De son pas lourd habituel, Kubwo se dirigeait vers le Rocher de la Fierté. Pour ne pas mentir, il détestait devoir marcher jusque là bas. Pas qu'il pouvait en vouloir à un vieux lion de ne pas pouvoir se déplacer, mais quand même ! Certes, les hippopotames n'étaient pas aussi pataud qu'on pouvait le croire une fois sur la terre ferme... Mais cet hippopotame-ci préférait largement nager que marcher. En plus de ça, le soleil tapait fort... Une chance qu'il est pensé à se recouvrir de bout fraiche avant de partir, malheureusement, celle-ci commençait déjà à sécher. Enfin... Il faudrait faire avec.

Quoi qu'il en soit, Kubwo balaya bien vite ces pensée pour se concentrer sur des choses plus importantes et plus intéressantes. Contrairement à d'autres herbivores, il avait le luxe de pouvoir se perdre dans ses pensées sans trop craindre les carnivores : rares étaient ceux qui étaient assez fou pour s'en prendre à un pachyderme tel que lui. Son esprit vagabondait, donc, sur les sujets qu'il lui faudrait aborder avec le Roi. En tant que représentant, il devait s'assurer de la bonne communication entre les troupeaux et les félins. Chose que son prédécesseur avait, semblait-il, oublié, se concentrant surtout sur les troupeaux. La première chose qu'il souhaitait abordé, c'était la mort du jeune herbivore qui, de ce qu'il en savait, n'avait toujours pas été résolu. Ce n'était peut être pas grand chose pour les Pridelanders, mais cela avait entaché la confiance de nombreux mangeurs d'herbe. Ensuite... Ensuite il lui faudrait aborder un sujet plus glissant : la communication. Kubwo ne doutait pas que, malgré leur besoin de viande, les lions pouvaient être bien intentionné vis à vis des herbivores... Mais diantre, ce qu'ils ignoraient comment leur parler ! Et les herbivores ne faisaient pas vraiment d'efforts non plus pour certains. Le moindre petit mots mal utilisé pouvait très vite dégénéré en dispute. C'était affligeant.

Finalement, Kubwo arriva au pied du Rocher des lions. Un de ceux-ci l'accueillit d'un hochement de tête avant de s'éloigner, allant sans doute chercher le Roi. L'un des avantages d'être une tête connue de l'étang : que ce soit herbivores ou carnivores, tous connaissait Kubwo et son statut. Il n'avait quasiment pas besoin de s'annoncer ou d'expliquer les raisons de sa présence dans un lieu. Se laissant tomber sur son arrière train, l'animal créa un petit tremblement de terre autours de lui. Il attendit assis, patiemment, que le Roi Azaan fasse son apparition.

Depuis son retour du jugement des hyènes, Azaan n'avait pas quitté le rocher ou ses alentours. Il se sentait si vieux ces derniers temps... A vrai dire, par moment il ne sentait même plus qu'il était ailleurs et on devait lui redemander son attention, parfois même répéter ce qu'on venait de lui dire. Il n'aimait pas quand ça arrivait parce qu'il se rendait compte que son corps et son esprit le lâchait doucement. Et il avait peur de partir. Sa soeur, Ahva, avait rejoint le reste de sa famille depuis peu et le coup avait été très dur pour le roi. Il était le seul restant à présent. Et il avait peur d'infliger de la douleur à ses proches. Mais aussi peur de l'inconnu. Il craignait parfois de s'endormir.

Un garde l'appela alors qu'il était avec sa fille, Moha. Kubwo semblait être venu jusqu'au rocher. Azaan n'était pas réellement étonné que cela arrive.

" C'est parfait Moha, tu vas venir avec nous. "

Le vieux roi se leva, tremblant des pattes et craquant de tout les côtés sous le regard plein de pitié de sa fille qui le soutint un peu. Elle n'était généralement pas emballée de participer aux réunions auxquelles Azaan lui demandait d'être présente de plus en plus souvent. Mais aujourd'hui était différent, Moha aurait l'occasion de voir un hippopotame de près. Tous deux sortirent.

" Bonjour Kubwo, je te présente ma fille Moha. Elle va assister à notre entre vue puisqu'elle sera celle qui me succédera. "

Il n'osa pas prononcer le mot mort, mais plus pour lui que pour les autres. Il ne savait pas quand celle-ci arriverait, mais si le cycle de la vie ne le rattrapait pas avant les 3 ans de sa fille, il lui donnerait sa place.

