lionne ne répondit pas, elle haussa les épaules, son masque commençait à se fissurer, mais Junun ne le remarquait pas le moins du monde. Il était bien trop perturbé pour ça.

- Bah ! C'est pas grave, on va passer la soirée à deux, entre mère et fils ! Ca te va ?



Le reste de la soirée se passa plutôt bien, Junun avait passé du temps avec sa mère. Tout allait pour le mieux. Alors... Pourquoi...