Introuvable. C'était exactement le mot qui qualifiait Lenora aujourd'hui. Tout comme sa jumelle, elle n'était déjà plus près de nous lorsque j'avais ouvert les yeux ce matin mais comme elles avaient l'habitude de partir explorer la moindre parcelle de notre territoire - enfin, l'une entraînant l'autre pour être plus précis - alors je n'avais rien fait sur le moment. L'étonnement était ensuite venu lorsque Sikhà était rentrée sans sa jumelle avant que l'inquiétude ne vienne lorsque celle-ci m'avait dit ne pas avoir croisé sa sœur depuis la veille au soir.

Sikhà m'avait assurée qu'elle ne ressentait aucune peur ni douleur de la part de sa jumelle mais je ne pouvais empêcher mon esprit de penser au pire comme "si elle était inconsciente alors Sikhà ne le sentirait pas puisqu'elle n'aurait pas peur ni mal". Sans en parler à Khalaki, j'avais donc pris la décision de parcourir notre territoire à la recherche de notre fille aînée. J'avais toutefois embarqué ma cadette avec moi car le lien qui unissait les jumelles était si fort qu'elles savaient quand l'autre était à proximité. Je comptais donc bien user de ce lien pour retrouver Lenora.

Nous étions donc partis en direction du haut de la montagne, frontière que nous avions avec le territoire des hyènes. Je savais que Lenora y était déjà allée et je me doutais bien qu'elle recommencerait, téméraire voire parfois inconsciente comme elle était. Nous y arrivions rapidement puisque nous marchions à un rythme soutenu et, restant de notre côté de la frontière, j'interrogeais ma fille.

Alors, sens-tu sa présence ?

Sikhà se concentra, faisant appel au lien qui l'unissait à sa soeur mais après quelques secondes, elle me fit un signe négatif de la tête.

Non, elle n'est pas dans le coin. Mais je te le redis : tu n'as pas besoin de t'inquiéter pour elle. Je ne ressens rien et je suis certaine qu'elle va bien. Si ça se trouve, elle est tout simplement en train de discuter dans un coin avec Jakko.

Il était vrai que ces deux-là étaient très proches et cela pouvait être vrai mais autant de temps sans qu'elle ne donne de nouvelles ? Même si elle me disait qu'il n'y avait pas de raisons pour, je ne pouvais m'empêcher de m'inquiéter pour ma fille. Après tout, elle s'était déjà mise en danger de nombreuses fois alors si je pouvais en éviter une énième, alors je le ferais.

C'est alors que des pas se firent entendre et nous fûmes deux à tourner la tête. Un pelage sombre apparut mais sa propriétaire n'était pas celle que nous attendions.

Salut.

La voix de Sagira était quelque peu froide et je remarquais qu'elle portait quelques marques d'un combat récent. Déjà inquiet pour Lenora et ayant imaginé différents scénarii dans ma tête, voilà qu'une Sagira un peu amoché s'avançait vers moi.

Salut Sagira !

N'oubliant pas ce que j'étais venu faire avec ma fille, je m'adressais à elle avant de reporter mon attention sur la nouvelle venue, après l'avoir saluée évidemment.

Bonjour, Sagira. Je marquais une pause pendant laquelle mon regard chercha celui de Sikhà, puis je repris. Tu peux continuer ce que nous faisions ? Je te rejoindrai plus tard.

Sikhà acquiesça puis adressa un signe à Sagira avant de s'éloigner. Lorsqu'elle ne fut plus à portée de voix, je repris la parole.

Tout va bien ?

Je voyais clairement sur son pelage que cela n'était pas le cas mais voudrait-elle m'en parler ? Je savais qu'elle n'avait pas apprécié de ne pas pouvoir venir au jugement des hyènes et que cela l'avait fortement agacée alors puisque j'y avais été et pas elle, m'en tenait-elle rigueur au point de ne pas me confier ce qui lui avait valu ces marques ?

