Salim n'était, pour être honnête, pas très friand de l'étang.

Il y avait pourtant de quoi apprécier l'endroit. Pacifique, rafraichissant en cette période de forte chaleur, idéal pour se ressourcer, faire de nouvelles rencontres.
C'était sur ce dernier point que le bas blessait.
Difficile de se rendre à l'étang sans croiser quelqu'un, et quand on était Salim, croiser quelqu'un impliquait généralement de sentir l'autre poser sur soi un regard où se mêlaient le plus souvent curiosité, pitié, et sans doute une pointe de dégoût — parfois même ce n'était carrément que du dégoût. Il aurait bien aimé qu'un jour, on le regarde comme on aurait regardé n'importe qui. Comme sa mère le regardait, par exemple. Ca lui aurait donné le sentiment d'être un Pridelander comme un autre.
Ce qu'il était, en soi. Un Pridelander, un simple Pridelander.
Avec la moitié du visage bouffée par les flammes. De manière assez disgracieuse.
Et s'il avait eu espoir, dans un premier temps, que cela s'arrange, il s'était bien vite rendu à l'évidence que les brûlures ne partiraient pas. Ne s'atténueraient pas, non plus. Elles faisaient désormais partie intégrante de ce qu'il était.

En dépit d'un naturel assez jovial et volontaire, Salim avait bien vite appris à craindre le regard des autres, et son désir initial d'aller à la rencontre de tout un tas d'inconnus avait fait place, avec l'arrivée de l'adolescence et de tout ce que ça impliquait en termes de développement personnel, à une profonde réticence à engager la conversation avec ces derniers. C'était donc d'un pas mal assuré qu'il s'approchait désormais du point d'eau, rongé par la soif, concentré sur son son objectif, à savoir se désaltérer le plus rapidement possible pour décamper vite et éviter toute confrontation désagréable. Son regard quittait de temps à autre la berge vers laquelle il se rendait pour balayer les alentours et s'assurer que la voie était libre. Le souci, c'était qu'avec un oeil invalide, son angle mort était assez large. Trop large pour lui permettre de voir la lionne qui, elle, l'avait repéré.

— Hey ! Bonjour !

Surpris, Salim se figea, ses sens en alerte. Il y eut bien quelques secondes où il resta de marbre, espérant peut-être que la vision de l'autre était basée sur le mouvement, ou plus probablement que la voix qu'il venait juste d'entendre s'adressait à quelqu'un d'autre qu'il n'avait pas non plus repéré, non loin. Une légère brise lui amena l'odeur d'une seule et unique personne à proximité, et il dut se rendre à l'évidence : il était repéré. Rassemblant son courage et tentant de faire bonne figure, il fit lentement volte-face dans la direction de la jeune femelle qui le regardait, un grand sourire en travers du visage. Salim la regarda, désarmé. Elle devait avoir à peu près le même âge que lui. Son pelage grisâtre contrastait nettement avec les couleurs chaudes des gens de son clan, et elle avait sur elle une odeur inconnue. Impossible cependant de savoir d'où elle pouvait provenir. Dans tous les cas, elle avait l'air particulièrement joyeuse, et il ne put s'empêcher d'avoir peur que d'une manière ou d'une autre elle se foute de lui.

— Bon... jour ? répondit-il, peu sûr de lui.

Planté au beau milieu du chemin comme un piqué, l'allure raide, il attendait que le déluge vienne, priant pour ne pas être emporté par les flots.

S A L I M
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La situation était décidément bien peu confortable pour Salim. Cette jeune lionne continuait de le dévisager, mais c'était différent de d'habitude. Quelque chose était différent. Elle ne semblait pas particulièrement focalisée sur ses brûlures, mais continuait d'arborer ce grand sourire qui n'était pourtant pas moqueur. Il se demanda si elle avait mangé une plante bizarre. Il avait entendu parler de moisissures aux effets un peu particuliers, qui vous chamboulaient le cerveau si vous vous hasardiez à les consommer. Ou si elle était juste un peu niaise. Peut-être souffrait-elle de troubles de la vision, aussi. C'était sans doute le plus probable. Autrement, il ne voyait pas pourquoi el...

