Rána s'était levé tôt ce matin-là, avant même que le soleil pointe ses premiers rayons du soleil. La lune avait été pleine cette nuit ; il avait donc un rendez-vous qui lui tenait à cœur aujourd'hui. Il avait promis à Mahalia, la lionne qu'il avait aidé à se sortir de l'eau, de lui faire visiter Prideland. S'il ne la connaissait guère plus que d'autres lions, l'orphelin avait cependant apprécié les quelques contacts qu'il avait eu avec elle. Désireux d'apprendre à la connaître et curieux de savoir ce qui avait amené une lionne à se retrouver voyageuse, seule et sans compagnie, il avait offert de lui faire découvrir le territoire de son clan pour avoir le temps de faire plus ample connaissance avec elle.

Le grand mâle avait donc quitté le rocher de bonne heure ce matin là, pour avoir le temps d'aller chasser avant de rejoindre la lionne. Bien que la période était plutôt sereine et prospère sur Prideland ces derniers temps, le fils d'Hatari tenait à honorer son statut de membre du clan en participant chaque jour à une patrouille ou en ramenant quelques proies pour les plus fragiles qui ne pouvaient pas encore - ou plus - chasser eux-mêmes. Peu de Pridelanders étant debout aussi tôt, il avait chassé en solitaire et ramené quelques petites proies au rocher avant de prendre le chemin du Grand Baobab.

Il ne savait guère quand Mahalia arriverait ; ils s'étaient simplement donné rendez-vous le jour qui suivrait la pleine lune, avant que le soleil ne soit au zénith. Néanmoins, le grand mâle n'avait guère d'obligations par la suite ; il avait donc tout loisir d'attendre la lionne et de passer autant de temps qu'elle le souhaiterait avec elle. Il espérait simplement que cette rencontre, qui n'avait que pour but de faire connaissance, n'était pas une corvée pour la lionne, et qu'elle n'avait pas accepté uniquement parce qu'elle se sentait redevable. Quoi qu'il en soit, Rána songea qu'il parviendrait bien vite à capter le ressenti de la lionne en la voyant arriver, et qu'il serait toujours temps d'aviser à ce moment-là. S'allongeant à l'ombre du baobab dans un soupir, il profita donc du calme environnant pour attendre Mahalia.

Le grand mâle somnolait tranquillement à l'ombre du grand baobab, ses branchages lui apportant l'ombre et sa fraîcheur, délicieusement agréable par ces températures qui, bien que plus clémentes aujourd'hui, restait par moment difficilement supportable. Ses oreilles tressautèrent tandis qu'il captait enfin des bruit de pas légers approchant. Relevant la tête, il aperçut bien vite Mahalia, qui se dirigeait vers lui d'un pas fluide. Se relevant, il s'ébroua pour chasser la poussière de son pelage tandis que la lionne arrivait à son niveau.

─ Rana. J'espère que vous..? Que tu n'avez pas.. J'espère que ton trajet s'est bien déroulé?

La lionne semblait hésiter sur l'attitude et le ton à employer, comme en témoignait sa légère agitation. Elle semblait peu familière avec ce genre de rencontre, mais cela n'étonnait guère le grand mâle au vu de ce qu'elle avait pu lui raconter précédemment. Elle semblait passer le plus clair de son temps seul, il n'était donc pas étonnant qu'elle ne soit guère à l'aise avec ses congénères.

─ Tu, c'est très bien. Et je suis arrivé sans encombre ; Prideland est un territoire paisible, tu sais. Je suis contente que tu sois venue. Est-ce que tu es toujours d'accord pour que je te fasse visiter Prideland ?

L'orphelin avait plus ou moins éviter de lui demander si elle avait envie, car il doutait que cela soit le cas. Néanmoins, il y avait une différence entre avoir envie, ne pas être contre, et réellement y aller à contre-coeur. Il espérait simplement que la voyageuse oserait lui dire si elle avait finalement changé d'avis. S'il se réjouissait d'avance de pouvoir apprendre à mieux la connaître tout en lui présentant le territoire où il vivait, il ne voulait pas que cela devienne une contrainte pour elle.

La lionne lui répondit d'un ton posé ; un léger sourire se dessinant même sur son faciès. Cela suffit à Rána pour être rassuré sur la suite.

─ Je ne serais pas venue dans le cas contraire. Tu as donc ta réponse, si celle-ci peut te rassurer.

La lionne fit quelques pas en direction de Prideland, comme prête à s'engager, puis sembla finalement se raviser et s'arrêta. Tandis qu'elle s'emblait hésiter, le grand mâle la rejoignit d'un pas tranquille. Avait-elle besoin d'être rassurée ? Avait-elle peur de croiser d'autres lions ? L'orphelin se demanda un instant ce qui avait pu rendre cette lionne si isolée et fermée aux autres. Chaque réaction cachait son histoire, et Mahalia semblait avoir un passé trouble derrière elle. Néanmoins, avant qu'il n'ait pu lui poser la moindre question, ce fut-elle qui éleva de nouveau la voix :

─ J'ose espérer que ta famille ne voit pas d'inconvénient à ma présence sur vos terres. Je ne voudrais pas contrarier ta compagne, aussi compréhensive puisse-t-elle être.

Rána haussa les sourcils, surpris par la question. Quand bien même il aurait eu une famille, en quoi cela aurait-il pu les déranger ? Si certains mœurs demeuraient dans les clans, chaque lion n'en demeurait pas moins libre de faire ce qu'il voulait. Quoi qu'il en était, le mâle songea avec une légère amertume qu'il n'avait plus guère de famille. Ses parents étaient morts depuis bien longtemps, Ishana était partie et ses frères et sœurs arpentaient désormais la terre des lions. Qui lui restait-il, au fond, hormis son clan ? Guère personne. Il tenta néanmoins de masquer comme il pu la lueur triste qui transparaissait dans ses yeux.

─ Ne t'inquiète pas pour ça, Mahalia. Prideland est la seule famille qu'il me reste, et ils ne diront rien. Tu es avec moi, et les inconnus ne sont pas chassés ici comme ils peuvent l'être ailleurs.

Ce disant, il arbora un léger sourire sur ses babines et désigna les landes devant eux d'un léger signe de tête, comme une invitation à se mettre en route.