Depuis son intégration au clan Chafayas, Wanda avait eu la chance de mener une vie tranquille. Même si certains outlanders, gardaient encore un mauvais souvenir des erreurs commises par Awena, Wanda avait réussi, à mettre ces quelques soucis de côté, pour apprendre à mieux connaître chaque membre de sa famille du côté paternel. La jeune brune dorée, connaissait Kenan et Malika uniquement de nom. Le simple fait de se retrouver et vivre au même endroit, permit à l'ex princesse de se faire une meilleure idée des personnalités de ses demi frères et sœurs.

Il s'agissait tout simplement, de lions sympathiques avec lesquels, la fille d'Awena avait toujours pris plaisir à échanger, en compagnie de son père dont les vieux jours, pesaient de plus en plus sur sa santé. Wanda, avait toujours pris soin de lui, en tachant de s'assurer que rien ne lui manquait. Qu'il s'agisse de l'eau, de la nourriture ou tout simplement, de la compagnie dont il avait besoin en tant que père, désireux de profiter de ses enfants.

Néanmoins, au fil des jours et des semaines, l'apprentie chasseuse compris que son père était susceptible de quitter le monde des vivants à tout moment. Cependant, cette dernière fit tout ce qui était en son pouvoir, pour retarder ce moment. Elle ne voulait pas le voir partir. Elle avait encore pleins de choses à vivre et partager avec lui. Pourtant, ce que toute la famille et aussi, le clan dans son intégralité craignait, arriva.

Masika, avait fini par rejoindre ses ancêtres après quinze années de vie. Ce dernier était partit en laissant dernière lui des fils, des filles et aussi, des petits enfants. Les funérailles du vieux freelander, eurent lieux en fin d'après midi en présence de tout le monde. Un moment insupportable que l'ex princesse ne voulait pas vivre. Sa tristesse était tel, que le réconfort apporté par Tendaji, visiblement plus courageux, ne fit rien.

Dévastée, Wanda chercha à s'éloigner du clan pendant quelques instants. Pour elle, c'était uniquement dans le calme et le silence, loin de tout, qu'il était possible de retrouver son calme et ainsi, repartir sur de bonnes bases, pour une vie sans son géniteur.

Seule, plongée dans cette brume des montagnes humides, la féline à mèche pleura, en repensant à tout ces moments passés en famille. Masika, faisait partie de ceux qui, tout naturellement, lui faisait oublier tout les problèmes liés à son passé sur Prideland.

Kwilu ne trouvait pas le sommeil. Non pas que les léopards dormaient énormément, mais pour une raison qui lui était inconnue, ses yeux refusaient de se fermer. Il n'y avait pourtant pas de besoin de rester éveillé; l'entièreté de sa famille gardait les yeux clos. Lui seul demeurait vigilant, comme si quelque chose le retenait au royaume des Lions.

Ses pensées se portèrent soudain vers Wanda, la belle lionne aux couleurs du soleil; son apprentie. Il n'était pas au courant de la mort de Masika -et ne connaissait pas son existence- mais il se demandait pourquoi la lionne dorée parlait si peu de sa famille. Avait-elle un lourd secret, comme lui vis-à-vis de Nkoiland ? Il se le demandait; même s'il n'y avait aucune raison à cela. Etait-ce de la curiosité malsaine ? Pas vraiment. Il voulait juste... La connaître davantage. Pourquoi ? Il ne savait pas, sa tête carburait si fort qu'il en avait mal. Il frissonna avant de mettre ses pattes sur son visage. C'était pitoyable, à son âge, penser à une femelle si tard dans la nuit... Une lionne en plus !