Images (c) Hecate

Kubwo patienta sans dire un mot, saluant d'un hochement de tête les lions qui passaient dans son champ de vision. Enfin, Azaan fit son apparition. L'hippopotame se redressa sur ses quatre pattes. Il haussa un sourcil : le Roi n'était pas seul. Une jeune lionne, une adolescente apparemment, le souverain la présenta comme sa fille. L'herbivore les salua d'un humble hochement de tête et se tut un instant, toisant les deux félins. Son regard allait de l'un à l'autre rapidement. Outre le fait qu'Azaan avait eut sa fille a un certain âge, le pachyderme arrivait tout de même quelques traits ressemblant dans le visage de l'un et de l'autre. Finalement, un sourire apparut sur les lèvres de Kubwo.

- Bonjour Vot' Altesse et bonjour à toi aussi, P'tite Princesse.

Si Kubwo se montrait plus familier avec Moha, il n'en était pas moins respectueux. L'animal avait simplement du mal à parler de la même manière aux adulte et aux plus jeunes, qu'il s'agisse d'enfants ou d'adolescents.

- J'vais pas vous embêter longtemps, mais y a des sujets qui turlupinent les herbivores et j'pense c'est important qu'on règle ça.

L'hippopotame renifla et jeta un rapide coup d’œil au ciel. Il n'y avait pas que pour ménager Azaan qu'il avait intérêt à faire vite...

- Juste avant l'incendie, y a eut un meurtre Vot' Altesse. Y a un p'tit du troupeau de Mapinduzi qui s'est fait abattre et par des lions. Ils l'ont pas mangé, pas emporté, rien. L'ont simplement tué et laissé là.

Une provocation. Et elle avait marché étant donné que Kubwo soupçonné que c'était ce meurtre qui avait poussé Mapinduzi à soutenir l'incendie de Prideland. L'hippopotame tapa le sol de sa patte.

- Il faut faire quelque chose. Cet assassin a bafoué les lois de Prideland et les troupeaux demandent justice. C'est pour ça que j'vous demanderai de bien vouloir ouvrir une enquête pour trouver le responsable. Si vous voulez prouver aux troupeaux que vous vous souciez un minimum d'eux, c'est un bon début.

Kubwo avait à cœur d'améliorer les relations lions & herbivores, afin d'éviter des incidents futurs. Mais il ne pouvait pas le faire seul... Et il n'irait pas non plus contre ses convictions ou les besoins des troupeaux pour le faire. L'hippopotame se moquait bien de savoir à quel clan pouvait appartenir le coupable ou même s'il était solitaire, dans tous les cas justice devait être faite.

L'hippopotame salua les deux félins et Moha sourit en voyant sa taille imposante ainsi que ses dents. Elle n'avait jamais vraiment eut peur, d'autant plus qu'elle savait que ce mastodonte-là était ici pour discuter avec son père et non en découdre. Azaan hocha la tête les babines tirées en sourire lui aussi. Il était heureux de voir que sa fille était intéressée pour une fois.

" Bonjour, monsieur ! "

Dit l'adolescente avec respect, quelque chose que le roi avait trop peu souvent vu chez elle. Ses leçons commençaient à porter leurs fruits ?

Mais Kubwo ne s'attarda pas sur les politesses, il commença tout de suite à parler des sujets sensibles. Il semblerait que les herbivores avaient des sujets dont ils auraient voulu parler. Le sourire de Azaan se fit plus discret.

" Je vous écoute. "

Et l'hippopotame lui expliqua que peu avant l'incendie, un jeune du clan des hippotragues avait été retrouvé mort, blessé par un prédateur qui n'avait pas cherché à le dévorer. Les troupeaux demandaient justice à ce sujet car les lois de Prideland avaient été bafouée. Moha regarda son père pour savoir ce qu'il allait bien pouvoir faire.

" Lors de l'enquête des Gardiens sur votre disparition, ils m'ont en effet rapporté cette histoire. Le jeune malheureux aurait été attaqué par un félin, mais les témoignages étaient flou. Il était de petite taille, un jeune, un guépard ou même un jangowa selon certains ... Mais ils n'ont rien découvert de plus et je doute que qui que se soit puisse découvrir qui est le meurtrier de si nombreuses années après. "

Azaan en était réellement désolé, cette enquête aurait dû être faite au moment même du meurtre. Mais il n'en avait entendu parlé que bien longtemps après. Il avait d'ailleurs été étonné que Mapinduzi ne soit pas venu cogner du sabot au rocher pour faire entendre sa rage. Mais il avait trouvé une autre manière de le faire, bien plus funeste.

