Nichée dans l'une des nombreuses cavités qu'offrait le Repère des lions, je regardais les trois boules de poils qui dormaient, installées bien confortablement au creux de mes pattes. J'avais beau me repasser le moment encore et encore, je ne parvenais pas à croire ce que je voyais. Ces trois petits étaient mes enfants. Mes enfants. Cela sonnait étrangement à mes oreilles.

A vrai dire, tout cela me paraissait étrange depuis le début. Depuis le jour où ma mère m'avait appris ma gestation, en fait. Lorsqu'elle était venue me trouver pour me demander quand est-ce que je comptais le lui dire, nous avions été deux à être étonnées.

Alors, après avoir intégré la nouvelle, j'étais allée retrouver Ekhi pour le lui dire. Je ne m'attendais pas à ce qu'il le prenne bien mais il s'était révélé être un lion d'honneur. Je ne pouvais pas dire qu'il avait bondi de joie mais il avait été heureux de savoir qu'il allait être père et il m'avait proposé de devenir sa compagne. J'avais bien évidemment accepté et c'est à deux que nous avions rejoint les Chafayas, qui comptait désormais un membre de plus. En effet, mon compagnon avait pris la décision de quitter son sous clan pour vivre avec moi car il souhaitait être présent pour nos lionceaux à naitre. Cela m'avait ému à l'époque et rien que d'y repenser, mes yeux brillèrent des larmes que je retenais.

Nous nous étions donc habitués à vivre en couple pendant toute la fin de ma gestation, profitant d'être à deux jusqu'à ce que les signes indiquant qu'il était temps que ces petits naissent arrivent.

La mise bas avait été rude et plus d'une fois, j'avais cru que je n'y arriverais jamais. La première petite était née rapidement et cela m'avait paru être facile. Or, lorsque de nouvelles contractions m'avaient vrillées le bas ventre, des larmes m'avaient échappées. Je souffrais terriblement et j'avais l'impression que malgré mes efforts, rien ne se passait... Seuls les encouragements de ma mère et de ma jumelle, présentes à mes côtés du début à la fin m'avaient permis de tenir.

Après un temps que je n'aurais su déterminer, un petit mâle avait rejoint sa sœur. A bout de forces, j'avais tâché de m'occuper d'eux jusqu'à ce que de nouvelles douleurs ne me fassent feuler au point de croire que je m'en briserais la voix. La suite s'était déroulée dans le flou le plus complet et je ne me rappelais pas comment j'avais réussi à mettre au monde le dernier lionceau qui s'était révélé être une femelle.

Peu après la naissance de ma dernière fille, j'avais sombré dans l'inconscience et je ne devais qu'aux bons soins de Naïa et à ses connaissances le fait d'être en vie. J'avais repris conscience deux jours plus tard et l'on m'avait raconté que c'était ma mère qui avait veillé sur ses petits-enfants, leur offrant ce qui leur fallait et les guidant vers mon ventre - avec l'accord de Naïa - pour qu'ils se nourrissent.

Et aujourd'hui, une semaine après avoir repris connaissance, on m'avait enfin autorisée à recevoir de la visite. Hormis Ekhi, Lenora et ma mère, personne n'avait encore vu les nouveaux membres de la famille. Mon père était donc venu le premier et la fierté que je lu sur son visage me fit pleurer. Il était en admiration devant la première née de la portée et comment ne pas le comprendre ? Si je n'étais pas certaine de l'avoir mise au monde, j'aurais largement pu croire que cette petite était sa fille et non sa petite-fille tant elle lui ressemblait trait pour trait. Il me félicita avant que mon frère n'arrive à son tour et en fasse de même.

La suite de la journée fut rythmée par les différentes visites et maintenant que l'après-midi touchait à sa fin, il ne restait plus que Wanda qui n'était pas encore venue. Je ne doutais pas que cela ne saurait tarder et je me demandais si les bruits de pas que j'entendais résonner sur les parois de la grotte n'étaient pas les siens. Quoi qu'il en était, je serais vite fixée car les pas se rapprochaient de plus en plus.

Les pas résonnaient de plus en plus fort dans la grotte, signe que leur propriétaire s'approchait inexorablement. Plus que quelques uns et le félin se retrouverait devant moi. Ou je devrais plutôt dire, devant nous. Quelques secondes d'attente supplémentaire et le pelage brun-doré de ma tante adorée se dessina devant mes yeux.