— C'est parce que je suis grande que tu as peur ?

Il haussa les sourcils, et ce fut comme si une décharge électrique lui parcourait le corps ou si on lui avait collé une bonne claque, car il se redressa soudainement, bombant légèrement le poitrail.

— Je n'ai pas peur ! s'empressa-t-il de répondre.

Surtout pas d'une fille, manqua-t-il d'ajouter, sans pour autant voir en quoi cela aurait fait progresser la conversation et en quoi c'était un propos pertinent.

— Tu n'es même pas si grande que ça, marmonna-t-il, plus pour lui-même que pour elle.

En fait, si, elle semblait plutôt grande. Mais c'était assez difficile à dire car elle était assez loin de lui. N'y voyant que d'un oeil, il lui était difficile d'évaluer véritablement sa taille, car il ne pouvait tout simplement pas évaluer la distance qui la séparait de lui avait exactitude. Il avait certes appris à se débrouiller dans un monde privée d'une de ses dimensions, certains problèmes inhérents à la perte de l'un de ses yeux ne seraient jamais résolus pour lui.

Suite à quoi elle se présenta : Machli, nouvelle tête tout droit débarquée de Seuls-Les-Grands-Rois-Du-Passé-Où-(et-encore). Avec sa famille. Etaient-ils ici ?
Salim regarda rapidement autour de lui, guettant une autre présence. Rien, pas d'odeur non plus. Il ne savait pas trop comment se comporter en présence d'étrangers : il n'avait pour le moment jamais eu directement affaire à eux. L'Etang était certes un endroit de paix, il ne pouvait se permettre de s'affranchir de toute vigilance pour autant. Surtout avec un angle mort aussi dramatiquement grand.

— Oui, fit-il en hochant la tête, confirmant qu'il était bien un Pridelander. Je suis Salim.

Il finit par s'assoir, toujours bien droit, sans doute désireux de montrer que non, il n'avait pas peur, et que d'ailleurs il n'était pas petit non plus, même s'il était probablement un peu plus jeune qu'elle.

— Tu es... voyageuse ?

Ce mot, malgré les années, continuait de sonner douloureusement à ses oreilles. Il était après tout lui aussi un Voyageur, à la base. Et il le serait probablement resté, sans ce maudit incendie. Et à la voir comme ça, toute joviale, il ne pouvait s'empêcher de penser à sa soeur. Ses souvenirs d'elle étaient comme tout le reste, très flous, mais il se la remémorait comme quelqu'un de têtu, collant, et extrêmement prompt au jeu. Toujours souriante.
Probablement morte.
Loin de lui, dans tous les cas.

S A L I M
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Ainsi donc la femelle faisait partie des Outlanders exilés avec la reine Waasi. Pour être honnête, Salim ne savait pas grand chose du contexte politique de la Terre des Lions, principalement parce que sa joueuse actuellement en train d'écrire ces lignes derrière son écran n'y comprenait strictement rien et était totalement incapable de retenir les noms des personnages qui y jouaient un rôle important. Il avait bien quelques notions, mais ça s'arrêtait là. Il ne s'y était jamais véritablement intéressé, sans doute trop absorbé par ses propres problèmes, ou trop effrayé par les autres pour tenter de s'impliquer là-dedans. Peut-être devrait-il demander des informations à ce sujet à sa mère, un jour, elle jouissait après tout d'un statut important dans le Clan et devait tout connaître par coeur. Ou il pouvait essayer de grappiller peu à peu des informations auprès des gens qu'il pouvait rencontrer, ce qui lui laisserait plus de temps pour tenter de s'approprier la chose, ce qui arrangerait bien la joueuse, en fait.

Songeur, il se hâta de secouer la tête lorsqu'elle lui demanda si cela avait de l'importance. Lui n'en avait que faire. Pour lui, il était plus question d'individus que de groupes. Le clan était plus un contexte justifiant les actions des uns et des autres.
Point positif : il connaissait désormais la marque olfactive des exilés d'Outland. C'était un bon point de départ.