" On ne peut pas demander aux animaux ? "

Demanda innocemment Moha.

" Je crains que si longtemps après leurs souvenirs ne soient plus si frais ... Déjà au moment de l'enquête des Gardiens, les témoignages étaient très confus. "

Moha était encore trop jeune pour comprendre qu'un souvenir pouvait se modifier même peu de temps après avoir vécu un événement. Lui-même aurait pensé que ce soit plus facile d'avoir une réponse. Mais si ce n'était pas prit sur le vif, il était déjà peut-être trop tard.

Images (c) Hecate

Kubwo écouta l'avis du Roi concernant l'attaque du jeune herbivore. Ce qu'il entendait ne lui plaisait pas. Il était néanmoins satisfait de constater que la futur Reine posait des questions pour trouver le coupable. Elle ne se contentait pas de se taire et de se tourner les griffes, c'était un bon début pour. Nul doute que Kubwo et elle pourrait trouver travailler pattes dans la pattes le moment venu. Mais cette satisfaction n'était pas suffisante pour l'empêcher de froncer les sourcils d'un air mécontent. Oh, il comprenait bien où Azaan voulait en venir, il voyait aussi que ce n'était pas la faute du lion s'il n'y avait pas de coupable à punir... Mais cela n'en restait pas moins agaçant.

- Donc... Rien ne sera fait ?

Demanda l'hippopotame. Il secoua ensuite doucement la tête.

- J'comprend que retrouver le coupable soit comme chercher une brindille dans toute la savane... J'peux aller annoncer ça aux troupeau et tempérer les réactions si vraiment on en reste là. Mais ça ne plaira pas à tout l'monde et ça finira par vous revenir dans le museau.

Les yeux de Kubwo se détachèrent un instant du Roi pour se poser sur Moha. Les Pridelanders avaient encore un tas de choses à apprendre sur comment communiquer avec les troupeaux suite au manque de communication entretenu et par Mapinduzi et par les tragédies qui avaient suivit. Peut-être était-il de bon ton de profiter de la présence de la princesse pour embrayer sur cette discussion : au moins l'hippopotame n'aurait pas à se répéter à la nouvelle génération lorsque le Roi rendrait l'âme.

- Savez quoi ? Ça va pas vous plaire, mais ça fait parti de mon boulot d'être honnête avec vous sur l'entente entre les troupeaux et les lions. Et ben elle est mauvaise. J'dis pas que c'est vot' faute, vot' Altesse. Ni celle des troupeaux d'ailleurs. Mapinduzi a monté la tête a beaucoup de gens, des gens qui lui ont tourné le dos, et pour rentré chez eux, et parce qu'on leur a promis qu'ici, ils auraient le droit à plus de justice qu'ailleurs. A vot' avis, il va se passer quoi si quand je rentre tout ce que j'ai a dire sur cette histoire de meurtre c'est "y a pas de coupable parce qu'on a aucun moyen de savoir qui a fait le coup" ? J'vais vous le dire, moi, ce qui va se passer, vous allez avoir une partie des troupeaux qui va se dire que finalement Mapinduzi avait raison et qu'ils auraient jamais dû rentrer. Que vot' loi pour protéger nos enfants, c'est un coup de patte dans l'eau juste pour qu'on vous fasse confiance et qu'y a rien derrière.

L'hippopotame fit une courte pause. A vrai dire, il n'aimait pas dire ce qu'il disait, il accablait un vieux Roi déjà bien fatigué par la vie.

- Vous faites de votre mieux pour tout le monde. J'y crois, beaucoup d'autres y croient aussi. Mais les bonnes intentions ça sert à rien si y a que dalle qui suit.

De nouveau, une pause, puis il reprit en se tournant vers Moha cette fois. D'une voix qui se voulait plus douce, il déclara :

- D'ailleurs, puisqu'on parle de bonnes intentions P'tite Princesse, faudra qu'on ait une discussion toi et moi sur comment on parle à des troupeaux et quel mot vaut mieux laisser en dehors d'une conversation. Parce que j'ai entendu les Gardiens leur parler et c'est pas toujours glorieux la communication.

Kubwo laisse échapper un petit rire nerveux. Ce n'était sans doute pas le moment mais terminé sur une touche d'humour, même acide, l'aide à calmer la tension qu'il commence à sentir monter dans cette conversation.

