Le soleil n’était pas encore levé au moment où j’avais quitté le clan quelques heures plus tôt. Même si je me doutais que cela aurait fait plaisir à bon nombre de jangowas, je n’étais pas partie définitivement, non. Si j’avais quitté les miens, c’était uniquement dans le but d’aller chasser.

Il était bien plus supportable de faire cette activité avant que le soleil ne se lève plutôt que de subir la chaleur harassante de l’astre solaire et de risquer de rater notre proie. Certes je parvenais à réussir mes chasses en journée mais je préférais nettement profiter de la fraîcheur du petit matin. D’autant plus qu’à ce moment-là, certaines proies étaient encore dans leur terrier et il était facile de les débusquer lorsqu’elles en sortaient.

C’était d’ailleurs exactement ce qu’il s’était produit aujourd’hui. J’avais flairé une piste et je l’avais suivie jusqu’à un terrier de fennec. Ces animaux dormant généralement le jour, j’avais été étonnée de les voir pointer le bout de leur museau mais il ne m’en fallu pas plus pour que je passe à l’action. Et voilà que je me retrouvais avec deux fennec dans la gueule, en train de retourner vers le clan.

Ils n’étaient pas bien gros et de toute façon, peu de monde accepterait de manger quoi que ce soit que j’aurais chassé, mais ils seraient parfaits comme en-cas. Et je savais exactement avec qui j’allais partager ce « petit-déjeuner ». Je passais suffisamment de temps avec elle pour la reconnaître au premier coup d’oeil et c’est donc d’une démarche assurée que j’avançais vers ma meilleure amie.

Une fois à sa hauteur, je laissais les corps inertes des fennec tomber à nos pattes pendant que je m’asseyais.

Salut Ana’ commençais-je avec un regard amical. C’est pas grand-chose, mais si t’as faim, tu peux te servir.

Personnellement, j’avais un peu faim alors je n’attendais pas plus et je commençais à croquer dans la plus petite des deux proies, laissant volontiers l’autre à ma demi-tante. Puis, après avoir avalé quelques bouchée en silence, je n’y tenais plus et je me relevais donc, posant un regard empli de malice sur Anaya.

Alors, il paraît que tu sais comment on fait les lionceaux ? Dis-moi tout, j’veux savoir !

Mon ton était suppliant mais je n’étais pas du tout crédible car j’étais plus au bord du fou rire qu’autre chose. Qu’est-ce que j’aurais donné pour être présente au moment de cette fameuse discussion entre Anaya et Wassim dont j’avais entendu parlé. Elle avait dû être tellement gênée ! J’aurais donné n’importe quoi pour voir son visage à ce moment-là. Ça aurait été un très bon sujet de moqueries !

Celle qui se rapprochait plus d'une sœur à mes yeux que ma propre sœur de portée me complimenta lorsqu'elle aperçu mes "trophées" de chasse. C'était toujours appréciable mais il ne s'agissait pas de grand chose. Cela ne nous nourrirait pas suffisamment pour que nous tenions la journée mais je ne relevais pas et me contentait simplement de prendre le compliment avant de croquer dans ma proie.

Je laissais le silence nous entourer un moment tandis que nous dégustions ce repas frugal avant que je ne tienne plus. Il fallait que je la taquine à propos de ce que j'avais entendu d'une fameuse discussion qu'elle avait eu avec mon plus jeune cousin.

Cela me fit bien rire mais j'étais certaine que ce n'était rien face au fou rire que j'aurais eu si j'avais été présente à ce moment-là. La réaction d'Anaya était tout à fait prévisible et son ton bougonnant ne faisait qu'accentuer mon amusement.

Oh, j'aurais sans doute été aussi gênée que toi... Mais heureusement pour moi, c'est à toi que Wassim a posé cette fameuse question, je n'ai donc pas à subir cette gêne immense de devoir lui expliquer comment la chose fonctionne.

En y pensant bien, je ne sais absolument pas comment j'aurais pu expliquer cela à mon cousin et d'un coup, je me sentais bien moins l'envie de taquiner ma meilleure amie et je la plaignais un peu. Ca n'avait vraiment pas dû être une mince affaire. D'autant que Wassim était un jeune lionceau qui ne lâchait pas tant qu'il n'avait pas eu une explication suffisante. Oui, en y pensant bien, je plaignais Anaya d'avoir eu droit à cette discussion.

D'ailleurs, je me demandais comment un jeune de son âge avait pu pensé à une telle question mais avant que je ne me questionne plus, la plus jeune fille de l'Impératrice me fournit un élément de réponse.