Il ne fallait pas si fier, Kwilu n'avait pas d'intérêt amoureux envers la lionne; elle était trop jeune. E-Et c'était une lionne enfin ! C'était absurde. En plus, il était son professeur, c'était malsain. Il lui suffit pourtant d'un bond pour quitter son nid et rejoindre le territoire des Lions, cherchant du regard la lionne. La cherchait-il ? Pas du tout, bien au contraire. En vérité, il cherchait son parfum, sa présence fictive, une compagnie... Il se sentait seul, sûrement, peut-être. Cette relation mensongère entre Moyindo et Kwilu le rendait malade. En vérité, il mentait constamment. La seule avec qui il pouvait être lui-même, c'était elle. Une lionne. Son ennemie naturelle. Et pourtant, malgré tout cela, elle comptait énormément pour l'animal, plus qu'elle ne le devrait.

Il n'était pas sûr de si Wanda était réellement là ou s'il s'agissait d'un mirage, mais il s'avança près d'elle, les yeux plissés :

- Wanda ?

Perdue dans ses souvenirs, Wanda ne savait pas quoi faire. Revenir en arrière, était impossible et pourtant, la jeune brune dorée, ne pouvait s'empêcher de penser, qu'elle aurait préférée tout reprendre à zéro. À zéro depuis sa naissance, sans cette sombre histoire de destitution et aussi, cet incendie venu de nulle part. Un incendie dont sa mère, avait été victime.

Son intégration au sein du clan Chafayas, avait été selon elle, le meilleur moyen de mettre un trait sur son passé, en mettant de côté les circonstances tragiques de la disparition de sa génitrice. Néanmoins, l'histoire montrait au final, que ce passé, la poursuivait toujours. Les plus rancuniers chez les waasiens, dont Sagira faisait bien évidement partie, lui rappelaient son ascendance. Ils lui rappelaient, qu'elle n'était rien de plus que la fille d'une traîtresse. Un parasite, qui n'avait pas sa place parmi eux.

Avec la disparition de Masika, Wanda venait de perdre un soutient. Elle venait de perdre un être, qui ne se contentait pas simplement de la définir comme la progéniture d'une traîtresse. Il s'agissait de la fille d'Awena mais aussi, de sa propre fille. Son petit soleil à lui.

Soudain, sans que l'apprentie chasseuse puisse s'y attendre, une voix bien connue se fit entendre. Surprise, la jeune lionne à mèche renifla, avant de faire face au propriétaire de la voix en question.

-Kwilu...

En temps normal, Wanda aurait tout fait pour garder d'elle, l'image d'une lionne forte, assidue dans ses entraînements et aussi, déterminée à aller au bout des choses en gardant la tête haute, malgré la difficulté. Néanmoins, dans sa tristesse, cette dernière ne trouvait pas la force d'agir dans ce sens. Peut être que c'était mieux ainsi. Montrer une part de faiblesse à Kwilu, n'avait a priori, rien de particulièrement dégradant en soit.

Elle était là; devant lui. Kwilu ne comprenait pas comment ils avaient pu se retrouver ici, au même moment. Pourquoi son crâne lui avait dicté de se montrer à cet instant. Quand la lionne se tourna vers lui, Kwilu vit soudain une nouvelle facette de son élève. Elle lui avait toujours semblé joyeuse et pleine de vie. Ce soir, elle n'était que fragilité; chose qui l'inquiétait peut-être plus que cela ne devrait.

Kwilu n'avait pas souvent été confronté à la tristesse d'autrui. Les léopards ne se confiaient pas souvent sur leurs états-d'âme. Ils les gardaient souvent pour eux, comme un trésor empoisonné qui les contraignaient au silence. Mais dans la voix de Wanda, il lisait énormément de détresse; comme si elle attendait quelque chose de lui. Sans doute cherchait-elle un soutien pour une raison en particulier. Kwilu s'attendait donc à une plainte, un cri du coeur, mais seul son nom vint. Son nom qui disait tout en ne disant rien. Il s'avança :


- Je... Je ne sais pas ce qu'il se passe. Mais si tu veux parler, je suis là.