Elle lui parla ensuite brièvement de l'endroit où ils se trouvaient auparavant, qu'il supposait être le territoire d'Outland. On le lui avait décrit comme un endroit hostile, une sorte de terre stérile où la verdure n'était qu'un concept abstrait, et où seules les silhouettes de gigantesques termitières se découpaient sur un horizon qui semblait ne prendre jamais fin. Ca lui semblait coller avec ce que disait Machli. Il l'écouta sans broncher, jusqu'à ce qu'elle lui parle de Prideland. Le voilà qui se retrouvait dans une position délicate. Il voulait bien lui parler du coin, mais il ne voyait pas trop quoi dire. Il y avait vécu toute sa vie. Pour lui, Prideland était juste... normal. Sans avoir jamais rien vu d'autre, il lui était difficile de savoir ce qui était pertinent et ce qui ne l'était pas.

— Mh... eh bien... on a des arbres. Et... de l'herbe. De l'eau, aussi, fit-il en désignant d'un signe de tête l'étang derrière lui. Et... plein d'animaux ? Tu peux les voir ici quand ils viennent boire. Sauf les crocodiles. Ils n'ont pas le droit d'être ici.

Il se balança légèrement d'une patte sur l'autre, cherchant quelque chose à ajouter. Sa description était assez pathétique, mais il ne voyait franchement pas quoi dire d'autre. Et parler de l'étang lui avait rappelé à quel point il avait soif : voilà désormais que sa gorge semblait totalement desséchée.

— Tu veux être guérisseuse ? Tu as parlé de plantes tout à l'heure.

POURQUOI poser une question alors que tu crèves de soif, Salim ? maugréa sa petite voix intérieure. Sans doute que l'idée d'échanger avec quelqu'un le rendait plus heureux qu'il ne voulait bien le laisser paraître.

S A L I M
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Comme il pouvait s'y attendre, sa réponse était loin de contenter la jeune lionne. Le problème est qu'il ne voyait pas du tout quoi dire. De toute évidence, ses skills en conversation étaient plus que limités. Néanmoins il réussit à capter à nouveau l'attention de la femelle avec sa dernière question. D'une réponse enthousiaste, elle lui confirmait qu'elle souhaitait bien devenir guérisseuse, et qu'elle descendait visiblement d'une lignée de spécialistes. Mais elle n'aspirait visiblement pas qu'à soigner les autres, elle souhaitait également être capable de leur flanquer une dérouillée au besoin. Ce qui lui apparaissait comme une bonne chose.

— D'ailleurs... heu... ça te fait mal ?

Salim se figea. Elle observait fixement son visage, et il n'y avait aucun doute quant au sujet de sa question. Lui qui venait de commencer à se décrisper se raidit à nouveau totalement. Il baissa les yeux.

— Plus maintenant.

Seulement lorsqu'il faisait des cauchemars, ce qui arrivait encore de temps à autres, surtout lorsqu'il sortait d'une sale journée.

Elle embraya immédiatement sur un autre sujet pour son plus grand soulagement, se mettant à lui parler d'une Mandrill, puis de crocodiles. Salim releva les yeux vers elle, reprenant contenance.

— Nous avons une guérisseuse Mandrill, oui. Elle s'est occupée de moi quand j'étais jeune.

C'était d'ailleurs en étant amené à la guérisseuse que Salim, déjà en état de choc, avait découvert que les Mandrills existaient. Cette journée avait décidément été la plus traumatisante de sa vie. Non content d'avoir perdu sa famille et d'avoir été sévèrement brûlé — défiguré dans la foulée –, il avait été amené par des inconnues dans un endroit inconnu pour y être livré à une sorte de... monstre. C'était en tout cas comme ça qu'il avait vécu la chose, sur le moment.
S'il était désormais totalement à l'aise avec Kujaidia, il avait mis du temps à s'accoutumer à la constante présence de la guérisseuse, à l'époque. Il avait mis du temps à s'accoutumer à tout, en fait.