Heureusement, je suis allé voir Mjalsr pour l'engueuler... C'est lui qui a mit cette idée dans la tête de Wassim...

Mjalsr... Décidément, ce lion était dans toutes les situations étranges et déplaisantes. Ce qui ne faisait qu'accentuer le fait que je ne l'aimais pas. Et mon visage étant un livre ouvert, mon émotion à son égard était on ne peut plus facile à deviner.

Je ne voulais pas entamer la journée en parlant de lui mais puisque tu l'évoques... Je n'aime pas la façon dont ce lion te regarde. Et je ne l'aime pas tout court. J'ai l'impression qu'il joue avec toi comme un jeune lion joue avec la proie qu'il vient juste d'attraper. Fais attention à toi, Anaya. Je ne veux pas qu'il te fasse du mal.

Je n'y étais pas allée par quatre chemin mais mieux valait qu'elle sache le fond de ma pensée plutôt que de lui faire comprendre par des moyens détournés. J'espérais qu'elle prendrait en compte mon avis et qu'elle se montrerait prudente avec lui. Elle était une partie importante de ma vie et je n'accepterait pas qu'elle soit blessée de quelque façon que ce soit par ce lion qui ne me disait rien qui vaille car elle ne faisait pas attention.

Ma sœur de cœur ne réagit pas immédiatement suite à ma dernière prise de parole. Son expression ne montrait rien de plus qu'un visage neutre et je me faisais la remarque que plus elle grandissait, plus elle ressemblait à Hatasa et tante Lahira car comme elles, Anaya maitrisait de mieux en mieux ses émotions et il était compliqué de deviner ce qu'elle pensait. J'en venais à me demander pourquoi moi je ne parvenais pas à faire cela et que j'étais un livre ouvert pour les autres quand la voix d'Anaya s'éleva à nouveau.

Ne t'inquiète pas Hazina. J'ai eu l'occasion de discuter avec Mjalsr et il s'est excusé de son comportement vis à vis de moi.

J'ouvris la bouche pour répliquer mais aucun son n'en sortit tant j'étais choquée par ce qu'elle venait de dire. Un Jangowa ? S'excuser ? Et Mjalsr plus qu'un autre ? Il y avait forcément quelque chose qui se tramait dans le cerveau perfide du Cobra et j'espérais que ma meilleure amie ne s'était pas laissée berner par ses paroles.

Tu sais, il n'est pas si horrible que ça en fin de compte, il est spécial je te l'accorde, mais lui au moins n'est pas aveuglé par cette traitresse d'Ellyn…

Mouais… Je n'étais absolument pas convaincue, bien au contraire. Anaya venait d'essayer de me rassurer mais cela n'avait fait que renforcer ce que je pensais du Cobra et je comptais bien le surveiller. Il pouvait bien faire ce qu'il voulait, je m'en fichais, mais qu'il laisse ma sœur de cœur tranquille et hors de ses manigances.

A qui le dis-tu... Je n'en peux plus de cette garce ! Elle se prend pour une véritable jangowa mais elle n'en a même pas une once ! Je la supporte tellement plus que j'ai envie de lui sauter à la gorge à chaque fois que je la voie !

J'avais bien compris que ma meilleure amie tentait de dévier la conversation et bien que je ne comptais pas laisser tomber pour Mjalsr, elle avait choisi un sujet qui me faisait sortir de mes gonds : ma sœur. Elle me dégoûtait tellement que j'en avais l'appétit coupé et je laissais ma carcasse retomber sur le sol. Ellyn n'était plus rien pour moi depuis que la vérité avait éclatée entre nous et que j'avais compris ce qu'elle était : la digne descendante de notre géniteur. Une autre Tare dans le Désert.

Alors que le sujet déviait sur la Tare qui me servait de sœur et qui n'en avait que le nom puisque j'avais coupé tout lien familial avec elle, j'entendis ma meilleure amie rire de ma réaction. Je ne m'en offusquait pas car il ne s'agissait en rien d'un rire moqueur. Il s'agissait plutôt d'un rire satisfait et j'en étais moi-même contente. Il était rare que nous ne partagions pas le même point de vue mais jusqu'à récemment, j'avais était aveuglée par l'amour fraternel que les jeunes peuvent éprouver pour leur fratrie. J'avais cependant ouvert les yeux et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'Anaya avait raison depuis le début et qu'elle devait certainement être ravie de mon changement de point de vue.

