Tamariu était lui même déjà debout et fouettait l’air de sa queue lorsque je m’éveillais moi même ce matin là.  L’air était légèrement plus frais que les jours précédents, et c’était bon à prendre. Je me redressai en me léchant les babines. La faim aussi était présente et une partie de chasse s’imposait. Si j’étais agile, j’étais loin d’être la meilleure des chasseuses. L’instinct dont nous étions tous conférés autant qu’on était, était bien pratique dans ces cas là et il était assez développé pour que je puisse m’en tirer la plupart du temps avec les proies les plus faibles. Je ne m’en étais jamais prise aux animaux les plus imposants – je n’étais pas de taille et je le savais très bien et j’en étais encore plus convaincue après l’épisode de Tamariu et du gnou.

J’étirai mes pattes avant en faisant ressortir mes griffes tout en laissant échapper un long bâillement. Ceci fait, je consentis à me lever à mon tour pour me mettre à hauteur.

- Allons voir de ce côté, lui proposai-je en m’engageant, tout en proposant à Tamariu de me suivre.

Nous ne nous étions pas encore trop enfoncé dans les terres, préférant rester à proximité des frontières, comme des observateurs évaluant le danger, afin de vérifier que l’endroit était bien sûr. Le lion adolescent partageait plus ou moins cet avis et il avait l’air plus bourru qu’à l’ordinaire tandis que nous avancions dans la savane, à la recherche de nourriture à se mettre sous la dent.

- Nous nous rapprocherons bientôt, lui assurai-je afin de tenter de faire passer son humeur massacrante.

Aussi curieuse voulais-je moi même en savoir plus, d’un autre côté, j’avais cette éternelle crainte au fond de moi qui me demandait de rester méfiante, parce qu’aussi pacifique notre volonté était, nous restions quand bien même des intrus sur des terres qui ne nous appartenaient pas. Même si pour le moment nous étions plus en train de nous éloigner, nous commencions à connaître parages et environs. Mes premières impressions avaient beau pour la plupart être dans l’ensemble positive, si l’on mettait à part la précédente rencontre que j’avais faite concernant Kuzimu qui était précédé par sa réputation – même s’il me faisait confiance, il m’avait semblé sans pouvoir l’affirmer que Tamariu lui même avait eu des doutes lorsque je lui avais affirmé l’avoir croisé – du reste rien ne nous empêchait de nous mêler un peu plus à la population qui régnait à l’intérieur.

Comme souvent dans ces moments là, nous décidâmes de nous séparer afin de maximiser nos chances. La forte odeur du gibier n’était pas loin, il suffisait surtout d’aller le chercher. Je m’installais donc, tapis dans les herbes les plus hautes, avançant lentement de temps à autre lorsque d’autre mouvement interrompirent ma partie de chasse. Loin d’être la plus douée des lions, je fis ainsi un geste plus brusque que les autres, me faisant repérer de la même façon par les antilopes, pour commencer à surgir de toutes parts pour s’enfuir, coupant court à mes projets. Je fis à mon tour un bond ou deux dans la tentative désespérée, même si je savais d’avance l’entreprise vaine.

Quelle ne fut pas ma surprise alors… de tomber nez à nez avec un autre lion !

Une lionne plus précisément. Etonnée, j’eus d’abord un mouvement de recul, et comme cette dernière ne paraissait absolument pas être dans une position d’attaque, je m’assis.

- Je suis Tawiah, je ne suis pas originaire d’ici, lui annonçai-je, même si elle devait probablement déjà le savoir si elle était apparentée à ces terres.

Je laissai ma queue s’agiter mollement de gauche à droite sur le sol. La femelle me paraissant bien calme, elle avait tout l’air d’être la candidate idéale aux nombreuses questions depuis mon arrivée.

- Je voyage souvent, je n’ai aucun point de repère, je ne connais rien de cet endroit. Vous pourriez m’en apprendre plus ? Cela n’a rien à voir d’avec là où j’étais… lui appris-je, songeant à l’ancien clan de Mujiba.

