Si la caresse du soleil était toujours un cadeau pour les descendants de Kuzali et de son peuple, cette chaleur quasi maternelle ne suffisait pas aujourd’hui pour faire retrouver à Shomari son sourire et à l’instar de ses compagnons, l’apprenti Gardien avait le moral au plus bas. Les Nordiques se mouraient et ils ne pouvaient rien faire pour eux, le clan serait bientôt décimé et les légendes peut-être même de simple souvenirs. Ils avaient tout fait pour les aider mais même avec l’expérience de Kazi et Karanga, ils avaient été impuissant tant le mal s’était déjà implanté chez les lions blancs. Shomari se sentait d’autant plus investi qu’il avait promis un an plus tôt à Wetiko de sauver les siens … il ne pourrait malheureusement pas tenir sa promesse et son échec cuisant lui pesait lourd au cœur.

Malgré la réussite auprès des autres clans dont le retour des herbivores et des Pridelanders chez eux, cette maigre consolation n’était guère suffisante pour alléger leur peine. Fedha était particulièrement touché de la nouvelle et s’il s’efforçait de garder la tête froide, son apprenti ne pouvait que contempler l’absence de lueur dans son regard fatigué et peiné. Ce n’était pas une période de joie loin de là mais heureusement, l’installation de Kyu et de sa famille au baobab permettait de ramener un peu de légèreté et d’éclats de rire dont les Gardiens avaient bien besoin pour ne pas sombrer dans leurs songes moroses. Arrivé à hauteur du baobab, Shomari aperçu d’ailleurs la silhouette de la petite Kanisa et à son air boudeur, il devina bien vite que la petite s’était une fois de plus attiré les foudres parentales, les lionceaux avaient toujours ce même air quand ils se faisaient gronder. Cela le fit sourire, enfin, et il s’avança à la rencontre du lionceau.

« Eh bien Kani', pourquoi cet air si contrarié ? Je préfère de loin te voir sourire. »

Il s’assit près d’elle puis la couva d’un regard protecteur, investi aujourd’hui de la mission toute particulière de voir rire aux éclats sa protégée.

Face aux interrogations du jeune gardien, la langue de la petite lionne se délia peu à peu et celle-ci lui confia que son père l'avait puni pour s'être trop éloignée du baobab. Shomari s'efforca de retenir un sourire moqueur devant l'air accablé de la fille de Sahasi mais ce n'était pas chose facile.

« Toi, gambader loin d'ici ?! Mince alors, ça m'étonne vraiment. »

Il passa sa patte dorée autours des épaules de Kanisa qui venait se coller à lui et la borda un peu pour la consoler. Un enfant ne comprenait pas toujours les raisons pour lesquelles ses parents se montraient stricts mais ce n'était jamais que pour son bien.

« Ma mère aussi me disputait souvent quand j'avais ton âge, à l'entendre j'étais un vrai casse-cou alors que Djedkara lui ne se faisait presque jamais grondé... Je trouvais ça injuste moi aussi mais après, j'ai compris qu'elle s'inquiétait simplement pour moi tout comme c'est le cas de ton père. »

Et des parents voyageurs avaient d'autant plus de raison de s'inquiéter, personne d'autre ne viendrait protéger leurs petits en cas de danger et ils ne pouvaient compter que sur eux-mêmes. Bien sûr les Gardiens étaient dans les parages et veillaient sur les environs mais ce n'était pas pareil qu'un clan. Le disciple de Fedha ebourrifa gentiment le crâne de sa protégée avant de se coucher à sa hauteur, gardant leur proximité afin de créer une sorte de cocon où tous les secrets pouvaient être dévoilés.

« Alors dis moi, où tu comptais te rendre cette fois ? »

Peut-être pourrait-il assouvir son envie d'aventure à coût de récit passionnants ou peut-être cela aurait-il l'effet tout inverse mais il ne la lâcherait pas tant que Kani' n'aurait pas retrouver son sourire.

Kanisa ne semblait pas vraiment convaincue par sa tentative de justification mais il ne pouvait pas la blâmer, les lionceaux ne pensaient qu’à s’amuser et certaines motivations leur semblaient bien trop lointaines pour être comprises notamment celle du danger. Shomari, lui, avait du intégrer cette notion bien assez tôt en raison de sa filiation tant maternelle que paternelle qui avait fait de lui une cible pour certains revanchards mais Kanisa n’était pas sujette à de telles prétentions et bien que Kyu se montrait ferme avec elle, c’était pour de bonnes raisons et Shomari espérait que la petite conserverait son innocence aussi longtemps que possible.