La situation ne plu pas vraiment à Kubwo. Il exprima des mots durs mais assez justes pour expliquer ce qui allait se passer si jamais il rentrait voir les troupeaux après cette entrevue et qu'aucune action n'était prise pour résoudre le meurtre du jeune hippotrague. Si rien n'était fait, une partie des herbivores risqueraient de se dire que l'ancien chef des troupeaux avaient raison au sujet des lions. Il dit aussi que la communication et les relations entre les deux factions n'étaient pas bonne, il vaudrait mieux ne pas empirer les choses. Et pour conclure, il s'adressa à Moha pour lui dire qu'il faudrait qu'ils discutent tous les deux pour mieux savoir discuter avec les proies. Elle se tourna vers son père comme pour lui demander si c'était une chose qu'il pouvait vraiment lui proposer.

" Sazana et Moha viendrons vous voir pour discuter de ces difficultés de communication, je pense ne plus pouvoir être utile de ce coté ... "

Il tourna sa tête vers le rocher pour signifier qu'il ne pouvait plus vraiment le quitter.

" C'est parce que tu as mal quand tu marche ? "

Demanda un peu tristement Moha.

" Oui. "

Répondit-il en lui souriant un peu tristement. Mais il ne voulait pas s'attarder sur ses malheurs de vieillard. Ils n'étaient pas là pour cela.

" Je peux envoyer contacter les Gardiens pour voir ce que nous pouvons faire et en parler à ma compagne ainsi qu'à Namiri pour voir ce que nous pouvons mettre en place sur Prideland. Mais il faudrait que je sache exactement ce que vous attendez de nous. "

Azaan ne voyait pas bien ou tout cela pourrait mener. L'enquête avait été faite à l'époque et les témoignages ne concordaient pas. Que pourraient-ils faire de plus plusieurs années après ? Surtout que depuis lors, plus rien ne s'était passé. Ni avant l'incendie, ni après le retour des troupeaux. Ce n'était surement qu'un voyageur de passage qui s'était en allé aussi vite qu'il était arrivé. Le retrouver serait peine perdue et il doutait que déranger les Gardiens n'aide à quoi que ce soit. Cela serait un acte purement démagogique.

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Le Roi semblait perdu quant au actions à mener... Et Kubwo ne pouvait que le comprendre. La solution lui paraissait pourtant clair comme de l'eau de Roche. Peut être parce qu'il était plus âgé, avait vu passé plus de Roi, peut être juste parce qu'il avait un point de vue différent. Ou bien... Ou bien le problème d'Azaan était-il simplement qu'il souhaitait être un trop bon Roi, un Roi honnête et juste. C'était triste à dire, mais en politique et pour calmer les masses, les unir, c'est pas ce qui marchait le mieux. Cela, Mapinduzi l'avait compris, il se révélait meilleur que le lion.

Le problème de cette enquête était qu'elle avait été un argument pour convaincre les troupeau, c'était pour ça qu'ils en attendaient autant. Et de ça, Kubwo était coupable, après tout, c'était lui qui avait lancé le sujet. Oh, bien sur, les Gardiens aurait pu lui donner tort et expliquer qu'ils ne trouveraient jamais le responsable mais ça n'aurait fait qu'agacer les troupeaux à l'époque. Il ne fallait jamais faire une promesse qu'on ne pouvait ou voulait pas tenir. C'était l'assurance de se mettre à dos tout un tas de gens et de valoriser ses détracteurs. ... Le pachyderme estimait avoir autant de responsabilité dans le mécontentement des troupeaux à ce sujet que les Gardiens, aussi se devait-il de trouver la solution.

- J'ai bien compris où vous voulez en venir vot' Majesté. On retrouvera jamais l'assassin, le chercher serait dépenser de l'énergie inutilement, tout ça, tout ça. Mais justice à été promise aux troupeaux et justice n'a pas été rendu.

L'hippopotame n'était pas complètement bouché et comprenait les soucis qui entourait cette enquête. Elle était morte dans l’œuf.

- Ce que les troupeaux attendent de votre part, c'est simple : un coupable à blâmer et à punir. Trouvez un bouc émissaire et ils seront contents.

Dire son idée à haute voix lui écorchait la bouche, mais maintenant qu'il était lancé, il se devait de continuer. Il prononça ces mots plus bas pour que des oreilles indiscrètes ne puissent les entendre.

- Bien entendu, ce bouc émissaire à peut être d'ores et déjà été attrapé à l'heure qu'il est et, par un malheureux concours de circonstance, il a été abattu car trop violent pour être escorté, il fallait mettre un terme à sa barbarie. ... Vous me suivez ?

Kubwo n'aimait pas mentir, le mensonge le dégoutait. Mais à choisir entre la paix et la vérité, il préférait préserver la paix.