C'était sûrement extrêmement maladroit, néanmoins, Kwilu ne savait comment réconforter quelqu'un. Proposer un soutien était la seule chose qu'il pouvait donc faire, car même si cette phrase était bancale, l'intention, l'envie d'aider, étaient bien présentes. Il garda une légère distance entre lui et la lionne afin de ne pas la brusquer. Si elle désirait un contact plus profond, elle n'aurait qu'à le faire savoir. Mais il se voyait mal imposer davantage sa présence à la femelle qui semblait souffrir profondément.

Cela étant dit, il se contenta d'attendre la réponse de son élève, les yeux rivés sur elle.

En dehors de sa propre famille, côté paternel et maternel confondu, personne ne pouvait prétendre avoir vu Wanda dans un moment de faiblesse comme celui-là. Un moment, que la jeune brune dorée, aurait préférée éviter. Pourtant, le mal était fait et par conséquent, il était impossible pour elle de se défiler face au jeune tacheté qui, dans sa grande bonté, fit comprendre qu'il était prêt à aider en cas de besoin.

Lentement mais sûrement, la fille d'Awena réduisit la distance qui la séparait de son professeur, avant de le serrer contre elle en disant :

-Kwilu...Je...Je viens de perdre mon père. Je ne sais pas quoi faire...Je viens de perdre un être cher...unique...Bien différent de...de certains de mes camarades de clans...Qui me considèrent comme un...un...

Soudain, surprise par son propre geste, la féline brune dorée recula de quelques centimètres, avant de baisser la tête, honteuse.

-Excuse-moi...Je...Je ne sais pas ce qui m'a pris...Mais dis-moi...Que fais-tu ici à cette heure ?

Les yeux humides, Wanda fixa son interlocuteur, curieuse de connaître la raison de sa présence sur le territoire des Chafayas. Son être intérieur, avait crié à l'aide. Crié, pour que quelqu'un vienne la soutenir dans cette épreuve difficile, occasionnée par la disparition soudaine de son géniteur. Pour les plus superstitieux, Kwilu, avait simplement répondu à cet appel. Mais pour la lionne à mèche, cette apparition soudaine, n'était rien de plus qu'une sacré coïncidence. Du moins, c'était ce qu'elle voulait croire.

Kwilu avait écouté Wanda, calmement, sans la juger, tout du moins, en apparence. En réalité, lorsque la lionne s'était blottie contre lui, il avait presque faillit se reculer tant il était surpris de ce geste. Il ne s'y était pas attendu, vraiment pas. Par miracle, il n'avait pas broncher, il avait juste hérissé les poils de sa nuque l'espace d'un court instant. Mais cachée dans le cou du mâle, la lionne n'avait sans doute rien remarqué.

Puis, elle lui annonça qu'elle avait perdu son père, un pilier essentiel dans la vie des jeunes lions, puisqu'ils faisaient partis des rares animaux à élever leurs enfants en duo. Bien entendu, à Nkoiland, les léopards élevaient également leurs petits de cette manière, mais c'était leur patriotisme inhérent qui les avaient fait agir de la sorte. Kwilu, qui avait vécu sous le joug de ses deux parents et les avaient quitté à cause des conflits qu'il rencontrait avec son frère, n'avait pas eut la chance de nouer un lien fort avec son père.

Pour autant, cette annonce eut le don de mettre Kwilu mal à l'aise, il compatissait sérieusement, mais ne savait plus quoi dire. Devait-il vraiment parler, de toute manière ? Tout ce dont la lionne avait besoin à cet instant était un confident, pas un professeur qui lui dicterait comment faire son deuil.

Ce n'est que quand la lionne s'excusa que Kwilu sembla revenir à son état primaire, regardant Wanda avec une émotion qu'il ne prit même pas la peine de cacher :

- Tu ne dois pas t'excuser parce que tu as des émotions, Wanda. Par ailleurs... Tu ne m'as pas dérangé. Je... Ne sais juste pas quoi dire, c'est tout. En temps que léopards, j'ai quitté ma famille très jeune, je n'ai tisser de lien qu'avec ma mère et...