La mine boudeuse de la petite lionne dorée sembla toutefois s’oublier lorsque celle-ci lui confia avoir tenter une expédition sur Outland. Rien d’étonnant, Kanisa était un lionceau bien curieux et il fut même surpris d’entendre qu’elle avait déjà croisé a route d’un jeune de son âge originaire de ces terres mais avant qu’elle ne les découvre de ses propres yeux, son père l’avait ramené au bercail. Shomari sourit brièvement. Kyu était un lion plutôt discret mais quand il était question de ses enfants, il avait les yeux partout et ne perdait pas de temps pour agir.

« Ta curiosité prend le pas sur ta raison. Je sais bien que tu as envie de voir du pays mais tu es encore jeune pour t’aventurer seule jusqu’à Outland. »»

Aller à la découverte d’un territoire inconnu et ce sans que personne n’en soit averti, pas étonnant que Kyu l’ait puni. Shomari aurait lui aussi été très inquiet d’apprendre que Kani’ avait disparu on ne sait où sans laisser de trace, toute sorte de chose pouvait arriver à un lionceau non expérimenté et c’était bien la peur qu’il lui arrive du mal qui avait fait réagir son père.

Cherchant une raison à tout cela et qui lui semblerait pour le moins cohérent, la petite lui demanda si les lions là-bas étaient méchants. Il prit le temps de réfléchir avant de lui répondre.

« Il n’y a pas si longtemps, les Outlanders avaient mauvaise réputation et on se méfait d’eux. Ce n’était pourtant que l’image d’un clan reflété par son dirigeant que beaucoup qualifiait de tyran. Il fut vaincu par un autre lion qui n’avait rien à lui envier, il était tout sanguinaire si ce n’est plus. Heureusement, un nouveau lion a pris la tête du clan, un lion sage et raisonnable. Je ne pense pas qu’on puisse dire d’eux qu’ils sont méchants, ils ont simplement eu un mode de vie qui les a endurci mais ces lions ne sont pas si différents de toi et moi. »»

Au final un lion restait un lion, c’était simplement leurs coutumes et modes de vie qui les différenciaient. Shomari demeura pensif plusieurs instants, songeant à son père qui avait en parti forgé cette réputation des lions de l’est. Il avait finalement accepté l’idée qu’il ne pourrait jamais croiser le regard de ce lion mais le portrait dressé du fils de l’orage par Shagan l’avait apaisé dans sa tête de rédemption. Il ne pensait pas son père foncièrement mauvais mais songeait à lui davantage comme à un lion indépendant qui avait forgé ses propres armes pour aboutir à ses fins.

« Je sais que tu es en colère contre ton père et ce que je vais te dire ne va pas plus te plaire mais si moi aussi je t’avais surpris à te faufiler là-bas, je t’en aurais empêché. »» Le danger pouvait arriver à tout moment et de toute part, il ne fallait jamais oublier qu’il existait. Se soucier des lionceaux n’avait jamais été de son ressort mais maintenant que Kanisa et son frère cohabitaient avec eux au baobab et qu’il avait noué des liens particuliers avec eux, Shomari aussi craignait qu’il ne leur arrive quelque chose et pour la première fois, il pensait comprendre ce qu’était la peur d’un père ou d’une mère. « Si tu tiens vraiment à aller sur Outland, je pourrais peut-être t’emmener avec moi la prochaine fois que je m’y rend mais seulement avec l’accord de tes parents. Je ne voudrais pas que ton père me punisse aussi. »»

Confiait-il en ponctuant ses mots d’un clin d’œil complice. Il n’avait pour l’heure pas de raison de s’y rendre mais qui sait, cela n’allait peut-être pas tarder et si la mission n’était solennité, il pourrait emmener la petite avec lui. Que risquait-elle en sa compagnie après tout ? Shomari ne permettrait jamais qu’il lui arrive quoi que se soit.