— Un crocodile, c'est... mhhh...

Il réalisa alors qu'il n'avait pas la moindre idée de ce à quoi pouvait ressembler un crocodile, n'en ayant jamais vu lui-même. Il savait juste qu'ils n'avaient pas le droit de venir ici. Sa mère les lui avait décrit comme des espèces de gros lézards à la longue gueule hérissée de dents, quand il l'avait questionnée sur la chose, lorsqu'elle lui avait justement dit qu'ils ne pouvaient venir ici.

— Je n'en ai jamais vu, mais ce sont des gros lézards qui vivent dans l'eau. Ils mangent les gens. Apparemment. Du coup ils ne peuvent pas venir ici, comme c'est un territoire pacifique.

Il agrémenta ses dires d'un petit haussements d'épaules, avant de reprendre :

— Désolé. Il faut vraiment que je boive.

Il ne lui proposait pas forcément de le suivre sur les quelques mètres qui les séparaient de la berge parce qu'il n'était absolument pas sûr qu'elle ait toujours envie de discuter avec lui, mais veilla à ne pas suggérer que la conversation était terminée pour lui. Il fallait juste vraiment qu'il se désaltère, bon sang, sa gorge était en feu.

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Lorsqu'il eut fini de se désaltérer et se retourna, Salim constata que Machli était toujours là. Visiblement toujours aussi enthousiaste, d'ailleurs. Il fut un peu surpris : ne se considérant pas comme étant de très bonne compagnie, il avait supposé qu'elle partirait peut-être. Il ne lui en aurait pas tenu rigueur.
Mais de toute évidence la jeune lionne bouillonnait de curiosité et était ravie d'avoir trouver quelqu'un pour l'aider à découvrir ce nouveau territoire. S'il était dérouté, Salim était assez content. Il se sentait tout à coup utile.

— Effectivement, acquiesça-t-il à sa dernière remarque sur les crocodiles.

Un instant de plus et la femelle s'emballait à l'idée d'explorer les terres et lui demandait même de la guider. Si la perspective était intimidante car franchement nouvelle, elle lui arracha un petit sourire. C'était étrange de se faire traiter comme quelqu'un de tout à fait normal. Surtout par une inconnue. Il hocha la tête, abandonnant peu à peu ses réserves, puis revint vers elle.

— Où veux-tu aller ?

Il connaissait assez bien les lieux, ayant très largement eu le temps de les traverser en long, en large, et en travers, et ils n'avaient rien de particulièrement fantastique pour lui, mais la perspective de les découvrir sous un oeil nouveau était alléchante. Enfin. C'était surtout la perspective d'avoir quelqu'un avec qui s'y promener qui l'intéressait. S'il était d'un naturel méfiant, Machli semblait sincère, et son instinct lui disait que ça pourrait bien se passer.

— Il y a des bosquets avec des palmiers par là-bas, si tu veux, fit-il en indiquant d'un signe du menton un endroit un peu plus loin où se découpaient les silhouettes des arbres. Il y fait plus frais et il y a plein de cachettes.

... et Salim aimait les cachettes.
Il appréciait de s'y installer à l'ombre et d'observer les animaux aller et venir, sans être vu. L'endroit était paisible et à certains endroits, presque luxuriant, quand bien même c'était sur de toutes petites surfaces.
Ce n'était bien sûr qu'une suggestion. Tout lui convenait, mais au moins, pour une fois, il montrait qu'il était également capable de faire preuve d'esprit d'initiative, lui qui tendait à laisser les autres faire la conversation, et leur répondait lorsque la situation l'exigeait vraiment, avec le minimum syndical.

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[Désolée d'avoir tant tardé ^^']

Pourrait-elle s'y cacher ? Il réfléchit un instant, pesant le pour et le contre. Il y avait énormément d'ombres et des espaces ombragés, donc ce n'était pas improbable, d'autant plus qu'on y trouvait également quelques rochers. Lui n'avait aucun mal à s'y fondre avec son poil hirsute et brun, cela ne faisait aucun doute.

— Je pense que oui. Il y a beaucoup de possibilités.