Et mon frère. pensa-t-il en gardant un instant le silence.

- Peu importe, je ne sais pas ce que ça fait de subir la mort d'un père. Mais je connais la douleur de la perte... Je sais aussi que dans ces moments-là, j'aurais peut-être voulu ne pas les affronter seuls...

Il se tut un instant, cherchant la force de finir sous discours; puis plongea son regard pêche dans les mirettes azur de la femelle :

- Et je ne te laisserai pas les affronter seule...

Visiblement déboussolé par la situation de son élève, Kwilu expliqua à cette dernière, qu'elle n'avait aucune raison de s'excuser. Chacun avaient ses émotions, ses faiblesses. Toutes créatures, toutes espèces confondues, éprouvaient par moment le besoin d'être réconforter par des mots mais aussi, par de simples petits contacts physiques, sans arrières pensées.

Le jeune félin aux regard pêche, révéla qu'il avait quitté sa famille très jeune. Par conséquent, ce dernier avait grandit, dans un contexte bien différent de celui de la brune dorée. Même si au final, ce dernier n'avait pas vu son propre géniteur mourir sous ses yeux, il pouvait néanmoins compatir à la douleur de son élève. Le sentiment éprouvé lors d'une perte, ne lui était pas inconnu.

Pour lui, l'épreuve occasionnée par la perte d'un être cher, devait être surmontée avec des créatures êtres proches, dignes de confiance.

Sans un mot, Wanda s'essuya les yeux, avant de réduire la distance qui la séparait de son professeur de nouveau. Et cette fois, la femelle ne comptait pas le lâcher. Du moins pour le moment. En plus d'être beau à regarder, le pelage du léopard était doux. Quant à la corpulence, la différence de taille était tel, que Wanda avait parfois la sensation de serrer un jeune préadolescent contre elle.

-Si ça ne te dérange pas...J'aimerais...Rester comme ça un moment...Au fait...Maintenant que j'y pense...Tu ne m'a pas beaucoup parlé de toi...Je me souviens que...Tu me disais que tu avais un frère. C'est bien ça ?

Wanda et Kwilu, avaient d'ores et déjà eu l'occasion d'échanger très brièvement sur leurs familles respectives, sans aller très loin.

La lionne semblait rassurée par les phrases prononcées par Kwilu. En vérité, le mâle avait juste cherché à la réconforter, à sécher ces larmes qui venaient obstruer les yeux tristes de sa presque amie. Il est vrai qu'en y réfléchissant, il était vraiment drôle de se dire qu'un être aussi petit que Kwilu pouvait consoler le coeur gros d'un animal aussi imposant qu'une lionne, qui faisait deux fois sa taille. Lorsqu'elle vint à l'étreindre à nouveau et qu'elle lui demanda de rester, il sourit. Tu n'as pas à me demander... pensait-il malgré lui.


Pourtant, dans la réalité des faits, il était normal qu'elle lui demande, quand on savait que Kwilu était le professeur de la lionne. Mais si on prenait en compte l'intensité de la relation qu'ils avaient noués sans même le réaliser, on pouvait comprendre Kwilu qui profitait pour la première fois de l'étreinte de quelqu'un d'autre qu'une membre de sa famille.

- Bien sûr que tu peux rester...


Il ferma les yeux un instant et se laissa bercer par le bruit du vent qui venait encercler les deux félins. Puis, la lionne vint à lui parler d'un sujet qu'il avait tenté d'enterrer depuis longtemps maintenant. Minato, son frère. Il ne répondit pas tout de suite, cherchant une réponse correcte avant de dire :


- J'ai eu un frère, mais crois-moi, il n'est pas le genre d'animal que tu aimerais connaître. Nous.... Nous n'avons pas les mêmes valeurs; tout du moins plus maintenant.