La carrure de la lionne, nouvelle arrivante, ainsi que la sienne, n’avaient strictement rien à voir – celle qui se tenait désormais face à Tawiah avait le poil plus épais que celui de l’autre femelle, roux, tandis que le sien était sablonneux, et sa musculature était beaucoup plus imposante. C’était sans doute une bonne chasseuse, voilà ce que Tawiah en pensait, au premier regard. Elle même était beaucoup pus légère, cela se voyait au premier coup d’œil, plus fine, peut être un peu plus élégante, mais qu’est-ce que cela pouvait-il bien faire dans la savane si l’on avait pas la force de se battre ? A dire vrai, la lionne l’impressionnait un peu et en rien elle n’aurait essayé de chercher la bagarre avec elle, parce que par avance elle se savait perdante. D’autant que son interlocutrice devait probablement avoir sa confiance renforcée si elle était dans un territoire qui était le sien, ce qui n’était pas le cas de Tawiah.

Malgré qu’elle soit plus épaisse, il lui sembla qu’elle ne lui voulait aucun mal. La propre position qu’elle adopta était aussi une preuve qu’elle était ici en quête de connaissances et c’était là ses seules motivations. La lionne au pelage roux comprit bien vite, parce qu’elle ne tarda pas à satisfaire la voyageuse, encore mieux qu’elle ne l’aurait espéré :

-Bonjour Madame Tawiah, je m'appelle Dhoruba. Ici vous êtes à Pridelands. On est prêt du Baobab, vous savez ce que c'est un Baobab ? Moi je ne savais pas avant alors je vous explique: c'est un gros arbre, et près de lui, il y a les habitants de Pridelands. Normalement on aurait dû vous refuser à la frontière, vous vous êtes beaucoup enfoncée dans nos terres, mais ne vous en faites pas si vous avez de bonnes intentions, le roi Kumpa est très gentil.

Elle l’écouta avec respect, sans mot dire. Dhoruba comme elle venait de se présenter parlait d’une façon innocente qui lui rappelait parfois celle des lionceaux lorsqu’ils sont fiers de relater toutes les découvertes qu’ils ont fait à leurs parents, durant la journée. Elle avait l’habitude d’attendre en silence pendant qu’on lui narrait un discours, notamment lorsqu’il s’agissait de Tamariu et ne parlait que lorsqu’il avait terminé, provoquant un échange alors calme et dans le respect.

- Merci pour vos précisions, lui dit-elle solennellement. Elle avait toujours un peu de mal à se comporter face aux inconnus, comme si on allait se moquer d’elle dans son dos, comme ça avait été le cas, dans l’ancien clan dont elle avait fait autrefois partie. Je n’appartiens pas vraiment à un clan, je voyage avec mon fils.

Ainsi donc le dirigeant de ce royaume se nommait Kumpa. Elle fut soulagée d’entendre Dhoruba préciser la nature de celui ci, positive et même plus, étant donné ce que qu’ils avaient quitté, ce n’était pas pour nous retrouver de nouveau dans la même configuration qu’ils avaient fui le clan.

- S’il s’agit d’un bon roi, le reste de Prideland est-il prospère, même en ce qui concerne les animaux et autres lions ? De là d'où nous venons, il y avait beaucoup de tensions avec ces derniers, lui expliqua Tawiah. Cela a fait partie des raisons de notre départ… Plus ou moins…

Expliquer la vraie histoire aurait été encore un peu douloureux pour Tawiah qui éprouvait toujours des sentiments pour Mujiba qu’elle essayait tant bien que mal de faire taire, mais elle avait toujours quelques moments de faiblesse, comme ça avait été présentement le cas. Peut être que Dhoruba ne s’en formaliserait pas, et cette dernière ajouta :

-Qu'est-ce que vous cherchez ? Vous êtes juste perdue ? Je peux vous raccompagner si vous voulez, je connais bien le chemin ! Où si vous voulez habiter ici... On peut demander au roi, moi non plus je n'étais pas Originale... Originaire d'ici pardon.

