La bonne humeur était chez Namiri quelque chose d'aussi rare et invraisemblable qu'une giboulée de grêle en plein désert. Ses traits étaient si détendus qu'on raconte que les mouches, en la voyant ainsi, furent tuées de surprise.
C'était un petit matin rose, tout rose de gaieté, qui accueillait la lionne au repaire des lions. Le voyage s'était si bien déroulé que le temps lui avait paru presque court. Elle se promit que son prochain départ se ferait à la faveur de la nuit.

La raison de cet surprenante attitude ? Les nouvelles de Prideland étaient bonnes, très bonnes, excellentes, même, et il lui tardait d'en faire part au roi.
Ils avaient convenu d'un point de rendez-vous au repaire où ils se rencontreraient pour partager les nouvelles. Un endroit tranquille, en hauteur sur les rochers, où poussait un arbre revêche qui dominait la plaine.
Namiri, se sachant en avance, s'y posta pour attendre son roi.
Na pas tourner autour du pot. Ne pas donner son avis. Rester factuelle. Laisser le roi décider quoi faire de ces nouvelles. Et surtout, ne pas laisser déborder sa joie d'un seul sourire discourtois.
En songeant à toutes ses choses, Namiri se forçait à reprendre son air impénétrable habituel. Elle espérait au fond que ces informations signaient le départ d'une aube nouvelle.

Ce matin était celui où il devait venir prendre des nouvelles de Namiri et de son dernier voyages jusqu'aux frontières pour rencontrer les guerriers Pridelanders sur leur territoire. Le vieux roi s'était encore fait réveiller par sa fille qui semblait avoir du mal à rester endormie plus que quelques heures. Il bailla bruyamment avant de se lever et de se diriger vers la sortie de la crevasse où ils avaient élus domicile. Tout de suite, les pas de fille suivirent les siens. Il lui avait promis de l'emmener plus loin que d'habitude sur Freeland.

" Pas tout de suite ma chérie, je dois d'abord voir Namiri pour qu'elle me fasse son rapport. Je viendrai te chercher après. "

Moha se laissa tomber sur le sol avec une complainte digne d'un éléphant avant de commencer à rouler en soupirant d'ennuie. Quelle comédienne !

Azaan se dirigea vers les rochers en haut des quels ils s'étaient donnés rendez-vous avec la lionne à la gueule brûlée. Mais les grimper découragea un peu le vieux roi qui dû prendre son courage à deux pattes pour l’escalader. Finalement, ce n'était pas aussi difficile qu'il l'avait cru, mais il était anormalement essoufflé en arrivant en haut. Il n'était plus tout jeune.

" Bonjour Namiri, vous avez une mine radieuse ce matin. "

Dit-il avec un sourire rayonnant. Elle n'avait généralement pas cet air réjouit quand il la croisait. Il en conclu qu'elle avait très certainement de bonnes nouvelles à lui annoncer et il s'en réjouissait d'avance. Mais avant toute chose, il prit soin de s'asseoir et de reprendre son souffle. Quel vieux débris il faisait ...

Images (c) Hecate

La vieille adulte fit exactement ce qu'elle s'était promis de ne pas faire. Elle sourit à pleines dents. Mais elle devait avoir le droit, puisque le roi aussi lui souriait, non ?

« C'est que les nouvelles sont bonnes, majesté, dit-elle sobrement. Prideland guérit. Thamani, un des guerriers sur place, m'a rapporté que plus des trois quarts de la flore qui avait été détruite par les flammes ont repoussé et sont en bonnes formes. Presque tout ce qui était mort est tombé et a laissé place à un renouveau pour le moins spectaculaire : on assiste dans certaines zones du territoire à de véritables explosions de verdures que j'ai moi-même pu distinguer de loin. Maintenant, des oiseaux plus gros nichent dans les arbres. Les eaux qui avaient été viciées par les cendres sont à nouveau limpides et abritent une faune et une flore si décente que les hippopotames s'y sont réinstallés – il y aurait même quelques crocodiles qui s'y attarderaient occasionnellement. Par ailleurs, des troupeaux venant du nord progressent vers les plaines qui cernent le Rocher de la fierté. Leur avancée se fait très tranquillement, mais les guerriers pensent que d'ici quelques mois, ils finiront par s'y établir.

Namiri s'arrêta. Elle avait remarqué que l'escalade avait essoufflé le vieux roi, mais elle s'était abstenu de dire quoi que ce soit à ce sujet. Il savait de toute évidence bien mieux qu'elle qu'il était vieux et se fatiguait vite. Elle hésitait à lui proposer un autre point de rendez-vous, mais choisit de ne rien dire.