La lionne brune eut un sourire lumineux pour ma fille mais dès que celle-ci se fut éloignée, Sagira retrouva un faciès neutre et impassible. Le changement était radical et je ne pu m'empêcher de penser qu'elle m'en voulait toujours au fond d'elle. J'en eu d'ailleurs une autre confirmation lorsque je lui demandais si tout allait bien pour elle. Le soufflement de nez qu'elle eut était on ne peut plus explicite et reflétait plutôt bien ses paroles.

On fait aller et toi ? me répondit-elle en soupirant légèrement avant de reprendre sans que je puisse répondre. Tu peux continuer avec Sikhà si tu veux, je vais pas te retenir.

Je secouais doucement et négativement la tête pendant que je reprenais la parole pour lui répondre.

Ce n'est pas nécessaire, elle peut s'en sortir seule. Et puis, c'est elle qui a raison, je dois lui faire confiance. Je suis certain que quand je la retrouverai, elle se moquera de moi et de mon attitude de papa poule bien qu'elles soient des adolescentes désormais.

J'eu un petit sourire amusé en imaginant la scène. Les moqueries de Sikhà, Usiku et Khalaki d'un côté et les protestations de Lenora de l'autre. Je voyais la scène d'ici et j'étais presque certain d'avoir un sentiment de déjà-vu lorsque cela se produira.

Et pour répondre à ta première question, je n'ai pas à me plaindre. Ma compagne et mes enfants se portent bien et nous n'avons pas entendu parler des Draegars depuis ce fameux jour donc je ne crains rien pour le clan, même si je reste sur mes gardes.

Sagira avait été là ce jour-là contrairement à moi et même si elle se sentait partiellement responsable pour les avoir menés au clan, elle avait montré qu'elle était une meneuse née. C'est pour cette raison que malgré son jeune âge, elle était écoutée avec attention. Et c'est pour cette raison aussi que je ne craignais pas de partager mes doutes avec elle.

La seule chose qui m'inquiète réellement pour le clan, c'est son futur. Usiku et Kohana sont les seuls enfants du clan - et encore se sont des pré-adolescents maintenant - et une grande partie d'entre nous avons passé le stade de vieil adulte. Je sais que nous avons encore quelques années devant nous mais je ne peux m'empêcher de craindre que les Chafayas ne perdurent pas...

Ce n'était en rien un reproche envers les jeunes mais une réelle crainte. Il n'était pas impossible que certains membres du clan décident de partir faire leur vie ailleurs mais si tel était le cas, le clan des Chafayas ne s'étendrait pas sur des générations, faute de nouveaux membres.

Sagira sembla en accord avec moi de laisser Sikhà agir seule et cela me valu même un sourire de sa part. J'étais pourtant un père très protecteur et il m'était difficile de laisser mes enfants seuls trop longtemps - d'autant plus lorsque je m'inquiétais pour l'un d'eux car je ne l'avais pas vu depuis la veille - mais ils grandissaient et je devais bien apprendre à les laisser voler de leurs propres ailes comme on disait.

Je me laisser ensuite aller à la discussion en répondant à sa question. J'allais même plus loin en lui indiquant que j'avais quelques craintes pour le futur des Chafayas. Et quelques secondes après m'être tu, je vis rougir ma camarade de clan. Loin de moi l'idée de la pousser à trouver quelqu'un mais je devais avouer ne pas avoir été très fin dans mes propos.

Oula oula, t'inquiète pas pour ça. On est pas mal dans le clan, mais beaucoup sont encore fort jeunes ! Puis oublie pas qu'on est quelques uns à partager le même sang ou à se voir comme de la famille... On est un clan rapiécé, on a avec nous des lions de tous horizons, j'imagine qu'un jour d'autres se joindront à nous et que là ... Enfin tu me comprend.

Je le savais bien et j'étais d'un seul coup gêné d'avoir abordé le sujet. Il était vrai que la plupart des lions du clan partageaient un lien de sang plus ou moins éloigné mais il était indéniable qu'avoir des enfants entre nous était à éviter pour éviter tout problème de consanguinité.

