Ce matin, Kaed s’était réveillé de bonne heure. Le bruit avait couru jusqu’à Outland, porté par les ailes habiles d’oiseaux bavards. Maintenant, même les lions des terres rouges connaissaient la funeste nouvelle : Prideland avait brûlé. Aussitôt la nouvelle apprise, les pensées de Kaed s’étaient tournées vers les enfants de Soto. Malgré le temps, il n’avait pu les oublier. Etaient-ils en sécurité ? Avaient-ils pu s’en sortir ? Et les autres alors ? Certes, depuis l’avènement du nouveau roi, ils n’avaient plus d’affinité avec les plaines du soleil. Mais il s’agissait malgré tout de vies perdues et de familles brisées. Dans quel but ? Quel genre de folie avait poussée les rieuses à attaquer leurs voisins si sauvagement ? C’était une question qu’il n’avait de cesse de se poser. En tout bon curieux qu’il était, il s’était juré de trouver la réponse. Après tout, nul ne savait quand cela se reproduirait. Et, si prochaine fois il devait y avoir, mieux valait connaitre les prochaines victimes.

C’était donc dans cette optique que le nain c’était éveillé à l’aurore. Il devait savoir. Ce n’était pas une lubie, mais une obsession ! Personne n’était encore au courant de ses intentions. Même pas Shagan. Pour le moment, l’adolescent à la mèche rebelle voulait faire bande à part. Il devait trouver des oiseaux à la langue bien pendue afin d’en apprendre plus. Plusieurs témoignages valaient mieux qu’un, après tout. Jusqu’ici, les volatiles ne faisaient que confirmer ce qu’il avait déjà appris. Des hyènes avaient attaqués Prideland et un bon nombre d’animaux avait péri dans la bataille. Ce n’était pas suffisant pour le gamin qui s’en était retourné aux abords de la Termitière.

"Pouf !"

Un bruit mat et sec. Au début, Kaed songea à une proie lâchée sur le sol poussiéreux. Mais l’endroit était désert…aucune chasseresse à l’horizon.

Un sourcil plissé, l’ébauche de lion s’approcha de la source du bruit à pas feutrés. Ses muscles se tendirent lorsqu’il aperçu, au sol, une masse aux couleurs bien connue.

- Zary ? Est-ce que tout va bien ?

Aucune réponse. Troquant la discrétion pour un pas cadencé, le minuscule prédateur fondit en direction de l’apostrophée.

- Zary ! Répéta t-il, les yeux écarquillés tandis qu’il inspectait le corps de la lionne gisant dans la poussière. Ses flancs se soulevaient faiblement. Si faiblement, qu'il fallait les observer attentivement pour s'en apercevoir.

- Non ! Non ! C’est pas possible !

Le sang du nain se gelait, sa crinière s’hérissa malgré lui. Il n’était pas prêt ! Prit de panique, il secoua doucement le corps de la femelle tel un lionceau désireux de réveiller sa mère.

- Zary ! Réveillez vous ! Je vous en prie !

Désespéré, il rugit de toutes ses forces. Son cri ressemblait d’avantage à un couinement qu’à un râle d’adulte. D’ordinaire, les autres se moquaient de ces feulements ridicules. Mais aujourd’hui, ce hurlement ridicule serait le glas le plus sinistre du territoire.

Le souffle court, les mâchoires serrées, il enserra son amie. Cela ne pouvait arriver !

Au creux de ses pattes, une faible voix se fit entendre. Zary était toujours là, mais le nain n’était pas dupe : Le corps de la lionne se faisait tiède et sa respiration, faible. Comme le conseilla la vieille orangée, Kaed rassembla ses forces pour respirer calmement, alors que son dos se faisait secouer par des sanglots étouffés. Elle non plus n’était pas dupe…elle savait pertinemment que ses instants en ce monde était comptés.

- Je vais pouvoir quitter ce monde. Commença t-elle, arrachant un reniflement à son jeune ami. En gardant avec moi...le secret de l'existence de deux petites boules de poils...Mon secr...Non. Je devrais dire...notre secret...

Les yeux du rouquin se remplirent de larmes. Ce secret, aussi lourd à porter soit-il, était le lien qui les unissait dans la vie, et maintenant dans la mort. Mais fallait-il que ces boules de poils soient encore en vie, elles aussi.

- Je te promets sur ma vie que je ne dirai rien Zary ! Tu peux compter sur moi ! Murmura t-il à l’oreille de la lionne.

Au diable le vouvoiement. Il n’avait jamais osé se montrer familier avec la fille des orages, mais l’instant présent leur offrait le cadre le plus intime qu’il soit.

- Je ne veux pas que tu partes ! Laissa t-il tomber dans un chuchotement.

Zary eut tôt fait de le ramener à l’amère vérité : Ils étaient impuissants. Tous les deux. Et personne ne pourrait changer le destin de la vieille orangée ! Cette lionne si gentille allait rejoindre le néant sans retour que tout le monde s’évertuait à imaginer comme un ailleurs idyllique. Le rien, le vide…C’était injuste !

Alors qu’il la serrait un peu plus fort, la voix faible de la lionne s’éleva en un souffle fatigué. Ce qu’il comptait faire ?!

- Mon objectif n'a pas changé, Zary ! Je te promets que je réussirais à rallier les autres lions à notre cause ! Shagan sera là pour m’aider.

Et elle ne serait pas là pour voir le résultat de leur labeur…

- J’aurais tellement aimé te prouver que c’est possible !

Au loin, des pas pressés se faisaient entendre. Les premiers félins débarquaient dans le dos du nain qui ne daigna pas leur accorder d’attention. Bien vite, des mot furent criés, sans que rouquin ne puisse les entendre. Le corps de la vieille orageuse tiédissait entre ses pattes.