La manière dont la phrase avait été tournée indiquait que le frère de Kwilu avait "mal" tourné, ainsi, il ne serait peut-être pas obligée de parler de la haine inhérente aux léopards envers les félins à crinière. Pour autant, aux yeux de sa famille... C'était lui, celui qui avait mal tourné. Lui qui fraternisait avec des raclures et qui actuellement en caressait une comme s'il avait s'agit d'une de ses semblables.

Quand on y réfléchissait bien, Kwilu avait renoncé aux siens, pour le meilleur... Comme pour le pire. Il soupira avant de resserrer davantage l'étreinte qu'il partageait avec la belle dorée :

- Non, vraiment, mon frère n'est pas un félin que je souhaiterai revoir à présent. Lui non plus, ne souhaiterait pas me revoir.

Lorsque Kwilu lui fit comprendre qu'elle était libre de se serrer contre lui, la fille d'Awena, laissa échapper un long soupir de soulagement, avant d'écouter la suite des propos de ce dernier avec attention.

Le beau félin au regard pêche, confirma qu'il avait un frère. Néanmoins, les deux léopards étaient, de toute évidence, dans une opposition assez forte. Kwilu alla même jusqu'à dire, que le revoir ne faisait pas partie de ses plans. Une révélation, qui en disait long sur le caractère tendu du contexte familial dans lequel il avait évolué. Kwilu était fort et courageux...Quitter le cocon familial si jeune, à cause des conflits. Malgré les conflits, certains auraient préférés faire taire leur souffrance, au lieu de faire ce pas en avant vers l'inconnu.

-Je vois...Moi aussi j'ai un frère...Nos relations ont toujours été très bonnes. Lionceau, c'était un petit mâle plein d'énergie et aussi, fier ce qu'il était...Un peu trop peut être...Mais depuis la perte de son titre de prince héritier de Prideland, je l'ai vu évoluer dans un sens qui, au final, n'était pas négatif. Aujourd'hui, il s'agit d'un lion courageux, animé par une certaine vision de la justice, qui lui est propre...

Lorsque le petit félin tacheté resserra l'étreinte d'avantage, la jeune brune dorée, sentie son cœur battre de plus en plus vite. C'était agréable...Cette dernière se retrouvait avec son mentor, loin de tout, sans se préoccuper des problèmes de clans.

-Mais...Tu ne te sent pas un peu seul par moment ? Même si vous n'avez pas forcément les mêmes valeurs...Il s'agit quand même de ton frère...

Incapable de mesurer la véritable nature des relations entretenues entre les deux frères, Wanda s'était contenté de poser la question naïvement, en laissant la liberté à son interlocuteur de répondre ou non.

Kwilu écouta avec attention la lionne Freelander, avant qu'un détail ne lui ébouriffe le poil... Prince Héritier de Prideland ? Ce qui voulait dire... Que son interlocutrice était une ancienne princesse ? Bon sang, qu'est-ce que Kwilu manquait de connaissances... Il bégaya :

- T-Tu es l'ancienne princesse de Prideland ? Comment ai-je pu ne pas te croiser ?

Il battit des cils un instant, perplexe, non pas qu'il était étonné qu'elle ne lui en ai pas parlé. Mais disons qu'il se demandait comment elle avait pu garder le secret par rapport à sa situation pendant tout ce temps. Par politesse, il répondit à sa question vis-à-vis de son frère :

- Les léopards et les lions n'ont pas tous la même vision du cocon familial. Pour nous, tous les léopards sont de notre famille. Nous n'avons pas vraiment besoin de nous encombrer de liens qui risqueraient de nous mettre en péril. On peut aimer quelqu'un sans pour autant... Le fréquenter... Ou s'inquiéter de son sort... Pour autant...

Il se tut un instant, ne sachant comment tourner sa phrase. Etait-il réellement obligé de dire ce qu'il s'apprêtait à avancer ?