Shomari avait pris de lui exposer la politique d’Outland dans les termes les plus simplifiés mais sans grande surprise, la petite lionne en oublia tout son exposé lorsqu’elle l’entendit lui proposer une expédition sur le fameux territoire. L’apprenti Gardien leva les yeux au ciel mais il était tout de même ravi de voir enfin le visage de Kani’ s’illuminer. Il lui en fallait peu finalement … Cette annonce la mettant en joie, la petite curieuse bondit sur le dos du lion et grimpa jusqu’au sommet pour lui ébouriffer la crinière tout en affirmant qu’elle ne doutait pas de l’accord de son père qui, selon ses mots, aimait beaucoup l’apprenti Gardien.

« Aucune chance, aucune chance … Je n’en suis pas si sûr, je crois qu’on va devoir élaborer un sacré plan pour qu’il accepte de te laisser partir avec moi ! »

Peut-être que s’ils couplaient les yeux de merlans fris de Kanisa et l’éloquence du jeune lion ils y parviendraient, le père de la petite se doutait bien que Shomari ne se risquerait jamais à mettre Kanisa en danger mais tout de même, lui et Sahasi n’avaient jamais confié leur fille entre les pattes d’un autre individu. Le sang partagé n’accordait pas de fait la confiance.

« Tu devras promettre d’être sage ! Et de m’obéir aussi, je ne vais certainement pas passer mon temps à te courir après. » Confiait-il souriant en basculant la tête vers l’arrière pour pouvoir croiser les yeux dorées de la petite.

Mais à vrai dire il ne se faisait pas vraiment de soucis pour ça, Kanisa était intrépide mais pas stupide. Quelque chose le chiffonait toutefois et à l’instar d’un grand frère protecteur, il lui demanda d’un ton léger qui dissimulait son franc intérêt pour la question :

« Mais dis-moi, tu disais avoir croisé un lionceau d’Outland… C’était quand ça ? Tu ne l’as même pas raconté à ton tonton préféré. »

Son sourire se dissipa sous une moue boudeuse. D’ordinaire la petite lionne d’or lui racontait toutes ses aventures … pourquoi pas celle-là ? Souhaitait-elle se rendre sur Outland pour le retrouver ? Le temps pour Shomari d’être son seul compagnon d’aventure était peut-être déjà résolu et mine de rien, cela le chagrinait. Il faisait toujours mine de rien mais l’apprenti Gardien attendait avec impatience ce moment de la journée où, libéré de ses obligations, Kanisa venait le retrouver avec hâte.

Ce matin même ? La petite curieuse avait du parvenir à une percée suffisante sur le territoire pour faire la rencontre d'un Outlander ... Ou peut-être ce jeune lion avait lui aussi eu des envies d'aventures. Bien que sa curiosité ait été levée sur ce point, Shomari s'inquiétait maintenant pour ce dénommé Rezan. S'il avait croisé Kani' avant que son père ne vienne l'intercepter, sûrement errait-il seul sur la Lande à l'heure actuelle. Cela ne l'enchantait pas vraiment, la Lande n'était pas un territoire dangereux mais c'était tout autre chose pour un lionceau seul. Il se rassurait en pensant que le jeune Rezan avait lui aussi été rattrapé par ses parents ou qu'il était déjà rentré sur ses terres.

« Décidément c'est de coutume pour les lionceaux de braver les interdits et d'aller quérir l'aventure seul. » grommelait-il en levant les yeux au ciel. « On le croisera peut-être lors de notre périple sur Outland, si tant est que tes parents acceptent l'idée. »

Techniquement Outland n'était plus un problème pour les autres clans, d'autant plus avec Shagan à sa tête, mais il fallait toutefois demeurer prudent. Ce clan avait longtemps vécu en marge des autres et voir des étrangers débarqués sur leur territoire leur inspirerait sûrement de la méfiance. Kanisa ne renoncerait sûrement pas à son envie de voyage, surtout après avoir rencontré un possible compagnon de jeu alors il était plus prudent pour Shomari de l'y accompagner.

« J'irai parler à ton père à ce propos. Compte sur moi, je me ferai tout beau pour l'occasion ! »

Sourire taquin aux babines, il bascula sa gueule vers l'arrière pour attraper la petite lionne au cou et la faire tomber entre ses pattes. Là, c'était bien mieux quand il avait un œil sur elle.

« Y'a-t-il d'autres de tes aventures que je ne connais pas ? »