En effet, les nouvelles que Namiri lui apportait étaient excellentes. Le visage d'Azaan s'illuminait de plus en plus au fur et à mesure qu'elle parlait. Prideland semblait s'être soigné de ses plaies et prêt à les accueillir de nouveau. Il ne manquait plus que des troupeaux pour pouvoir nourrir les Pridelander. Mais comme si le tableau n'était pas assez beau, la femelle brûlée lui expliqua que certains timides troupeaux venant surement de la lande-des-sans-terres étaient entrain de tâter le terrain sur leurs terres. Il ne serait pas impossible qu'il s'y installent. Voilà qui était une excellente nouvelle ! Les troupeaux officiels du territoire n'avaient certes pas été retrouvés. Mais si de nouveaux commençaient à pointer le bout de leur museau, peut-être que les choses s'arrangeraient au moins un peu pour eux.

" Effectivement, ce que tu m'apporte là est presque inespéré ... J'espère que ces troupeaux s'installeront, ils apporteront au moins un peu d'équilibre à la terre. "

Prideland devait avoir une mine bien bizarre sans les troupeaux pour entretenir les sols. Mais si certains revenaient et qu'ils se reproduisaient, ils apporteraient un renouveau même si les gardiens ne parvenaient pas à retrouver ceux qui jadis avaient arpenté le territoire.

" Je ne voudrais pas crier victoire trop vite et les faire fuir si ils voient notre clan revenir. Mais au moins nos guerriers n'auront plus à craindre le manque de nourriture ou la difficulté à chasser. "

Il était souriant. La fin du tunnel commençait peut-être à apparaître finalement. D'un coup, il lui semblait que ces temps d'exile qui semblaient sans fin étaient tout à coup moins long. Un poids sur son coeur s'envola. Le roi pourrait revenir sur ses terres, il pourrait les montrer à sa fille, il pourrait mourir auprès de ses ancêtres.

Images (c) Hecate

« Je ne voudrais pas crier victoire trop vite et les faire fuir si ils voient notre clan revenir. Mais au moins nos guerriers n'auront plus à craindre le manque de nourriture ou la difficulté à chasser.

– Bien entendu. (La lionne se racla la gorge.) Si vous me permettez d'exposer mon avis...?

Comme il hochait la tête et plissait des yeux tranquillement en signe d'acquiescement, la lionne poursuivit humblement.

– Il me semble assez évident que le retour du clan sur le territoire devra se faire très progressivement, par groupes et sur une durée déterminée par l'évolution des troupeaux. Tout le monde ne pourra pas revenir sur Prideland le même jour, nous sommes bien trop nombreux. Qu'en pensez-vous, majesté ? »

La remarque lui semblait évidente, et si le roi l'approuvait, soulèverait des questions assez importantes : il faudrait réfléchir à la façon dont on répartirait les lions dans des groupes et choisir l'ordre dans lequel ces mêmes groupes partiraient. Quels sont ceux qui partiraient en priorité ? Et comment gérer la frustrations de ceux qui seraient autorisés à s'en aller en dernier ? Est-ce que le roi resterait à Freeland encore plusieurs mois ou est-ce qu'il serait parmi les premier à retourner au rocher de la fierté ?

A ses paroles, la lionne demanda si elle pouvait se permettre de donner son avis sur la question. Azaan hocha la tête en souriant, fermant les yeux au passage avant de la regarder à nouveau. Le roi n'avait jamais été contre les suggestions de son peuple. Mais en ses temps troublés et sans la présence d'un conseillé, il se disait qu'il avait encore bien plus besoin de ces avis précieux. Aaah... Ukarimu lui manquait, elle avait les bons à son égar. Kuzaidia aussi, mais il ne pouvait pas sans cesse la déranger, elle était bien assez occupée.

Il écouta donc attentivement la lionne brûlée. Celle-ci semblait faire preuve de sagesse, soulignant le fait que tout le clan ne pourrait pas revenir d'un coup mais que par petits groupes groupes, cela pourrait être envisageable.

" C'est ce que je ne disais aussi. Mais il faudrait déterminer qui sont ceux qui pourraient rentrer. Je suis mitigé à l'idée de séparer les forces du clan. "

Il regarda en direction de Prideland même si d'ici on ne pouvait pas la voir.

" Imaginons que les hyènes n'attaquent pas pour l'instant parce que nous sommes ici. Je ne peux me permettre de mettre le clan en danger. Et si nous venions à avoir des soucis ici avec les séparatistes ? Ils semblent calmes pour l'instant, mais un malheur pourrait survenir. "

Pendant un instant, le roi regarda ses pattes.

" Je devrai réfléchir à cela pour peser le pour et le contre. "

Ce qu'il voulait, s'était pouvoir permettre à son clan de rentrer le plus vite possible. Mais il ne pouvait pas le mettre en danger. Il faudrait donc équilibrer les forces. Mais ne serait-ce pas affaiblir le clan d'une autre manière? Pour l'instant ils étaient en sécurité car attaquer 2 clans en même temps serait du suicide. Mais attaquer un demi clan en revanche ... Il ne voulait pas envoyer son peuple à l'abattoir non plus. Et l'histoire avait prouvé que les hyènes ne se laissaient pas impressionner par la distance entre elles et les lions pour attaquer. Elles pourraient très bien recommencer à brûler la savane.