Et voilà déjà que l'autre lionne, visiblement ravie, sautillait dans la direction qu'il lui avait indiquée. Ne pouvant retenir un sourire, Salim se mit en route à sa suite, le pas léger.
La Combe, hein ? Il ne savait pas vraiment ce que c'était cette Combe ni où elle pouvait bien se trouver, mais l'endroit avait l'air intriguant. Peut-être était-ce l'ancien repère des exilés, un peu comme le Rocher de la Fierté était leur temple à eux.
Pas besoin de se cacher, à Prideland. Le peuple du Glorieux Royaume vivait à l'abri du danger, ou en tout cas pour l'instant. Enfin, c'était ce qu'il lui semblait. Pour lui, bien sûr, c'était différent. Mais son cas était un peu particulier, et il n'avait pas spécialement envie d'y songer pour le moment. Pas maintenant, alors qu'il se sentait normal, chose qui n'arrivait que très rarement dans sa vie, surtout en dehors du cadre familial adoptif.

— Si tu es forte en escalade, tu peux te cacher directement dans les têtes des palmiers. Certains sont assez courbés et pas très hauts, on peut y monter assez facilement.

Preuve était que lui-même y parvenait sans trop d'encombres, en dépit d'un équilibre rendu plus que précaire par sa queue tronquée et la perte de son oeil gauche.

— Le seul risque est d'y être dérangé par des insectes.

C'était l'inconvénient majeur. Salim n'appréciait guère d'entendre des bestioles lui bourdonner dans les oreilles, et certaines mouches avaient la fâcheuse manie de vouloir venir vous voleter dans les yeux. Chose qui était assez angoissante quand, comme lui, on avait un oeil mort, mais toujours bien présent. Pour une obscure raison, il craignait que celles-ci ne lui rentrent à l'intérieur du crâne par là, sans qu'il ne les sente. Ou qu'elles y pondent des oeufs. Et le grignotent de l'intérieur. Il réprima un frisson d'angoisse à cette idée, se remémorant bien malgré lui les brimades des petits bullies qui lui avaient pourri l'existence la grande majorité de son enfance — et continuaient parfois, aujourd'hui encore –, et qui semblaient pour certains particulièrement imaginatifs lorsqu'il s'agissait de le terroriser.
Ce genre d'idée ne lui était malheureusement pas venu à l'esprit tout seul. Il n'y aurait probablement jamais pensé de lui-même.

Voilà qu'ils atteignaient déjà les premiers palmiers. Avisant l'un d'entre eux, plutôt petit et proche du sol, il le lui désigna d'un signe de tête.

— Ceux-là sont sympa par exemple.

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Au départ déstabilisé par l'enthousiasme de la jeune lionne, il se laissa entraîner dans sa course, s'efforçant de garder le rythme sans pour autant se prendre les pattes dans le premier obstacle venu. Ne pouvant décemment aller aussi vite qu'elle, ne serait-ce parce qu'il avait plus de difficultés à repérer lesdits obstacles, il tint malgré tout la cadence, et l'écouta patiemment tandis qu'elle lui parlait de la Combe. Il se posta à ses côtés tandis qu'elle avisait l'arbre qu'elle souhaitait escalader et resta sagement en bas tandis qu'elle en entreprenait l'ascension. Si Machli peina à s'agripper au tronc dans un premier temps, elle trouva rapidement ses aises et parvint à se hisser jusqu'à la tête de l'arbre en assez peu de temps. Il la regarda tout du long, ne pouvant s'empêcher d'envier la facilité avec laquelle elle appréhendait cet exercice, qu'il avait mis tant de temps à parfaire.
Et dire que cette facilité aurait également pu être sienne, sans ce maudit incendie.

— Tu crois que ça fonctionnera ? demanda-t-elle une fois installée plus confortablement.

