Cela faisait tellement longtemps qu'ils étaient attendus et, enfin, ils avaient pointés le bout de leur truffe. Il me semblait que le Clan entier avait été transporté par la nouvelle quand elle s'était répandue. L'arrivée de nouvelles vies constituait un véritable renouveau pour le Nord et j'étais fière de pouvoir y contribuer.

Ma gestation s'était déroulée à merveille, mes amis et mon compagnon étant aux petits soins pour moi. Et, bien que je le pouvais, je m'étais abstenue de réaliser la moindre chasse depuis que j'avais appris que j'attendais des petits. C'était peut être égoïste de ma part de ne pas subvenir à mes besoins, d'autant qu'il fallait que je nourrisse plusieurs vies, mais je ne voulais en aucun cas me mettre en danger, fut il minime. Wakiza m'avait donc remplacée et, bien qu'il n'était pas très doué au début, il avait vite appris et il accomplissait assez son rôle pour que je puisse me nourrir à ma faim.

Jusqu'à ce matin où le simple fait de sentir la nourriture m'avait écœurée. De plus, j'avais des crampes horribles dans le bas ventre et je sentais que quelque chose allait se produire. Je m'étais donc éloignée dès que j'en avais eu l'occasion et, à l'abri des regards, le travail avait commencé.

A l'abri des regards oui, mais pas des oreilles. En effet, les douleurs avaient été si intenses que je n'avais su faire autrement que de grogner, d'haleter, de feuler et même de rugir à certains moments.

Plusieurs heures s'étaient ainsi écoulées jusqu'à ce qu'un nouveau son ne vienne se faire entendre de tous : celui du miaulement d'un nouveau-né qui a quitté la douce chaleur du ventre de sa mère pour se frayer un chemin vers la vie.

Un petit mâle avait alors fait mon bonheur avant qu'il ne soit rejoint une dizaine de minutes plus tard par une petite femelle. Leur vue m'émerveillait et, bien que j'étais fatiguée par l'effort que j'avais fourni, je me refusais à fermer les yeux. C'était sans doute idiot mais j'avais l'impression que si je le faisais, tout s'évanouirait lorsque je les rouvrirais.

C'est alors qu'un son me parvint. Il s'agissait de bruits de pas, j'en étais certaine. Pourtant, il ne s'agissait pas de la démarche de Wakiza, ça aussi j'en étais sure. Me félicitant pour avoir chasser le sommeil qui me tendais les pattes, je m'apprêtais à recevoir ce visiteur qui, dans mon esprit de jeune mère protectrice, prenait la forme d'une menace.

La seule chose qui occupait mon esprit était de protéger mes deux précieux trésors. Je les serrais donc un peu plus fort contre moi juste avant qu'une silhouette ne se dessine dans mon champ de vision. Je relâchais cependant bien vite la tension qui s'était emparée de moi lorsque je reconnu Teferi. Mon ami avait les yeux écarquillés et semblait tout penaud face à ce qu'il découvrait. Et ses paroles me le confirmèrent bien vite.

Pardon … euh … j’ai cru qu’il t’arrivait malheur … je ne voulais pas te … vous déranger.

Je ne savais pas s'il s'agissait des hormones ou d'autre chose mais sa sollicitude me touchait profondément et les larmes me montèrent aux yeux. Je me sentais privilégiée depuis que j'étais devenue gestante et le soutien ainsi que toutes les bonnes attentions que j'avais reçues de la part du clan m'avaient chauffés le cœur. Avec tout ça, rien que le fait de savoir qu'un ami s'était inquiété de mon sort me nouait la gorge et c'est d'une voix émue que je lui répondais.

Ne t'en fais pas Teferi, il n'y a aucun problème. Merci de t'être inquiété pour moi, c'est vraiment gentil.

La fin de ma phrase fut ponctuée d'un miaulement de désapprobation. Mon regard se baissa immédiatement sur les deux petites boules de poils blanches lovées entre mes pattes. Il était vrai que je n'avais pas desserré mon étreinte depuis que Teferi était arrivé et, puisqu'il s'agissait d'un ami et que je me sentais en confiance, je leur donnais un peu plus de place.

Là, c'est mieux n'est-ce pas ? leur demandais-je doucement en chuchotant.

Pour toute réponse, le second lionceau à être venu au monde se blotti plus confortablement et cela m'arracha un sourire attendri. Levant à nouveau les yeux vers Teferi, je l'interrogeais avant qu'il ne se décide à partir.

Tu veux t'approcher un peu plus pour les voir ?

A sa place, je n'aurais pas pu me résoudre à m'éloigner sans découvrir ces deux nouvelles vies qui allaient apporter un nouveau souffle sur le Nord. J'osais donc espérer qu'il agirait de la même manière.