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Il était vrai que diviser le clan pouvait s'avérer dangereux, au vu du la situation conflictuelle de Freeland et des inconnues concernant les intentions des hyènes. Depuis l'incendie, Namiri avait appris à ne plus sous-estimer les rieuses comme elle le faisait avant, par orgueil. D'un autre côté, elle imaginait mal les hyènes user une nouvelle fois de la même stratégie pour défaire Prideland. Ce serait faire montre d'un cruel manque de créativité et d'imagination.

Le retour des Pridelanders sur leurs terres d'origine soulevait un grand nombre de questions et les hypothétiques problèmes et autres complications étaient tout aussi multiples. La question devait être étudiée avec une extrême minutie, et traitée au plus vite.

« Si le temps ne vous manque pas, je serais tentée de vous suggérer d'y réfléchir dès à présent. Que nous y réfléchissions tous. Ensemble. Vous et ceux que vous estimez les plus sages. Les gardiens, Kuzaida et Madame également, ainsi que nos alliés, sur lesquels nous sommes supposés pouvoir compter en cas de besoin. »

L'union entre les royalistes Pridelanders et Freelanders formerait un groupe peut-être assez solide pour pouvoir se défendre en cas d'attaque de la part des séparatistes. Peut-être devaient-ils se pencher du côté de la diplomatie et voir ce qu'ils pouvaient faire pour minimiser les risques. Au fond, Namiri se demandait si conclure une trêve avec les hyènes pouvait être une solution, mais si c'en était une, mais ce serait un coup de poignard pour la fierté et l'honneur des Pridelanders. Aussi, la lionne s'abstint de formuler cette idée qui l’écœurait.

La lionne brûlée conseilla à son roi de ne pas perdre de temps et surtout, de ne pas réfléchir seul. Si Azaan avait jusque là le regard un peu perdu dans le vide, se sentant submerger par cette foule de problème, il se sentit plus léger à l'écouter. Il n'était pas seul, en réalité. Son amie mandrill, la voie de la sagesse, serait d'une aide précieuse. Mais Kama aussi, qui en sa qualité de souverain, même de courte durée, pourrait lui suggérer ce qu'il ferait à sa place. Sazana, qui jusqu'ici c'était montré une reine exemplaire, remplie de courage et de bons conseils. Et bien sûr, Namiri. Elle avait beau ne pas faire partie de la cours ou même des proches de la famille, elle s'était montré bien plus utile que n'importe qui d'autre à par sa compagne ces derniers temps.

" Tu as raison, je vais convoquer un conseil demain à la première heure. En feras-tu partis ? "

Lui demanda-t-il, espérant qu'elle répondrait oui. Il avait confiance en elle et son franc parlé était utile au clan car elle apportait la voix du peuple. La voix de ceux qui ont l'impression de ne rien pouvoir dire ni faire. Ceux qui se sentent peut-être perdu depuis cette année bien longue et qui n'aspire qu'à rentrer.

" Jusqu'ici tu t'es montré de très bons conseils, ils me seraient encore bien utiles. "

Azaan avait un air sérieux, mais ça ne l'empêchait pas d'avoir un sourire bienveillant. Il pouvait être fier d'avoir dans son peuple quelqu'un comme elle. Elle avait bravé le feu, était presque morte et pourtant elle osait encore se tenir ici, devant lui. Prideland portait bien son nom, ses habitants étaient fiers et ne se laissaient pas démonter si facilement.

Images (c) Hecate

Ses yeux se mirent à briller et sa poitrine se gonfla de fierté et de reconnaissance. Elle en était à présent plus que certaine : elle avait gagné l'estime du roi. Namiri inclina respectueusement la tête.

« Ce serait un honneur pour moi, majesté. Je m'efforcerai d'être la plus pertinente possible. Demain à la première heure. »

Si elle avait espéré en secret faire partie du conseil, un brin de modestie lui avait fait songer qu'elle n'y participerait pas. Mais elle n'avait pas eu tort d'espérer, et elle était heureuse que son roi lui accorde sa confiance. C'était un vrai coup de plumeau passé sur ses valeurs. Quelque part, c'était une responsabilité pesante, car une mauvaise décision pouvait conduire à une catastrophe. D'un autre côté, si les idées de Namiri et la synthèse de celles des autres sages qui participeraient à ce conseil pouvaient permettre de reprendre Prideland en s'épargnant les complication, elle ne s'en sentirait que plus brave et méritante.
Certainement, il lui tardait d'être demain.