- Pour autant, oui, parfois je me sens seul. Car si les liens familiaux sont parfois encombrants quand ils s'étalent... Ils sont importants... Sans famille on se perd parfois. Je me demande souvent ce qu'il se serait passé si Nkoiland...


Il garda le silence à nouveau et frissonna, tiraillé entre l'envie de se confier et son devoir qui lui hurlait de se taire. Il opta pour une solution plus neutre :

- Je me demande ce qu'il serait passé si les choses étaient différentes. Mais le monde est comme il est, et si je suis seul d'habitude, ce n'est pas tout le temps le cas. Pas quand tu es là.

En effet, avec la lionne, il avait trouvé une certaine sérénité qui autrefois lui était interdite. Mentir à Moyindo était horrible, mais cela en valait la peine quand il la voyait elle. Elle l'acceptait comme il était, le considérait même s'il était plus petit qu'elle. Le respectait même s'il n'était pas comme elle. Le traitait comme son égal, alors que parfois, certains pensaient le contraire.

Peu de temps après avoir fait brièvement mention du statut de son frère, Wanda se rendit compte, qu'elle ne s'était jamais présentée comme une membre de la famille royale de Prideland. Le fait de vivre sur Freeland, loin du territoire d'origine de sa famille, lui avait fait oublier ce genre de détail. De plus, le fait d'être d'ascendance noble ou non, ne changeait rien à la nature de la relation entretenue avec le petit tacheté.

Après avoir exprimé sa surprise sur l'identité de son élève, Kwilu revint brièvement sur la question de cette dernière, en rappelant à juste titre, que les léopards et les lions, n'avaient pas la même vision de la famille.

De tout ce que son mentor révéla, Wanda s'était focalisée sur le mot "Nkoiland". La jeune brune dorée, n'avait jamais entendue parlé d'une région semblable. La question qui se posait maintenant, était tout simplement de savoir, d'où le félin au regard pêche venait.

-Je suis la fille de l'ancienne reine Awena...Après l'incendie sur Prideland, j'ai décidé de vivre ici, auprès des membres de ma famille paternelle...Afin de mettre un trait sur mon passé de pridelander...

Sans un mot, Wanda leva les yeux au ciel, avant de poser son regard sur le pelage de son interlocuteur en disant :

-Mais dis-moi Kwilu...D'où viens-tu ? Nkoiland...Est-ce qu'il s'agirait de...de ta terre natale ?

Wanda, voulait en savoir toujours plus sur son mentor. Sur ce léopard qui, sans arrières pensées, avait accepté de l'entraîner pour faire d'elle, la chasseuse la plus furtive du clan Chafayas. La jeune brune dorée, était reconnaissante d'avoir croisé la route de Kwilu.

Kwilu avait écouté les informations qui s'offraient à lui avec une certaine incompréhension. La fille de l'ancienne reine Awena ? Il était arrivé pendant son règne, néanmoins il n'était pas spécialement au courant de tout l'arbre généalogique Pridelander. Et c'était normal en soit, vu qu'il avait évité de parler avec le plus de lions possibles. Il ne connaissait même pas la règle établie avec Mapinduzi à l'époque concernant les petits herbivores, c'est pour dire !

Néanmoins, la lionne ne s'arrêta pas là, allant même jusqu'à parler de Nkoiland, un mot qui était sorti de la bouche du léopard par erreur... Il avait réussi mentir à tout le monde... Mais pas à son amie... Peut-être justement à cause de ce statut particulier. Toujours était-il que Kwilu se retrouvait dans un pétrin sans nom à cause de cet égarement. Il ne pouvait pas baratiner ce coup là, non. Il ne pouvait que se confier, ou fuir... Mais elle avait besoin de cette marque de confiance pour aller mieux.

- Tu dois me promettre que tu ne diras rien à personne...