Alors comme ça la rousse n’était pas native de Prideland… Tawiah fut agréablement surprise de l’air un peu avenant qu’elle avait vis à vis d’elle, ça n’était pas arrivé depuis tellement longtemps… Si elle était méfiante par nature, elle ne pouvait s’empêcher d’éprouver une grande sympathie pour elle. Elle remarqua que la langue de Dhoruba avait fourché, mais n’en fit rien. Elle avait appris à évoluer dans la différence, même si tous n’avaient pas accepté la sienne, alors, elle ne s’en formalisa pas.

- Perdue ? Oui… et non. Je viens de loin, je ne connais donc rien d’ici et des environs et il s’agit un peu d’une errance liée à la découverte de ces pays nouveaux. J’ai soif de connaître la vie qui m’entoure, lui révéla t-elle. Etant donné que Dhoruba avait l’air d’être ouverte, elle osa lui demander : serait-il possible de traverser vos terres ? Elle ne lui demanda pas tout de suite de l’accompagner, mais c’était une idée, un projet envisgeable. Dhoruba pouvait très bien être une alliée précieuse.

Tawiah cligna des paupières : les herbes bougeaient à présent de manière non naturelle, révélant deux lionceaux. Ce ne fut pas difficile de faire le lien avec l’autre lionne ce qu’elle confirma bientôt en les entourant de sa patte. La voyageuse les observa, attendrie devant ce spectacle – elle se souvenait de Tamariu à cet âge et de la candeur qu’il avait alors. Tout ça était bien loin désormais et chaque jour son fils ressemblait de plus en plus à son père ce qui était à la fois source de fierté et d’inquiétude pour la mère.

-C'est Thamani et Akiam.

-Vous avez les oreilles aussi grandes qu'un éléphant madame ! C'est zoliiii.

Tawiah releva fièrement le museau dans une petite expression mutine avant de choisir de se relever et de s’avancer doucement vers le trio. Elle s’interrogea mentalement de savoir où se trouvait leur père, car il pouvait très bien s’avérer être une nature menaçante, mais elle décida vite de ne pas trop s’en soucier pour l’instant.

- Peut être, mais je te parie que les miennes sont bien plus douces ! lui assura t-elle le timbre clair. Tu veux vérifier ?

Elle baissa la tête vers les lionceaux avant de les frotter doucement du bout du museau, avant de prendre un peu de recul pour être face à face avec Dhoruba.

-Oui c'est vrai qu'elle a de grandes oreilles, mais tout le monde à une chose spéciale, n'est-ce pas ?

Pas de doutes elle appréciait déjà cette lionne qui quelque part, était pleine de sagesse dans la manière qu’elle avait de s’exprimer, mélangé à de la naïveté.

- Quelle est votre chose spéciale Dhoruba ?, l’interrogea t-elle de nouveau avec cette réelle envie de savoir, plongeant son regard bleuté dans l’œil non aveugle de la femelle.

-Oh oui, Roi Kumpa, pardon Kumpa, il n'aime pas trop que je l'appelle "Roi" est très gentil, c'est mon ami. Les animaux sont polis et agréables en général, bon il faut se méfier de Misaada je pense, et aussi un peu de Samekh. Enfin non Samekh est gentil mais par moments seulement. Il est aussi très intelligent et sait beaucoup de choses.

Au fur et à mesure que Dhoruba le lui expliquait, Tawiah arrivait de mieux en mieux à se figurer les terres ainsi que les habitants. Grâce à l’expérience peut être ? C’était ce terme que l’on employait pour nommer ces erreurs… A partir de ce constat est-ce que Mujiba en était une ? Elle pensait farouchement que non, parce que sinon cela voulait dire que Tamariu, né de leur union en était une lui aussi et ce n’était absolument pas pensable pour la lionne. Mais elle n’avait pas tiré que du bon à être restée si longtemps dans son clan, pour ça, elle en était persuadée, mais ça elle ne l’avait réalisée que plus tard. Parce que quand les sentiments entraient en jeux beaucoup de notions se retrouvaient être compromises.