Je comprenais aussi parfaitement ce qu'elle voulait dire et par le biais de ses paroles, une idée venait de germer dans mon esprit. Il était rare que nous quittions notre territoire et il était rare également que des lions d'autres clans y viennent. C'est pourquoi l'occasion se présentait peut-être de mener à bien une coutume née depuis la séparation de Freeland.

Je comprend ce que tu veux dire et ne crois pas que je te mette la pression, à toi ou aux autres. Ce n'est absolument pas ce que j'ai voulu dire, excuse moi si j'ai été maladroit. Je prenais une petite pause avant de reprendre avec un air plus serein. Néanmoins, je ne peux nier que nous ne rencontrons pas beaucoup d'autres lions et cela n'est pas bon pour le clan. Pas pour le faire perpétuer, nous avons largement le temps devant nous pour cela mais pour nos relations avec les autres. Je crois qu'il serait temps d'organiser un Ukoo Muunganol. Qu'en penses-tu ?

L'idée me paraissait intéressante et cela permettrait à ceux qui ne quittaient pas le territoire de rencontrer des lions d'autres horizons et d'échanger sur nos modes de vie respectifs. Si Sagira appréciait l'idée, il faudrait alors en parler lors d'un conseil et organiser tout cela.

Bien que peu perceptible, je remarquais un certain soulagement chez Sagira lorsque j'évoquais le fait que je ne voulais pas mettre de pression quant à une descendance pour le clan. J'avouais volontiers que j'aurais pu mieux choisir mes mots pour exprimer ma pensée mais elle semblait avoir compris où je voulais en venir et c'était le principal.

Je parlais ensuite d'une façon plus "officielle" de rassembler du monde sur notre territoire en organisant un Ukoo muunganol. La lionne aux origines des Tempêtes sembla surprise et j'en retrouvais la trace dans la prise de parole qui suivit.

Koda ... C'est pas un truc de séparatiste ça ? Enfin il me semble que ce sont les clans du peuple libre qui font ça normalement ...

Elle avait parfaitement raison. Ceci dit, bien que Freeland était composé de plusieurs petits clans réunis ou non sous la bannière du Roi depuis un moment maintenant, aucun clan n'avait encore organisé cet évènement. J'en avais eu vent du Roi lui-même et je me demandais si mon père ne me l'avais pas déjà évoqué une fois ou deux lorsque j'étais jeune car le mot ne m'était pas étranger. Quoi qu'il en soit, cette réception des clans amis n'avait pas eu lieu depuis longtemps et je ne pensais pas que les séparatistes m'en veuille d'organiser quelque chose qu'ils ne faisaient pas malgré l'opportunité.

Enfin comprend moi bien, ça serait intéressant de voir nos alliés, de montrer aussi à nos voisins qu'on en imposent. Mais ne pense-tu pas que cela pourrait créer des tensions ?

Elle n'était donc pas contre l'idée et cela me rassurait. Si Sagira ne repoussait pas l'idée d'accueillir bon nombre d'étrangers sur nos terres, cela promettait d'aller dans une bonne direction si l'on en venait à proposer ça au reste du clan.

Cela se pourrait, en effet. Peut-être que les clans séparatistes grogneront en apprenant qu'un clan royaliste organise une fête qui leur est normalement dédiée. Néanmoins, les séparatistes ont plus que largement eu le temps de faire leur propre Ukoo muunganol. Peut-être ont ils simplement oublié cette tradition car après tout, Freeland est restée unie pendant de nombreuses années et cela a pu se perdre. Je regardais ma jeune camarade de clan pour tenter de deviner ses pensées avant de reprendre. Toutefois, tout ceci n'est que pure spéculation et nous ne pouvons deviner leur réaction à l'avance. Un moyen possible d'éviter de possibles tensions serait de ne pas inviter que des clans royalistes mais aussi des clans séparatistes. Ce n'est pas parce que notre loyauté ne va pas à la même personne que nous ne pouvons pas nous entendre. Regarde moi : j'ai toujours donné ma loyauté à Waasi, même quand j'étais sur Prideland et cela ne m'a pas empêché de m'entendre avec la majordome de l'époque.