Il avait soufflé ces mots avec une certaine dureté, tant il avait peur, ses émotions se battaient en duel. Moyindo avait gardé le secret depuis le début, Moyindo avait toujours été un modèle pour lui. Et aujourd'hui, il avait échoué. Et comble de l'ironie, il avait l'impression que l'aveux qu'il s'apprêtait à faire soulageait sa conscience.

- Nkoiland est ma Terre de naissance. Elle est gouvernée par des léopards très spéciaux et... Les lions y sont haïs au plus haut point. Aujourd'hui, elle est à feu et à sang à cause d'une guerre contre tes semblables. J'ai dû fuir... Avec ma famille. Mais... J'ai dû les laisser... Car nous... Ne pensions plus de la même manière.

Wanda avait parfaitement conscience du fait que sa question, était sensible sur certains aspects. Néanmoins, pour des raisons qu'elle ne saurait expliquer, la jeune brune dorée éprouvait le besoin d'aller plus loin avec son mentor. C'était une façon pour elle, d'instaurer une confiance inébranlable avec ce dernier.

Calmement et fermement, Kwilu demanda à son élève, de garder l'information secrète. Une chose pour laquelle, la féline à mèche ne voyait aucun inconvénient. La confiance, était valable dans un sens, mais aussi dans l'autre. Par conséquent, l'apprentie chasseuse devait prouver, qu'elle était aussi digne de confiance que son maître.

-Je ne dirai rien. C'est promis.

Désireuse d'en savoir d'avantage sur les origines de son mentor, Wanda porta toute son attention sur les paroles de ce dernier. Dans un tout premier temps, le félin au regard pêche, révéla que "Nkoiland", était bien sa terre natale. Il s'agissait d'un territoire, gouvernée par des léopards qui, au même titre qu'un bon nombre de léopards sur la terre des lions, haïssaient les grands félins à crinière. Malheureusement, ce territoire était à feu et à sang, à cause d'une guerre contre des lions. Kwilu et sa famille, s'étaient installé dans un coin de la terre des lions, après avoir fuit la guerre. C'était affreux.

-Pardonne-moi...J'ai été trop curieuse. Je n'aurai jamais dû te poser cette question. Être contraint de quitter sa terre natale dans de telles circonstances...C'est terrible...

Tout en ronronnant, la fille d'Awena caressa la tête du petit tacheté avec douceur, avant de poursuivre en disant :

-Je sais que les léopards ont toujours eu la réputation de mener leurs vies seuls. Néanmoins...Si tu te sent seul ou...Si...Si tu passe par une épreuve difficile comme la mienne en ce moment même...Sache que...Je...Je serais là pour toi aussi...

Kwilu, avait eu la gentillesse de proposer son aide. Pour Wanda, cette aide, devait intervenir dans les deux sens. Cette logique de réciprocité, était plus qu'élémentaire.

Kwilu soupira, peut-être de honte, sûrement de soulagement. La lionne allait garder ces informations confidentielles et c'était pour le mieux. Il n'aurait su comment réagir si elle avait refuser de taire son secret. De toute façon, vu la situation actuelle des Nkoilanders, cela n'aurait pas apporté grand chose à la jolie lionne de divulguer cette information à qui que ce soit.

Le mâle comprit aussitôt que la lionne regrettait sa question, or, il n'y avait pas de raison à cela, la curiosité faisait partie de chaque animal, il ne la blâmait pas. Il n'avait jamais blâmé personne.

- N-Non, tu as bien fait. Je crois que j'en avais marre de vivre dans le secret. De toutes manières, au bout de je-ne-sais-combien-d'années à vivre dans le silence, il fallait bien qu'ça sorte. Et puis, Nkoiland n'est plus ma maison. Je... Je trouve que ma vie est bien plus complète depuis que j'ai rejoint la Terre des Lions.


Sur l'instant, il regretta ses paroles. Pourtant, c'était étonnamment vrai. Il avait voyagé, rencontré de nouvelles têtes et surtout, apprit à surpasser la haine naturelle de ses congénères. Oui, il avait grandi et pas qu'un peu. Il frissonna en sentant les caresses de son amie, ce contact le rassurait quelque peu.