Salim arqua un sourcil perplexe, penchant légèrement la tête sur le côté. Difficile à dire de prime abord, étant donné qu'il savait exactement où elle se trouvait. Fait était que la couleur inhabituelle — en tout cas c'était la première fois qu'il voyait un lion gris – ne l'aidait clairement pas, elle aurait été bien plus discrète au milieu des rochers. Néanmoins les palmiers étaient touffus et pour peu qu'elle s'enfonce bien entre les palmes...

— Si tu te caches bien entre les feuilles je pense que ça peut marcher. Les gens pensent rarement à regarder au-dessus d'eux.

Surtout les lions, qui n'avaient pas grand chose à craindre des cieux, sauf des léopards, peut-être. Regardant vaguement autour de lui, il finit par relever le nez vers elle.

— Il y a beaucoup de lions gris chez toi ?

Cette question lui brûlait trop les lèvres pour qu'il la retienne plus longtemps.

S A L I M
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[ Sincèrement désolée pour ce retard, c'est très compliqué pour moi de RP en période scolaire... si tu veux on peut voir pour amener ce RP vers une fin, vu qu'il date un peu ?
Ah et merci, pour Salim ]

Les lions du vent.
De manière peu surprenante, c'était la première fois que Salim en entendait parler. Il se sentait à la ramasse, côté culture générale. Les autres lions de son âge étaient-ils familiers de ces concepts ? Etait-il ignare, trop occupé à fuir le regard des autres pour prendre le temps de s'éduquer ? Voilà qui ne risquait pas d'améliorer ses problèmes d'estime de soi. Il savait qu'il pouvait se targuer de posséder un esprit vif, à défaut d'un physique affûté. Mais à quoi bon être futé si l'on ne connaissait rien ? A trop ignorer le monde qui l'entourait, il risquait juste de voir sa capacité de réflexion s'encrasser. Il deviendrait faible, laid et stupide. Autant se jeter dans une gueule de croco immédiatement, si c'était pour finir ainsi. Enfin, encore fallait-il savoir où trouver des crocos. Et savoir les reconnaître, aussi.
Bon sang, rien n'était facile ici, pas même le suicide.
Imaginer à quoi un lion couleur boue embrasée pouvait ressembler n'était pas non plus chose aisée. Sourcils froncés, tressautant légèrement, Salim était plongé en pleine réflexion, passant rapidement en revue les différents physiques qu'il avait pu apercevoir au sein de son clan et dans la savane environnante dans l'espoir de trouver quelque chose qui ait pu l'aiguiller. Malheureusement là encore, l'effort était vain.

Il releva le nez vers Machli, toujours sur son perchoir.

— Je pense que oui. A moins qu'il ne décide de regarder spécifiquement vers toi lorsqu'il passera sous le palmier.

Les lions, généralement maîtres de leur territoire, pensaient rarement à regarder au-dessus d'eux, trop sûrs qu'ils étaient de leur capacité à repousser toute menace de par leur simple présence. La seule chose qu'ils auraient pu craindre venant des hauteurs était un léopard, et encore, ceux-ci ne faisaient pas vraiment le poids. A moins de prendre l'adversaire par surprise, et encore.
Enfin, il supposait. Il n'en savait pas grand chose.
Il savait seulement que lui, dans sa suprême condition physique exemplaire, se ferait probablement défoncer par un léopard, effet de surprise ou pas, si ce dernier se mettait en tête de s'en prendre à lui, pour quelque raison que ce soit.

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[ Parfait (: ]

Les paroles de Salim semblèrent faire leur petit bout de chemin dans l'esprit de Machli, qui, après une longue réflexion, finit par revenir vers lui. Si la descente de l'arbre était assez laborieuse, Salim ne pouvait s'empêcher de songer qu'elle s'y prenait plutôt bien, pour un animal qui n'était pas franchement censé grimper dans des palmiers. Il aurait bien voulu essayer, pour voir si lui aussi il pouvait y arriver. Mais plus tard. Quand il n'y aurait personne. La nuit, peut-être. Les insomnies étaient légion : au moins cela pouvait-il lui donner quelque chose à faire, lorsqu'il ne parvenait pas à trouver le sommeil.