Suite à ma proposition, Teferi sembla hésiter. Il était vrai que cela pouvait paraitre étrange d'un point de vue extérieur mais pour moi, il n'en était rien. Certes il n'était pas le père de ces lionceaux mais il était mon ami et il était également présent alors, pourquoi pas ? J'étais certaine que Wakiza comprendrait la situation car il n'était pas du genre à se vexer ou à être jaloux. Il serait simplement heureux que ses enfants soient en bonne santé et il serait également très fier de cette naissance, au point d'aller le rugir sur toutes les montagnes, quitte à déclencher une avalanche.

Cette drôle d'image me tira un sourire tandis que Teferi, qui semblait s'être décidé, s'approchait lentement de nous. La précaution qu'il prenait pour faire le moins de bruit possible était touchante et j'étais reconnaissante de cette attention. Les petits étaient calmes et après l'effort que je venais de fournir, cette quiétude était la bienvenue.

Ils sont magnifiques.

Un constat qui énonçait la plus stricte des vérités selon mon point de vue de maman. Bien que sans doute faussé par le fait qu'ils s'agissait de mes enfants, mon jugement ne pouvait qu'être en accord avec celui de Teferi. Celui-ci me fixait du regard et toute l'émotion que je pu y lire me comblait. Bien qu'ils n'étaient pas les siens, il semblait vraiment heureux de la naissance de ces enfants et je ne pouvait que comprendre. Il y avait un moment que le Nord n'avait pas connu de nouveaux membres en parfaite santé alors cela annonçait de belles choses pour le futur.

Merci, Teferi. Je te présente Keanu, le premier né, ainsi que sa sœur Kalea.

Je les avais présentés en les désignant tour à tour. Leurs pelages blancs légèrement différents n'aidaient pas à les différencier mais Keanu était plus massif que Kalea qui se montrait plus frêle. Néanmoins, l'un était un mâle et l'autre, une femelle. Il n'y avait donc rien d'anormal selon moi. Si inquiétude il devait y avoir, elle viendrait plus tard. Pour le moment, seule la joie apportée par leur naissance occupait mes sentiments.

J'ai hâte de voir ce que l'avenir leur réserve. Chasseurs ? Garde-frontière ? Nourrice ? Quelle voie vont ils emprunter ? Il me tarde de les voir grandir et s'épanouir et qui sait, au vu de notre amitié, peut-être te considéreront ils comme un oncle lorsqu'ils grandiront ?

Je me voyais déjà leur raconter que ce n'était pas leur père mais Teferi qui les avait rencontrés en premier. Je n'y croyais pas vraiment mais les plus âgées du clan disaient que cela créait inévitablement un lien. Sans doute cela arriverait-il mais je doutais que cela soit dû au fait de les voir alors qu'ils étaient nés depuis seulement quelques minutes. Comment pourraient ils se rappeler de ça, eux qui ne vivaient pour le moment uniquement pour manger et dormir ? Seul l'avenir nous dirait si les vieilles commères ont raison ou non.

Pendant que je les lui présentais, Teferi n'avait pas quitté mes enfants des yeux. Il était vraiment absorbé par sa contemplation et c'était vraiment beau à voir.

Bienvenue Keanu et Kalea ! Vous allez bientôt rencontrer votre famille du Nord et on prendra tous bien soin de vous.

Bien que ces paroles étaient murmurées, sans doute afin de ne pas réveiller les deux dormeurs, elles semblèrent résonner comme une promesse. Il me semblait que le simple fait de prononcer ces mots leur avait donné une force inaltérable et que cela serait une vérité gravée dans la roche.

Et tandis que j'osais croire que mes enfants verraient un oncle en Teferi, celui-ci me sourit chaleureusement. Lui aussi semblait voir les choses de cette manière et j'étais bien heureuse qu'il le prenne bien. Avoir des enfants collés dans les pattes pouvait avoir de quoi exaspérer, surtout pour quelqu'un d'aussi solitaire que Teferi. J'étais donc soulagée par sa réaction et, d'un coup, je me sentis plus légère.

e serai honoré d'avoir une place dans leur vie. Bon, si tu penses que tu vas assez bien pour rester seule quelques instants je peux peut-être aller chercher Wakiza pour qu'il rencontre ses enfants ? Tu penses que ça ira si je te laisse là ?

Wakiza... Pendant les quelques instants de notre conversation, je l'avais complétement oublié. J'étais toute concentrée sur mes enfants ainsi que Teferi et j'en avais oublié mon compagnon. Honteuse, mes oreilles se baissèrent légèrement sur mon crâne mais ce fut là le seul signe de mon trouble. Ma voix était calme et posée lorsque je répondis à mon ami.

Je ne te cache pas que cette épreuve m'a fatiguée mais mon instinct maternel saura me tenir éveillée jusqu'à l'arrivée de Wakiza. Tu peux me laisser sans crainte, nous allons bien. Merci, Teferi.

Je lui souriais alors et, par ce sourire, je tentais de lui transmettre toute la force et l'assurance que j'avais en moi afin de le convaincre qu'il pouvait partir en me laissant seule. Ce qui ne serait pas tout à fait vrai au vu de la présence deux petits avec moi...