Toutes mes félicitations ma grande !

Qu'il était étrange de me retrouver dans cette situation. Et dire qu'il n'y avait pas si longtemps que cela, c'était moi qui venait la féliciter pour la naissance de ses enfants. Mais les rôles étaient aujourd'hui inversés : le Cycle de la Vie continuait.

Merci beaucoup, dis-je de façon très émue.

Jusqu'à récemment, il n'avait pas été certain que je m'en sorte vivante et le simple fait d'être félicité par une personne que j'aimais beaucoup suffisait à me chambouler. A son expression tout aussi lumineuse que la couleur de son pelage, on remarquais la sincérité de ses paroles et sa joie reflétait parfaitement celle qui était la mienne.

Cela n'a pas été une mince affaire mais je suis contente de pouvoir être là pour eux, dis-je en baissant le regard vers mes enfants avec une tendresse infinie.

Après un temps de contemplation qui n'était absolument pas suffisant à mon sens, je me décidais à détourner le regard de mes trois trésors pour croiser de nouveau les pupilles bleutées de ma tante.

Souhaites-tu savoir quels sont leurs prénoms ?

Cette question était plutôt d'ordre rhétorique que réellement interrogative. Qui ne voudrait pas connaître les prénoms de nouveaux membres de sa famille ? Je lui posais simplement cette question pour orienter la conversation en ce sens et l'amener là où je le souhaitais. D'autant plus que j'avais une petite surprise pour ma tante et que j'attendais de pouvoir le lui dire avec impatience.

Il ne fallut pas énormément de temps à Wanda avant de réagir à ma question. Il était plus qu'évident qu'elle attendait de savoir comment mes enfants s'appelaient et ses propos ne furent pas tellement différent de ceux auxquels je m'attendais.

Bien sûr ! Si tu veux tout savoir, c'était ma première question ah ! ah !

Je souriais face à son enthousiasme. Toutefois, histoire de la faire mariner un petit peu, je ne répondais pas immédiatement, me remémorant comment mon compagnon et moi en étions venu au choix des prénoms de nos enfants. Cela avait été le sujet de nombreuses conversations et il nous avait fallu un certains temps avant de tomber d'accord. Personnellement, j'aurais voulu rendre hommage à certains membres de la famille décédés comme Ishana ou encore Waasi en trouvant un nom similaire mais Ekhi souhaitait un prénom propre à nos enfants, qui ne leur rappellerait pas jour après jour une personne qu'ils ne connaitraient pas. J'avais fini par concéder et deux prénoms s'étaient alors détachés. L'un pour un mâle et l'autre pour une femelle...

La première a être née est celle-ci, dis-je en désignant la petite au pelage flamboyant. Elle s'appelle Laetri. Ensuite est venu son frère, indiquais-je en montrant cette fois-ci le petit aux mêmes couleurs brunes que son père. Son père a choisi de le nommer Kialandi. Tu l'auras donc compris : celle qui ressemble à papa est née la dernière. Cependant...

Je me taisais quelques instants afin de faire mon effet et, au bout de quelques secondes qui devaient être insupportables pour ma tante, je repris la parole.

Cependant, Ekhi et moi n'avions pas pensé qu'il pourrait y avoir trois petits. De ce fait, nous n'avons pas convenu d'un troisième prénom... Alors j'ai pensé, et Ekhi est d'accord, que tu pourrais être celle qui choisirait le prénom de cette petite. Ce serait comme un cadeau de bienvenue dans ce monde pour elle mais il s'agit aussi d'une sorte de remerciement pour tout ce que tu as fait pour moi. Je serais plus que ravie si tu voulais bien accepter.

Cette proposition pouvait être accueillie de deux manière et j'espérais connaitre assez ma tante pour savoir ce qu'elle allait décider. J'avais tellement foi dans le choix qu'elle ferait que je n'avais même pas réfléchi à une possibilité de repli au cas où elle refuserait.

Alors, qu'en dis-tu ?

Je savais que je n'aurais pas à attendre longtemps avant d'avoir une réponse mais je commençais à sentir l'angoisse monter. Que ferais-je si jamais elle déclinait ma proposition ? Nommer un enfant était comme une façon d'acter l'arrivée dans ce monde pour de nouvelles vies et je ne me voyais pas avoir un enfant sans prénom tandis que son frère et sa sœur en avait un.