C'est avec un sourire ravi fiché sur les babines que la lionne grise lui confirma sa décision de prank son frère, et lui proposa même de lui raconter. Si les mots pouvaient sembler creux de prime abord, dans l'esprit de Salim, ils eurent beaucoup plus d'impact qu'elle n'aurait pu l'imaginer. Lui proposer de lui raconter supposait qu'elle n'était pas opposée à le revoir. Chose hautement improbable : il était plutôt habitué à ce qu'on le fuie. Il darda sur elle de grands yeux surpris, avant de hocher légèrement la tête. Mais n'eut pas le temps de dire grand chose, car voilà que Machli se remettait déjà en marche, lui proposant de faire la route ensemble. Il papillonna des yeux avant de lever le museau au ciel, qui déjà se teintait de pourpre. Déjà le soir. Bientôt la nuit, avec ses ombres biscornues, ses angoisses, et la promesse de longues heures à tenter de trouver le sommeil, pour peu que son esprit soit disposé à vagabonder.
Chassant d'un ébrouement ces idées peu réjouissantes — idées qui ne manqueraient pas de se rappeler à lui une fois qu'il aurait laissé Machli derrière lui –, il se hâta de la rejoindre, un petit sourire sur les lèvres.

— Ton frère sera là-bas ? se risqua-t-il à demander.

Salim n'avait pas envie de passer pour un mec qui ne savait pas faire la conversation — même s'il n'était, effectivement, pas vraiment un mec qui savait faire la conversation, notamment parce que les gens n'aimaient pas trop parler avec lui –, il s'était donc empressé de trouver quelque chose à demander pour meubler le vide. Accessoirement, il était très curieux de voir à quoi pouvait ressemblait un lion couleur de boue. Surtout si cette boue était enflammée.
Un peu comme lui l'avait été jadis, mais au sens le plus propre du terme, malheureusement pour lui.

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Il l'écouta en acquiesçant, engrangeant les informations en silence. Quelqu'un de casanier. Contrairement à lui, qui tentait par tous les moyens possibles d'échapper au regard des autres, et se retrouvait, chaque jour un peu plus, à aller vadrouiller dans la Savane jusqu'à ce que ses pattes ne puissent plus le porter.

— Tu voudrais le rencontrer ?

Sa langue passa lentement sous ses crocs, sur ses babines, tandis qu'il réfléchissait. De prime abord, l'animal social en lui avait envie de répondre bien sûr, oui, avec plaisir. Il faillit même répondre immédiatement par l'affirmative, rendu désormais peu méfiant par la sympathie de la lionne. Mais voilà que revenait le reste. Les idées noires. Les rires. Son foutu visage marqué à jamais par les braises. Et tout à coup la perspective de faire une nouvelle rencontre et d'élargir un peu plus son cercle de connaissances l'emballait beaucoup moins. Lui semblait presque insurmontable.
Une grande inspiration fit gonfler son poitrail. Il expira lentement par le nez.

— D'accord.

A peine ces paroles lâchées voilà qu'un frisson lui parcourait l'échine, remontant rapidement de l'extrémité tronquée de sa queue jusqu'à son crâne. Eh bien voilà. Plus possible de reculer, supposait-il.
Son angoisse grandissante se dissipa lorsque Machli attira son attention sur un énorme mâle gris, qui attendait non loin d'eux. Il déglutit avec une certaine difficulté, son oeil unique sondant le vieux lion avec une certaine curiosité. Il était absolument gigantesque. Paré d'une abondante crinière brune au milieu de laquelle se baladaient quelques feuilles. Il lui aurait probablement suffi de quelques instants pour le réduire en pièces, en dépit de son âge avancé.
Il arrivait à Salim de se demander à quoi il pourrait bien ressembler, plus tard. Ou plutôt, à quoi il aurait bien pu ressembler, sans toute cette histoire d'incendie. Aurait-il pu devenir un grand lion qui imposait le respect de par sa seule présence, comme le père de Machli ? Aurait-il été un individu apprécié ? Populaire ? Courtisé, même ?
Ca allait être bien difficile, maintenant.

— Pourquoi les feuilles ? demanda-t-il distraitement.