Je te comprends, heureusement que tu n'es pas comme elle ! Tu sais ce que j'ai appris ? Ellyn aurait laissé une proie malade à la vue de tous au niveau de l'Oasis. Elle essaye de contaminer le clan ! J'en ai parlé à maman, mais elle n'est pas certaine que ça ai été intentionnel... Elle m'a demandé de surveiller Ellyn. Tu as remarqué quelque chose de bizarre ces temps ci ?

Celle que je considérais comme ma sœur s'était penché vers moi pour me chuchoter tout cela. J'aurais pu rester bouche-bée devant une telle révélation mais un grondement sourd s'échappa de ma gorge. Comment avait-elle osé mettre le clan délibérément en danger ?! Elle n'était vraiment pas digne de fouler le Désert et j'espérais qu'un scorpion la pique mortellement un jour où elle ira chercher ses plantes pour soi-disant soigner le clan. Elle était bien bonne celle-là d'ailleurs : Ellyn guérisseuse ! Les autres lui faisaient tellement confiance que personne n'allait la voir pour être soigné. En même temps, je les comprenais. Qui irait voir quelqu'un capable de laisser une proie malade là où tout le monde pouvait la manger et être malade. A croire qu'elle avait fait ça exprès pour avoir du boulot. Oh ! Oh...

Tu sais ce que je pense ? Je crois qu'elle a laissé cette proie pourrie là pour que quelqu'un la mange et soit malade, tout ça parce qu'elle n'a personne à soigner... Elle est vraiment pathétique.

J'avais imité Anaya et je lui avais répondu en chuchotant. Non pas que cela m'aurait dérangé d'être entendue sur ce que je pensais d'Ellyn mais mieux valait qu'elle-même ne soit pas au courant que l'on savait ce qu'elle mijotait.

Nan, je n'ai rien remarqué, dis-je avec une pointe de déception. Si ça avait été le cas, je m'aurais fait une joie de tout raconter à ma demie-tante et à Hatasa pour que cette Tare soit éliminée. Si seulement... Mais bon, comme je ne voulais plus rien avoir à faire avec elle, je faisais tout pour ne pas la croiser alors forcément, ça aide pas. Cela dit, maintenant que je sais ce qu'elle trafique, compte sur moi pour te donner un coup de patte. Crois-moi : elle fera forcément une erreur et ce jour là, l'une de nous sera là pour la voir. Ses jours sont comptés...

Oh oui, elle n'aurait jamais dû naître aux yeux de la majorité du clan et j'étais certaine que justice serait bientôt rendue. Je sentais qu'elle allait mourir avant d'atteindre sa troisième année et je me délecterais de ce jour béni.

Celle qui était devenue ma sœur sembla méditer un instant sur mes propos. Ellyn pouvait-elle réellement avoir laissé une proie malade à la vue de tous pour que quelqu’un la mange et soit obligé de se faire soigner ? Personnellement, j’étais persuadée que oui.

J’expliquais ensuite à Anaya que, non, je n’avais rien remarqué de particulier venant d’elle mais puisque je l’évitais, cela était plus que normal. J’en vins alors à lui dire que je l’aiderai avec un plaisir non dissimulé dans sa quête pour faire tomber la Tare et un sourire mauvais apparut sur les babines de ma demi tante. Elle semblait plus que ravie de voir que j’étais de son côté et termina joyeusement le reste de son fennec. Je n’avais plus tellement faim mais je terminais tout de même le mien car après tout, il ne fallait pas gâcher de la nourriture, surtout dans le Désert et surtout quand on n’était pas sûre que notre prochaine chasse serait une réussite.

Si seulement maman avait vu la proie qu'Ellyn avait déposé à l'Oasis, cela aurait vraiment simplifié les choses... Je savais que tu accepterais ! Il va falloir que l'on s'occupe de son cas, et vite.

Je haussais nonchalamment les épaules pendant que je l’imitais et que je me levais à mon tour.

On est des Jangowas, Anaya : rien n’est simple pour nous. Mais c’est justement pour ça qu’on est les meilleurs ! Tu verras, on réussira à la faire tomber, ce n’est qu’une question de temps...

Je suivi ensuite ma meilleure amie qui s’en retournait vers le clan – et plus particulièrement vers Ellyn pour voir ce qu’elle était encore en train de manigancer – et toutes les deux, nous commencions à échafauder un plan qui permettrait à la Tare de passer plus rapidement de vie à trépas.