- Merci Wanda.

Tu es quelqu'un d'exceptionnel... pensait-il en son fort intérieur. Pour autant, il était trop pudique pour le dire à voix haute. Il se contenta d'émettre un petit grognement de contentement qui équivalait à un ronronnement. Pour autant, il devrait bientôt rentrer avant que Moyindo ne s'aperçoive qu'il manquait à l'appel... Mais il était si bien ici...

Calmement, Kwilu expliqua à la jeune lionne, qu'elle n'avait aucune raison de se reprocher le fait d'avoir posé une question sensible. Ce dernier, ne supportait pas le fait de vivre constamment dans le secret. La fin de ses nombreuses années de silence, était une certaine façon, un véritable soulagement pour lui.

Le jeune félin au regard pêche poursuivit dans ses propos, en avouant que sa vie sur la terre des lions, était beaucoup plus complète. Des révélations rassurantes qui, d'une certaine façon, rapprochaient le maître et son apprentie. Tout deux, avaient fait le choix de mettre un trait sur leurs passés, pour des raisons diverses et variées. Malgré la différence de contexte, l'histoire montrait que les deux félins, avaient réussi à mener un envie meilleure, loin de leurs terres d'origine.

-C'est moi qui te remercie Kwilu...Merci, d'avoir accepter de faire de moi ton élève...Merci, de m'avoir accepté tel que j'étais, sans prendre en compte la différence d'espèce. Les relations entre les lions et les léopards, ne sont pas spécialement bonnes sur la terre des lions. Néanmoins...J'ai appris un tas de chose dans l'art de chasser...Grâce à toi. Et en cela...Je te suis pleinement reconnaissante.

Lentement, la fille d'Awena fit une léchouille sur la joue de son interlocuteur, avant de s'éloigner en disant :

-Je crois qu'il est temps pour nous de se séparer...Merci encore pour ton soutien Kwilu. Prendre le temps de discuter avec toi à nouveau, m'a fait du bien. Bonne nuit et...À très bientôt cher professeur !

L'esprit renouvelé, Wanda laissa apparaître un visage beaucoup plus lumineux. Grâce à son mentor, la jeune brune dorée, était revenue à la réalité, en acceptant la dureté de celle-ci. Tout comme elle avait su le faire pour sa mère, l'apprentie chasseuse, était maintenant capable de vivre dans un monde, sans son vieux père Masika.

Kwilu entendit les remerciements de la femelle, chose qui eut le don de l'apaiser davantage encore. Cette discussion, il s'en rappellerait certainement pendant de nombreuses années. Tout du moins, il l'espérait. Il avait fini par assimiler le fait que la vie était aussi changeante que la course du vent et que si elle le désirait, la belle lionne et lui finiraient par se perdre de vue. Mais cette nuit, il la chérissait déjà comme un présent inégalable.

- J'aurais été bien sot de laisser passer une élève pareille...

Le terme élève, d'ailleurs, n'était plus tant de rigueur qu'il ne le devrait, puisqu'il n'y avait aucune notion de supériorité entre les deux félins, juste une complicité à l'état brut. Peu de temps après hélas, la lionne vint à se défaire de son emprise et lui annonça que leur entrevue touchait à sa fin.

Il ravala sa déception, gardant un petit sourire et piquant un fard tandis que la lionne lui léchait la joue. Bientôt, elle lui tourna le dos, le laissant seul avec l'image de ses courbes qui s'évaporaient dans l'obscurité.

- Au revoir, Wanda.

Après avoir chuchoté ces paroles, il s'éloigna, prêt à retrouver sa famille au sein de la jungle, même si son coeur ne cessait de tambouriner dans son poitrail pour une raison qu'il ne comprenait pas. La fatigue, sans doute...