Tout ceci remontait à plusieurs années mais je m'en souvenais encore clairement. J'étais convaincu que mon idée était bonne mais j'étais ouvert aux remarques que pouvaient me faire Sagira. Et selon ce qu'elle me dirait, nous déciderons ensemble d'en parler ou non au reste du clan.

A mesure que je parlais, je voyais les différentes réactions de Sagira et, lorsque j'eu fini, son plissement de nez n'annonçait guère qu'elle était convaincue par mes propos et c'est effectivement ce que je découvris lorsqu'elle parla à son tour.

Comment peux-tu être certain que ce n'ai pas été organisé depuis si longtemps ? Cela ne concerne que les clans alliés...

Bien que j'avais des réponses à lui apporter, Sagira ne me laissa pas le temps de les lui dire car elle repris la parole presque immédiatement.

Si tu penses que c'est la meilleure solution, alors soit. Ne m'en veux cependant pas si j'ai l'oeil sur tout le monde... même les alliés peuvent nous trahir.

Je ne comprenais que trop bien son allusion, bien que par rapport à elle, je n'avais pas souffert tant que cela. Certes j'avais perdu mon territoire tout comme sa mère. De plus, Sagira n'avait pas eu la chance de connaitre la terre d'Outland alors que sa mère en était la Reine, contrairement à moi... Et une énorme différence entre nous consistait en le fait que ma famille avait été accueillie sur Prideland contrairement au reste des exilés et je ne pouvais pas lui en vouloir d'être plus réticente que moi à accorder sa confiance. Néanmoins, je n'étais pas idiot pour autant et je n'allais pas l'interdire de faire ce qu'elle souhaitait.

Fais juste attention à qui tu invites. Si tu as le moindre doute, passe.

Je baissais lentement la tête afin de lui signifier mon accord. Les Chafayas n'étaient pas connus pour être belliqueux mais elle avait raison, on ne savait jamais...

Je ne t'en voudrais pas, au contraire. Je serai bien content de savoir qu'au moins une personne veille. J'espère toutefois que tu trouveras le temps de te lier avec ceux qui viendront si tu juges la situation assez sereine pour. Après tout, là est le but de cet évènement. Je prenais une pause le temps d'une respiration avant de reprendre, n'ayant pas oublié ses précédentes questions. Quant à savoir qu'il n'a pas été organisé depuis longtemps eh bien... j'imagine que si cela avait le cas, nous en aurions forcément entendu parler d'une façon ou d'une autre. Certes les Chafayas n'ont pas beaucoup d'interactions avec les autres sous-clans mais n'oublie pas que le Roi Kama est mon ami. Lui au moins aurait été au courant et je suppose que ce sujet serait forcément venu dans l'une de nos nombreuses conversations...

En l'évoquant, je me rendais compte que cela faisait un moment maintenant que nous ne nous étions pas parlé et je me notais de faire en sorte de changer cela. Nous vieillissions tous les deux et, s'il fallait que je fasse la route pour aller le voir, eh bien je pensais avoir encore la ressource nécessaire pour ce trajet. Et puis cela me permettrait de me dégourdir les pattes tout en profitant d'un autre air que celui des Montagnes Humides.

Je note ton avertissement, merci. Cependant, je ne compte pas décider seul de qui inviter ou non. Cela fera l'objet d'une discussion avec l'ensemble du clan. L'avis de chacun comptera et je prêterais une oreille attentive à tes paroles, n'aie crainte. Si tu juges qu'il ne faut pas inviter tel ou tel sous-clan, alors nous agiront de la sorte.

J'offrais un sourire serein à ma jeune camarade en espérant que mes paroles aient été suffisantes pour calmer ses craintes.