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[ Six mois plus tard... fini ? ]

Un la suivit avec une certaine appréhension tandis qu'ils se rapprochaient tous deux inexorablement du grand mâle à la crinière plus que bien garnie — et pas que de poils, pour le coup. Son regard se perdit à nouveau dans les épaisses mèches aux prises avec des résidus de la végétation environnante qui tapissaient le cou du lion. Ca se tenait.
Lui-même, en prenant de l'âge, commençait à voir son cou se parer d'épis noirs à l'épaisseur plus que remarquable, que rien ne semblait pouvoir dompter. Lorsqu'il se rendait à l'étang, parfois, il se prenait à contempler son reflet dans l'eau qui stagnait à ses pattes : ces fois-là, ce n'étaient pas les cicatrices qui dévoraient son visage qui captaient son attention, mais ces épis sombres qui naissaient là où commençait son encolure, et ceux, bien moins visibles pour lui, qui pointaient le bout de leur nez le long de sa nuque. Il se demandait à quoi pourrait ressembler sa crinière.
Des souvenirs qu'il gardait de son père biologique — quelques flashes désormais épars et perdus dans une mer de feu rouge criard –, ce dernier était doté d'une toison respectable. Et à en juger par les crins qui garnissaient ses coudes et ses sourcils, il semblait qu'il soit bien parti pour en hériter.
Cette pensée le confortait.
Sans doute parce qu'elle lui garantissait une certaine crédibilité, et lui permettait, en dépit des circonstances, de son handicap et de son allure pour le moment plutôt svelte, de s'affirmer en tant que mâle. Il était déjà bien embarqué dans l'adolescence : en dépit de son manque d'estime pour lui-même, c'était le genre de choses qui commençait à lui importer.
Egalement parce qu'il espérait qu'une épaisse crinière permettrait peut-être de masquer au mieux la chair brûlée qui le défigurait.
Il avait hâte d'être grand. Peut-être qu'il accomplirait quelque chose. S'imaginer plus vieux lui donnait le sentiment diffus qu'il pourrait peut-être devenir quelqu'un, et non plus se contenter d'être une ombre qui rôdait à l'écart des autres, terrifiée par le regard qu'ils pourraient lui porter s'ils en venaient à croiser sa route.

Il observa l'échange qui se tenait entre le père et sa fille, non sans une certaine amertume. La scène qui se déroulait sous ses yeux aurait pu être la sienne, sans cet incendie qui avait ruiné sa vie.
Oh, certes, il avait ici une famille aimante... mais ce n'était pas pareil. Ca ne le serait jamais, tout à fait. Il y aurait toujours le doute.
En attendant il était là, spectateur silencieux et involontaire d'une intimité à laquelle il était totalement étranger. Un peu gêné.

— Euh... bonjour, enchanté aussi, répondit-il, peu sûr de lui, lorsque le grand mâle le salua.

Puis il papillonna des yeux et se hâta de hocher la tête.

— Oui, vous avez raison, il faut que je rentre.

Il baissa les yeux vers Machli, qui s'était tournée vers lui, et un fin sourire étira ses babines lorsqu'elle lui proposa de le retrouver le lendemain, avec son frère. La perspective qu'elle ait envie de le revoir fit se tordre quelque chose en lui. La perspective qu'elle amène son frère, un autre mâle — les mâles pouvaient être plus cruels que les femelles, il l'avait vite appris –, fit se tordre autre chose, et c'était nettement moins agréable.
Mais il était temps d'outrepasser ses peurs. Il était temps de grandir.

— Ca marche ! fit-il, son sourire s'agrandissant un peu. Puis, après un vague moment d'hésitation, il leva les yeux vers le père, puis les baissa de nouveau vers la fille, leur adressant à tous deux un petit hochement de tête en guise de salutation. A demain alors, bonne nuit.

Et sans un mot de plus, il fit demi-tour, avant de diriger d'un pas rapide vers l'entrée du rocher, où il espérait retrouver sa mère, ainsi que le reste de sa famille adoptive.

S A L I M
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