-Mais Maman, Tawiah ne sait pas qui c'est Misaada et Samekh. Je voulais dire Madame Tawiah ! Pardon Madame Tawiah.

- Ce n’est pas très grave, la rassura t-elle. Tamariu avait été lionceau, lui aussi.

Après avoir repris son lionceau, la grande lionne ne tarda pas à reprendre, afin de lui donner un supplément d’informations :

-C'est vrai, Thamani a raison. Samekh est un voyageur aussi, il me l'a dit lui-même... Et Misaada c'est le lion qui est toujours avec le roi et sa famille, mais je ne sais pas trop ce qu'il fait avec, il a un travail mais on a beau me l'expliquer je ne comprends pas. Mon truc spécial à moi, c'est que je ne suis pas très intelligente, alors au moins j'essaye que les petits soient polis et sages... C'est pas grand chose mais c'est important.

- Je suis certaine qu’ils se portent très bien, confirma Tawiah. Elle ne connaissait pas la rousse, mais il fallait être idiot pour ne pas se rendre compte très vite qu’elle était une maman attentive et aimante. La voyageuse n’avait que faire de son manque d’intelligence et de culture, au contraire, elle était la première à transmettre son savoir au plus de monde possible, et à apprendre toujours plus, sans faire de jugement ni de différenciation.

Les deux petits ajoutèrent leur grain de sel avec l’innocence de l’enfance. Elle ne pouvait pas s’empêcher de s’émerveiller à chaque fois et c’était en fun de compte le meilleur âge, celui où on ne se souciait de rien parce qu’il n’y avait pas encore cette importante prise de conscience qui allait tôt ou tard arriver, c’était certain, mais après tout, le plus tard restait le mieux et il fallait que les jeunes en profitent. Et avec leurs commentaires, cela se voyaient qu’ils éprouvaient beaucoup de tendresse pour leur mère, et qu’ils étaient loin d’être malheureux.

-Il est où votre fils ?

Il n ‘allait peut être pas tarder à pointer le bout de son nez, allez savoir. Tawiah se réinstalla correctement sur ses pattes arrières, avant de lui révéler :

- En exploration. Il ne tient pas en place lui non plus. Mais il est resté dans les parages, peut être que vous allez avoir l’occasion de le rencontrer.

-Et comment il s'appelle ? Et il a quel âge ? Il pourrait jouer avec nous ?

La femelle avait l’air de ne pas tenir en place, ce qui ne la rendait que plus attendrissante. Tawiah pencha la tête légèrement de côté.

- Il s’appelle Tamariu, mais il a bien grandi maintenant, il a deux ans. Les lions sont parfois surpris et pensent que ce n’est pas mon fils parce que nous ne nous ressemblons pas du tout.

Il était pourtant bel et bien sa progéniture, pas de doutes là dessus. Et bientôt il serait un imposant lion avec une crinière sombre bien fournie qui avait déjà bien pris naissance au sommet de son crâne.

- Si jamais tu le vois et qu’il est avec moi tu pourras  toujours lui poser la question ! Il n’a encore jamais mangé de lionceau. Quel est ton jeu préféré ? lui demanda t-elle parce qu’elle savait que les plus petits adoraient livrer des explications en tout genres, alors, elle lui tendit la perche.

Elle lui dit un petit sourire avant de reporter de nouveau son attention sur Dhoruba.

- Alors je devrais faire attention à certains lions dites vous ? Pouvez vous me les décrire ? Prudence était mère de sûreté, alors dans ces cas là mieux valait-il encore rester sur ses gardes…